Le scandale des perturbateurs endocriniens... pas là où on le croit !
Le Monde – qui fut journal de référence – n'est-il pas devenu la chambre de résonance du lobbying alter et anti ?
Quatre articles d'un coup, dont trois de Mme Stéphane Horel, journaliste activiste.
Démontage de l'un d'eux.
Quand il s'agit de perturbateurs endocriniens, le Monde nous arrose d'un déluge de feu : quatre articles d'un coup le 29 novembre 2016 :
« Perturbateurs endocriniens : la fabrique d’un mensonge », de Mme Stéphane Horel, avec en chapô :
« La Commission européenne a élaboré ses propres éléments de preuves pour éviter une réglementation trop sévère de ces substances dangereuses. »
« Perturbateurs endocriniens : un déni de l’état de la science », toujours de Mme Stéphane Horel, avec en chapô :
« La Commission européenne s’appuie sur des études financées par les industriels. »
« Perturbateurs endocriniens : l’ingérence des Etats-Unis », encore de Mme Stéphane Horel, avec en chapô :
« Depuis 2013, les Etats-Unis contestent par tous les moyens le projet de réglementation europénne de ces substances chimiques au nom du libre échange. »
« Perturbateurs endocriniens : halte à la manipulation de la science », par un collectif de scientifiques ou se prétendant tels, avec en chapô :
« Près de cent scientifiques dénoncent la fabrication du doute par les industriels, déjà à l’œuvre dans la lutte contre le changement climatique. »
Mme Stéphane Horel ? Se présente sur Twitter comme :
« Journaliste, auteure (“Intoxication”, La Découverte, 2015), chasseuse de conflits d'intérêts, EU entomologist, lobbywatcher, FOI nerd, cheese addict. »
La fiche Wikipedia précise aussi :
« Elle collabore aussi régulièrement depuis 2013 avec le Corporate Europe Observatory, une association de recherche-action sur le lobbying industriel au niveau européen. »
Cela a le mérite d'être clair.
Le Corporate Europe Observatory, précisons-le, c'est une entité incorporée sous forme de Stichting dans le paradis fiscal néerlandais pour ONG, ayant ses bureaux à Bruxelles, et qui y fait du lobbying pour, notamment, une législation démesurément restrictive sur les perturbateurs endocriniens au niveau européen.
Le CEO, c'est 0 – nous mettons en toutes lettres : zéro – adhérents « personnes physiques », un budget global de 870.000 €, une estimation des coûts annuels de lobbying à Bruxelles de quelque 270.000 €, 5 personnes accréditées pour accéder aux bâtiments du Parlement européen.
C'est aussi 5,2 équivalents temps plein, mais quinze personnes (les « ONG » du Mundo B, au 26, rue d'Edimbourg se partagent les personnels – et même les « stagiaires », cinq mentionnés dans le registre de transparence de l'Union européenne). C'est une entité qui déclare – rappel : c'est un chantre et par conséquent un parangon de la transparence – quelque 600.000 € de frais de personnel (115.000 €/ETP, soit 9.600 €/ETP/mois... bienvenue dans le monde des bisounours...) et quelque 140.000 € pour les frais des projets des projets spéciaux (non spécifiés).
Encore faut-il considérer les évolutions d'une année sur l'autre : + 26,5 % entre 2014 et 2015 pour les recettes... Y a-t-il un volontaire pour éplucher les projets de l'Union européenne et vérifier qui finance en sous-main des activités de lobbying du CEO ? En 2015, les principaux financeurs ont été l'Isvara Foundation (quelque 200.000 €), l'Adessium Foundation (180.000 €) et l'Open Society Foundation (140.000 €).
Le CEO, c'est aussi cette entité, spécialisée dans le lobbying, qui recrute des journalistes freelance pour « entreprendre des recherches essentielles lorsque les opportunités se présentent ».
Et devinez qui ils ont engagé sur le dossier des perturbateurs endocriniens... Mme Stéphane Horel... notamment pour « A Toxic Affair: How the chemical lobby blocked action on hormone disrupting chemicals » (une affaire toxique : comment le lobby chimique a bloqué l'action sur les substances chimiques perturbant les hormones)... un titre d'autant plus ridicule que la procédure est en cours !
Mais il y a une conclusion imparable : le Monde sert de véhicule pour la poursuite et l'extension de l'activisme du CEO.
Les châpos précités sont du reste explicites : cela fleure bon la manipulation.
« Perturbateurs endocriniens : un déni de l’état de la science », c'est donc en résumé :
« La Commission européenne s’appuie sur des études financées par les industriels. »
Qui peut sérieusement faire croire que la Commission s'appuie – sous-entendu : « seulement » – sur des études financées par « les » industriels ? C'est d'un grotesque inouï ! L'article du Monde dit :
« Pour documenter sa réflexion, la direction générale santé et sécurité alimentaire, responsable du dossier à la Commission, a mené une étude d’impact de plus de 400 pages, publiée en juin après avoir été gardée sous clé comme un secret d’Etat (Le Monde daté 20-21 mai). »
Passons sur la théorie du complot... Ce document, une étude d'impact, est ici. Il comporte une bibliographie que chacun peut consulter pour vérifier si l'assertion résumée est exacte.
En fait, on peut se limiter à une lecture critique de la suite de l'article du Monde :
« La Commission cite avant tout l’avis émis par l’une de ses agences officielles, l’Autorité européenne de sécurité des aliments, en 2013. Cet avis constitue en effet le socle de sa proposition de réglementation. Mais, comme le processus de décision a débuté en 2009, les "connaissances scientifiques" sur les perturbateurs endocriniens ont beaucoup évolué depuis cette date. Cette revue de la science, il se trouve que l’Endocrine Society l’a faite en 2015. »
Subrepticement, on laisse entendre qu'au niveau de la Commission les fondamentaux se sont figés en 2009... du grand art de la désinformation. Mais qu'on se rassure : la Commission a bien tenu compte de « [c]tte revue de la science » de l'Endocrine Society. Et de toute manière, il n'y a pas eu de révolution dans les connaissances scientifiques sur les perturbateurs endocriniens.
Mais revenons aux industriels. Serait-ce que l'EFSA ne se serait appuyée que « sur des études financées par les industriels » ? Sans qu'il y ait eu un formidable tollé ? Allons donc !
La Commission écrit :
« De même, en 2013, l'EFSA a publié une "opinion scientifique sur l'évaluation des dangers [notez ce mot] des perturbateurs endocriniens". L'opinion de l'EFSA appuie la définition de l'OMS/IPCS des PE et une approche au cas par cas de l'évaluation des risques [notez aussi ce mot] pour les besoins de la prise de décisions réglementaires... »
Mais peut-être que l'OMS/IPCS [International Programme on Chemical Safety] ne se serait, elle aussi, appuyée que « sur des études financées par les industriels »... Allez savoir... Le monde est un vaste complot des industriels...
Pourtant, dans un rapport sur l'état des connaissances sur les perturbateurs endocriniens commandé par la Commission à un consortium dirigé par M. Andreas Kortenkamp (un des « durs » de la perturbation endocrinienne), livré en décembre 2011, il est dit :
« La définition des substances chimiques pertubatrices endocriniennes développée par l'OMS/IPCS est généralement acceptée comme applicable à l'évaluation des dangers et des risques tant de santé humaine qu'écotoxicologiques. »
Mais peut-être que la vérité dite à Londres, après Genève, devient erreur une fois exprimée à Parme et à Bruxelles...
L'Endocrine Society ? Difficile de trouver dans un texte de 150 pages très nuancé de quoi contredire le sens général de la proposition de la Commission européenne, laquelle doit encore passer sous les fourche caudines du Conseil et du Parlement.
Que retenir d'un encadré sur les « recommandations au-delà de la recherche pour les cinq prochaines années » (page 103) ?
« Souligner la nécessité de la précaution et de la prévention.
Déterminer quel niveau de preuve est suffisant, sur la base de la science rigoureuse, revue par les pairs – en gardant à l'esprit que la preuve absolue d'effets néfastes, ou la preuve de l'innocuité, n'est pas possible. »
Mais Mme Horel préfère – suivant une tactique bien connue – agiter la crainte et l'effroi :
« Elle [l'Endocrine Society] a examiné 1 322 publications parues depuis sa dernière contribution, en 2009 justement. Conclusion : elles ne laissent "aucun doute sur la contribution des perturbateurs endocriniens au fardeau croissant des maladies chroniques liées à l’obésité, au diabète, à la reproduction, à la thyroïde, aux cancers et aux fonctions neuroendocriniennes et neurodéveloppementales" ».
Malgré nos recherches, nous n'avons pas trouvé cette phrase dans le document de l'Endocrine Society...
Le texte du Monde se poursuit :
« En 2013, une vingtaine de chercheurs mobilisés pendant près de deux ans sous les auspices de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) étaient parvenus à des conclusions similaires. Leur rapport sonnait l’alerte sur une "menace mondiale à laquelle il faut apporter une solution". »
Tremblez d'effroi, chers lecteurs ! En fait, cette déclaration figure dans une « remarque finale » du résumé (page XV), un genre de post scriptum sur un sujet que l'on n'a pas vraiment traité et étayé. Pensez-vous que les auteurs aurait relégué cette sage recommandation dans une remarque finale s'il y avait vraiment le feu à tous les étages ?
Du reste, cette déclaration est aussi fort diplomatique (c'est nous qui graissons) :
« Les PE ont la capacité d'interférer avec le développement et les fonctions des tissus et des organes, et c'est pourquoi ils sont susceptibles [may] de modifier la susceptibilité à différents types de maladies tout au long de la vie. C'est là une menace mondiale à laquelle il faut apporter une solution. »
Mais voilà... selon le Monde :
« Ces "connaissances scientifiques", l’étude d’impact de la Commission les mentionne bien, mais pour les disqualifier, jugeant qu’elles ne méritent pas d’être prises en considération. "Les éléments de preuves sont dispersés et leur interprétation controversée, écrit-elle [la Commission], de telle sorte qu’il n’y a pas d’accord entre les experts sur un lien de causalité ou même sur une possible association entre une exposition aux perturbateurs endocriniens à des niveaux environnementaux et les maladies mentionnées." »
Encore une belle manipulation, car la phrase citée se rapporte à celle-ci, qui la précède (nous graissons aussi – c'est à la page 196) :
« La possible association entre l'incidence de certaines maladies humaines et l'exposition aux perturbateurs endocriniens (PE) a été soulevée dans certains rapports internationaux sur l'état de la science sur les PE qui sont mentionnés ci-dessous. Cependant, les éléments de preuve... »
Ces « connaissances scientifiques » sont-elles « disqualifiées » ? Poursuivons dans le texte du Monde :
« Dans la foulée de cette appréciation lapidaire, elle [la Commission] réduit l’Endocrine Society à une "partie prenante" qui aurait publié une "déclaration". Quant au rapport OMS/PNUE, sa méthodologie "a fait l’objet de critiques scientifiques", indique-t-elle, citant plusieurs publications qui montrent, selon elle, que "la controverse ne semble pas résolue". Mais quelles publications feraient donc tant autorité qu’elles pourraient pulvériser des travaux menés par les spécialistes les plus respectés du domaine ? »
Nous n'avons pas trouvé de quoi étayer la première partie de la première phrase. Quant au document de l'Endocrine Society, il s'agit bien d'une « déclaration », le conditionnel étant dès lors malvenu :
« EDC-2: The Endocrine Society’s Second Scientific Statement on Endocrine-Disrupting Chemicals » (PE-2 : la deuxième déclaration scientifique de l'Endocrine Society sur les perturbateurs endocriniens).
Pour le document OMS/PNUE, la citation exacte (page 197) est la suivante (nous avons mis des liens vers les documents cités dans le rapport de la Commission sous la forme de notes de bas de page) :
« Le rapport [OMS-PNUE] souligne la difficulté de prouver un rôle effectif de l'exposition aux PE dans l'incidence croissante de ces "maladies et troubles endocriniens". Une critique scientifique de la méthodologie générale utilisée dans le rapport OMS-PNUE 2012 a été soulevée en 2014. Cela a déclenché une réponse par les auteurs du rapport OMS-PNUE 2012, ce qui a suscité une nouvelle réponse par les auteurs des commentaires scientifiques sur la méthodologie en 2015 Ces publications récentes montrent que la controverse entourant la méthodologie utilisée dans le rapport OMS-PNUE 2012 ne semble pas résolue. »
Voilà donc l'Endocrine Society pour laquelle – selon le Monde – 1.322 publications ne laissent aucun doute sur la contribution des perturbateurs endocriniens au fardeau de la morbidité, et un rapport OMS-PNUE qui souligne la difficulté de prouver le rôle effectif des PE. Même si le deux assertions se situent à des niveaux différents, il y a une certaine contradiction. Mais chut ! Cela dérange la thèse des lobbyistes antichimie et anti-industrie.
Notons aussi le ton extraordinairement polémique de la réponse de Bergman et al. (Bergman étant l'auteur principal du rapport OMS/PNUE. Elle a pour titre :
« Manufacturing doubt about endocrine disrupter science – A rebuttal of industry-sponsored critical comments on the UNEP/WHO report [...] » (manufacturer le doute sur la science des perturbateurs endocriniens – une réfutation des commentaires critiques sponsorisés par l'industrie sur le rapport PNUE/OMS).
À lui seul, ce titre signale un article qui explose les frontières de l'activité scientifique pour envahir le domaine de la polémique – de la politique et du lobbying. Il jette par contrecoup une ombre inquiétante sur le rapport PNUE/OMS, ce qui, précisément, tend à valider les critiques formulées à son encontre.
Du reste, le rapport OMS/PNUE n'est pas une publication formelle de ces deux organisations et les points de vue exprimés dans ce document représentent le consensus des experts qui ont participé aux travaux (comment ont-ils été choisis?) et pas nécessairement les points de vue des organisations.
« ...la controverse ne semble pas résolue », est-ce une opinion – forcément sournoise et maligne de la Commission, ou la simple constatation d'un fait ? Les faits et le rapport de la Commission sont éloquents : non !
Le Monde s'épanche ensuite longuement sur le fait que la critique du rapport OMS-PNUE a été sponsorisée par l'industrie – ce qui est du reste dûment indiqué dans l'article scientifique – et qu'elle a été transmise à la Commission par l'industrie – une Commission probablement trop bête pour l'avoir repérée elle-même :
« Le Cefic l’a en effet envoyé par courriel à une trentaine des fonctionnaires européens impliqués dans le dossier le 17 mars 2014. »
Le sophisme du déshonneur par association !
Il y a eu d'autres articles critiquant le rapport OMS-PNUE, et par des brochettes de chercheurs (par exemple 15 dans le cas d'Autrup et al.) qui, bien sûr, se sont référés à une abondante bibliographie.
Mais le Monde a un remède magique : les conflits d'intérêts... Et la dérision grâce à des citations sélectives d'un article scientifique, « Endocrine disruption: Fact or urban legend? », extraites du propos général et interprétées, de manière éhontée, dans le sens efficace pour sa thèse.
Au final, le titre de son article, « Perturbateurs endocriniens : un déni de l’état de la science », est plutôt bien choisi. Mais le déni n'est pas dans le camp accusé dans l'article.