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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Études sur les OGM et « conflits d'intérêts » : l'exploitation médiatique

29 Décembre 2016 , Rédigé par Seppi Publié dans #Article scientifique, #OGM, #Activisme, #critique de l'information

Études sur les OGM et « conflits d'intérêts » : l'exploitation médiatique

 

 

Est-ce comme ça pour 40 % des publications? Une certaine presse le suggère...

 

 

Nous avons analysé dans deux articles précédents (ici et ici) l'article alter-scientifique – certains lecteurs contesteront la qualification – « Conflicts of Interest in GM Bt Crop Efficacy and Durability Studies » de Thomas Guillemaud, Éric Lombaert et Denis Bourguet.

 

Publié le 15 décembre 2016, il a fait l'objet d'un communiqué de presse de l'Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) le lendemain. On peut penser que ce communiqué a eu pour effet d'engager l'Institut derrière un travail scientifique dont on a tout lieu de croire qu'il a été effectué en dehors des missions officielles de ses auteurs.

 

Une certaine presse s'en est emparée, tout comme la mouvance anti-OGM. Si l'article alter-scientifique reste neutre sur le ton et prudent sur la signification des résultats, il a été surinterprété – comme il fallait s'y attendre – pour jeter le doute sur la qualité des connaissances scientifiques sur les OGM.

 

L'un des auteurs n'y est pas étranger. Signe-t-il un « conflit d'intérêts intellectuel », un parti pris de nature à décrédibiliser – encore plus – son étude ?

 

 

 

 

 

Rappels

Les trois auteurs... Pause... Deux ? La page annexe sur les auteurs précise ceci :

 

« Thomas Guillemaud

Contributed equally to this work with: Thomas Guillemaud, Denis Bourguet

* E-mail: guillem@sophia.inra.fr

Affiliation Inra, Univ. Nice Sophia Antipolis, CNRS, UMR 1355–7254 Institut Sophia Agrobiotech, Sophia Antipolis, France

Eric Lombaert

Affiliation Inra, Univ. Nice Sophia Antipolis, CNRS, UMR 1355–7254 Institut Sophia Agrobiotech, Sophia Antipolis, France

Denis Bourguet

Contributed equally to this work with: Thomas Guillemaud, Denis Bourguet »

 

Les auteurs, donc, ont analysé une série d'études – selon leur grille de lecture contestable et hautement aléatoire (quelque 30 % d'hésitations pour au moins deux critères) – et ont abouti aux conclusions suivantes :

 

« Nous avons donc effectué une analyse d'un grand nombre d'articles de recherche (n = 672) portant sur l'efficacité ou la durabilité des plantes GM Bt et des liens entre les chercheurs menant ces études et l'industrie des plantes GM. Nous avons constaté que les liens entre les chercheurs et l'industrie des plantes GM étaient courants, 40% des articles étant considérés comme présentant des conflits d'intérêts (COI [conflicts of interest]). En particulier, nous avons constaté que, comparée à l'absence de COI, la présence d'un COI était associée à une fréquence 50% plus élevée de résultats favorables aux intérêts de la société de plantes GM. »

 

Ce qui précède est une partie de leur résumé (abstract). Nous avons traduit le résumé complet dans « Un article alter-scientifique sur les conflits d'intérêts... sans (enfin...) déclaration sur les conflits d'intérêts des auteurs ! ». Précisons ici que la pratique du journal consiste à reléguer la déclaration d'absence de conflits d'intérêts dans une page annexe sur la version HTML, celle qui est lue par la très grande majorité des visiteurs ; elle est donc bien là... mais pas là où on l'attend. Notre titre n'était par conséquent pas des plus heureux.

 

Mais cela ne change en rien notre appréciation sur le fond car nous trouvons la déclaration étonnante au regard des conflits d'intérêts non financiers.

 

Nous ne reviendrons pas sur nos nombreux griefs dont le deuxième volet figure dans « Un article alter-scientifique sur les conflits d'intérêts... pour convaincre, écrivez "conflit d'intérêts" (2) ! ». Beaucoup de journalistes et d'activistes ne lisent que le résumé... quand ils le lisent et ne pompent pas sur ce que le confrère a déjà écrit (on me permettra de poser cette assertion sans démonstration...). Relevons donc trois points :

 

  • Cette étude est un exercice de très haute voltige tributaire d'évaluations hautement contestables (ce qui n'a pas été reflété dans le résumé) ; quel crédit accorder, en effet, à des statistiques fondées sur des évaluations ayant donné lieu à quelque 30 % d'hésitations pour au moins deux critères ?

  • Le « conflit d'intérêts » a été défini de manière très extensive. Un article scientifique est ainsi « stigmatisé » dès lors qu'il y a un financement par une entreprise du domaine des biotechnologies, de la création variétales et des semences (à l'exclusion des autres et de faiseurs d'opinions influents comme les « ONG ») ou un auteur salarié d'une telle entreprise. Le système est binaire, quel que soit l'apport du secteur privé ; il ne tient pas non plus compte de la qualité des productions scientifiques.

     

  • Les chiffres principaux ne se rapportent pas à 672 articles, comme le laisse entendre le résumé, mais à 579.

 

 

Que fait l'INRA ?...

 

L'INRA a cru bon de publier un communiqué de presse.

 

Soit !

 

Mais, manifestement, cet article n'est pas le produit d'une activité qui entre dans le cadre des compétences des auteurs – ils ne sont pas des sociologues de la science mais pour l'un un chercheur de « l’écologie et la génétique de populations d’insectes ravageurs des plantes, parmi lesquelles la pyrale du maïs », et l'autre un chercheur censé s'occuper de « thématiques de recherche [qui] tournent toutes autour de la biologie évolutive dans le contexte particulier des environnements agricoles ».

 

Il n'entre pas plus – à notre avis du moins – dans le cadre des fonctions pour lesquelles ils sont rétribués – en grande partie sur nos impôts.

 

Nous ne saurions dénier à des chercheurs enthousiastes et des auteurs féconds le droit de s'intéresser à des thèmes en dehors de leur cahier des charges. Ce qui est en cause ici, c'est, d'une part, le fait qu'ils puissent se réclamer de l'INRA sans la moindre mise en perspective et, d'autre part et surtout, le fait que l'INRA publie un communiqué de presse également sans mise en perspective.

 

Car le service de presse de l'INRA engage le crédit et la crédibilité de l'INRA en écrivant :

 

« Des chercheurs de l’Inra ont analysé la littérature scientifique... »

 

 

...un communiqué de presse trompeur (au mieux)

Selon le résumé,

 

« Ils montrent que 40% des publications étudiées présentent un conflit d'intérêt financier. »

 

Ce qu'est un « conflit d'intérêt financier » n'est pas défini et est donc laissé à l'appréciation des lecteurs alors même que le sujet des OGM et des multinationales semencières est très polémique. Selon le texte du communiqué, toutefois :

 

« Leur étude montre que 40% des publications sur ce sujet présentent un conflit d'intérêt financier car les études présentées dans ces publications ont été menées ou financées, entièrement ou en partie, par les industries de biotechnologies qui développent et vendent ces plantes. »

 

Comment sera interprété (par ceux qui lisent...et même ceux qui lisent sans œillères idéologiques) « ...menées ou financées, entièrement ou en partie... » ? La presse nous montre que c'était inviter les interprétations et commentaires négatifs.

 

Une étude réalisée par exemple par six chercheurs d'une même institution publique – dont relève l'auteur principal – et trois auteurs du secteur privé a-t-elle été « menée[...] […] en partie, par les industries... » ? Ah ! MM. Guillemaud et Bourguet auraient pu être plus précis puisque l'information leur était disponible... Mais ils ne l'ont pas fait...

 

Le résumé du communiqué de presse présente aussi le surcroît (allégué) de résultats positifs sans mise en perspective :

 

« Plus important, les conclusions de ces publications sont plus fréquemment favorables aux intérêts des industries semencières en présence qu'en absence de conflits d’intérêt. Cette tendance générale se vérifie également à l'échelle du chercheur. »

 

Cette mise en perspective figure certes dans le corps du communiqué :

 

« Les analyses menées ne permettent pas de déterminer si les conflits d'intérêt financiers sont la cause de la plus grande fréquence de conclusions favorables aux intérêts des industries de biotechnologies. Même si l’effet causal des conflits d’intérêt sur les conclusions des publications scientifiques a été démontré dans d’autres domaines (tabac, énergie, pharmacologie), il ne peut être exclu qu’un autre facteur non connu soit la cause à la fois des conflits d’intérêt et des conclusions plus souvent favorables des publications concernant les plantes transgéniques. »

 

Mais les termes – et notamment la référence à d'autres domaines – sont éminemment contestables. Qu'en tirera le lecteur ? La réponse est évidente ; l'instrumentalisation de l'article en est une bonne preuve.

 

 

Tout est dans le titre !

 

En France, Inf'OGM s'est rapidement intéressé à la chose. Son article est plutôt complet et équilibré... on ne saurait guère lui reprocher les éléments du communiqué de presse de l'INRA, largement repris. Mais c'est emballé sous un titre bien choisi, qui confortera la mouvance anti-OGM dans son idéologie : « La recherche sur les OGM entachée de conflit d’intérêt ».

 

C'est la même stratégie dans le Monde, sous la signature de Mme Stéphane Horel, experte en conflits d'intérêts de par son parcours personnel (au service du Corporate Europe Observatory et maintenant « journaliste au Monde »). Au titre éloquent et abusivement généralisateur – « La recherche sur les OGM est minée par les conflits d’intérêts » – suit un dessin explicite associant un chercheur en blouse blanche et des sigles du dollar.

 

 

Mais aussi dans le Monde...

Nous ne nous éterniserons pas sur les effets de manche de cet article, avec ou sans le concours des auteurs de l'article scientifique. Dès le premier paragraphe, la journaliste au Monde assène :

 

« Seconde conclusion : ces conflits d’intérêts ont une influence patente sur les résultats de ces publications. Quand conflit d’intérêts il y a, "les conclusions ont 49 % de chances d’être plus favorables aux intérêts des industries semencières", écrivent les chercheurs. »

 

Les chercheurs n'ont pas écrit ce qui est prétendu dans le Monde. Le texte exact est :

 

« Pour les 579 articles que nous avons pu classifier, nous avons trouvé que les COI étaient associés à une fréquence de résultats favorables aux intérêts de l'entreprise de plantes GM 49 % plus élevée. »

 

Les deux textes sont peut-être ressemblants, mais la déontologie journalistique exige que les citations soient de vraies citations. Ah oui... la déontologie...

 

Penchons nous sur le fond : « ...influence patente... » ? Difficile pour le lecteur moyen – surtout du Monde rubrique Planète gavé de littérature anti-OGM – de ne pas y voir une allusion à des pratiques, disons, douteuses. « ...les conclusions ont 49 % de chances... » ? Difficile de ne pas penser sur la base de cette tournure que l'on met les « chances » de son côté. Mais rappelons le communiqué de presse de l'INRA :

 

« Les analyses menées ne permettent pas de déterminer si les conflits d'intérêt financiers sont la cause de la plus grande fréquence de conclusions favorables aux intérêts des industries de biotechnologies. »

 

Pour de l'information, au Monde, c'est plutôt de la désinformation.

 

Il y a certes une version quelque peu différente plus loin, mais c'est noyé dans un texte qui donne à penser qu'« on ne sait pas, mais personne n'est dupe » :

 

« Impossible, en revanche, d’établir si les conflits d’intérêts financiers sont la cause ou la conséquence de résultats favorables aux sponsors. En d’autres termes, de déterminer avec certitude si les résultats sont favorables à un industriel parce qu’il a financé l’étude, même seulement en partie. Pour mettre cela en évidence, développe M. Guillemaud, il faudrait disposer de trois éléments : "Le projet avant qu’il ne commence, l’étude avant qu’elle ne soit publiée et l’étude après publication.»

 

« ... la cause ou la conséquence... » ? Dans les deux cas on suggère une relation de cause à effet, alors que la première explication d'un résultat « favorable » devrait résider dans les résultats de l'étude.

 

 

...et quand les auteurs s'épanchent dans la presse...

 

Il y a l'article alter-scientifique... il y a le communiqué de presse de l'INRA...

 

Faisons un petit arrêt : la France agricole titre : « Recherche : L'Inra pointe du doigt les conflits d'intérêts sur les OGM ». Sur un autre site, c'est : « OGM : l’INRA admet que les recherches scientifiques sont sous influence des lobbies ». Le communiqué de presse a fait son effet.

 

Il y a aussi ce qu'en ont fait les médias, à commencer par le Monde et sa journaliste à l'intéressant CV. Leur article a été largement cité et paraphrasé, conformément aux mœurs de la médiasphère. Faisons un petit arrêt sur le Temps pour illustrer l'autre penchant du panurgisme médiatique : l'escalade d'engagement (avec tout de même le conditionnel de prudence). Son titre est : « 40% des études scientifiques sur les OGM seraient biaisées ». Et c'est bien sûr aussi une « étude de l’Institut national français de la recherche agronomique... ».

 

Et il y a les déclarations des auteurs dans la presse. Et là on peut être perplexe.

 

Car, d'un côté, M. Guillemaud a été interrogé dans la Tête au Carré du 19 décembre 2016 et a donné des explications nuancées (la bande audio fait environ 10 minutes).

 

Mais de l'autre...

 

Le Monde s'est penché sur la proportion plus importante d'articles « favorables » dans le cas de l'« efficacité » par rapport à la « durabilité » :

 

« Cela s’explique par le fait que "les groupes ont plus intérêt à financer des études qui montrent que leurs produits tuent effectivement les insectes", analyse Thomas Guillemaud, tandis que les études de durabilité nécessitent davantage de temps pour une issue plus incertaine. »

 

Vraiment ? Dans leur article, les auteurs avaient – à juste titre – été plus prudents sur les explications de cette constatation.

 

Dans : « OGM: la recherche polluée par les conflits d’intérêts », 24 heures fait aussi parler M. Guillemaud :

 

« "En soi, ce type de financement n’a rien d’illégal, rappelle Thomas Guillemaud, directeur de recherche à l’institut Sophia Agrobiotec et principal auteur de l’étude. Le problème, c’est que cette pratique semble avoir une influence sur les recherches concernées.»

 

Certes, il y a le mot « semble », et « influence » n'est pas précisé ; mais qu'en pense le lecteur dans le contexte de l'anti-OGMisme et du complotisme ambiant ?

 

En fait, la suite peut nous éclairer :

 

« "La société attend des scientifiques que leur production soit impartiale, surtout lorsqu’il s’agit de sujets clivants comme les OGM. Nos travaux sèment un peu le doute sur l’indépendance des chercheurs, poursuit Thomas Guillemaud. Mais ils ne permettent pas de déterminer si les conflits d’intérêts sont la cause ou la conséquence." […] "L’homologation des OGM par les autorités repose sur les travaux scientifiques, note Thomas Guillemaud. Si ces derniers sont biaisés, sur quels critères trancher?»

 

 

 

 

Est-ce là le discours d'un chercheur qui s'exprime objectivement sur les conclusions de ses travaux ? Qui se prononce impartialement sur un sujet très polémique ? Et avec pertinence (sachant que les « travaux scientifiques » sur lesquels reposent les homologations des OGM ne sont pas, ou pas seulement, ceux qu'il a étudiés) ?

 

Nous pensons que ces propos signent un « conflit d'intérêts intellectuel ».

 

Et dire que, dans une entreprise manifeste de fabrication du doute, M. Guillemaud affirme :

 

« La société attend des scientifiques que leur production soit impartiale, surtout lorsqu’il s’agit de sujets clivants comme les OGM »...

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