Glyphosate, CIRC et EPA : ça barde aux USA
L'étonnante illustration du communiqué de presse du CIRC.
On a dépassé le stade de la théorie du complot. Les preuves s'accumulent aux États-Unis d'Amérique sur des manœuvres tendant à – au moins – retarder la ré-homologation du glyphosate, la matière active d'herbicides dont le produit phare est le Roundup (il faut ajouter ici, compulsivement, « de Monsanto »).
Sans conflits d'intérêts... vraiment ?
(Présentation de Mme Kathryn Guyton au Parlement Européen)
La saga se poursuit !
La décision du Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) de classer le glyphosate en « cancérogène probable » n'a pas fait que des heureux. Cette décision est intervenue en mars 2015, alors que les autorités européennes et états-uniennes avaient avancé dans la ré-homologation du glyphosate. Dans le cas de l'Union européenne, elle a manifestement fait dérailler la procédure ; c'est moins manifeste pour les États-Unis.
Sur le fond, la décision du CIRC est hautement contestable du point de vue scientifique. Toutes les agences d'évaluation qui se sont exprimées à ce jour ont contredit le CIRC ; même l'OMS, en quelque sorte la maison-mère du CIRC, dans le cadre de son comité conjoint avec la FAO sur les résidus de pesticides. Ce fut dit diplomatiquement, en concluant que le glyphosate ne présente pas de risques pour les consommateurs, ni pour les applicateurs en conditions d'utilisation conformes aux prescriptions ; de manière plus ferme – comme l'ont fait bon nombre de scientifiques – en laissant entendre que la décision est infondée.
Et il y a ces accusations explicites, ou à peine voilées, de manœuvre à l'appui de l'activisme anti-pesticides (et, du fait de la tolérance au glyphosate introduite dans diverses espèces cultivées, anti-OGM).
Aux États-Unis, l'affaire a été prise en main par le Congrès.
NIH, expliquez-vous !
La Commission de surveillance de l'action gouvernementale de la Chambre des représentants des États-Unis (House Oversight Committee) présidée par le représentant Jason Chaffetz (Rép., Utah) a sommé les Instituts Nationaux de la Santé (National Institutes of Health – NIH) de comparaître devant elle et d'expliquer – selon la presse – pourquoi ils ont alloué des dizaines de millions de dollars au CIRC, une agence qui a été accusée de « charlatanisme » et de « cherry picking ».
Le Congrès veut que les NIH expliquent leur soutien au CIRC ainsi que l'implication de ses agents dans les travaux d'une agence qui a été largement critiquée pour sa science de mauvaise qualité et sa partialité.
Dans sa lettre du 26 septembre 2016 au directeur des NIH, M. Chaffetz évoque le fait que les « normes et déterminations du CIRC sur le classement des substances comme cancérogènes, et donc provoquant le cancer, ne semblent pas conformes à d'autres recherches scientifiques et ont provoqué par conséquent beaucoup de controverses et de craintes ». Et, plus loin, que le CIRC a un « bilan de controverses, de rétractions et d'incohérences ».
On peut débattre de la justesse de ces propos ; mais ce qui importe, c'est le cadre dans lequel l'audition du directeur des NIH aura lieu. Celui-ci a accepté de s'expliquer, mais à condition que cela se passe à huis clos.
Les scandaleuses déclarations de Mme Guyton
Honorable Gina McCarthy, expliquez-vous !
L'Honorable Gina McCarthy est l'Administratrice de l'Agence de Protection de l'Environnement (EPA).
L'histoire est un peu plus ancienne. L'EPA avait commencé l'évaluation des risques du glyphosate en 2009 et devait conclure en 2015. Le vendredi 29 avril 2016, elle a mis en ligne une série de documents – dont un, émanant de son Cancer Assessment Review Committee (CARC – commission d'examen de l'évaluation du cancer), était un « rapport final » daté du... 1er octobre 2015 et concluait à l'innocuité du glyphosate. Mais surprise... le lundi 2 mai 2016, les documents ont été retirés du site. Plus ici.
La Commission de la Science, de l'Espace et de la Technologie a voulu en savoir plus et a convoqué Mme McCarthy pour une audition qui s'est déroulée le 22 juin 2016. Mais, manifestement, la Commission n'a pas été satisfaite et le président Lamar Smith (Rép., Texas) a adressé le 25 octobre 2016 une longue lettre à Mme McCarthy, la sommant de s'expliquer :
« Au cours du contrôle par la Commission de la réévaluation du glyphosate par l'EPA, la Commission a obtenu des documents et des informations qui semblent contredire vos réponses aux questions posées par les membres de la Commission. À la lumière de ces contradictions, les récentes mesures prises par l'EPA pour retarder encore davantage la réévaluation du glyphosate par le Comité de Consultation Scientifique [SAP] ne sont pas de nature à inspirer la confiance dans le fait que l'EPA examinera le glyphosate avec impartialité sur la base de principes scientifiques éprouvés. »
On ne s'éternisera pas sur les procédures états-uniennes, sauf à relever que les commissions parlementaires ne toléreraient pas la désinvolture et l'arrogance que l'on a pu constater en France, par exemple dans le cadre de l'OPECST à propos d'une fameuse étude sur des rats.
La Commission constate, sur la base des informations et documents, que deux agents de l'EPA, MM. Matthew Martin et Peter Egeghy ont joué un rôle plus important qu'admis par Mme McCarthy dans ses déclarations, dans la formation de la conclusion du CIRC sur le classement du glyphosate. M. Smith se fait cependant conciliant :
« Il semble qu'on vous a fourni des informations délibérément trompeuses pour la préparation de votre témoignage devant la Commission, ce qui suggère une tentative par des agents de l'EPA de fournir au Congrès des réponses fallacieuses et trompeuses. »
Le complot n'est pas loin... Cela se précise :
« Portier semble maintenir des contacts étroits avec Jim Jones, Administrateur assistant de l'EPA pour le Bureau de la Sécurité Chimique et la Prévention de la Pollution. Portier, qui est aussi employé par l'Environmental Defense Fund (EDF), a été critiqué pour un conflit d'intérêts apparent entre son rôle dans l'étude du CIRC sur le glyphosate et son emploi auprès de l'EDF. »
M. Smith évoque ensuite deux courriels de M. Portier et sa lettre du 27 novembre 2015 au Commissaire européen Vytenis Andriukaitis (signée par une petite centaine de scientifiques, notamment par la moitié des membres du groupe d'experts du CIRC). Il relève que, selon M. Portier, le rapport de l'EFSA
« affaiblit la vigueur du programme des Monographies du CIRC dans la stimulation de modifications dans la manière dont certains de ces agents [ces substances] sont revus et évalués. Cette déclaration démontre que le CIRC a un rôle militant dans ses évaluations. »
Si on peut contester cette conclusion, M. Portier n'ayant pas qualité pour s'exprimer au nom du CIRC, il n'en demeure pas moins que les échanges se sont faits avec les membres du groupe de travail du CIRC et, sans nul doute, avec certains de ses agents (qui auront laissé faire).
S'agissant de la lettre à M. Andriukaitis, il est noté qu'elle a été copiée à M. Jones. Les bons usages auraient requis qu'elle le fût à Mme McCarthy, l'administratrice... ce qui conforte la thèse des relations particulières entre M. Portier et M. Jones.
Cela nous mène à ce rapport du CARC mis en ligne et vite dépublié en avril/mai 2016 :
« De plus, les documents […] montrent que Portier a contacté l'Administrateur assistant Jones quand apparurent les nouvelles sur le rapport fuité du CARC. […] Compte tenu des efforts manifestes de Portier pour utiliser le CIRC pour influencer les décisions politiques globales et pour discréditer l'étude de l'EFSA sur le glyphosate, il est raisonnable de penser que l'Administrateur assistant Jones a agi pour l'aider, lui et le CIRC, en minorant publiquement l'analyse scientifique menée par l'EPA. »
La critique porte aussi sur la sélection de M. Kenneth Portier, le frère de Christopher, pour siéger au Comité de Consultation Scientifique, et surtout la décision de reporter sa session prévue du 18 au 21 octobre 2016. Certains membres du comité n'auraient pas été disponibles mais, surtout, l'annonce du report évoque une recomposition du comité pour y inclure d'autres experts, particulièrement en épidémiologie. Pourtant, il y en a déjà cinq.
« Les événements récents à propos de la constitution du SAP et le délai apporté à son travail d'évaluation ne peuvent que conforter la notion que l'EPA n'agit pas de bonne foi. »
Pour notre part, nous avons l'impression que l'EPA, ou du moins certains de ses agents, ont joué la montre, en accord avec d'autres, pour que la pusillanimité politique européenne puisse faire son œuvre. Le report, quasiment sine die, de la réunion du Comité de Consultation Scientifique et les tergiversations sur sa composition suggèrent que la manœuvre se poursuit.
Le CIRC a-t-il tenté de s'opposer à la publication de documents ?
Des membres du groupe de travail du CIRC ont fait l'objet de demandes de divulgation de leur correspondance (demandes dans le cadre du Freedom of Information Act – FOIA). Certains ont demandé conseil au CIRC.
Le 25 octobre 2016, Reuters a publié « WHO cancer agency asked experts to withhold weedkiller documents » : le CIRC a, selon l'agence, demandé aux experts de ne pas divulguer les documents.
Une partie de la réponse du CIRC est visible dans cette lettre. Elle semble être plus nuancée que cela n'est décrit dans la presse :
« ...la position du CIRC est que tous les projets de documents et matériels établis par le Groupe de Travail avant et durant la réunion sur la Monographie doivent être considérés comme des projets et délibératifs. Les membres du Groupe de Travail préparent ces matériels pour le compte du CIRC, et non dans le cadre de leur tâches officielles d'employés d'une institution de l'État ou fédérale, et le CIRC est le seul propriétaire de ces matériels. Le CIRC n'encourage pas les participants à garder des projets de documents lorsque la Monographie en cause a été publiée. »
Plus nuancée, mais ne portant pas – toujours semble-t-il – sur les échanges de courriels qui ne constituent pas des documents et matériels ayant la nature de projets et délibératifs, ni sur les échanges postérieurs à la réunion de mars 2015.
Le CIRC a répondu par un communiqué de presse et une réponse plus détaillée.
Mais était-il vraiment nécessaire d'illustrer le communiqué avec une image de pulvérisateurs de Roundup et la poignée de main entre les CEO de Bayer et Monsanto ? Était-il nécessaire de signaler que des demandes de divulgation émanaient d'avocats représentant Monsanto ? En quoi cette « information » avait-elle plus d'importance que la demande de la Free Market Environmental Law Clinic ? Aurait-on voulu démontrer sa partialité et son absence de hauteur qu'on ne se serait pas pris autrement...
Il n'était guère judicieux d'écrire :
« L'article de Reuters suit un modèle de rapports qui vont dans le même sens mais sont trompeurs au sujet du Programme des Monographies du CIRC dans certains secteurs des médias, depuis que le glyphosate a été classé comme cancérogène probable pour l'homme. »
C'est bien reconnaître un malaise persistant, et une absence de réaction du service de presse du CIRC.
Il s'agit là d'une péripétie, mais elle ne fait qu'envenimer la situation.
Une situation dont il est de plus en plus clair qu'elle s'inscrit dans un projet politique, un projet auquel les hauts responsables du CIRC ne sont pas étrangers.
Le CIRC communiquera-t-il enfin raisonnablement ?
La lettre du 26 septembre 2016 de M. Jason Chaffetz, président de la Commission de surveillance de l'action gouvernementale de la Chambre des représentants des États-Unis à M. Francis Collins, directeur des Instituts Nationaux de la Santé, a provoqué une réaction de la part de M. Christopher Wild, une lettre en date du 5 octobre 2016, dans laquelle il énumère quelques points importants des procédures du CIRC.
On peut sourire, voire éclater de rire, quand on lit :
« Les évaluations publiées dans les Monographies du CIRC sont largement respectées pour leur rigueur scientifique, leur processus standardisé et transparent et l'absence de conflits d'intérêts tant des membres des Groupes de Travail que du Secrétariat du CIRC. »
Des journaux se sont du reste emparés de cette affirmation pour la ridiculiser...
En revanche, les points énumérés sont de nature à apaiser les polémiques en mettant le classement du glyphosate dans son vrai contexte.
Il n'appartient qu'au CIRC et à M. Wild de faire l'effort de débogage public. Le feront-ils ?
Rappels
En mars 2015, le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) – une institution liée à l'Organisation Mondiale de la Santé mais jouissant d'une large autonomie – avait classé le glyphosate en « probablement cancérogène ».
L'annonce fut faite fort opportunément pour l'ouverture d'un grand festival annuel de militantisme, la Semaine pour les alternatives aux pesticides ou, dans le monde anglophone, la Pesticide Action Week. Vu les circonstances, ce n'est pas un détail.
Ce classement a immédiatement été exploité par les militantismes anti-pesticides et « altermondialiste » – de tous bords et horizons – pour entraver la ré-homologation du glyphosate (les matières actives des produits de protection des plantes ne sont autorisées que pour des durées limitées, à l'issue desquelles elles doivent faire l'objet d'une nouvelle évaluation si on veut les maintenir sur le marché). Leur action – combinée avec la pusillanimité politique – a été efficace, particulièrement au niveau de la Communauté européenne : le glyphosate n'y a bénéficié que d'une extension de 18 mois au maximum, en attendant le rapport final de l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA).
Cela peut paraître surprenant : en classant une substance ou une activité, le CIRC se prononce sur un danger – le fait qu'elle est susceptible de produire des cancers – indépendamment du risque – qui fait intervenir les doses, les expositions, les mesures de prévention, etc. « Probablement cancérogène » est aussi une convention de langage : il ne s'agit nullement de la probabilité de la survenue de cancers, mais de la force probante des éléments de preuve à l'appui du classement.
Le glyphosate se trouve ainsi en compagnie de produits tels que : l'acrylamide (une substance chimique qui se forme naturellement dans les aliments riches en amidon au cours des processus de cuisson à haute température) ; les émissions dues à la friture à haute température, les rayonnements ultra-violets A, B et C (et l'utilisation des lampes et tables à bronzer) ; la viande rouge (la viande transformée comme les charcuteries étant classée en « cancérogène certain ») ; les expositions professionnelles des coiffeurs et barbiers ; le travail posté entraînant une perturbation du rythme circadien.
Mais la pusillanimité politique ne connaît pas de limites...
Les agents du CIRC ne se sont guère investis dans l'explication et la mise en perspective du classement du glyphosate. On peut estimer que, bien au contraire, ils ont contribué aux campagnes de dénigrement du glyphosate.
Le classement du glyphosate par le CIRC s'est rapidement heurté aux évaluations des agences chargées d'examiner les risques. Les plus mesurées ont conclu que le glyphosate ne présentait aucun risque dans les conditions normales d'utilisation. Parmi elles figure l'OMS – en quelque sorte la maison-mère du CIRC – dans le cadre de la Réunion Conjointe FAO/OMS sur les Résidus de Pesticides (JMPR). Les plus fermes ont laissé entendre qu'en outre, il ne présentait aucun danger.
Un an et demi après sa bombe médiatique et polémique, le CIRC se retrouve isolé avec son classement en « cancérogène... » dans un océan d'évaluations contraires.
La conclusion des agences d'évaluation les plus fermes – ainsi que de nombreux scientifiques – signifie en clair que le classement du CIRC est erroné. Mais il y a pire : au cours des mois se sont accumulés des faits qui suggèrent – sinon prouvent – que ce classement est le fruit d'une manœuvre – et pire encore – d'une manœuvre à laquelle des hauts responsables du CIRC ne sont pas étrangers.
Les membres du groupe de travail qui a évalué le glyphosate n'ont pas été en reste. En particulier, sous l'impulsion de M. Christopher Portier, une moitié d'entre eux ont co-signé une lettre, en date du 27 novembre 2015, au commissaire européen chargé de la santé et de la sécurité alimentaire Vytenis Andriukaitis pour inciter la Commission européenne à écarter les conclusions de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) de son processus de décision sur le renouvellement de l'autorisation du glyphosate.
M. Christopher Portier est un personnage clé de cette affaire. Participant au groupe de travail du CIRC en tant que « spécialiste invité », il a notamment été présenté dans la liste des participants comme retraité de l'Agency for Toxic Substances and Disease Registry états-unienne. Ce n'est qu'après coup que son affiliation à l'organisation militante Environmental Defense Fund a été reconnue dans la liste, et encore, sous la forme d'une note de bas de page. Depuis mars 2015, M. Portier s'est investi dans le militantisme contre le glyphosate, n'hésitant pas à se présenter ou laisser présenter comme « expert de l'OMS ».
Et le CIRC laisse faire...