Arte et les OGM : beaucoup de mensonges et peu de vérités ?
Chaud devant ! Le vendredi 14 octobre 2016, à une heure inconnue (!) s'ouvrira la mascarade du Tribunal Monsanto. En deux journées – samedi et dimanche – l'affaire sera quasiment pliée. Ubu Tribunal aura entendu les témoins – tous à charge – et les procureurs ; pas l'accusé et encore moins ses défenseurs, ce n'est pas prévu au programme. Dans un suprême effort pour paraître impartiaux, ils ont consenti à déférer la décision jusqu'à décembre 2016. À moins que ce ne soit conçu pour maintenir un suspense factice, et donc des opportunités d'actionner les médias.
Mais cette pantalonnade se prépare aussi médiatiquement. Arte diffusera donc le mardi 11 octobre 2016 un « document... » sur les OGM : « OGM : mensonges et vérités », réalisé par M. Frédéric Castaignède.
Il y a sa filmographie... Et il y a la bande annonce et les aguiches. Hélas !
L'ambition présentée à la fin du premier paragraphe de la page de la bande annonce est forte :
« Ce tour d'horizon mondial démêle le vrai du faux, preuves scientifiques à l'appui. »
Rien ne vaut l'autopromotion et l'autosatisfaction ! Mais l'incompétence crasse apparaît dès la deuxième phrase :
« Le secteur agroalimentaire se repose de plus en plus sur les cultures OGM. Plus résistantes, elles permettraient de répondre aux besoins conséquents de l’élevage de masse. »
Un petit conditionnel... alors que par exemple le soja est GM à plus de 90 % dans les grands pays producteurs et exportateurs... Et surtout cette limitation à « l'élevage de masse ». Décidément, on se moque d'entrée du chaland.
Mais rassurons-nous :
« Tourné dans onze pays et sur quatre continents, ce documentaire s'emploie ainsi avec succès à explorer l'ensemble des enjeux liés aux plantes et animaux transgéniques, tant dans le champ de la santé que dans celui de l'environnement et de la biodiversité. »
« ...avec succès... » ? Aux dernières nouvelles leurs chevilles ne sont pas enflées.
Eh bien, avec une carte censée montrer les lois sur l'étiquetage des produits contenants des OGM ou dérivés d'OGM ! On se serait attendu à la carte classique de l'ISAAA des pays qui cultivent des OGM.
Mais non ! En plus, ce qu'on nous présente, c'est un bidule du CFS (Center for Food Safety). Le CFC est présenté comme :
« ...une organisation à but non-lucratif américaine visant à protéger la santé et l'environnement des hommes en promouvant une agriculture biologique et durable. »
Nous sommes au moins prévenus de la partialité de la source...
Une première aguiche est censée répondre à « Le maïs OGM, ça fonctionne comment ? ». Mais la séquence de deux minutes ne porte que sur la résistance à certains insectes grâce au Bt. Ne renâclons pas trop... la séquence, largement psychédélique, finit sur une note positive.
La suivante s'intitule : « Quand la nature s'adapte ». On a donc droit à un couplet sur la chrysomèle du maïs et, bien évidemment, sur les « superweeds », les super-mauvaises herbes. Explication sur la toile :
« En raison de la surutilisation de la toxine BT, les insectes y deviennent résistants. Cela a pour conséquence l’emploi problématique d'insecticides sur des plantes transgéniques. Les cultivateurs de plantes TH (tolérantes à un herbicide) sont quant à eux confrontés à de mauvaises herbes résistantes aux herbicides.
Le téléspectateur ne saura vraisemblablement pas que la chrysomèle est une exception ; que les plantes Bt restent efficaces sur la plupart des ravageurs ; qu'une toxine Bt qui perd de son efficacité peut être remplacée par une autre ou par un empilement de toxines ; que les mauvaises herbes ne sont pas « résistantes aux herbicides », mais à un herbicide ou une famille d'herbicides et qu'il existe des solutions simples comme... utiliser un autre herbicide.
Dégâts de la chrysomèle sur racines de maïs (à droite)
Un « document... » – formule à compléter quand nous aurons tout vu – sur les OGM ne saurait se concevoir sans longs développement sur la « contamination »... vous savez cette affreuse histoire de grain de pollen GM baladeur qui aurait l'audace de se poser sur une plante non GM, déclenchant un véritable tsunami d'extinction de la biodiversité et, en tout cas, une tempête dans le cerveau des opposants.
On peut se permettre d'être sarcastique : le maïs GM – c'est l'espèce emblématique pour cette affaire – ou plutôt les maïs GM sont maintenant cultivés sur des surfaces considérables, à côté de variétés non GM, sans que l'on – enfin les scientifiques et autres observateurs non contaminés par l'idéologie – ait constaté un déluge de « contamination » ou une apocalypse génétique.
Il suffit du reste de réfléchir deux secondes : un modeste gène de tolérance à un herbicide condamnerait les cultures traditionnelles au Mexique et la diversité génétique (alors qu'il y est de surcroît condamné au chomage dans ces cultures) ? Quid alors des 99,99... % des autres gènes des hybrides modernes cultivés au Mexique ?
Ce genre de déclaration fait de son auteur une référence incontournable pour le monde alter et anti...
C'est que, pour l'occasion, on a ressorti Ignacio Chapela. Explication en introduction à l'aguiche sur « OGM et contamination : un risque pour la biodiversité ? » :
« Si l’augmentation de l’utilisation de pesticides, liée au phénomène de résistance, suscite des inquiétudes pour la santé humaine, le phénomène de contamination des cultures traditionnelles voisines des OGM présente quant à lui de sérieux risques pour la biodiversité. Le microbiologiste Ignacio Chapela nous explique pourquoi. »
Le risque de « contamination » des cultures traditionnelles voisines des OGM aurait été, selon la voix off, « longtemps nié par les fabricants » (le propos se rapporte à la situation générale, pas à celle du Mexique). Quelle imbécillité ! Cette question – abordée avec un vocabulaire neutre et objectif – est au cœur du métier de producteur de semences, voire de producteurs de certaines cultures comme la maïs doux.
Mais Superman Chapela arriva pour « révéler le contraire au Mexique ». Oh ! Il n'a découvert que des traces d'ADN de maïs transgénique dans les criollos de la région d'Oaxaca... suffisant pour assurer sa célébrité personnelle et monter une saga de conspirations et de coups tordus dont Quist et Chapela ont bien entendu été les victimes. Des traces dont beaucoup pensent qu'elles proviennent d'une contamination du dispositif d'analyse au laboratoire en Californie... Car ses résultats, publiés dans Nature en octobre 2001 – il y a 15 ans – n'ont pas été confirmés. La revue Nature a même produit un article subséquent qui constitue une sorte d'acte de contrition : les preuves avancées par Quist et Chapela étaient bien trop ténues pour justifier la publication de leur article.
Nous n'entrerons pas davantage dans la polémique mais resterons sur le « document... ». M. Chapela dit qu'à l'époque :
« Monsanto affirmait qu'une distance d'un mètre cinquante était suffisante pour empêcher une pollinisation croisée... »
Comment peut-on croire ça ? Ou plutôt, comment un scientifique, qui s'est intéressé à la question, peut-il proférer une telle énormité ?
On peut craindre le pire pour ce « document... » : que son ambition est de nous administrer des « vérités » fondées sur des « mensonges ».
Un « document... » sur les OGM sans l'« affaire Séralini » ? Inconcevable !
On se souviendra qu'en septembre 2012, dans une opération scientifico-médiatique soigneusement orchestrée, M. Gilles-Éric Séralini et son équipe publièrent une « étude » sur des rats ayant consommé du maïs GM NK 603 et/ou du glyphosate (rétractée par Food&Chemical Toxicology, elle a été republiée dans Environmental Sciences Europe). L'Obs, partenaire principal en France, titra : « Oui, les OGM sont des poisons ».
Un peu de recul s'impose : quatre ans après, les OGM sont toujours cultivés et utilisés dans le monde (y compris l'événement NK 603). Ils sont toujours utilisés dans cette Europe réfractaire aux OGM... De deux choses l'une : ou bien les OGM sont réellement des poisons et un nombre impressionnant d'autorités de régulation et de gouvernements sont irresponsables ; ou bien...
En fait, il suffisait de lire le résumé de l'article et de regarder une figure pour se rendre compte que cette « étude » ne valait pas un clou, pour reprendre les termes du toxicologue Gérard Pascal, publiés le 20 septembre 2012, le lendemain de la sortie de l'« étude ». Celle-ci a été démontée par une bonne dizaine d'autorités de régulation, y compris les ANSES et HCB français et critiquée tant sur son contenu que sur les modalités de l'expérimentation au regard du bien-être animal et sur le tapage médiatique.
Mais la réponse classique dans cette situation est de présenter les auteurs des études comme des martyrs, victimes de grandes conspirations de multinationales prêtes à tout pour le profit.
Le « document... » semble y succomber avec assiduité et délices. La séquence est intitulée : « À quelle science se fier ? Monsanto et l'affaire Séralini ».
Et c'est introduit par :
« En septembre 2012, une étude dirigée par le chercheur Gilles-Éric Séralini remet en cause l’innocuité du maïs transgénique NK603. Il est alors discrédité à la fois personnellement et scientifiquement par Monsanto, qui possède un département de chercheurs qui attaque toute science nuisible à l’entreprise. »
Pitoyable ! Monsanto... Monsanto... Comme si toutes les autres critiques n'existaient pas. Euh ! La théorie du complot implique que les dizaines de critiques non liées à Monsanto aient été téléguidées, orchestrées par la firme de Creve Cœur.
C'est pitoyable !
Le « document... » convoque donc M. Stéphane Foucart à la barre pour déployer la thèse du complot :
« Séralini a été attaqué par les faux-nez de l'industrie d'une manière extrêmement violente... on l'a accusé d'être membre d'une secte vitaliste chrétienne... en bref, on l'a associé à toutes sortes de mouvements antiscientifiques, ce qui n'est absolument pas avéré à mon sens. Donc voilà, on a là une autre technique qui est mise en œuvre par l'industrie des biotechnologies végétales et qui s'attaque plutôt aux personnes qu'aux résultats, des résultats étant bien évidemment discrédités dans la foulée... »
Non, M. Foucart, les résultats ont été discrédités dans la foulée de leur publication ! Le lendemain même, en témoigne votre propre journal et son « OGM : "Le protocole d'étude de M. Séralini présente des lacunes rédhibitoires" », jamais démenti. Et discrédités sur la base d'éléments scientifiques, pas du tout liés aux personnes en cause.
En bref, M. Foucart nous livre un exemple éclatant de la « fabrique du mensonge » par le monde de l'idéologie anti-OGM.
C'est encore plus pitoyable.