La mascarade du « Tribunal Monsanto »
L'Internet est un instrument redoutable. S'il permet de prendre instantanément le grand public à témoin, il dévoile tout aussi instantanément les turpitudes.
Dans un peu moins d'un mois, du 14 au 16 octobre 2016, se tiendra à La Haye un « Tribunal Monsanto » et une « Assemblée des Peuples ».
Petit décryptage d'une immense mascarade à but lucratif.
Il y eut, dans un passé qui commence à s'éloigner le Tribunal Russell, ou Tribunal international des crimes de guerre, ou encore Tribunal Russell-Sartre qui prétendit « juger » les crimes de guerre des États-Unis d'Amérique au Vietnam en 1967. D'autres « tribunaux » siégèrent sous la même dénomination sur les violations des Droits de l'Homme en Argentine et au Brésil (1973), sur le coup d'État au Chili (1974-1976), sur les Droits de l'Homme en psychiatrie (2001), sur l'Iraq (2004), sur la Palestine (2009-2012). S'il eut un important écho médiatique à ses débuts – compréhensible au vu du contexte de l'époque – il tomba dans un oubli presque total, totalement justifié par la pantalonnade du « tribunal » de Venise sur les crimes de guerre en Ukraine (2014).
Dans un peu moins d'un mois, du 14 au 16 octobre 2016, se tiendra à La Haye un « Tribunal Monsanto », pour juger la firme « pour violations des droits humains, pour crimes contre l‘humanité et pour écocide ». Une « Assemblée des Peuples » se réunira en parallèle. On peut s'attendre à une pantalonnade du même style, dirigée cette fois-ci contre une entreprise et, par-delà, une technologie et un mode de production agricole (avec un profit espéré par un autre...) et, bien sûr, le fondement économique de nos sociétés.
C'est du sur-mesure : un « Tribunal Monsanto », du nom de l'accusé.
Admirez aussi le logo, la forme du S de « Monsanto »... C'est clair !
Il y eut une conférence de presse le 3 décembre 2015. Elle a disparu du site du « Tribunal Monsanto » ; mais elle est immortalisée sur Youtube.
Mme Marie-Monique Robin, qui se présenta comme la marraine du « tribunal », ouvrit le bal en profitant de l'occasion pour faire l'article de ses grands œuvres (à 2:20 par exemple)...
On peut s'intéresser aux déclarations de Mme Vandana Shiva, l'« écoféministe » qui assimile le viol à la culture des OGM, cette fois-ci en sari à deux nuances de pourpre (à partir de 15:32) :
« ...I see what Monsanto has done as not just the slavery we got rid off, but trying to expand slavery to all life on earth... »
En français :
« …Ce que je vois dans l'action de Monsanto, ce n'est pas simplement cet esclavage dont nous nous sommes débarrassés, mais une tentative d'étendre l'esclavage à toute la vie sur la terre... »
Cela donne une idée de la haine qui préside à cette opération.
Notons aussi ce type en noir, avec un béret avec insigne qui tente de ressembler à Che Guevara : c'est M. Ronnie Cummins, co-fondateur et directeur international de la Organic Consumer Association, un des lobbies du bio aux États-Unis d'Amérique. Un lobby qui a tout à gagner si Monsanto et ce qu'il représente étaient traînés dans la boue dans l'opinion publique. Il glose donc sur la notion de tribunal (à partir de 20:15). Il espère que, le 16 octobre 2016, à l'occasion de la journée mondiale de l'alimentation, le monde jugera Monsanto dans « la Cour de l'opinion publique ». C'est Lynch... Puis :
« ...Judgment Day is here. For Monsanto and the criminal conspiracy that they are part of... »
« ...Le Jour du Jugement est arrivé. Pour Monsanto et la conspiration criminelle dont ils font partie... »
On en est aux prémisses, et ce n'est déjà plus : « Accusé, levez-vous », mais : « Coupable, taisez-vous ».
Le comité d'organisation, ce sont des activistes pour qui Monsanto représente un formidable fond de commerce pour leur notoriété, le fonctionnement de leur petite entreprise, leurs droits d'auteur ; des lobbys qui ont à gagner (bis) ; des idiots utiles...
Le comité d'organisation est présenté en deux parties : ceux qui ont droit à une courte biographie, et les « viennent ensuite ».
Chez les premiers, dans l'ordre d'apparition : Mme (oups ! Dr) Vandana Shiva ; Mme Corinne Lepage ; Mme Marie-Monique Robin ; M. Olivier De Schutter ; M. Gilles-Éric Séralini ; M. Hans Rudolf Herren ; M. Arnaud Apoteker ;Mme Valerie Cabanes ; M. Ronnie Cummins ; M. Andre Leu (président de l'IFOAM, la Fédération internationale des Mouvements de l'Agriculture Biologique).
Dans la deuxième ligue, notamment, Mme Françoise Boulègue, monteuse pour M2R Films (M2R = Marie Monique Robin... on est en famille) et Mme Ruchi Shroff, coordinatrice de l'Institut Navdanya (ça, c'est la petite entreprise de Mme Shiva) et M. François Veillerette, porte-parole de Générations Futures et président du Pesticide Action Network Europe.
M. Nicolas Hulot, hélas !
« Il y a une chose qui est contraire à l'idée qu'on fait de la civilisation, c'est que certains puissent mettre en coupe réglée les ressources alimentaires de la planète. Que nous puissions spéculer sur les ressources alimentaires. Que les paysans, qui depuis la nuit des temps pouvaient mettre une partie de leur récolte de côté pour ressemer puissent être privés de ce droit élémentaire. Que les mêmes paysans puissent souffrir dans leur chair, dans leur corps, des pratiques toxiques, des produits que l'on leur demande d'employer sans aucune précaution. Que la vie dans le sol, qui est une des conditions de notre avenir puisse être ainsi empoisonnée au quotidien en toute indifférence... Tout cela est contraire à l'idée de civilisation. Il est temps d'y remédier, il est temps d'adapter le droit à ces crimes impunis et qui ne sont pas reconnus en tant que tels, et que la notion d'écocide soit débattue et à terme inscrite dans les plus hautes instances internationales. »
Ou peut-être faut-il dire merci de mettre ainsi en lumière ce fatras idéologique construit sur l'imaginaire dystopique.
Il y a aussi Mme Renate Künast, ancienne ministre allemande de l'agriculture, maintenant députée au Bundestag (Bündnis 90/Die Grünen). Et Mme Stephanie Seneff, chercheuse au MIT, mais en informatique (États-Unis d'Amérique), productrice d'inénarrables articles « scientifiques » qui accusent le glyphosate de tous les maux de la terre grâce, notamment, à des corrélations abracadabrantesques.
La liste est longue et ressemble à un catalogue à la Prévert. Le lobby bio est particulièrement bien représenté. Nous avons vu que le comité d'organisation comprend M. Ronnie Cummins, de l'Organic Consumer Association, et M. Andre Leu, de l'IFOAM. S'ajoutent dans les soutiens les Biocoop françaises : entre une et deux douzaines, épaulés par la centrale, y compris avec des messages que l'on peut considérer comme parfaitement ignobles :
« ...Alors oui, les fruits et légumes peuvent être considéré [sic] comme des armes mortelles si leur intégrité n’est pas respectée. »
Évidemment, les fruits et légumes vendus chez Biocoop respectent « l'intégrité ».
Et des choses plus exotiques comme EELV (oui... le parti vert français), l'Auberge communale d'Eclépens en Suisse, et Becket Films (les producteurs de The Seeds of Vandana Shiva).
Que du sérieux ; du désintéressé ; et de l'objectif...
Voici une délicieuse citation :
« Il appartient aux organisations de la société civile et aux citoyens à titre individuel de financer l'Assemblée des Peuples et le Tribunal Monsanto. L'Organic Consumer Association et Millions Against Monsanto ont déjà fait un don, et se sont engagés à lever davantage de fonds pour soutenir cette initiative globale de la société civile. »
Selon le site du « tribunal », moins de la moitié des fonds collectés à ce jour provient de PayPal. Mais le « Tribunal Monsanto » n'en est pas moins une initiative « citoyenne »...
Le Risk-monger affirme sur Facebook que l'Organic Consumer Association s'est engagée à verser... 200.000 $. Cela représente entre la moitié et les deux-tiers des dépenses budgetées. C'est sans nul doute un très bon investissement pour le lobby du bio ; il n'y a pas grand chose à craindre de l'acquisition de Monsanto par Bayer car la mouvance trouvera sans nul doute de bons slogans pour diaboliser le nouveau groupe (à commencer par le Zyklon B – qui n'était pas de Bayer – et les néonicotinoïdes « tueurs d'abeilles »).
L'OCA a lancé un appel à dons. Il est à noter que, selon le post scriptum, les dons individuels feront l'objet d'un don du même montant de la part de Mercola.com and Dr. Bronner’s. Il n'y a pas que le bio, mais aussi la charlatanerie...
On peut être une « initiative globale de la société civile » tout en profitant des largesses d'un droit national aménageant un paradis fiscal. Toute cette opération est donc montée dans le cadre d'une stichting néerlandaise.
Voici l'article 2.1 de l'acte de fondation :
« 2.1 La Fondation a pour but de préparer et de réaliser un Tribunal international à La Haye contre la compagnie multinationale américaine Monsanto au titre de crimes contre l'humanité, ainsi que d'exercer une influence sur les politiques internationales et la société de telle manière que Monsanto soit banni de l'Europe pour maintenir une agriculture diversifiée et protéger la santé publique, et de faire tout ce qui est directement ou indirectement lié ou peut contribuer à ce but, tout ce qui précède dans le sens le plus large du terme. »
Il aura fallu sept longs mois pour comprendre qu'il fallait convoquer l'accusé à la barre !
« Le Tribunal International Monsanto a officiellement invité Monsanto à participer au tribunal citoyen qui se tiendra le 15 et 16 octobre à La Haye aux Pays-Bas. La lettre, envoyée depuis Amsterdam par courrier recommandé avec accusé de réception, a été déclinée. »
Selon le communiqué de presse,
« Dans la lettre adressée à Hugh Grant, le PDG de Monsanto, deux des juges du Tribunal Monsanto ont écrit : “La Fondation Tribunal Monsanto pense qu’il est extrêmement important que Monsanto ait elle-même l’occasion de présenter son point de vue au Tribunal. Ceci permettra d’assurer que le Tribunal est pleinement éclairé et en mesure de fournir une évaluation basée sur la plus grande base d’information possible." »
Il faut se pincer ! Deux « juges », normalement chargés d'organiser la procédure et de conduire les débats écrivent à l'accusé en se faisant les porte-voix de la Stichting Monsanto Tribunal ! Sur un principe fondamental de la procédure judiciaire, la Stichting pense... !
Et Mme Françoise Tulkens, ancienne vice-président de la Cour Européenne des Droits de l'Homme, et Mme Dior Fall Sow, ancienne avocate générale du Tribunal Pénal International pour le Rwanda, signent sans barguigner !
La lettre était datée du 6 juin 2016, et Monsanto a été invité à produire un mémoire avant le... 1er octobre 2016... Il y a en toute hypothèse six (6) chefs d'accusation – dont sans nul doute crimes contre l'humanité et écocide (les gestionnaire du site n'ont pas cru bon de publier l'annexe à la lettre) – et l'accusé s'est vu donner un généreux trois mois et demi pour répondre. C'est là encore une manifestation éclatante de la parodie de justice.
Monsanto ne répondra évidemment pas. Comment, du reste, le faire, quand le détail des griefs n'est pas connu ? Le « tribunal », quant à lui, se serait donné un généreux délai de quinze jours pour examiner la réponse...
Comment aussi ne pas hurler de désespoir quand on lit la conclusion de la lettre :
« Nous restons bien sûr à votre disposition pour vous donner toute information complémentaire dont vous pourriez avoir besoin sur la nature de cette initiative et les conditions dans lesquelles le Tribunal fonctionnera. »
Le refus de la lettre par Monsanto a été commenté par Mme – oups ! Dr – Vandana Shiva :
« “Nous ne sommes pas surpris que M. Grant ait refusé de recevoir de cette lettre," a déclaré Vandana Shiva, membre du comité d'organisation du Tribunal. “Monsanto a depuis très longtemps dissimulé la souffrance et les dégâts infligés par ses produits à la santé humaine et à l’environnement. Tout comme Monsanto cache ses ingrédients OGM à travers le DARK Act en s’opposant à l’étiquetage aux Etats-Unis, elle reste cachée face à un tribunal citoyen. Cela ne veut pas dire que nous ne la jugerons pas."
Difficile de faire plus partial (et aussi plus stupide).
Mais l'apothéose provisoire est la publication du programme, avant même que le délai imparti à Monsanto ait expiré. Deux jours de témoignages à charge, aucune place pour la défense, et des témoins dont une partie nous sont connus et nous font hurler de rire :
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Damián Verzeñassi, ce professeur de l'Université de Rosario en Argentine qui accuse les pesticides de tous les maux mais n'a jamais rien publié de sérieux ;
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Don Huber, un scientifique qui fut renommé mais tomba dans le militantisme et publia une lettre en principe confidentielle délirante sur un super-organisme pathogène dont on attend toujours les détails, depuis cinq ans ;
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Ib Borup Pedersen, cet éleveur de porcs danois qui collectionne les porcelets malformés et les sort du congélateur pour les « documenteurs » ;
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Steve Marsh, cet agriculteur australien « victime » d'une contamination par quelques brins de colza GM, qui a perdu ses procès contre son voisin – ou plutôt les procès dans lesquels il a fondamentalement été un prête-nom pour la mouvance bio intégriste (voir notamment ici et ici) ;
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Percy Schmeiser, présenté comme une victime d'un procès sur la propriété intellectuelle, alors qu'il a admis avoir (sciemment) récolté, conservé, fait conditionner et semé des graines GM, ce que la Cour Suprême canadienne a retenu.
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Gilles-Éric Séralini, dont on dira ici qu'il est un membre du comité d'organisation – extraordinaire confusion des rôles ;
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Claire Robinson, l'éditrice de plusieurs sites viscéralement anti-OGM et anti-Monsanto ;
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Chris Portier, qu'on ne présente plus non plus puisqu'il est un des personnages clé du Iarc-gate, et qui est présenté dans la liste comme « expert de l'OMS ».
L'après-midi du 16 octobre 2016 sera consacré, jusqu'à 17 heures à cinq « avocats du Tribunal Monsanto » sur : « le droit à un environnement sain, à la santé et à l'alimentation », « le droit à l'information », « les crimes de guerre » et « l'écocide ».
Et la défense ? Vous n'y pensez pas !
Le verdict doit déjà être écrit !
On peut prendre ce « tribunal Monsanto » avec flegme pour ce qu'il est : une extraordinaire guignolade. Il s'ajoutera à l'anthologie de l'activisme anti-pesticides, anti-OGM, anti-capitaliste sous couvert d'altermondialisme et de bien-pensance prétendument humaniste, anti-Monsanto et bientôt anti-Bayer (si l'acquisition se réalise). L'arsenal de désinformation sera enrichi, mais il est déjà tellement garni...
Non, nous nous faisons du souci pour une autre dérive, peut-être plus inquiétante : celle des juristes qui ont exercé des responsabilités importantes, en particulier au sein des Nations Unies, à la Cour Européenne des Droits de l'Homme...
Nous ferons une mention spéciale de M. Olivier De Schutter. Comment a-t-il pu se laisser aller à cette mascarade qui fleure de manière particulièrement nauséabonde les « procès » publics des régimes totalitaires. Nous estimons que M. De Schutter a non seulement souillé sa propre réputation (c'est son problème), mais aussi celle des Nations Unies dont il fut de 2008 à 2014 le Rapporteur Spécial sur le Droit à l'Alimentation (c'est notre problème).
On peut aussi estimer que cette démarche met l'éclairage qui convient sur son activité – son activisme – en tant que rapporteur spécial. Mais c'est malheureusement long à expliquer.