Cash Investigation ? Non, Cash Manipulation – l'exemple des nitrites
Comment avoir raison face à un public non averti ? Voici un florilège – non exhaustif – de petits et moins petits trucs, certains minables, que nous terminerons par une citation – très – sélective que nous remettons dans son contexte.
Un jambon français qui contredit une des affirmations de Cash Investigation
À titre liminaire, notons que la possibilité de faire des commentaires a été désactivée pour le « Cash investigation - Industrie agro-alimentaire : business contre santé/intégrale » sur Youtube... on n'est jamais trop prudent !
Surtout avec Cash Manipulation ou Trash Investigation.
La première partie de ce monument de désinformation est consacrée aux nitrites dans la charcuterie, particulièrement dans le jambon. En résumé, avec nos mots volontairement grossis mais reflétant la triste réalité du « documentaire » : ces pourris d'industriels mettent des nitrites dans le jambon pour qu'il ait une belle couleur rose, celle qui fait vendre, en arguant, de manière mensongère, que c'est en fait pour des raisons sanitaires (à 17:27) :
« Mais les industriels ont un argument massue pour justifier l'utilisation du nitrite : son rôle protecteur contre le botulisme. »
Et pour bien enfoncer le clou, en bons disciples des maîtres de la propagande, on affiche une capture d'écran (à 17:36).
Le problème est que l'auteur de cette page est Zoutman S.A., un producteur de sel belge indépendant spécialisé dans la transformation de différents types de sel, en particulier du sel de mer à des fins alimentaires. On met donc sur la sellette « les industriels » – entendez : de l'agroalimentaire – et on cite le fournisseur de ladite industrie (et aussi producteur de sel de déneigement, de sel pour adoucisseurs d'eau, etc.)...
C'est certes sans importance pour le récit car le téléspectateur n'est pas en mesure de saisir le message subliminal qu'on a voulu insérer dans cette œuvre de formatage d'opinion ,en principe, publique. Mais cela démontre une fois de plus un comportement qui, pour les plus naïf et les plus indulgents, relève de l'amateurisme et de la désinvolture et, pour les plus réalistes et les plus exigeants, de la manipulation et de l'escroquerie intellectuelle.
Or donc, il est possible de produire – et de vendre – de la charcuterie sans nitrites. On nous emmène donc voir dans un supermarché à Copenhague :
« ...allez donc au supermarché... »
Sauf que Meny est une chaîne qui s'est spécialisée dans « un grand choix de produits frais et/ou de grande qualité, par opposition aux supermarchés discompteurs qui offrent des prix bas. » Ce n'est pas l'enseigne recommandée pour les touristes. C'est une chaîne pour les « foodies », les gourmets dans l'acception première du terme, ou les obsédés de la composition nutritionnelle et de leur petite santé agressée par tous les éléments de la vie moderne dans le sens dérivé.
Là encore, les téléspectateurs sont, pour tout dire, baladés par la simple évocation d'un « supermarché », surtout ceux qui tirent le diable par la queue dès le milieu du mois sinon avant.
Chez Meny, on vend donc de la charcuterie sans nitrites. Et donc, avec cet irritant ton gouailleur que l'on n'entend plus sur les foires que des bateleurs qui vendent vraiment des pacotilles (à 18:27) :
« Et pour ceux qui n'ont pas fait danois première langue, c'est "uden nitrit"... Il y en a partout. »
On voit défiler les produits dans une armoire réfrigérée... notamment des produits Citterio qui, sauf s'ils ont été spécialement élaborés pour le Danemark et encore plus spécialement Meny, ont été protégés avec des nitrites...
Certes, toujours avec cette impertinente vulgarité (à 18:37),
« Vous la reconnaîtrez facilement [la charcuterie sans nitrites] plus marronasse que rose bonbon. »
S'ils avaient été finauds, ils auraient dit « rose jambon »...
Il faut ensuite avoir l'oreille fine pour comprendre que cette charcuterie à la couleur peu engageante est produite par la plus grande entreprise de charcuterie bio du pays.
Quel prix pour les produits ? Quelle part de marché pour l'entreprise ? Quelles conditions de production et de commercialisation ? Etc., etc. Nous ne le saurons pas. L'essentiel est qu'il soit possible de produire de la charcuterie sans nitrites. M. Ulrich Kern, fondateur et directeur de Hanegal se fait péremptoire, tout comme le « documentaire » :
« Nous n'avons aucune raison d'avoir peur de cette bactérie. En réalité, ça fait 50 ans que cette question est réglée en Europe de l'Ouest. »
M. Kern fait évidemment l'article pour son entreprise qui opère sur le créneau des aliments pour « foodies » obsédés par les additifs, le gluten, le lactose, le sucre ajouté... Mais comment peut-on affirmer que le problème du botulisme a été résolu quand il y a encore des cas... et quand les nitrites ont contribué à la quasi-élimination du problème ?
On fera une analogie : on installe un garde-fou pour empêcher les chutes... il n'y a plus de chutes... on peut supprimer le garde-fou... irresponsable !
Qu'importe ! L'important n'est-il pas que ce soit « possible » de faire sans nitrites? Et c'est quasiment un reproche que ces experts multicartes de Cash Investigation font aux industriels français (à 20:50), avec toujours ce besoin compulsif de dénoncer une marque :
« En France, aucun industriel n'a vraiment franchi le pas du sans nitrites. Même les marques bio ou celles qui visent les plus jeunes... comme Herta, le roi de la saucisse pour enfants »
C'est manifestement trop compliqué d'essayer de comprendre pourquoi les fabricants de produits alimentaires transformés préfèrent assurer la sécurité alimentaire face à un risque avéré plutôt que satisfaire une lubie alimentaire de gens qui ont oublié la notion du vrai risque.
La théorie du complot est si belle et si attrayante. Changer de technologie, selon le commissaire européen à la santé et à la sécurité alimentaire Vytenis Andriukaitis, prend du temps. Alors (à 34:25) :
« Du temps. Ça tombe bien ! C'est exactement ce que veulent les industriels. Et c'est la-dessus qu'ils construisent toute leur stratégie. Depuis des années. [Silence] Parce que dans cette affaire de nitrites, ça fait quarante ans que les industriels jouent la montre. Quarante ans qu'à coups de manipulation scientifique et de lobbying intense, l'industrie de la viande défend son bifteck. »
Et que nous montre-t-on comme pièce à l'appui : un document non identifiable sur les... cigarettes.
Mais revenons en arrière. Pour M. Kern (à 19:48), il ne faut pas utiliser les additifs s'ils ne sont pas absolument nécessaires. Le commentaire insiste sur l'adverbe. Puis (à 20:07) :
« Alors oui, lui aussi, c'est un industriel, et vous vous dites peut-être qu'il n'est pas très objectif. Sauf que sur le botulisme, les experts sont exactement du même avis. Dans ce rapport sur les nitrites, réalisé pour la Commission européenne, on lit par exemple qu'il est tout à fait possible aujourd'hui de supprimer cet additif sans risque microbiologique, donc de botulisme. »
Ces grands experts en désinformation ont simplement passé une incise sous silence (voir l'image en début d'article) :
« …ce que le groupe d'experts n'appuie pas »,
ainsi que la longue conditionnelle.
Traduisons : oui, il est possible de se passer de nitrites du point de vue de la sécurité alimentaire. Mais il y a des conditions qui s'avèrent exigeantes. In fine, il faut faire une analyse avantages-inconvénients. Et les experts se sont exprimés : ils ne sont pas en faveur.
Oui, il est possible... D'ailleurs, le producteur bio danois le montre avec des produits « marronasses » à la couleur et la saveur peu engageantes, comme l'a montré cette superbe séquence du « documentaire » avec les petits gastronomes. Mais, entièrement dévoués à leur script, et obsédés par leur objectif, les auteurs n'ont pas daigné tirer les conséquences de la dégustation.
En fait, c'est possible à la condition que certains produits ne soient plus ce qu'ils sont aujourd'hui. Traduisons à nouveau : ce n'est pas possible.
Voici donc la partie du résumé du rapport qui nous intéresse et qui étaye les affirmations précédentes :
« 1.2. Les effets du nitrite sur la couleur de la viande, le goût et la conservation
Les résultats de l'étude portant sur la nécessité technologique des nitrites confirment que les nitrites jouent un rôle important dans les processus actuels de production pour atteindre la couleur et la saveur typiques des salaisons et pour assurer la sécurité microbiologique. À des fins de coloration, les résultats du groupe d'experts suggèrent que des niveaux entre 55 et 70 mg/kg de nitrites ajoutés sont suffisants pour la formation de la couleur dans les produits et préparations carnés non traditionnels, avec 80 mg/kg de nitrite ajouté comme point de référence significatif pour assurer la stabilité de la couleur. Pour les produits traditionnels, 20 à 30 mg/kg de nitrite résiduel sont selon le groupe d'experts une fourchette appropriée pour assurer la stabilité de la couleur dans la plupart des produits traditionnels à base de viande (avec 40 à 50 mg/kg suggérés pour certains produits traditionnels). De même, une fourchette comprise entre 50 et 80 mg/kg de nitrite ajouté fournit une orientation utile pour la sauvegarde des aspects liés à goût dans les produits et préparations non traditionnels. Pour les produits traditionnels, des valeurs comprises entre 30 et 50 mg/kg de nitrite résiduel sont considérées par le groupe d'experts comme suffisantes pour l'arôme.
En ce qui concerne le niveau minimum de nitrite nécessaire pour assurer la sécurité microbiologique, la plupart des membres du groupe d'experts qui avaient une opinion sur cet aspect sont convenus qu'une fourchette de 80 à 100 mg/kg de nitrite ajouté serait raisonnablement sûre pour une majorité de produits lorsqu'il est utilisé en combinaison avec d'autres obstacles. Toutefois, le groupe a également souligné qu'il n'est pas possible de parvenir à une conclusion ferme pour tous les produits et toutes les situations, en reconnaissant que la sécurité microbiologique dépend d'un grand nombre de facteurs. Le groupe a conclu qu'une réduction des niveaux maximaux à 100 mg/kg de nitrite ajouté serait suffisante pour la majorité des produits sans effets significatifs sur la couleur, la saveur et la sécurité microbiologique (ce qui devrait être démontré, par exemple, par référence aux pays dans lesquels ces limites sont ou étaient en place, ou toute autre preuve). Pour certains produits, une plus forte concentration de nitrite serait nécessaire, par exemple pour les produits fermentés. Il est à noter que plusieurs pays ont appliqué dans le passé des teneurs maximales encore plus strictes, et des produits carnés transformés sans nitrite sont sur le marché dans divers pays. Abolir l'utilisation de nitrites dans les produits et les préparations de viande – ce que le groupe d'experts n'appuie pas – serait techniquement réalisable si les process de production ont subi des changements technologiques. Le groupe a constaté que, sans la présence de nitrites, la sécurité microbiologique peut être assurée si une combinaison correcte de paramètres clés tels que l'activité de l'eau, le pH, la température de conservation et la durée de conservation est mise en oeuvre. Le groupe a également souligné l'importance de l'emballage pour assurer la sécurité microbiologique des produits à base de viande. Abolir les nitrites affecterait principalement les produits traditionnels, pour lesquels les process de production devraient changer de telle sorte que le produit ne serait plus le même. »
…C'est fort de café !
Il faut lire « De cash investigation à trash investigation ? » de M. Florian Silnicki sur la Tribune.
Petit aperçu :
« Dans cette émission, les méthodes anglo-saxonnes sont importées en France : investigation, fausses identités, recel d'informations volées, caméras cachées, enquêtes diligentées uniquement à charge, questions volontairement excessives posées en dehors de tout rendez-vous avec la volonté affichée de piéger la victime... En clair, un journalisme belliqueux bien loin de toutes considérations déontologiques ou éthiques, qui use de techniques dignes des pires détectives privés, reposant uniquement sur une présomption de culpabilité installée dès le début de l'émission. »
Et aussi :
« De la même manière qu'il y a une antibiorésistance, on peut constater un début de "casho-résistance" dans les directions de la communication des entreprises françaises qui ont une image très dégradée de cette émission. »
C'est curieux, cela déclenche une furieuse envie de changer deux lettres...