Truites du lac Léman : la précaution à la mode franco-suisse
Connaissez-vous la plus ancienne organisation internationale en activité dans le monde ? C'est la Commission centrale pour la navigation du Rhin (CCNR), fondée en 1815, qui regroupe l'Allemagne, la Belgique, la France, les Pays-Bas et la Suisse.
Connaissez-vous la CIPEL ? La Commission internationale pour la protection des eaux du Léman ? Elle œuvre depuis 1963 à la coordination de la politique de l’eau à l’échelle du bassin versant lémanique, plus particulièrement entre les départements de l’Ain et de la Haute-Savoie ainsi que les cantons de Genève, du Valais et de Vaud. Dans une convention conclue à Paris le 16 novembre 1962 et entrée en vigueur le 1er novembre 1963, les deux pays sont convenus :
« ...de protéger contre la pollution les eaux du lac Léman et celles de son émissaire jusqu'à sa sortie du territoire suisse, y compris les eaux superficielles et souterraines de leurs affluents dans la mesure où ceux-ci contribuent à polluer les eaux du lac Léman et de son émissaire. »
La pêche dans le lac Léman est aussi organisée de manière commune, sur la base d'un accord entre le Conseil fédéral suisse et le Gouvernement de la République française du 20 novembre 1980, lequel fait l'objet d'un règlement d'application dont la dernière mouture date d'octobre/novembre 2015. Pour les régionaux de l'étape, le règlement d'application ne mentionne pas la féra, le poisson emblématique du lac avec la perche, mais la désigne sous l'appellation « corégone ».
En 2012, l'analyse de deux truites lacustres de grande taille avait mis en évidence des teneurs élevées en polychlorobiphényls (PCB). La CIPEL a effectué de nouvelles analyses en 2014, sur un plus grand nombre de truites, et a trouvé des dépassements de la norme réglementaire. Les autorités sanitaires suisses et françaises ont donc décidé – par un arrêté préfectoral de la Haute-Savoie et par des décisions des chimistes cantonaux de Genève, du Valais et de Vaud – d’interdire la commercialisation des truites lacustres de plus de 54 cm, à compter du 1er novembre 2015.
La CIPEL a rappelé à cette occasion « que la consommation d’autres espèces de poissons (brochet, lotte, féras, perches) ne présente aucun problème et qu'une consommation occasionnelle (pas plus d'une fois par semaine par exemple) des truites lacustres de moins de 54 cm et des ombles chevaliers de moins de 39 cm (voir ci-après) ne présente pas de risque pour la santé. »
On peut mesurer ici les limites du « principe de précaution » : les truites du Léman de plus de 54 centimètres ont été déclarées impropres à la consommation, mais celles de 53 centimètres ne le sont pas...
L'impact des décisions est resté limité – hormis l'exaspération des pêcheurs professionnels : la truite ne représente que 1,5% des quelque 1200-13000 tonnes sortis par la pêche professionnelle du Léman, soit une vingtaine de tonnes.
Saviez-vous que le lac Léman a été le théâtre de tsunamis ?
La Radio Télévision Suisse (RTS) a récemment révélé que la préfecture de Haute-Savoie autorisera à nouveau, dès septembre, la commercialisation des truites du Léman de grande taille. Les cantons suisses devraient suivre « par souci de cohérence ».
Selon la Tribune de Genève, « [l]es autorités françaises se justifient en expliquant que ces substances ne sont pas nocives à faible dose et que tout compte fait, il vaut mieux recommander de ne pas consommer trop de grandes truites lacustres, qui sont en général plus fortement contaminées, plutôt que de les interdire à la vente ».
« Trop de prudence tue la prudence », tel est le titre d'un excellent éditorial de M. Antoine Grosjean :
« Depuis l’affaire de la vache folle et autres scandales alimentaires, les autorités sanitaires sont devenues prudentes à l’extrême quand il s’agit d’autoriser ou non la consommation d’un produit. Au point d’en faire parfois trop. [...]
Cette valse-hésitation ne donne pas une grande impression de sérieux, d’autant que l’étude ayant motivé l’interdiction a été épinglée pour son manque de rigueur scientifique. On avait peut-être cru donner un message clair et rassurant en fixant une limite à 54 cm, mais c’était jeter de la poudre aux yeux. Le consommateur qui achète ses filets de truite ne peut de toute manière pas connaître la taille du poisson entier. Mais surtout, on lui faisait ainsi faussement – et dangereusement – croire qu’il n’y avait aucun risque à manger des truites de moins de 54 cm. Saluons donc le retour à la raison et rappelons ce conseil: on peut manger des truites du Léman, mais pas plus d’une fois par semaine. Et cela quelle que soit leur taille. »
Et si cette décision pleine de bon sens servait d'exemple pour remplacer dans tous les domaines la fausse précaution par une vraie éducation ?