Revoilà Vandana Shiva !
(Source)
Pour autant que nous ayons pu en juger par des pérégrinations occasionnelles sur la toile, Mme – oups ! Dr – Vandana Shiva s'était faite un peu plus discrète ces derniers temps. La voilà de retour !
Une auto-hagiographie en perpétuelle évolution
Le 14 juillet 2016, elle parlait à Vancouver (Canada) sur « semer le futur » dans le cadre du Festival estival indien à la St. Andrew's Wesley United Church. Selon CBC News, Mme – oups !... – allait « informer et inspirer la prochaine génération de leaders environnementaux dans la lutte pour protéger la nature et les droits du peuple à la connaissance, la biodiversité, l'eau et la nourriture ». Vaste et étonnant programme !
Toujours selon CBC News, elle est entrée dans le monde de l'écologie après la catastrophe de Bhopal, donc après le 3 décembre 1984. Ce serait un détail si cela n'illustrait pas un problème devenu central : les fluctuations dans les vérités successives. Ainsi, en 2011, Mme Shiva a déclaré que, étudiante dans les années 1970, elle était volontaire dans le mouvement Chipko de protection des arbres. Ailleurs, c'est l'influence de son grand père...
Selon d'autres sources, la véritable entrée dans le monde de l'activisme a eu lieu à Bogève (Haute-Savoie) en mars 1987. Notre souci de la vérification et propension à la divagation nous a amené à creuser un peu plus cette affaire. Nous détaillerons une autre mystification de Mme Shiva ci-dessous.
L'art du sophisme, du mensonge et du lyrisme
L'article de CBC News illustre aussi l'art du sophisme pratiqué par Mme Shiva :
« L'histoire a été, pour l'agriculture chimique et la révolution verte, ensuite les OGM aujourd'hui, "nous nourrissons le monde". Le concept de "nous nourrissons le monde" est, comme je l'ai appris, une manipulation à travers la révolution verte. Les OGM sont fondamentalement le vieux modèle de l'agriculture chimique et de l'agriculture industrielle, maintenant avec de nouveaux gènes ajoutés à une culture. »
On serait bien en peine de trouver des citations crédibles de « nous nourrissons le monde ». Mais cela lui permet de dérouler la suite : la faim sévit toujours... donc l'agriculture qu'elle honnit est inefficace... donc celle qu'elle idéalise est la solution.
Qu'est-ce que le génie génétique ?
« La technologie, jusqu'à présent, a consisté à ajouter un nouveau gène toxique à la plante. »
Sidérant !
Mais qu'on se rassure :
« Le grand défi est qu'il y a des systèmes qui fonctionnent en dehors du contrôle capitalistique. Ces systèmes exigent de la créativité. Ils exigent de la coopération et communauté. Ils exigent du courage. Ce sont les systèmes grâce auxquels les jeunes seront capables de servir la planète. »
L'agriculture qui exige du courage...
Et aussi :
« Ils cherchent un moyen de se reconnecter à la terre, un moyen de satisfaire leurs propres besoins, produire leur propre alimentation et, ce qui est le plus important, une voie vers la justice pour les générations futures. »
Quand plus de la moitié de la population mondiale vit dans les villes, quand beaucoup de ruraux qui pratiquent une agriculture de subsistance selon des systèmes qui « exigent du courage » rêvent de partir pour la ville... Mme Shiva fantasme sur l'agriculture de subsistance comme solution d'avenir.
Le journaliste, décidément obséquieux, écrit aussi :
« Elle a passé sa vie à promouvoir l'agriculture non violente, libre de poisons et de produits chimiques qui tuent, et veut maintenant transmettre sa sagesse à la prochaine génération d'activistes pour les aider à changer la manière dont le monde est géré. »
L'« agriculture non violente » ? Décidément elle s'accapare de plus en plus le prestige – fort discutable – dont Gandhi jouit en Occident.
Et transmettre sa sagesse ? Soyons mesquins : pour combien de dollars ?
La mystification de Bogève
Dans « Vandana Shiva – Pour une désobéissance créatrice » (Actes Sud, 2014, avec une préface d'Olivier De Schutter... décidément...), M. Lionel Astruc demande (page 104) :
« En 1987, vous avez été la première à découvrir la stratégie imaginée par l'industrie pour faire des semences un marché captif. Comment cela s'est-il passé exactement ? »
Admiration sans borne de l'intervieweur ou vile flatterie, souvent un exercice utile pour faire parler l'interviewée ? Qu'importe. Mme Shiva raconte un séminaire qui s'est tenu à Bogève (Haute-Savoie) en mars 1987 et dérive rapidement sur le grand complot de l'industrie des semences :
« ...Tout ce à quoi nous assistons aujourd'hui a donc été soigneusement planifié, jusque dans les moindres détails, y compris la création de l'OMC pour protéger leurs intérêts et les accords sur la commercialisation des droits de propriété intellectuelle […] Monsanto a acheté quasiment tous les semenciers du monde. Ce jour-là, j'ai compris qu'il s'agissait d'une dictature prenant le contrôle de toutes les formes de vie [...] »
En réalité, si elle est arrivée naïve au séminaire, elle en est sortie après un formidable exercice de bourrage mutuel de crânes (et un précieux carnet d'adresses). Mais il y a une facette odieuse à l'histoire qu'elle décline depuis des années, avec des variations. Nous la mettrons en gras dans les citations suivantes.
En mai 2015, c'est « Vandana Shiva : "Sauver les graines, c’est sauver notre liberté" » :
« Ce qui se joue vraiment avec les OGM et le génie génétique autour du végétal, ce n’est pas le progrès humain mais la recherche du profit. La naissance de ma prise de conscience s’est faite dans une réunion à laquelle j’ai assisté en 1989 dans le petit village de Bogève en Savoie, où des grands responsables de l’agrobusiness exposaient très clairement leur stratégie pour utiliser le génie génétique de manière à ce que des semences leur appartiennent et qu’ils puissent en tirer des redevances via leurs brevets. Tout ça n’a rien à voir avec la faim dans le monde, c’est de la pure cupidité. »
Sur Biosphère – Réseau de documentation des écologistes, c'est :
« Vandana Shiva se lança en 1987 dans la défense des variétés locales de graines à la suite de la réunion de Bogève, en Haute-Savoie. Ce séminaire regroupait 28 intervenants ; il s’agissait du premier de tous les débats mondiaux sur les modifications génétiques et le refus des brevets sur le vivant. La "révélation" de Vandana résultat du discours même des industriels qui évoquèrent leurs plans pour développer les OGM et prendre le contrôle des semences. »
Ajoutons encore celle-ci, de « Vandana Shiva : "Plantons les graines de l’espoir !" » :
« En mars [de quelle année?] j’ai commencé à conserver des semences, après une réunion à Bogève en Haute-Savoie. Des entreprises fabriquant des produits chimiques se targuaient de pouvoir posséder toutes les semences. Ils voulaient les modifier génétiquement. Et collecter des royalties qui assureraient leur avenir. J’ai trouvé ça tellement scandaleux. »
Notez bien que Navdanya, la vitrine de la nébuleuse Shiva, a été fondé en 1991 selon Wikipedia en français et le site de Navdanya, et en 1984 – donc avant la « révélation » de Bogève – en tant que programme de sa Research Foundation for Science, Technology and Ecology (RFSTE) selon le Wikipedia anglais.
L'histoire est encore plus romancée et le complot encore plus vaste ici, sous la plume de M. Astruc, précité :
« Vandana Shiva assiste à Bogève en Suisse (sic) en 1987 à une réunion des quelques représentants de l’industrie semencière. Ne se méfiant pas d’elle (à l’époque !), ces industriels se laissent aller à évoquer leur stratégie : se réunir pour former un oligopole tellement puissant qu’il sera capable d’influencer les gouvernements et les institutions internationales, et qu’il deviendra incontournable pour les agriculteurs du monde entier qui se verront contraints d’acheter à ces groupes ce que la Terre leur offrait gratuitement. »
Des représentants de l'industrie semencière qui rêvent la gueule ouverte ? Devant un parterre d'ennemis déclarés dont certains sont toujours actifs aujourd'hui ? Pouvez-vous y croire ?
La réalité est bien plus terne : il y a eu un « séminaire Dag Hammarskjöld » sur « les impacts socio-économiques des nouvelles biotechnologies sur la santé de base et l'agriculture dans le Tiers Monde » organisé et sponsorisé par la Dag Hammarskjöld Foundation et le Rural Advancement Fund International (RAFI USA et Canada), en coopération avec deux autres organisations et le Service de liaison non gouvernemental des Nations Unies (SLNG). Dans le volet de Bogève (7-11 mars 1987), les participants ont pratiqué l'entre-soi. De représentant de l'industrie semencière, il n'y en eut point. Du reste, la mouvance contestataire a longtemps été discrète sur sa « déclaration de Bogève » ; mais on peut penser qu'elle s'est structurée à Bogève et qu'elle y a recruté – instrumentalisé – Mme Shiva.
M. Pat Mooney, l'un des organisateurs du séminaire – et personnage central des polémiques en matière de ressources génétiques, de variétés et de semences – l'a exprimé de manière très franche dans « The ETC Century », à la page 7 : une « réunion d'activistes ».
Il y eut aussi, du 12 au 14 mars 1986, un segment à Genève, au Palais des Nations. Il a attiré 45 participants de plus, « principalement des diplomates du Tiers Monde, des représentants de différentes agences des Nations unies et des activistes... ». Pas de représentants de l'industrie... nous n'avions pas été invités non plus alors qu'on y parlait aussi de propriété intellectuelle.
Ajout du 9 octobre 2021 : Les participants à la réunion de Bogève... aucun agrochimiste ou semencier...
Mais c'est là de l'histoire ancienne, quoique très importante pour la formation du réseau d'entités impliquées dans la contestation du système des ressources génétiques, des variétés et des semences et des systèmes connexes tels que la propriété intellectuelle.
Pour ce qui est de Mme Vandana Shiva, le constat est accablant : pour le formuler d'une manière relativement indulgente : sa réalité, maintes fois répétée avec des enjolivures variables, ne correspond pas à la réalité des faits.
Que Mme Shiva soit adulée par la bobosphère n'est après tout que la conséquence de la naïveté et de la bien-pensance béate de ce milieu. Ce qui est plus accablant encore, c'est que ses élucubrations ont cours dans les médias et le monde politique.
Il est grand temps de dénoncer ses impostures.
Source (http://www.developpement-durable.gouv.fr/COP-21-J8-Femmes-et-climat.html -- le lien est mort et il n'y a pas d'archive)