Les semences en Afrique : l'outrecuidance du Parlement européen
Nous n'avons pas fini de pester contre cette ignoble Résolution du Parlement européen du 7 juin 2016 sur la Nouvelle Alliance pour la Sécurité Alimentaire et la Nutrition adoptée par des parlementaires dont l'extraordinaire majorité est déconnectée des réalités de l'Afrique, de son agriculture et de son alimentation. Les uns ont instrumentalisé le Parlement européen et l'Afrique, à travers la NASAN. D'autres se sont donnés bonne conscience en succombant à une bien-pensance inspirée par des clichés, la rhétorique d'entités qui sont ou prétendent être des « organisations non gouvernementales », œuvrant évidemment en faveur du développement. D'autres encore ont fait preuve de cynisme en votant, pour tout dire, pour l'ignorance et la bêtise.
Une résolution non contraignante ? Aussitôt votée, aussitôt oubliée... en Europe et jusqu'à ce qu'elle soit ressuscitée à l'appui d'une manœuvre du même acabit ; mais pas en Afrique, où elle sera utilisée par les activistes adeptes des « solutions » du passé et déstabilisera certains gouvernements soucieux de faire entrer leur pays dans le XXIe siècle.
Nous avons produit sur ce site plusieurs articles de notre main ou de plumes tierces (ici, ici et ici), y compris d'Africains désemparés par l'audace et l'inconscience de nos parlementaires. C'était sur le sujet de l'invitation pressante faite aux « membres du G8 de ne pas soutenir les cultures d'OGM en Afrique ». Ce n'était là qu'un point – sur 89 – de maîtresse Europa pointant sa baguette vers l'élève Bamboula, ou de maître Jesaistout sermonnant l'élève Mamadou.
La résolution comporte 14 autres points sur la « réforme réglementaire du secteur des semences ». Il y a de quoi être outré !
Le secteur des variétés et des semences : une des clés du développement agricole et alimentaire
Le développement de l'agriculture européenne – prise à titre d'exemple ici – repose pour une partie plus ou moins importante selon le cas sur la mise en place d'une filière des variétés et des semences bien organisée – en partie par la profession agricole dans son ensemble et en partie par les pouvoirs publics (en France, cette filière est un exemple de cogestion).
Cette filière est à même de fournir aux agriculteurs des semences de qualité : qui germent ; qui sont propres, sans graines de mauvaises herbes ; qui sont exemptes de parasites et de maladies ; qui, le cas échéant, sont traitées ou enrobées pour protéger les plantes à venir de parasites et maladies, ou encore permettre un semis de précision ; qui ont une identité variétale reconnue ; qui, le cas échéant, correspondent à une nouvelle variété améliorée du point de vue de la productivité, de l'adaptation aux conditions de culture, de la résistance aux bio-agresseurs, de la qualité, des besoins de l'agro-industrie, etc.
Il en est de même pour les plants : le producteur de fruits désireux d'établir un verger s'adressera à un pépiniériste qui lui fournira le matériel végétal nécessaire ; il ne produit plus ses propres plants. La plupart des maraîchers ne font plus leurs semis pour certaines productions, mais s'adressent à des spécialistes de la production de jeunes plants.
Sur le plan de la réglementation, le système repose sur le contrôle et la certification des semences et plants, dont l'objectif est de garantir la qualité physique, physiologique et sanitaire du matériel végétal « offert » aux agriculteurs ; en Europe et dans d'autres pays sur un système de « catalogues » ou de « listes variétales » offrant aux agriculteurs un minimum de garanties sur la génétique « mise à leur disposition » ; la protection des obtentions végétales offrant aux créateurs de variétés (obtenteurs) une certaine sécurité juridique pour leurs investissements ce qui leur permet de fournir à l'agriculture un matériel génétique toujours plus performant.
À ce tryptique s'ajoute maintenant le brevet portant sur des inventions qui se retrouvent, sous une forme ou une autre, dans le matériel utilisé pour la mise en culture.
Pourquoi les guillemets ci-dessus ? C'est que l'agriculteur doit évidemment payer pour le matériel – et aussi pour le service fourni. Quand une nouvelle variété est mise sur le marché par un obtenteur, elle arrive avec une panoplie d'informations, de conseils pour la culture, etc.
La segmentation entre la production de semences et plants et la production agricole per se n'est pas complète, ni en Europe, ni dans d'autres pays. En France, par exemple, près de 40 % des semences de blé sont « de ferme », produites par l'agriculteur lui-même. Pour des espèces comme le maïs, en revanche, l'agriculture est approvisionnée à quasiment 100 % par la filière spécialisée, la semence étant hybride ; idem pour les semences de betteraves dont la production demande une grande technicité. C'est une filière qui comporte à sa base des... agriculteurs (multiplicateurs de semences) !
Cette situation, grosso modo, fait consensus dans le monde agricole, si l'on excepte la mouvance qui conteste notre modèle agricole dominant et, plus généralement, notre système économique.
Or, qu'a voté le Parlement européen ? Le catalogue des positions de cette mouvance !
La nécessaire transition en Afrique
Il appartient aux Africains de définir par eux-mêmes les systèmes de variétés et de semences qu'ils doivent mettre en place pour répondre à leurs défis sociaux et économiques, notamment du point de vue de leur agriculture et de leur alimentation.
L'enjeu pour l'Afrique subsaharienne est non seulement de nourrir une population dont on prédit qu'elle va doubler d'ici 2050, à 2,4 milliards, mais aussi de nourrir une population très largement urbanisée, et encore d'offrir aux ruraux des conditions de vie décentes.
Ayons aussi une pensée égoïste : l'échec de l'Afrique signifierait une immigration en Europe encore plus massive qu'aujourd'hui.
C'est simple sur le papier : il faut notamment améliorer la production agricole et alimentaire grâce à des semences de qualité. Mais convient-il de suivre les exemples des pays développés qui ont misé sur une filière semencière spécialisée, ou monter un système de « banques de semences communautaires » ? Exploiter le progrès génétique par des variétés-lignées (distinctes, homogènes et stables), des variétés hybrides, etc., ou tabler sur la « biodiversité » et la vision d'une nature bienfaitrice qui permettrait à l'agriculteur d'améliorer son matériel végétal par une sorte de darwinisme monodirectionnel et philanthrope ? Faut-il adopter les OGM ou les refuser pour éloigner le diable capitaliste ?
Effet du type de variétés sur le progrès génétique et agronomique chez le maïs aux États-Unis, entre 1865 et 1998 (Gallais, 2009).
Surtout pas d'hybrides en Afrique pour ne pas accroître la dépendance des méchants semenciers !
Nous nous empresserons de souligner que les réponses ne sont pas simples et que toutes sortes de combinaisons sont possibles. Elles sont même nécessaires et inéluctables car on ne change pas de modèle d'un jour à l'autre.
Mais l'idéologie rousseauiste et anticapitaliste n'est pas loin, tout comme l'obscurantisme et les hérésies scientifiques.
Le délire parlementaire
C'est là qu'intervient la résolution du Parlement européen dont nous allons examiner quelques aspects.
Le texte
« Réforme réglementaire du secteur des semences
63. rappelle qu'en Afrique, 90 % des moyens de subsistance des agriculteurs reposent sur leur droit de produire, d'échanger et de vendre librement des semences, et que la diversité de celles-ci est vitale pour améliorer la résilience de l'agriculture au changement climatique; souligne que la demande des entreprises de renforcer les droits d'obtention végétale conformément à la convention UPOV de 1991 ne doit pas conduire à l'interdiction de ces pratiques informelles;
64. prend note des dangers liés à une déréglementation du secteur des semences dans les pays participants, qui pourrait conduire à une dépendance excessive des petits agriculteurs à des semences et des produits phytopharmaceutiques fabriqués par des sociétés étrangères;
65. rappelle que les dispositions de l'accord sur les ADPIC, qui préconise une certaine forme de protection des variétés végétales, n'obligent pas les pays en développement à adopter le régime de la convention UPOV; souligne cependant qu'elles permettent aux pays d'élaborer des systèmes sui generis mieux adaptés aux caractéristiques de leur production agricole et aux systèmes traditionnels de semences paysannes, et que les pays les moins avancés membres de l'OMC sont exemptés du respect des dispositions concernées de l'accord sur les ADPIC; souligne que ces systèmes sui generis doivent venir en appui des objectifs et des obligations de la convention sur la diversité biologique, du protocole de Nagoya et du traité international sur les ressources phytogénétiques pour l'alimentation et l'agriculture, et non les contrecarrer;
66. déplore que dans le contexte africain, des entreprises demandent une harmonisation des lois sur les semences fondée sur les principes de distinction, d'homogénéité et de stabilité (DHS) par l'intermédiaire d'institutions régionales, qui est vouée à entraver la mise en place et le développement de systèmes de semences paysannes au niveau national et régional, étant donné que les semences produites et conservées dans le cadre de tels systèmes ne répondent généralement pas aux critères DHS;
67. demande instamment aux États membres du G7 de soutenir les systèmes de semences gérés par les agriculteurs par l'intermédiaire de banques de semences communautaires;
68. rappelle que si les variétés de semences commerciales peuvent améliorer les rendements à court terme, les variétés traditionnelles et les variétés rustiques utilisées par les agriculteurs ainsi que les savoir-faire qui y sont associés sont les plus indiqués en vue de l'adaptation à des environnements agroécologiques particuliers et au changement climatique; précise en outre que l'accroissement des rendements est lié à l'utilisation d'intrants (engrais, pesticides, semences hybrides) qui risquent d'entraîner les agriculteurs dans un cercle vicieux de l'endettement;
69. constate avec inquiétude que l'introduction et la diffusion de semences certifiées en Afrique accroissent la dépendance ainsi que le risque d'endettement des petits exploitants et diminuent la diversité des semences;
70. plaide en faveur du soutien de dispositifs locaux visant à garantir un accès régulier et durable à un régime alimentaire diversifié et nutritif, suivant les principes de propriété et de subsidiarité;
71. exhorte la Commission à tout mettre en œuvre pour que les engagements de l'Union au regard des droits des agriculteurs en vertu du traité international sur les ressources phytogénétiques pour l'alimentation et l'agriculture soient pris en compte dans tous les dispositifs d'assistance technique et de soutien financier à l'appui de l'élaboration d'une politique en matière de semences; demande à l'Union de soutenir les régimes de droits de la propriété intellectuelle qui favorisent la production de variétés de semences adaptées à l'échelle locale et de semences paysannes;
72. prie instamment les membres du G8 de ne pas soutenir les cultures d'OGM en Afrique;
73. rappelle que la loi-modèle africaine sur la sécurité en biotechnologie établit un niveau de référence élevé en la matière; estime que toute assistance apportée par des bailleurs de fonds internationaux pour le développement de la sécurité en biotechnologie à l'échelon national et régional devrait, en conséquence, s'inscrire dans ce cadre;
74. demande instamment aux pays africains de ne pas appliquer, à l'échelon national ou régional, de dispositifs de biosécurité reposant sur des normes moins strictes que celles préconisées par le protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques;
75. invite les pays participants à donner aux agriculteurs la possibilité d'éviter la dépendance vis-à-vis des intrants et à soutenir les systèmes de semences paysannes afin de préserver et d'améliorer la biodiversité agricole grâce à des banques de semences locales relevant du domaine public, à l'échange et au développement constant de variétés de semences locales et, plus particulièrement, à la mise en œuvre flexible des catalogues de semences dans l'optique de ne pas en exclure les variétés paysannes et de garantir le préservation des produits traditionnels;
76. invite les pays participants à protéger et à promouvoir l'accès des petits agriculteurs, des groupes marginalisés et des communautés rurales aux semences et aux intrants agricoles ainsi que l'échange de ces derniers; demande de respecter les accords internationaux sur la non-brevetabilité des processus vitaux et biologiques, en particulier des souches et des espèces autochtones;
77. souligne le risque de marginalisation accrue des femmes au regard des processus décisionnels dans le contexte du développement de certaines cultures commerciales; fait observer que les formations agricoles ciblent souvent les hommes et tendent à marginaliser les femmes qui, par conséquent, se sentent exclues de la gestion des terres et des cultures dont elles s'occupaient traditionnellement; »
http://www.worldbank.org/en/programs/africa-myths-and-facts
Sur la contribution des femmes à l'activité agricole
Où sont vos preuves ?
Où sont les preuves pour « la demande des entreprises de renforcer les droits d'obtention végétale » (63) ? Pour « ...des entreprises [qui] demandent une harmonisation des lois sur les semences fondée sur les principes de distinction, d'homogénéité et de stabilité (DHS) » (66) ?
Le drame des pays les moins avancés ne disposant pas de système semencier efficace est que les entreprises susceptibles de prendre pied sur un marché en construction s'intéressent prioritairement aux variétés hybrides et aux espèces qu'ils travaillent déjà pour leurs marché établis ; par exemple le maïs, mais pas le mil. Si les bons conseils du Parlement européen étaient suivis, l'Afrique sacrifierait en pratique le progrès génétique de nombre de ses propres plantes cultivées de reproduction sexuée...
Le « droit de produire, d'échanger et de vendre librement des semences »
C'est un classique de la littérature du mouvement alter et anti. Mais ce « droit » est une obligation en l'absence de système semencier organisé et efficace. Quand il n'y a pas de semences à acheter, il faut bien les produire soi-même...
Un silo à grains traditionnel au Burkina Faso
La protection des obtentions végétales
Ce système est-il menacé par les régimes de protection des obtentions végétales ? Bien sûr que non pour les variétés qui ne sont pas protégées, ni forcément pour celles qui le sont.
Le Parlement européen a goulûment « avalé » la rhétorique anti-propriété intellectuelle. Il fallait notamment signifier à ces Africains présumés ignorants qu'il ne faut pas introduire une « interdiction de ces pratiques informelles » que sont la production, l'échange et la vente de semences (63).
Sans entrer dans le détail, l'Afrique du Sud et le Kenya, ainsi que l'Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI – Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Comores, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée, Guinée-Bissau, Guinée-équatoriale, Mali, Mauritanie, Niger, République centrafricaine, Sénégal, Tchad et Togo) sont déjà membres de l'UPOV et ont déjà pris leur décision.
Si les États membres de l'Organisation régionale africaine de la propriété intellectuelle (ARIPO – Botswana, Gambie, Ghana, Kenya, Lesotho, Libéria, Malawi, Mozambique, Namibie, Ouganda, Rwanda, Sao Tomé-et-Principe, Sierra Leone, Somalie, Soudan, Swaziland, République-Unie de Tanzanie, Zambie et Zimbabwe) ne sont pas encore membres de l'UPOV, ils ont produit un projet de protocole qui permet à certains agriculteurs de produire leurs propres semences de variétés protégées conformément à la Convention de l'UPOV.
En d'autres termes, la grande majorité des États africains n'ont pas besoin des « bons conseils » du Parlement européen, et ceux qui n'ont pas encore légiféré peuvent se tourner vers leurs voisins pour un retour d'expérience.
Il est par ailleurs ironique qu'un Parlement européen soucieux de légiférer dans les moindres détails, quelquefois jusqu'à l'absurde, préconise pour l'Afrique la sacralisation des « pratiques informelles ».
Une déréglementation ?
On peut tomber des nues à propos des « dangers liés à une déréglementation du secteur des semences » (64) ! Le vrai problème, se situe plutôt dans l'absence de la réglementation ou dans son manque d'efficacité.
La méconnaissance des règles internationales sur la propriété intellectuelle
Le paragraphe 65 est une merveille !
Bien évidemment, la Convention de l'UPOV est une bête noire et donc, oh miracle, « les dispositions de l'accord sur les ADPIC [...] n'obligent pas les pays en développement à adopter le régime de la convention UPOV » et « permettent aux pays d'élaborer des systèmes sui generis mieux adaptés aux caractéristiques de leur production agricole et aux systèmes traditionnels de semences paysannes ».
Une très petite partie de la mouvance alter et anti – l'autre faisant dans la désinformation, la manipulation ou la gesticulation – s'est efforcée de promouvoir un système « alternatif ». Avec quel résultat ? Quasiment nul (mais certains protagonistes se sont fait un nom sur la scène publique et ont pu décrocher un beau fromage dans l'une ou l'autre des organisations internationales attentives au discours contestataire...). Comme nous l'avons vu plus haut, la majorité des États africains a choisi.
C'est le lieu d'évoquer une remarque faite en privé par l'ancien directeur général de l'OAPI à l'occasion de travaux de révision de l'Accord de Bangui qui régit la propriété intellectuelle de manière unitaire dans 17 pays (à la fin des années 1990) : « Si nous voulons attirer des investisseurs, il faut offrir une protection efficace. » Qu'ont-il décidé – librement – pour les semences de ferme ?
« Les droits conférés par le certificat d’obtention végétale ne s’étendent pas :
a) aux actes accomplis dans un cadre privé à des fins non commerciales;
[…]
d) à l’utilisation par un agriculteur sur sa propre exploitation, à des fins de reproduction ou de multiplication, du produit de la récolte qu’il a obtenu par la mise en culture, sur sa propre exploitation, d’une variété protégée ou d’une variété visée à l’article 29.4) a) ou b); cette exception ne s’applique pas aux plantes fruitières, forestières et ornementales; »
Mais ce paragraphe de la résolution prétend aussi que « les pays les moins avancés membres de l'OMC sont exemptés du respect des dispositions concernées de l'accord sur les ADPIC » (en anglais : TRIPS).
C'est tout simplement faux ! Les PMA bénéficient d'un report de leurs obligations (à quelques exceptions près) en vertu de l'Accord sur les ADPIC jusqu'au 1er janvier 2033, ou jusqu'à ce qu'un pays donné cesse de faire partie des PMA, si cela se produit avant 2033. Et cela ne les empêche certainement pas d'introduire un système de protection des obtentions végétales en vue de promouvoir leur développement agricole et alimentaire.
Au paragraphe 76, le Parlement « demande de respecter les accords internationaux sur la non-brevetabilité des processus vitaux et biologiques, en particulier des souches et des espèces autochtones ».
Il n'y a pas de tels accords internationaux !
La DHS
« Distinction, homogénéité et stabilité » sont une autre bête noire du monde alter et anti et, notamment, des « semences paysannes ». Ce sont pourtant des notions fondamentales – qui sont déclinées en exigences particulières selon le type de variété (lignée, hybride, population...). On les retrouve implicitement dans le système de la FAO des semences de qualité déclarée.
http://www.fao.org/docrep/010/a0503f/a0503f00.htm
Selon le paragraphe 66, un système de gestion des semences fondé sur la DHS « est vouée à entraver la mise en place et le développement de systèmes de semences paysannes […], étant donné que les semences produites et conservées dans le cadre de tels systèmes ne répondent généralement pas aux critères DHS ».
Où sont les preuves de ce lien de cause à effet ? Le système européen de contrôle et de certification, et de catalogue, n'a eu aucun mal à accommoder les anciennes variétés-populations. Que la mouvance des « semences paysannes » peste aujourd'hui contre les limites fixées à la variabilité intravariétale des variétés anciennes ne signifie pas que le système est défaillant, au contraire.
Il appartient par ailleurs aux États africains de décider s'il est réellement dans l'intérêt bien compris de leurs agriculteurs d'aménager un régime permanent, institutionnalisé, pour des semences dont les propriétés et l'identité génétique ne seraient pas stables et, partant, connues avec précision.
Les banques de semences communautaires
Le paragraphe 67 « demande instamment aux États membres du G7 de soutenir les systèmes de semences gérés par les agriculteurs par l'intermédiaire de banques de semences communautaires ».
Ces banques font partie des solutions, mais à condition de bien en comprendre les limites.
N'embrassez pas la modernité... restez pauvres mais « indépendants »
Comment ne pas accroître la dépendance du méchant capitalisme de l'agrochimie internationale...
Le Parlement européen fait un peu exception en reconnaissant que « l'accroissement des rendements est lié à l'utilisation d'intrants (engrais, pesticides, semences hybrides) » (68). Mais nous ne reflétons probablement pas la pensée des auteurs de cet aphorisme en le sortant de son contexte !
Ces intrants, selon la Parlement, « risquent d'entraîner les agriculteurs dans un cercle vicieux de l'endettement ». Il convient aussi, selon le paragraphe 64, d'éviter une « dépendance » – certes « excessive » – « des petits agriculteurs à des semences et des produits phytopharmaceutiques fabriqués par des sociétés étrangères » (notez la limitation aux sociétés étrangères...). Le Parlement « constate avec inquiétude que l'introduction et la diffusion de semences certifiées en Afrique accroissent la dépendance ainsi que le risque d'endettement des petits exploitants » (69). Il « invite les pays participants à donner aux agriculteurs la possibilité d'éviter la dépendance vis-à-vis des intrants » (75).
Mais, bizarrement, il « invite les pays participants à protéger et à promouvoir l'accès des petits agriculteurs, des groupes marginalisés et des communautés rurales aux semences et aux intrants agricoles » (76) ; mais là, à l'évidence, on ne parle pas des mêmes semences et intrants...
Comment ne pas accroître la dépendance du méchant capitalisme de l'agrochimie internationale...
L'avenir est dans le passé
Il n'y a point d'avenir dans les variétés commerciales, sauf à court terme (68) ! La réponse aux défis de l'avenir est dans « les variétés traditionnelles et les variétés rustiques utilisées par les agriculteurs ainsi que les savoir-faire qui y sont associés [qui] sont les plus indiqués en vue de l'adaptation à des environnements agroécologiques particuliers et au changement climatique ».
On peut être légitimement choqué.
Juste un exemple : la disette voire la famine sont récurrentes dans certains pays d'Afrique du fait de la sécheresse... mais les variétés traditionnelles, qui n'ont pas résisté, sont les plus indiquées en vue de l'adaptation à des sécheresses plus nombreuses et plus graves... Ce propos est peut-être taillé à la hache, mais il a l'avantage d'illustrer en peu de mots la naïveté de l'idéologie. Nous aurions aussi pu prendre des exemples parmi les maladies qui ravagent certaines cultures et contre lesquelles la diversité génétique locale est impuissante.
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Ne faut-il pas croire que si cette affirmation était vraiment sensée, il n'y aurait pas de problème de production agricole et alimentaire en Afrique (et ailleurs) ? Que l'Europe utiliserait aussi des variétés traditionnelles, etc.
Mangez cinq fruits et légumes par jour !
Sans commentaire :
« 70. plaide en faveur du soutien de dispositifs locaux visant à garantir un accès régulier et durable à un régime alimentaire diversifié et nutritif, suivant les principes de propriété et de subsidiarité ».
Les petits agriculteurs du Plateau de l'Usambara en Tanzanie ne peuvent produire des pommes de terre qu'une fois par an du fait de la sensibilité de leurs variétés à la chaleur. Cela changera avec l'introduction de nouvelles variétés. Photo : CIP