Les contre-feux minables de Greenpeace et amis à l'appel des Prix Nobel
« Les accusations que d'aucuns bloquent le riz "doré" génétiquement modifié sont fausses... »
Greenpeace International
Le 29 juin 2016, Sir Richard Roberts (Prix Nobel de physiologie et de médecine 1993), le Pr Martin Chalfie (Prix Nobel de chimie 2008) et le Pr Randy Schekman (Prix Nobel de physiologie et de médecine 2013) ont rendu publique, à Washington D.C., une lettre ouverte adressée aux dirigeants de Greenpeace, des Nations Unies et des gouvernements à travers le monde pour, en bref, les inciter à ne pas s'opposer pour les uns et à promouvoir pour les autres le déploiement des biotechnologies modernes dans l'agriculture. L'accent était mis sur le Riz Doré, susceptible – si toutes les conditions sont réunies – d'apporter une importante contribution à la lutte contre les carences en vitamine A et son cortège de malheurs dans de nombreux pays en développement. Un Riz Doré dont la mise au point est sérieusement entravée par l'activisme anti-OGM de Greenpeace... mais pas que par cette entité.
Dans un billet précédent, nous avons analysé les échos dans les médias français. On ne peut qu'être stupéfait par une dépêche de l'AFP qui a travesti la teneur de la lettre – écrite en termes très mesurés –, incitant de nombreux médias à faire état d'une prise à partie de Greenpeace par les Nobel, sinon d'une déclaration de guerre. On peut blâmer l'AFP, mais c'est une grande partie des médias français qui devraient faire leur examen de conscience et s'interroger sur leur panurgisme et ses conséquences.
Nous avons aussi brièvement décortiqué la réaction de Greenpeace, fondée sur le déni de réalité et conforme au principe d'escalade d'engagement. Nous publierons prochainement l'analyse de Schillipaeppa.
Et nous avons réservé quelques « vedettes » pour ce billet.
Que faisait-on d'une nouvelle déplaisante dans ces régimes qui contrôlaient l'information ? On la passait sous silence. C'est ce qu'a fait Libération. Et que faisait-on quand on avait une suite intéressante, sinon incontournable ? On la publiait. C'est ce qu'a fait Libération avec « Greenpeace répond à l'appel des prix Nobel pro-OGM » le 1er juillet 2016.
Au moins, les lecteurs de Libé ont eu droit à un résumé et des extraits de la lettre qui leur ont permis de comprendre.
Mais avec quelques biais subtils. Ainsi :
« "Nous sommes des scientifiques. Nous comprenons la logique de la science", assure Richard Roberts, chef du bureau scientifique du New England Biolabs, l’un des initiateurs de la lettre. »
La voix d'un chanteur a évidemment plus de poids que celle de 110 Nobel...
Mais c'est que Sir Richard J. Roberts est aussi prix Nobel de médecine 1993, signataire de la lettre.
Avec des biais et, illico, la « réponse » de Greenpeace (normal, vu l'approche le choix rédactionnel). Ainsi :
« "Il n’y a jamais eu un seul cas confirmé d’un résultat négatif sur la santé pour les humains ou les animaux, dû à leur consommation", avance la lettre. Mais, rétorque Greenpeace, si rien de négatif n’est confirmé, rien de positif non plus n’a été prouvé. "Depuis vingt ans, des recherches sont réalisées mais rien n’a abouti. C’est l’Institut international de recherche sur le riz qui le dit", rappelle Suzanne Dalle, chargée de campagne Agriculture à Greenpeace France. Le plus déconcertant, pour elle, c’est le postulat de départ : "Les OGM ne permettent en rien de sauver des vies ! L’impact environnemental est énorme. Les conséquences, on les connaît." Aux Etats-Unis, elles sont déjà visibles : les «"superweeds", de grandes herbes résistantes au glyphosate, désherbant notamment commercialisé par Monsanto sous le nom commercial Roundup, inquiètent d’ailleurs l’ONG. »
L'argumentaire est soigneusement déroulé : le sophisme du renversement de la charge de la preuve, avec une exigence impossible ; l'argumentum ad verecundiam ; le déni de réalité ; le sophisme de la diversion avec les « superweeds » ; et, bien sûr, la reductio ad Monsantum, avec les mots magiques « glyphosate » et « Roundup ».
L'argument d'autorité est particulièrement intéressant :
« En lisant la missive de soutien aux OGM, le riz doré s’imposerait alors comme une solution toute trouvée, "c’est comme s’il s’agissait d’un projet humanitaire", note la chargée de mission de Greenpeace. Sauf qu’en lisant les rapports de l’Institut international de recherches sur le riz, on se rend compte que rien n’est encore prouvé et que nous en sommes encore qu’aux étapes de recherches : "Il n’a pas été déterminé que la consommation quotidienne de riz doré augmentait le taux de vitamine A chez les personnes déficientes et qu’il pourrait réduire les éventuelles causes d’une cécité." "Dans les premiers tests, il fallait consommer 6 kg de riz doré par jour pour assurer les besoins en vitamine A, ajoute Suzanne Dalle, de Greenpeace. C’est impossible !" »
Sauf qu'en lisant le texte mis en lien – qui n'est pas un rapport – on se rend compte qu'il manque un mot qui change tout dans la citation : « encore » :
« However, it has not yet been determined whether... » (c'est nous qui graissons).
Le texte de l'IRRI – une réponse à des articles du Guardian et de Project Syndicate – se poursuit :
« Si le Riz doré est approuvé par les régulateurs nationaux, Helen Keller International et les partenaires universitaires procéderont à une étude communautaire contrôlée pour vérifier si la consommation journalière de Riz Doré améliore le statut en vitamine A.
En bref, le Riz Doré ne sera mis largement à la disposition des agriculteurs et des consommateurs aux Philippines que s'il est approuvé par les régulateurs nationaux et démontré qu'il réduit la carence en vitamine A dans des conditions communautaires. Ce processus peut prendre deux ans ou plus. »
Ce texte date de février 2013. Entre-temps (au bas mot cinq campagnes rizicoles), un essai de l'IRRI a été vandalisé, Greenpeace a fait campagne, a saisi la justice pour faire interdire les essais...
Mais on peut se contenter de l'omission du mot « encore » : la communication de Greenpeace est profondément malhonnête. Tout comme est profondément malhonnête la référence aux 6 kg de riz par jour des premiers tests : comme le montre l'étude de Tang et al., que Greenpeace connaît bien puisqu'elle l'a combattue, une consommation journalière conforme aux habitudes alimentaires suffit quasiment pour fournir la dose de vitamine A.
On peut laisser Greenpeace à sa malhonnêteté. Le problème bien plus important est celui de la qualité des informations véhiculées par des journaux, au demeurant subventionnés. « Greenpeace dit que... » est sans nul doute une « information » ; mais la déontologie journalistique ne demande-t-elle pas de la mettre en perspective quand « dit que... » est interchangeable avec « ment en disant... » ?
On peut faire la même analyse avec la partie intitulée : « Cheval de Troie ».
En bref, Libération s'est fait le porte-parole de Greenpeace.
Les Verts européens...
Le Monde – de M. Stéphane Foucart – a pris bien plus de temps, de quoi racler quelques « informations » des sites activistes. « Greenpeace est-elle vraiment coupable de "crime contre l’humanité" ? » est daté du 4 juillet 2016 sur la toile.
La mise en bouche est suave :
« Ces jours-ci, la presse fait des gorges chaudes d’une lettre ouverte lestée d’une autorité écrasante : elle est signée par une centaine de prix Nobel. Et si elle fait couler tant d’encre, c’est que l’outrance du message qu’elle véhicule est proportionnelle au prestige de ses signataires. Selon eux, l’organisation Greenpeace est, ni plus, ni moins, coupable de "crime contre l’humanité". »
Le lecteur du Monde apprend donc l'existence d'une lettre ouverte par une référence à « la presse » ; une presse dont le Monde est un élément important mais qui n'a pas daigné en faire état. Une lettre « signée par une centaine de prix Nobel »... Pff ! Enfin jusqu'au 4 juillet. Et le lecteur est directement embarqué dans le dénigrement et l'homme de paille.
Donc :
« L’histoire est simple comme un message publicitaire. […] un riz transgénique présumé capable d’apporter un surcroît de vitamine A. […] Ces quelques phrases mises bout à bout forment une sorte de bonneteau mental qu’il faut décortiquer. » (C'est nous qui graissons.)
C'est effectivement un bonneteau mental. Mais l'auteur en est l'auteur de l'article... Voyez la suite :
« ...ensuite, elles [ces phrases] construisent un amalgame entre biotechnologies et action humanitaire, forgeant l’idée que la fonction première des OGM est de sauver des vies. Or tout cela est faux. »
Toujours la technique de l'homme de paille ! L'auteur fait toutefois une concession :
« Il est permis de penser que cette posture [de Greenpeace] exhibe la face la plus dogmatique et la plus sombre de l’ONG : si la diffusion de cette technologie avait ne serait-ce qu’une chance d’améliorer l’état de santé de millions de gens, pourquoi ne pas essayer ? »
Mais c'est pour enchaîner immédiatement avec une mise hors de cause annoncée par une intertitre péremptoire :
« Greenpeace nullement responsable ».
Le bonneteau consiste ici à sortir la référence académique miracle, l’anthropologue Glen Stone, professeur à l’université Washington de Saint-Louis (États-Unis). Un anthropologue... une référence... Un avis définitif... Selon lui :
« En dépit de ce que ces lauréats du prix Nobel ont été amenés à penser, le riz doré n’est pas, et n’a jamais été, bloqué par l’opposition publique ou par Greenpeace. [...] Le riz doré n’est tout simplement pas encore au point. »
110 Prix Nobel ont été « amenés à penser »... Quelle arrogance ! On a connu M. Stone plus nuancé. Mais ici, on peut penser qu'il est tombé dans l'escalade d'engagement et l'outrance :
« Quant à la destruction d’une parcelle expérimentale, en 2013 (par des activistes locaux), précise M. Stone, elle "s’est produite après l’achèvement de l’essai et n’a concerné qu’une petite parcelle de test, parmi des dizaines". »
Le Riz Doré n'a jamais été bloqué... mais il y a quand même eu vandalisme... mais cela n'avait aucune importance... Il suffit de voir les photos : le riz était vert. On aura compris à la lecture de ces propos que les travaux de ce personnage sont fortement contestés, avec des arguments cinglants. Mais pour les connaître, le Monde n'est pas la bonne source.
Après l'attaque...
D'ailleurs, le témoin à décharge Stone a une haute opinion des Prix Nobel et nous sert aussi, haut et clair, la théorie de la manipulation, avec un conditionnel de simple prudence :
« "Cette histoire semble plutôt relever d’une manipulation de l’opinion publique par l’utilisation de scientifiques qui ne sont pas informés des faits sur le sujet", conclut le professeur américain à propos de la motion des Nobel. »
Pour faire sérieux, le Monde convoque un autre génie :
« Le mathématicien Philip Stark (université de Californie, à Berkeley) a, de son côté, compté parmi eux "un Nobel de la paix, 8 économistes, 24 physiciens, 33 chimistes et 41 médecins". »
Nous sommes ravis d'être aussi génial que lui ! Nous sommes allés sur la liste des signataires, fait «CTRL-F medicine » et la vaillante machine a affiché « 1 sur 41 » à la première occurrence...
Ce génie ajoute sur Twitter :
« La science repose sur des preuves, pas sur l’autorité [...]. Que connaissent-ils de l’agriculture ? Ont-ils conduit des travaux pertinents sur le sujet ? »
Et lui, que connaît-il de l'agriculture ? Du reste, très intéressant son compte Twitter et son auto-hagiographie.
Après tout, on s'en moque. La question est plutôt : les lecteurs du Monde, ne sont-ils pas menés en bateau ?
Et cela se poursuit avec une reductio ad Monsantum :
« L’organisation de la campagne soulève aussi quelques questions. Celui qui contrôlait l’entrée de la conférence de presse de lancement, le 29 juin au National Press Club de Washington, n’était autre que Jay Byrne, ancien directeur de la communication de Monsanto et désormais PDG de v-Fluence, une firme de relations publiques… »
Mais c'est bien sûr ! C'est une conspiration ! Un acte de volontariat à l'entrée d'une salle permet de susciter le doute sur l'ensemble de ce qui est appelé une « campagne ». Monsanto un jour... Monsanto toujours... M. Byrne y a officié de 1997 à 2001... il y a déjà quinze ans. Il a aussi eu d'importantes fonctions dans l'administration (Bill) Clinton ; la conspiration des Clinton, ce sera peut-être pour bientôt.
Et, bien sûr aussi,
« L’initiative arrive en tout cas au meilleur moment possible pour l’industrie. »
Il y a les débats aux États-Unis d'Amérique sur l'étiquetage des OGM, en Europe sur le glyphosate « l’herbicide-compagnon de la grande majorité des OGM en culture » dont il est opportunément rappelé qu'il a « vient d'être » (il y a tout de même plus d'un an...) « cancérogène probable » par le CIRC, les « nouveaux OGM » ou « OGM cachés »...
C'est dérisoire ! Prenons le glyphosate : la lettre a été rendue publique le lendemain de la décision de la Commission européenne...
Le billet se conclut par :
« Sur tous ces sujets, faites attention à ce que vous direz ou écrirez : selon de nouvelles normes en vigueur, vous pourriez vous rendre complice d’un "crime contre l’humanité". »
Pitoyable !
Quoi de meilleur que la diversion ?
Le 1er juillet 2016, Mme Gloria Capitan a été assassinée dans le bar-karaoké de sa famille. Elle dirigeait un groupe local d'opposition contre la construction d'un site de stockage à Mariveles et l'extension d'une centrale électrique à Bataan, à quelque 60 km de Manille. L'agence de presse philippine a produit une information sobre.
L'AFP s'est en revanche emparée de ce fait et ouvre sa dépêche en anglais comme suit (c'est nous qui traduisons) :
« Une femme qui faisait campagne contre l'extension de centrales électriques à charbon aux Philippines a été tuée, a annoncé la police le 4 juillet, la dernière victime dans un des pays les plus dangereux pour les activistes de l'environnement. »
La dépêche a été répercutée en France avec une traduction-adaptation. Cela donne :
« Une militante écologiste opposée à la construction de nouvelles centrales à charbon aux Philippines a été tuée, a annoncé lundi la police, un crime condamné par l'ONG Greenpeace, dans l'un des pays les plus dangereux pour les défenseurs de l'environnement. » (c'est nous qui graissons.)
Elle a été reprise par le Figaro sous le titre : « Philippines: Greenpeace s'indigne du meurtre d'une écologiste ». Et par Sciences et Avenir ici, puis ici, deux fois sous le titre : « Nouveau meurtre d'une écologiste aux Philippines, Greenpeace s'indigne ».
C'est nous qui nous indignons devant une exploitation aussi indigne d'un événement tragiqueet ce, pour le bénéfice d'une organisation qui n'est nullement concernée, tout au moins officiellement. Et devant une dépêche incohérente. Car après un péremptoire :
« Greenpeace a condamné ce nouveau meurtre d'un militant écologiste aux Philippines, tué selon l'ONG pour s'être opposé à de puissants intérêts. »
on apprend que l'opinion de Greenpeace n'est pas aussi péremptoire :
« Sa mort "semble être directement liée à son travail pour s'opposer au stockage du charbon à Mariveles, et à l'expansion de centrales à charbon dans la province de Bataan", a déclaré Reuben Muni, militant de la branche philippine de Greenpeace. » (C'est nous qui graissons.
Quelles sont les règles de déontologie de l'AFP ?