Le déshonneur du CIRC : la science militante, c'est pour combien de temps encore ?
Risk-monger*
La condamnation de la semaine dernière, par 110 lauréats du Prix Nobel, d'un Greenpeace anti-science s'agissant des OGM n'est pas une surprise pour la plupart des gens. Le Roi Vert de la Vilenie utilise des tactiques d'intimidation plutôt que la science pour imposer sa position de lobbying, en exploitant des études de piètre qualité, souvent rétractées, comme bases pour mener des campagnes de relations publiques contestées sur le plan de l'éthique mais laissant les consommateurs et les gestionnaires de marques partagés entre la peur et le dégoût. Je soupçonne que les Prix Nobel se sont exprimés quand Greenpeace a appliqué au Riz Doré la même tactique malhonnête que celle qu'il avait déroulée contre le glyphosate l'année précédente.
La semaine qui a pris fin avec la lettre des lauréats du Prix Nobel fustigeant Greenpeace (l'accusant, à juste titre, de crimes contre l'humanité), a commencé avec la démission de la Commission européenne face à ses responsabilités envers les agriculteurs et les consommateurs européens et sa capitulation devant la pression des ONG et du Parti Vert sur le renouvellement de l'autorisation du glyphosate, l'herbicide le plus utilisé et le plus étudié dans le monde. Cela témoigne non seulement d'un manque de leadership européen, mais aussi d'un franc succès de la stratégie des ONG lamentables qui consiste à utiliser des scientifiques activistes comme fondations de campagnes d'assassinats médiatiques.
Ce billet sera divisé en trois parties : la première analysera la stratégie activiste que le CIRC a utilisée pour obtenir un classement en « probablement cancérogène » ; la deuxième examinera une nouvelle publication qui démontre le choix odieusement mauvais des sources sous-tendant la monographie du CIRC sur le glyphosate et sa conclusion ; dans la troisième, on s'interrogera si le CIRC est vraiment une agence de l'OMS ou s'il fait simplement semblant de l'être pour asseoir la crédibilité de son activisme.
La stratégie consignée dans le Manuel de l'Activiste est simple, rusée et très contraire à l'éthique. Elle consiste essentiellement à s'adresser à un scientifique de second ordre ([celui dont on n'écrira pas le nom],un Goulson, un Kortenkamp ou un Portier) pour obtenir un article publié dans une quelconque revue (généralement un torchon de faible impact qui fait payer pour un examen par des pairs) et à laisser les ONG flairer le parfum et lancer leur campagne puante. Quand l'article aura finalement été éreinté, démonté ou rétracté, le dommage aura été fait, la confiance perdue et les fonds recueillis auprès d'une population outragée et paniquée (la classe des « vulnérables »). Un mensonge peut faire la moitié du tour du monde avant que la vérité n'ait eu le temps de mettre ses bottes.
Dans le cas du glyphosate, un statisticien de l'Environmental Defense Fund, Christopher Portier, s'est frayé un chemin vers la présidence du comité consultatif externe du CIRC sur les priorités (et ce, juste après avoir terminé un stage de six mois au CIRC en tant que chercheur invité sous la direction du chef de la section des monographies, Kurt Straif) pour proposer une étude du CIRC sur la cancérogénicité du glyphosate, la principale matière active du Roundup de Monsanto. (Voir les liens à l'appui de ces affirmations dans un billet précédent.) Un an plus tard, Portier se trouvait être le seul membre externe du Groupe de travail du CIRC sur le glyphosate et d'autres pesticides, en qualité de conseiller technique (un statisticien conseillant le CIRC sur une étude toxicologique), dans ce qui sera probablement connu comme la plus grande escapade de la science militante de tous les temps. Le Groupe de travail du CIRC a conclu que le glyphosate était probablement cancérogène.
Le reste de l'histoire est bien connue, en particulier pour les lecteurs de ce site. Portier a passé une année à faire du lobbying pour faire interdire le glyphosate, et ce, par des campagnes incitant à écrire des lettres, des discours, des interviews ainsi que des conseils aux dirigeants politiques – du Bundestag allemand à la Commission européenne – sur les dangers de glyphosate, le tout en utilisant les conclusions du CIRC. De l'argent bien dépensé pour l'Environmental Defense Fund ! Le reste de la communauté scientifique – je veux dire tout le monde (EFSA, Institut fédéral allemand pour l'évaluation des risques, EPA, et même l'OMS) – ont carrément rejeté les conclusions du CIRC, le directeur exécutif de l'EFSA allant jusqu'à reprocher au CIRC d'avoir été pris dans l'«Âge Facebook de la science ». Pourtant, à l'instar d'une machine politique, le CIRC est allé au front, oubliant le décorum et l'intégrité, pour tenter de discréditer toutes les organisations scientifiques qui ont contesté sa conclusion (en utilisant la stratégie éprouvée des ONG qui consiste à prétendre une implication de l'industrie comme motif d'exclusion : l'argumentum ad Monsantum).
Nous devons corriger : c'est la FAO et l'OMS
Les ONG ont ignoré les voix du courant principal de la science, fêté Portier et répété les termes « Organisation Mondiale de la Santé » et « probablement cancérogène » toutes les trois phrases de leur littérature de campagne anti-OGM et pro-bio. Compte tenu de la toxicité ridiculement basse du glyphosate (inférieure à celle des ingrédients communément trouvés dans les biscuits et le chocolat), le fait que les ONG aient réussi à menotter le glyphosate devrait être une leçon pour tous les décideurs. De fait, lorsque les ONG ont essayé d'appliquer au Riz Doré leurs conneries du Glyphosate 101, en utilisant un article largement discrédité de la science militante pour mener une campagne, les Prix Nobel ont décidé de prendre position.
Des scientifiques crédibles sont en train d'apprendre, lentement (et douloureusement), à ne pas tolérer les manigances de ces activistes et à séparer les loups de leurs meutes d'ONG. Les militants au sein du CIRC doivent être écartés et le CIRC lui-même devrait examiner sérieusement comment restaurer sa crédibilité au sein de la communauté scientifique. La fin de ce billet montrera que je pense que cela est impossible, de sorte que fermer le CIRC peut être une option viable.
La science mise en œuvre par le Groupe de travail du CIRC sur le glyphosate était tellement politisée, tellement teintée d'activisme, qu'elle ne peut même pas être qualifiée de scientifique, quelle que soit la norme dont j'ai connaissance. J'ai déjà dit à quel point la décision de cancérogénicité a été ouvertement prédéterminée, avant même que les discussions n'eurent commencé. J'ai montré comment le CIRC a délibérément essayé, à deux reprises, de cacher le conflit d'intérêts de Portier du fait de son affiliation avec l'Environmental Defense Fund, une ONG avec de solides antécédents en matière d'attaques contre les pesticides. J'ai aussi partagé un lien vers un scientifique qui a démonté dans le détail la quasi-totalité de la monographie du glyphosate du CIRC. Mais un rapport vient d'être publié dans la revue Environmental Science and Pollution Research qui attise encore plus le feu.
Le Pr Frank N. Dost, professeur de chimie agricole et de toxicologie forestière de l'Oregon State University, a mis en pièces les références scientifiques du CIRC dans sa contribution : « The critical role of pre-publication peer review -- a case study of glyphosate » (le rôle critique de la revue par les pairs avant la publication – le cas du glyphosate). Sa principale conclusion est :
« Ces recherches défectueuses ou inapplicables existent à cause de l'inadéquation de l'examen préalable à la publication ainsi que de procédures défectueuses. Elles érodent la confiance dans toutes les autres références citées dans la monographie. Pour la Monographie 112, il n'y a qu'une seule conclusion qui puisse être tirée de l'utilisation d'études qui n'auraient jamais dû être publiées ou qui ne considèrent que les mélanges, mais pas leurs composants : le CIRC n'a fourni aucune information crédible sur la cancérogénicité du glyphosate. »
Aie ! L'analyse de Dost de tous les défauts de l'étude du glyphosate du CIRC et de ses errements par rapport à la science est pénible à lire même, pour ceux qui sont portés à l'indulgence... c'est pourquoi je vais vous guider à travers les principaux points.
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Dost commence par montrer que plusieurs études prises en compte par le CIRC souffraient d'un « processus d'examen défectueux » (autrement dit, elles n'auraient jamais dû être publiées).
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Le temps qui a séparé la conclusion des travaux du Groupe de travail et la publication des conclusions dans Lancet ne suffisait pas pour procéder à un examen réaliste.
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La publication initiale des conclusions du CIRC démontre le peu de compréhension du glyphosate, en ce qu'elle se réfère à lui comme un organophosphoré (ce qu'il n'est pas) et le regroupe avec des insecticides.
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Il n'y avait ni données nouvelles, ni découvertes nouvelles à l'appui de leurs conclusions défavorables.
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Dost cite plusieurs études invoquées par le CIRC et montre qu'elles sont affligées d'erreurs méthodologiques critiques. Il doute qu'aucune d'entre elles ait été examinée par des pairs et, dans un cas, un document référencé du CIRC était si pathétique que Dost est certain que les neuf auteurs n'avaient même pas lu leur article.
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En utilisant certaines études présentant des faiblesses intrinsèques, le CIRC n'a pas décrit la faiblesse des effectifs des populations, ni la faiblesse des niveaux de dose-réponse.
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Les niveaux d'exposition qui ont été testés dans les études citées par le CIRC étaient très élevés et irréalistes (sauf peut-être si quelqu'un boit du glyphosate dans une tentative de suicide), et donc sans valeur pour les situations de gestion des risques.
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Le CIRC a cité des documents qui n'avaient que peu voire pas de sens pour son étude, mais les a néanmoins inclus comme références dans la monographie du glyphosate.
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Sur les principales affirmations du CIRC, le lien entre le glyphosate et le lymphome non hodgkinien, les études invoquées par le CIRC étaient si pauvres qu'elles n'auraient jamais dû franchir l'étape de l'examen par les pairs.
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Bon nombre des conclusions du CIRC sur les dommages cellulaires, tirées des études citées, auraient pu être attribuées aux agents tensioactifs dans les formulations – même les détergents communs des produits à vaisselle, à des doses élevées, pourraient endommager les cellules.
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Dost termine par un constat accablant de « manque d'intégrité » : « Le rapport du CIRC examiné ici a été conçu pour soutenir l'idée que le glyphosate lui-même peut causer des dommages qui peuvent conduire au cancer. »
En bref, après avoir lu Dost et sa litanie de de mauvaises méthodologies et de mauvaises intentions, je dois conclure que le CIRC est coupable de science militante. Il y a plusieurs années, j'ai défini la science militante comme l'utilisation d'approches qui ne sont scientifiques que d'apparence et de blouses blanches pour soutenir les campagnes des activistes environnementaux. Alors qu'un scientifique classique rassemble des preuves et tire des conclusions, un chercheur militant commence par les conclusions et cherche à sélectionner les éléments de preuve appropriés. La science militante est politiquement motivée, dépend des relations publiques et se montre aveugle aux données contraires. C'est ce que, à l'évidence, le CIRC a fait avec le glyphosate.
Cela semble être une question simple. Le CIRC est le bras de recherche sur le cancer de l'Organisation Mondiale de la Santé... non ?
Et bien non !
J'ai vu un article intéressant du directeur du CIRC, Christopher Wild, qui se réfère au CIRC comme : « un organisme de recherche autonome, dans le cadre de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) ». Passons sur le choix des mots : le CIRC est autonome et se fonde sur la collecte de fonds privés et de dons d'organisations s'intéressant au cancer (pensez-y la prochaine fois que vous faites un don ou participez à un événement avec un ruban rose : vous pourriez payer les salaires coûteux et les frais de déplacement de quelques scientifiques militants très inefficaces). Soulignant l'autonomie du CIRC, M. Wild signifie qu'il n'a pas à écouter les autres agences, l'OMS ou l'ONU. Et toute preuve présentée par la communauté scientifique peut être ignorée – pas besoin de rétracter des monographies déshonorantes si vous êtes autonome. Pas besoin de faire preuve de respect envers les scientifiques si vous êtes autonome. Être autonome signifie ne pas être lié par des normes ou des attentes élevées (les singes sont autonomes).
« Dans le cadre de l'OMS » est une autre expression intéressante habilement conçue de M. Wild. Dans la section sur son histoire, le CIRC déclare qu'il a été mis en place par le gouvernement français en 1965 (une grande partie de ses moyens financiers provient encore d'agences françaises). Le Président de Gaulle avait alors fait pression sur l'OMS pour qu'elle reconnaisse le CIRC dans une résolution adoptée par l'Assemblée Mondiale de la Santé. À ce jour, le CIRC a seulement 25 pays membres ; il est donc peu représentatif d'un organe de l'ONU, mais en disant qu'il est dans le cadre de l'OMS, je suppose qu'il peut prétendre surfer sur la crédibilité de l'OMS (et pourtant, dans le même temps, l'OMS ne peut pas le discipliner pour l'utilisation de la mauvaise science militante).
Et le CIRC n'a pas l'obligation de se comporter comme une agence des Nations Unies. Le CIRC-gate n'est qu'un exemple de comportement lamentable, peu diplomatique, de la part d'une organisation internationale. Lors de la somptueuse célébration de son 50e anniversaire, le mois dernier, 1050 scientifiques ont assisté à la conférence principale à Lyon. Il n'y avait pas un seul participant de l'industrie pharmaceutique (qui conduit pourtant la plupart des recherches sur le cancer). A-t-on omis de les inviter ? Ce fait est révélateur du biais anti-industrie inhérent au CIRC (également évident dans les propos grossiers de Kurt Straif et Kate Guyton à propos d'autres organismes qui ont utilisé les données de l'industrie sur le glyphosate). C'est une organisation qui, tout simplement, se moque éperdument de ce que les autres pensent !
Donc, le CIRC doit être un peu comme l'IPBES (la Plate-forme Intergouvernementale sur la Biodiversité et les Services Écosystémiques), une autre organisation que l'on a fait naître par un vote lors d'une Assemblée des Nations Unies bien intentionnée, et qu'on a laissé végéter depuis. Personne ne semblait savoir quoi faire d'elle, de sorte que l'UICN l'a prise sous son aile comme une « nounou » nourricière. Ni le CIRC, ni l'IPBES n'utilisent le « .int » identifiant les sites de l'ONU...
J'ai écrit à la fois au CIRC et l'OMS pour leur demander quelles sont leurs relations. Je voulais savoir si je pouvais me référer sans erreur au CIRC comme étant une agence de l'OMS. Ni l'un ni l'autre n'ont répondu à mes courriels.
Voici donc la situation :
– Le CIRC n'est pas ce qu'il prétend être ;
– Sa science est bien en dessous du niveau requis par les procédures de base et la méthode scientifique ;
– Son activisme est bien en deçà des normes de ce qu'on peut attendre de la diplomatie internationale.
...C'est là ma définition d'une imposture.
Au sein de la communauté des ONG, le CIRC pourrait être défini comme une occasion en or.
Si quelqu'un ne comprend toujours pas pourquoi les 110 lauréats du Prix Nobel ont pris la responsabilité de se prononcer contre le mésusage et l'abus de la science par les activistes, s'il vous plaît suivez ce lien !
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* David pense que la faim, le SIDA et des maladies comme le paludisme sont les vraies menaces pour l'humanité – et non les matières plastiques, les OGM et les pesticides. Vous pouvez le suivre à plus petites doses (moins de poison) sur la page Facebook de Risk-Monger : www.facebook.com/riskmonger.
Source : https://risk-monger.com/2016/07/06/iarcs-disgrace-how-low-can-activist-science-go/