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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Glyphosate : l'insoutenable légèreté de la ministre Royal

2 Juillet 2016 , Rédigé par Seppi Publié dans #Glyphosate (Roundup), #Union européenne, #Politique

Glyphosate : l'insoutenable légèreté de la ministre Royal

 

 

 

Le « sale boulot » est pour la Commission européenne

 

Le 29 juin 2016, la Commission européenne a annoncé qu'elle prolongeait l'autorisation de mise sur le marché du glyphosate jusqu'à ce que l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA) publie son opinion.

 

Une opinion que l'on connaît déjà, sous réserve d'une finalisation à l'issue de la procédure de consultation publique : pour la plupart des dangers, l'Agence estime que les données sont « conclusives, mais pas suffisantes pour un classement ». Les déclarations proposées sur les dangers sont les suivantes :

 

« Provoque des dommages oculaires graves. Peut provoquer des dommages aux organes par l'exposition prolongée ou répétée. Toxique pour la vie aquatique avec effets de longue durée. »

 

La deuxième est nouvelle. En bref, des dangers parfaitement gérables et des risques évitables.

 

Mais nous avançons un peu vite vers les futures polémiques. Ces 18 mois ne sont que le début de la glissade sur un nouveau toboggan du glyphosate-bashing et du Europe-bashing.

 

La Commission a annoncé sa décision – parfaitement légale – comme suit (c'est nous qui découpons en paragraphes) :

 

« En dépit des efforts répétés de la Commission pour répondre aux préoccupations exprimées au sujet de la ré-approbation du glyphosate, les États membres n'ont pas été prêts à assumer la responsabilité de la décision car aucune majorité qualifiée n'a été obtenue au sein du Comité permanent [de la chaîne alimentaire et de la santé animale] le 6 juin, puis à la Commission d'appel le 24 juin. En conséquence, tenant compte de l'évaluation scientifique extrêmement complète et rigoureuse de la matière active par l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et les agences nationales des États membres, la Commission a prolongé aujourd'hui l'approbation du glyphosate pour une période de temps limitée, jusqu'à la fin de 2017 au plus tard. Un avis supplémentaire sur les propriétés de la matière active est attendu d'ici la fin de 2017 de l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA), l'agence européenne compétente pour l'évaluation des dossiers pour la classification des substances chimiques. Son avis sera pleinement pris en compte au moment de décider des étapes ultérieures.

 

La Commission a également proposé aux États membres de restreindre les conditions d'utilisation du glyphosate dans l'UE. Ces conditions comprennent l'interdiction d'un coformulant (POE-tallowamine) dans les produits à base de glyphosate, l'obligation de renforcer le contrôle des utilisations du glyphosate avant récolte, ainsi que la réduction au minimum de son utilisation dans des zones spécifiques (parcs publics et terrains de jeux).

 

Des discussions ont eu lieu avec les États membres cette semaine, mais elles n'ont pas abouti. La Commission regrette que les États membres n'ont pas encore été en mesure d'accepter ces conditions restrictives et fera les efforts nécessaires pour les faire adopter le plus rapidement possible. »

 

C'est un communiqué de presse bien compréhensible compte tenu du contexte général – la Commission (et l'Europe) est constamment accusée de ne pas être démocratique – et du contexte particulier – ainsi que cela a été largement rapporté, des États ont provoqué un blocage du processus de décision pour des raisons de basse politique nationale.

 

 

La chimiophobie a (peut-être) déjà gagné...

 

Si la décision de prolonger l'autorisation de mise sur le marché est parfaitement justifiée, on peut légitimement s'interroger sur les restrictions d'usage proposées par la Commission. Elles sont sans nul doute « politiquement correctes », mais leur rationalité est fort contestable.

 

Que reproche-t-on, en particulier, aux tallowamines ? Rien ! L'ANSES écrit dans son communiqué de presse du 12 février 2016 sur son avis sur le caractère cancérogène pour l’homme du glyphosate :

 

« Au-delà de la substance active, les co-formulants contenus dans les préparations à base de glyphosate soulèvent des préoccupations, en particulier la tallowamine. L’Agence lance donc une évaluation sur les risques liés aux co-formulants présents dans l’ensemble des préparations phytopharmaceutiques, avec une priorité donnée aux préparations à base de glyphosate. L’Agence procède également sans délai à la réévaluation des autorisations de mise sur le marché des préparations associant glyphosate et tallowamine. »

 

Quelle justification pour la décision de l'ANSES, du 20 juin 2016, de retrait des produits phytopharmaceutiques associant en coformulation glyphosate et POE-tallowamine du marché français ?

 

« Des risques inacceptables, notamment pour la santé humaine, ne pouvant être exclus pour ces produits, les conditions prévues à l’article 29 du règlement européen ne sont pas vérifiées. »

 

La réalité est toute nue : il s'est agi de faire plaisir à une Ministre de tutelle, et aussi de saborder la décision européenne sur le glyphosate, au mépris du bon sens et de la rationalité.

 

La proposition de la Commission suit manifestement le même principe : amadouer les opposants il faut. Tant pis pour la rationalité. Ainsi que pour les effets à long terme, car faire une concession suscite immanquablement d'autres revendications.

 

Et c'est peut-être bien là une des raisons pour lesquelles « les États membres n'ont pas encore été en mesure d'accepter ces conditions restrictives ». Il y en a pour lesquels les petits calculs politiciens n'ont pas de place dans les décisions techniques.

 

 

Les postures flatteuses sont pour Mme la Ministre...

 

Mme Ségolène Royal, Ministre de l'Environnement, de l’Énergie et de la Mer, en charge des relations internationales sur le climat, Présidente de la COP21, aurait pu se féliciter de ce qui est une avancée pour son agenda personnel. Et bien non. Elle publie un communiqué de presse tonitruant :

 

« Ségolène Royal regrette la décision de la Commission européenne de prolonger l’approbation du glyphosate pour 18 mois et rappelle les mesures prises par la France pour lutter contre l’utilisation des pesticides »

 

Non contente d'avoir contribué à faire porter à la Commission européenne le chapeau d'une décision devenue impopulaire à force de tapage médiatique – tapage auquel elle a aussi personnellement contribué –, elle se permet de stigmatiser la Commission alors que celle-ci n'a fait que son devoir sur le principe et lui a fait de belles concessions.

 

Notez aussi la deuxième partie du titre : «  lutter contre l’utilisation des pesticides » est un objectif en soi.

 

À elle, donc, le beau rôle...

 

Tout cela, évidemment, pour flatter et amadouer sa clientèle, au mépris des véritables enjeux.

 

 

...l'irresponsabilité aussi...

 

Cette regrettable déclaration à l'en-tête tricolore est en quelque sorte, pour une quarantaine d'entités se présentant souvent comme des « ONG », le retour sur l'investissement dans un bouquet de fleurs.

 

 

 

C'est pitoyable. Et ce serait aussi risible si l'on oubliait les enjeux pour l'agriculture et l'alimentation, et partant l'économie, pour l'environnement – dont elle a la charge ! –, et pour la santé publique.

 

Mais aussi pour l'Europe.

 

Car ce genre de brûlot, motivé en grande partie par le besoin de flatter un égo zlatanesque et de parader devant des courtisans « environnementaux », ne peut que conforter les discours eurosceptiques et europhobes. Les Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon et autres Verts style José Bové peuvent se prévaloir d'un appui gouvernemental : Mme Royal leur ouvre la voie !

 

Marine Le Pen ? Dans un communiqué dont nous ne disposons que de la version en cache au moment où nous écrivons, le Front National écrit :

 

« La prolongation d’utilisation du glyphosate est une catastrophe sanitaire doublée d’une insulte à la démocratie. Cette situation est la conséquence directe des Traités européens qui permettent à des commissaires non élus d’imposer leur volonté au bénéfice de grandes firmes, de lobbies financiers, et au détriment de notre santé et de notre environnement. »

 

Jean-Luc Mélenchon ? Dans « Glyphosate : la Commission donne raison au lobby agro-chimique », il écrit :

 

« Hier, alors qu’en Europe toute l’attention était portée sur les conséquences du Brexit, la Commission a choisi, en catimini, au Luxembourg, de prolonger de 18 mois l’autorisation du glyphosate. […] la Commission a choisi, en lien avec les lobbies, d’autoriser l’empoisonnement des peuples européens pour encore au moins 2 ans. »

 

José Bové ? Il écrit :

 

« Dans cette affaire, les États-membres se sont à nouveau organisés pour refiler la patate chaude à la Commission. Or d’après le droit européen, la Commission reste libre d’agir lorsqu’aucune majorité qualifiée n’existe au Conseil. Elle avait encore la possibilité d’écouter les citoyens et d’interdire ce poison pour notre santé et l’environnement. Elle n’a pas su s’en saisir et a préféré autoriser à nouveau le glyphosate, ce qui, dans ces conditions, est un très grave déni de démocratie. »

 

 

...tout comme l'ignorance...

 

Madame la Ministre – dans un communiqué de presse qui engage le gouvernement – « regrette » donc... Rappelons qu'en diplomatie, exprimer des regrets a une connotation très forte.

 

Elle regrette une décision ainsi décrite :

 

« La Commission européenne a décidé de prolonger l’approbation du glyphosate pour 18 mois, le temps que l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) se prononce sur son caractère "cancérigène probable". »

 

Mais non, le rôle de l'ECHA est tout autre !

 

Le « caractère "cancérigène probable" », c'est le rôle de l'EFSA ! À ce sujet, Mme la Ministre écrit :

 

« Le glyphosate avait été classé "cancérigène probable" par le CIRC (instance de l'OMS spécialisée dans le cancer) à l'été 2015. Cette position avait été contestée par l’Agence européenne de sécurité alimentaire (EFSA). »

 

Comment faut-il comprendre cela ? Le CIRC fait autorité, et l'EFSA conteste... La réalité s'apprécie chez elle à travers le prisme des préjugés personnels et des intérêts politiciens.

 

À en croire l'intervention de Mme Marisol Touraine du 18 mai 2016 – « ...indépendamment des débats sur le caractère cancérigène ou non du glyphosate, nous considérons, et les études nous nous disposons montre que c'est un perturbateur endocrinien » – le gouvernement avait lâché l'argument de la cancérogénicité du glyphosate. Dans la Principauté de l'Environnement, on campe sur les positions difficilement défendables, mais médiatiquement efficaces.

 

 

...et la nullité diplomatique

 

Le texte se poursuit :

 

« Ségolène Royal regrette cette décision, à laquelle la France s’était opposée à plusieurs reprises, notamment lors du comité d’appel du 24 juin 2016. D’autres États membres de l’Union européenne, notamment l’Allemagne, l’Italie, l’Autriche, le Portugal et Malte s’étaient joints à la France et avaient refusé d’approuver cette décision. »

 

Comment faut-il qualifier cette réécriture de l'histoire ? Il ne s'agit pas là seulement d'une certaine dame, mais aussi de son service de presse. Et, par-delà, de la crédibilité du gouvernement et, par-delà, de la France.

 

Lors du vote du 6 juin 2016, seule Malte s'était opposée, la France s'étant abstenue. Et les abstentions, malgré leurs effets, ne valent pas refus d'approuver, mais refus de prendre position.

 

En posant ainsi la France – incarnée évidemment dans sa personne – en chef de file auxquel d'autres pays « s’étaient joints », Mme Royal s'est assurée que la France sera bien prise au sérieux (ironie).

 

 

 

Urgent ! Cherchons professeur de diplomatie

 

Nous exagérons probablement : nos amis européens ont eu le temps de prendre la mesure du problème et de se faire un blindage. Mais Mme Royal est aussi appelée à intervenir dans d'autres enceintes où l'amateurisme diplomatique n'est guère toléré.

 

Reprenons l'extrait précédent :

 

« D’autres États membres de l’Union européenne, notamment l’Allemagne, l’Italie, l’Autriche, le Portugal et Malte s’étaient joints à la France et avaient refusé d’approuver cette décision. »

 

Mme Royal – et les services de son ministère – peut-elle justifier l'ordre dans lequel sont cités les États ? Précisons : le critère n'est pas la population, le Portugal devançant l'Autriche.

 

Dans le vote de la Commission d'appel, la Bulgarie, la Grèce et le Luxembourg se sont abstenus. Sont-ils parties négligeables ?

 

Cette légèreté est décidément insoutenable.

 

 

P.S.

 

C'est à lire :

 

« Round-up : lettre d'un ingénieur agronome à Ségolène Royal »

 

 

 

 

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