Agriculture conventionnelle c. agriculture biologique : laquelle a l'impact le plus faible sur l'environnement ?
Iida Ruishalme*
L'Agence Alimentaire Suédoise (Svenska Livsmedelsverket SLV) a récemment publié un rapport sur une analyse de plusieurs aspects des effets environnementaux de l'agriculture par kilogramme de produit agricole. Ce rapport a également été examiné dans un article d'opinion du plus grand journal de la Suède, Dagens Nyheter (sous le titre « L'agriculture biologique n'a à aucun moment été meilleure pour l'environnement »).
Dans le rapport de la SLV, les chercheurs ont examiné les impacts environnementaux par thèmes : climat, sur-fertilisation, acidification, écotoxicité, consommation d'énergie, et utilisation des terres. Ils ont pris comme critère d'existence d'une différence entre l'agriculture biologique et l'agriculture conventionnelle le fait qu'une étude trouve plus de 10 pour cent de différence dans les impacts respectifs des deux systèmes d'exploitation agricole et que les deux tiers des études considérées sont en accord sur cette différence. Le nombre à l'intérieur de chaque cellule du tableau ci-dessous indique le nombre d'études considérées. Les auteurs ont comparé ces effets pour neuf catégories de produits alimentaires : lait, viande de bœuf, viande de porc, poulet, œufs, poissons et fruits de mer, légumes, et fruits et baies. (Note : la catégorie des poissons et fruits de mer est raccourcie en «fish » et la catégorie des fruits et baies en « fruit » pour des raisons d'espace dans le tableau que [l'auteure a] traduit et converti en infographie ci-dessous. Le tableau avec ses chiffres et ses couleurs est tel qu'il apparaît dans le rapport).
Le tableau se trouve dans l'article des DN ou dans le rapport original la SLV à la page 41.
Aucun des deux systèmes, conventionnel et biologique, n'est nettement supérieur à l'autre du point de vue de l'environnement. L'affirmation selon laquelle l'un d'eux mériterait des subventions spéciales, un coût plus élevé pour le consommateur, ou une meilleure réputation, n'est pas fondée – si une telle différence devait être suggérée, l'avantage semble plutôt résider légèrement du côté de l'agriculture conventionnelle.
Le bio l'emporte pour 14 aspects, la moitié d'entre eux dans le domaine de l'écotoxicité. Mais cela ne répond pas à la question de savoir si l'écotoxicité est un grand risque dans l'agriculture contemporaine, ni s'il faut lui accorder plus ou moins d'importance par rapport à l'un quelconque des autres aspects. Il y a lieu de noter que les pesticides sont devenus considérablement plus sûrs au cours des 50 dernières années. « Herbicides: How harmful are they? » (herbicides : quelle est leur nocivité?) fournit un aperçu pour cette classe de produits. Les auteurs écrivent :
« Il y a eu par le passé des pesticides qui étaient toxiques et dangereux à manipuler, mais la plupart de ces produits ne sont plus utilisés aujourd'hui et ont été remplacés par une nouvelle chimie. Les pesticides doivent maintenant passer par des tests rigoureux par l'Agence de Protection de l'Environnement des États-Unis (EPA) avant de pouvoir être vendus. Cela a conduit à de nombreux herbicides qui sont peu ou pas toxiques pour les mammifères et sont moins nocifs que de nombreux produits ménagers courants (tableau 1). Étonnamment, les produits chimiques ménagers que beaucoup d'entre nous stockent sous l'évier présentent plus de risques pour l'utilisateur que les herbicides. »
Une autre bonne vue d'ensemble est donnée par Steve Savage sur Applied Mythology : « Pesticides – probably Less Scary Than You Imagine » (pesticides – probablement moins effrayants que vous ne l'imaginez) :
« Tous les pesticides homologués sont également largement étudiés pour leurs effets sur les organismes "non-cibles" et leur devenir dans l'environnement. Les règles sur la façon dont un pesticide donné peut être utilisé (les règles portées sur l'étiquette) tiennent compte des risques pour le travailleur et l'environnement. Encore une fois, le genre de questions qui l'on se posait communément dans les années 1960 ne reflètent plus du tout la situation actuelle. »
Cela ne signifie pas que les pesticides ne devraient pas être soigneusement étudiés et surveillés pour nous assurer que nous les appliquons d'une manière qui a un effet négatif minimal sur les organismes qui ne relèvent pas de leur raison d'être (gérer les ravageurs et les mauvaises herbes). J'ai écrit davantage sur les recherches effectuées sur les abeilles et les néonicotinoïdes ici, par exemple.
L'agriculture conventionnelle (représentant environ 94 pour cent de toute l'agriculture en Europe) finit en revanche première pour dix-huit aspects dans le tableau résumé – soit seulement quatre «victoires » de plus que le bio. Une fois encore, ces colonnes et ces lignes ne sont pas une sorte de mesure linéaire car il y a des différences locales et mondiales pour l'importance des divers impacts environnementaux, et des différences de degré pour l'ampleur et la fiabilité de chacun des écarts mesurés. Cela étant, la force la plus claire de l'agriculture conventionnelle réside dans l'utilisation des terres, un facteur pour lequel elle l'emporte sur l'agriculture biologique dans sept des huit catégories. Cela ne peut pas être surprenant que l'on ait là les signaux les plus clairs : alors que l'agriculture biologique exclut les pesticides et les engrais d'un certain type (ceux qui sont considérés comme trop artificiels), l'agriculture conventionnelle en fait un usage prudent et, en partie grâce à cela, finit par faire une utilisation optimale des terres en produisant davantage sur moins de surface.
Ce n'est pas une tâche simple que d'essayer d'attribuer des poids relatifs aux impacts environnementaux, mais cela vaut la peine d'essayer de chercher des évaluations dans la littérature scientifique. Marc Brazeau a écrit un article plein d'enseignements sur ce sujet : « Focus On Pesticides Is a Distraction From Major Eco Impacts » (se focaliser sur les pesticides, c'est perdre de vue les impacts écologiques majeurs) ; il y décrit un document de recherche portant sur les sujets de préoccupation les plus importants en matière d'environnement, intitulé « Leverage points for improving global food security and the environment »(points d'action pour améliorer la sécurité alimentaire mondiale et l'environnement) et publié dans la revue Science. Il fait quelques observations importantes sur l'impact relativement faible des pesticides par rapport à plusieurs autres facteurs dans l'agriculture :
« Les impacts environnementaux mis en évidence comprennent l'utilisation de l'eau et de l'irrigation ; le lessivage des éléments nutritifs et l'eutrophisation due à l'excès d'azote et de phosphore ; l'utilisation des terres, en particulier la déforestation tropicale ; et les gaz à effet de serre, en particulier N2O, mais aussi le carbone et le méthane. Si vous regardez la recherche sur les impacts environnementaux de la production alimentaire menée par des chercheurs comme le géophysicien Gidon Eshel de Bard College (la source de prédilection de Michael Pollan sur ces questions), vous trouverez un ensemble similaire de préoccupations et la même absence des pesticides de la liste des préoccupations environnementales. »
Cette illustration a été présentée dans l'article de Marc Brazeau, et figurait à l'origine dans « Leverage points for improving global food security and the environment », publié derrière un péage dans Science (en accès libre ici).
Marc Brazeau poursuit en soulignant que les pesticides nous aident en fait à régler certaines de ces autres questions importantes. Grâce à l'utilisation appropriée des pesticides, moins de ressources (telles que les engrais, les terres, l'irrigation) sont gaspillées du fait des ravageurs et des mauvaises herbes – limitant ainsi les effets généraux de l'agriculture. Obtenir un score plus élevé sur l'écotoxicité semble en effet être potentiellement une partie de la raison pour laquelle l'agriculture conventionnelle a un avantage environnemental sur l'agriculture biologique.
Si l'on considère les colonnes du tableau sur le climat, la sur-fertilisation, l'acidification et la consommation d'énergie – qui appartiennent toutes aux domaines mis en relief dans l'article de Science comme des priorités essentielles – la seule conclusion honnête que nous pouvons tirer est la suivante : en Suède, au moins, il n'y a pas de supériorité nette parmi les systèmes d'exploitation. Dans ces quatre aspects environnementaux importants, ils sont de loin le plus souvent égaux.
S'agissant de la situation ailleurs, une méta-analyse européenne de centaines d'études estime que la sur-fertilisation, l'acidification et l'utilisation des terres sont les aspects les plus problématiques de l'agriculture biologique, alors qu'elle a tendance à avoir moins de besoins en énergie que l'agriculture conventionnelle. Voici un extrait de la conclusion de la méta-analyse « Does organic farming reduce environmental impacts? » (l'agriculture biologique réduit-elle les impacts environnementaux ?) :
« ...Les émissions d'ammoniac, le lessivage de l'azote et les émissions d'oxyde nitreux par unité de produit étaient plus élevés dans les systèmes biologiques. Les systèmes biologiques avaient un moindre besoin en énergie, mais requéraient davantage de terres et présentaient un potentiel d'eutrophisation et un potentiel d'acidification par unité de produit plus élevé. »
C'est sur l'utilisation des terres, également soulignée comme très importante par l'article dans Science sur les questions agricoles mondiales, que l'agriculture conventionnelle constitue clairement le meilleur choix du point de vue de l'environnement. C'est à ce niveau que les substances « écotoxiques » auront probablement contribué à éviter d'utiliser plus de terres.
Ce qui rend ce genre d'étude important est clair lorsqu'on considère la croyance commune propagée par les promoteurs de l'agriculture biologique : que leur système agricole est le plus respectueux de l'environnement. Il fut un temps où je faisais la même Hypothèse Naturelle. Mais, en fait, l'environnement ne fait pas de différence entre l'impact négatif d'une source « naturelle » (quelle que soit la manière de la définir) et celui d'une source « non naturelle ».
Si l'étiquetage bio s'engageait dans la recherche d'avantages environnementaux documentés au lieu de propager l'idée d'une sorte de naturalité supérieure, je serais encore la cliente loyale de l'agriculture biologique que j'ai été. Dans l'état actuel des choses, il y a peu de soutien dans la science, ou dans ce rapport de la SLV, pour l'affirmation que l'agriculture biologique est aujourd'hui leader dans l'utilisation de méthodes respectueuses de l'environnement.
Malheureusement, il y a beaucoup d'idées fausses sur l'agriculture biologique qui découlent des tactiques trompeuses du marketing du bio. L'infographie ci-dessus a été créée en collaboration avec Alison Bernstein, alias Mommy PhD, qui en a eu l'idée. Les statistiques sur l'agriculture biologique européenne peuvent être trouvées ici, et vous pouvez en savoir plus sur les pesticides, les antibiotiques, les OGM, l'agriculture de conservation, et la rotation des cultures ci-dessous.
Le lobby du bio a tellement bien vendu son concept de supériorité que l'État suédois verse des subventions pour soutenir l'agriculture biologique pour un montant de 600 millions de couronnes par an (63 millions d'euros) [pour près de 5.600 producteurs] – auxquels il faut ajouter un montant équivalent à la moitié sous la forme de l'engagement des institutions de l'État d'acheter des produits bio, et encore davantage si l'on considère le coût pour les consommateurs ordinaires qui croient à cette idée (ces chiffres sont conformes à ceux donnés par l'écologiste suédois et professeur émérite Torbjörn Fagerström et le phytophysiologiste Jens Sundström dans leur article des DN). Dans la même veine, portant les choses à leur extrême, le Parti Vert suédois milite pour une conversion à 100 pour cent à l'agriculture biologique, une suggestion plutôt inquiétante. J'en viens à me demander si les méthodes agricoles ont été réduites à du marketing et de la politique. Où est la science dans tout cela ?
Ce dont nous avons vraiment besoin maintenant est une norme environnementale fondée sur les preuves ; une norme que nous pouvons proposer à tous les agriculteurs comme objectif souhaitable. Le bio pourrait tourner la page et exercer une influence positive. Je crois comprendre qu'il a été un moteur de l'adoption à grande échelle, par l'agriculture du monde entier, de plusieurs bonnes méthodes telles que la lutte intégrée et l'utilisation de cultures de couverture – et il pourrait le faire à nouveau. Il pourrait nous aider à sauver l'environnement, y compris les terres qui peuvent être épargnées de la mise en culture.
Il convient de souligner que ce rapport met l'accent sur l'agriculture suédoise ou sur des études dans des contextes comparables, ou des lieux d'où proviennent beaucoup des importations alimentaires suédoises. Dans ces résultats, il n'y a quasiment aucune documentation de l'effet positif sur le climat et de la diminution de l'utilisation des pesticides résultant de l'utilisation des variétés génétiquement modifiées ; c'est que l'adoption de ces cultures a été extrêmement lente en Europe.
Il a été démontré qu'avec la biotechnologie, l'agriculture conventionnelle devient plus respectueuse de l'environnement, économise davantage de ressources, par exemple sous la forme d'une réduction de l'utilisation de pesticides, et permet l'adoption plus large du non-labour, ce qui réduit l'érosion et le ruissellement. Les études sur les impacts environnementaux clés que la biotechnologie agricole a eus sur l'agriculture mondiale en 2012 et 2013 font état des avancées suivantes :
« L'adoption de technologies GM de résistance à des insectes et de tolérance à des herbicides a réduit les épandages de pesticides de 553 millions de kg (-8.6 %) et, en conséquence, diminué l'impact environnemental associé à l'utilisation d'herbicides et d'insecticides sur ces cultures (mesuré par le Quotient d'Impact Environnemental (EIQ)) de 19,1%. Ces technologies ont également permis une réduction importante de la consommation de carburant et des changements dans le travail du sol, ce qui entraîne une réduction significative des émissions de gaz à effet de serre des cultures GM. En 2013, cela correspond au retrait de 12,4 millions de voitures des routes. »
De l'article : GMOs and the Environment
Autre chose : les règles de la Suède en matière de pesticides pour l'agriculture biologique sont parmi les plus restrictives du monde. Cela pourrait aussi être un facteur en faveur du meilleur classement de l'agriculture biologique du point de vue de l'« écotoxicité ».
Il est bon de garder à l'esprit que de nombreux pesticides sont encore autorisés, même pour l'agriculture biologique suédoise ; la liste suivante provient de la marque bio la plus restrictive, KRAV : azadirachtine, pyréthrines, lécithines, protéines hydrolysées, cire d'abeille, quassia, micro-organismes, spinosad, phéromones, phosphate ferrique, sel de potassium, polysulfure de calcium, huile de paraffine, sable de quartz, soufre, hydroxyde de calcium, carbonate de potassium, silicate d'aluminium, laminarine. De nombreux consommateurs ignorent que l'utilisation des pesticides est autorisée dans l'agriculture biologique, ils l'ignorent en partie grâce au marketing qui répand l'idée trompeuse de leur absence (comme ils l'ont fait dans l'annonce populaire de Coop en faveur du bio qui a fait l'objet de poursuites pour publicité mensongère). Mais les agriculteurs biologiques, comme tous les agriculteurs, ont un grand besoin de pesticides, car ils ont tous besoin de moyens pour gérer les ravageurs. Sans pesticides, il n'y aurait tout simplement pas, dans de nombreux cas, de cultures. Pour reprendre les paroles de sagesse d'Andrew Kniss, l'écologue des mauvaises herbes : tout dans l'agriculture est affaire d'arbitrage.
Il serait très intéressant d'avoir une analyse détaillée similaire à la suédoise, par exemple, pour les États-Unis où les agriculteurs bénéficient des avantages de la baisse de l'utilisation des pesticides et de la réduction des émissions de carbone induites par les biotechnologies.
L'essentiel pour moi est comme suit : peu importe l'étiquette, je veux acheter de la nourriture qui utilise des méthodes qui contribuent le plus à réduire les impacts environnementaux, en particulier les impacts qui constituent les menaces les plus urgentes pour notre monde naturel d'aujourd'hui. Il est très important pour moi que nous nous concentrions sur les questions environnementales dans l'agriculture, et que nous le faisions sur la base d'informations scientifiques précises, et non sur des slogans trompeurs de marketing.
Si vous souhaitez en savoir plus, j'ai écrit sur ce sujet de nombreuses fois, par exemple ici : On Farming, Animals, and the Environment ; Myth: UN Calls For Small-scale Organic Farming, ou d'autres articles dans les catégories: The Environment et Farming and GMOs.
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* Cet article a paru sur Thoughtscapism sous le titre : « Environmental Impacts of Farming ».
Iida Ruishalme est une auteure et communicatrice scientifique, titulaire d'un M.Sc. en biologie de la Suède. Elle contribue à la fois au Genetic Literacy Project et à Skeptiforum.net. Elle blogue sur Thoughtscapism, où cet article est paru à l'origine. Suivez-la sur twitter : @Thoughtscapism ou sur la page Facebook Thoughtscapism.