Pollution de l'air : la bêtise politique en 140 caractères
Paris Match a commis le 31 mai 2016 une chose assez innommable, « L’agriculture, principale cause de pollution de l’air en Europe ».
Cette chose se fonde sur l'annonce d'une nouvelle étude par l'Earth Institute de l'Université Columbia, « A Major Source of Air Pollution: Farms – Global Study Shows How Agriculture Interacts With Industry » (Une source majeure de pollution de l'air : les fermes – Une étude mondiale montre comment l'agriculture interagit avec l'industrie).
À l'évidence, le communicant de l'Université Columbia n'a pas lésiné sur les artifices pour rameuter la médiasphère :
« Une nouvelle étude dit que les émissions provenant des fermes l'emportent sur toutes les autres sources humaines de la pollution de l'air par les particules fines dans une grande partie des États-Unis, de l'Europe, de la Russie et de la Chine. Le coupable : les émissions provenant des engrais riches en azote et des déjections animales qui se combinent dans l'air avec les émissions industrielles pour former des particules solides – une énorme source de maladies et de décès. »
Il ne s'est pas donné la peine de fournir le titre de l'article. Le journaliste compétent, respectueux de sa déontologie, doit donc suivre un lien pour le découvrir : « Significant atmospheric aerosol pollution caused by world food cultivation ». Il est de Susanne E Bauer, Kostas Tsigaridis, Ron Miller.
Comment donc ? Une « pollution atmosphérique importante par les aérosols est causée par la production mondiale d'aliments » ? Il faut d'urgence supprimer la production mondiale d'aliments ! En fait, non : les choses sont plus compliquées et il y a même une sorte de message d'espoir.
Il faudrait aussi expliquer au communicant de l'Université Colombia que si les émissions agricoles se combinent aux émissions « industrielles » (qui incluent, notamment le chauffage et les transports...), c'est qu'à vue de nez les deuxièmes ne doivent pas être négligeables. C'est bien ce que montre le graphique ci-dessous.
De plus, on ne peut qu'exprimer sa perplexité à l'examen de la figure qui est censée résumer les observations. Les PM2,5 (particules de moins de 2,5µ) d'origine agricole (selon les critères des auteurs) ne « l'emportent sur toutes les autres sources humaines de la pollution de l'air » que pour l'Europe, et encore, légèrement !
Ajoutons – au doigt mouillé – que l'explication doit être simple pour la France : nous n'avons plus beaucoup d'industries, notre électricité est essentiellement d'origine nucléaire, non polluante en ce qui concerne l'air, nous nous chauffons beaucoup à l'électricité... donc il est normal que l'agriculture soit à un niveau comparativement élevé.
La figure donne les concentrations moyennes totales de PM2,5 en µg/m3 (le code des couleurs figure sous la mappemonde). Les contributions des différentes sources (NAT = origine naturelle ; ANT = anthropique sans l'agriculture ; AGR = agriculture) sont données dans les diagrammes pour cinq régions, avec une ventilation selon la composition.
Ce genre d'étude est aussi à la limite de l'escroquerie intellectuelle. Lisez la description de la méthode – si vous n'y comprenez rien comme moi, ce n'est pas grave – et essayez d'imaginer l'étendue de l'intervalle de confiance. Il nous semble aussi (l'éternel problème des sommes et des moyennes) qu'une pollution diffuse sur une vaste zone agricole peut finir par donner, au total, une valeur équivalente à la pollution massive due à la circulation dans une grande ville, ou à la combustion de bois ou de mauvais charbon dans un village. Du reste, on ne peut qu'être ébahi par un graphique qui fournit une moyenne à l'échelle d'un continent qui inclut le sel marin.
Abordons le problème sous un autre angle, sachant que cette étude repose sur des moyennes. Une moyenne ? Si je mets un pied dans le four et l'autre dans le congélateur... en moyenne je me sens bien...
Donc, pour l'Europe, en moyenne, les PM2,5 totales sont à moins de 6 µg/m3. L’Union européenne a fixé un objectif de qualité de l'air à 20 μg/m3 en moyenne sur l’année. Le Grenelle de l’environnement souhaitait arriver à 15 μg/m3. L’Organisation Mondiale de la Santé recommande une valeur de 10 μg/m3 (ils n'ont pas dû savoir au Grenelle, sinon ils auraient dit 5 µg/m3). Toutes ces valeurs sont supérieures à celles données dans l'article. Ouf ! On est sauvé ! Ah non, il y a les hypocondriaques et surtout la médiasphère qui va s'emparer de la chose. Surtout qu'accuser l'agriculture... ça fait partie de son inculture...
Revenons donc à Paris Match : il ne s'agit pas de « pollution de l'air » – car les particules fines ne sont qu'un élément de la pollution. Il ne s'agit pas non plus de l'« Europe », mais d'une grande partie de l'Europe. Et on n'a pas bien compris de quoi il en retournait :
« Les engrais et les excréments des animaux forment un cocktail détonant, source de la moitié de la pollution de l’air d’origine anthropique. En se mélangeant, ils forment de l’ammoniac. Cette substance chimique, associée à l’air déjà pollué de l’industrie, crée des particules fines à basse altitude extrêmement dangereuse pour la santé. »
Quand on lit dans Paris Match que « [d]ans des pays comme l’Afrique, la pollution de l’air est plus faible » et qu'on consulte la carte de l'étude que la journaliste n'a manifestement pas consultée, il y a aussi de quoi tomber à la renverse.
Mais cessons d'accabler un magazine qui n'a pas compris ce qu'est le journalisme scientifique (voir ici le lamentable épisode du Zika). Des communicants produisent un communiqué de presse aussi ronflant qu'approximatif... des « journalistes » en extraient le plus approximatif dans le meilleur des cas et brodent souvent pour produire pire...
Et des politiques, avec d'importantes responsabilités, réagissent sur la base de l'approximatif et du pire...
Mme Célia Blauel, élue EELV, est maire adjointe de Paris, chargée du développement durable (le développement ne saurait qu'être durable ces jours...), du climat, de l’eau et des canaux. Il faut croire que des articulets de Paris Match sur des sujets scientifiques très ardus suffisent à une maire adjointe de Paris, certes EELV, pour préconiser une politique qui ne concerne pas seulement l'agriculture, mais notre alimentation dans toutes ses composantes.
M. Rémi Duméry, un agriculteur de la Beauce, a répondu :