Lettre ouverte au Parlement européen : ne faites pas la leçon à l'Afrique
Gilbert Arap Bor*
En 1885, les grandes puissances européennes se sont réunies à Berlin pour se partager l'Afrique entre elles ; ce fut le lancement d'une période sombre de l'exploitation colonialiste.
Aujourd'hui, les législateurs européens se réunissent à Bruxelles pour tenter de subjuguer mon continent une fois de plus, cette fois-ci pour faire pression et nous inciter à abjurer les innovations scientifiques qui ont révolutionné l'agriculture dans le monde entier.
Cette nouvelle offensive vient de la commission du développement du Parlement européen, qui a préparé un projet de résolution qui « prie instamment les membres du G8 de ne pas soutenir les cultures d'OGM en Afrique ». Elle a reçu étonnamment peu d'attention dans la presse et elle peut faire l'objet d'un vote dès le 6 juin [ma note : le vote est prévu pour le mardi 7 juin 2016].
En tant qu'agriculteur kenyan qui participe au combat quotidien pour produire de la nourriture dans un pays qui n'en produit pas assez, j'ai un court message pour les politiciens bien nourris qui envisageraient d'appuyer cette mesure néo-colonialiste : « Laissez le continent africain en paix ».
Votre hostilité aux OGM nous a déjà fait reculer d'une génération. S'il vous plaît, ne prenez pas une décision qui pourrait nous appauvrir pour une autre génération en incitant les gouvernements africains à refuser des technologies agronomiques importantes que les agriculteurs de tant d'autres parties du monde tiennent pour acquises.
Ici, au Kenya, un nombre incalculable de gens sont aux prises avec l'insécurité alimentaire, incertains qu'il sont sur comment ils vont payer leur prochain repas. J'en vois la preuve tous les jours. Avec 46 millions de personnes, une forte croissance démographique et l'urbanisation rapide de nos terres arables, nos défis vont probablement empirer avant que cela aille mieux.
Les OGM peuvent jouer un rôle positif, en nous permettant de produire plus de nourriture sur moins de terres d'une manière durable sur le plan économique et environnemental. Les agriculteurs comme moi ont besoin d'accéder à la biotechnologie agricole.
Au lieu d'ordonner aux Africains d'abandonner la science, les Européens devraient écouter ce que leur disent leurs propres scientifiques : la Commission européenne et l'Organisation mondiale de la Santé ont toutes deux cautionné la sécurité des OGM. La National Academy of Sciences, le principal groupe consultatif scientifique aux États-Unis, l'a fait aussi, elle qui vient de publier une étude approfondie qui approuve les OGM.
Si le Parlement européen veut aider l'Afrique, il devrait essayer de diffuser les connaissances scientifiques auprès des législateurs et des citoyens des économies moins développées, nous permettant ainsi de devenir autonomes pour la production de produits alimentaires de base, notamment ceux qui améliorent le sort des agriculteurs africains et leur assurent la sécurité alimentaire.
Ce dont nous n'avons pas besoin, ce sont les leçons d'Européens dont le mode de vie apparaît luxueux aux Africains ordinaires. Ils veulent que nous restions des primitifs agricoles, coincés avec des technologies qui étaient déjà désuètes bien avant notre entrée dans le 21e siècle.
Seule une poignée de pays africains ont accepté les OGM, dont l'Afrique du Sud, le Burkina Faso et le Soudan. Pourtant, nous pourrions voir un boom dans les années à venir.
Le Kenya est prêt pour les OGM. Les protocoles réglementaires sont en place, coordonnés par l'Autorité nationale de biosécurité. Les premiers essais sur le terrain de maïs GM sont en cours et ils peuvent commencer bientôt pour le cotonnier. Nous ne pouvons toujours pas cultiver, vendre ou importer des OGM, mais nous sommes sur le point de lever ces restrictions. Une fois que ce sera fait, mon pays disposera d'une nouvelle arme dans la lutte contre la faim.
La dernière chose dont nous avons besoin est un groupe de pays riches fronçant les sourcils devant nos progrès sans avoir la moindre compréhension de notre situation.
Si l'Afrique ne parvient pas à adopter les méthodes agricoles modernes, mon continent devra faire face à une catastrophe. Nous ne profiterons jamais du potentiel de la Révolution Verte, ni de la Révolution Génétique. Les agriculteurs utiliseront de plus en plus d'herbicides et de pesticides, ce qui entamera nos revenus et mettra la biodiversité en danger. Les coûts de la production agricole augmenteront, ce qui signifie que le coût des aliments augmentera aussi. Plus de gens vont souffrir de la faim.
C'est l'avenir lugubre que la résolution qui est devant le Parlement européen nous demande d'embrasser.
Heureusement, la résolution est non contraignante. Le Parlement européen ne peut pas imposer une politique à un membre du G8, dont au moins deux, le Canada et les États-Unis, ne manqueront pas de la rejeter catégoriquement.
Mais ce n'est pas le sujet. L'Afrique a pour habitude de regarder vers l'Europe pour le leadership politique et les opportunités économiques – quoi que le Parlement européen décide, son choix enverra un signal fort.
Espérons que ce sera la bonne décision.
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* Gilbert Arap Bor est agriculteur, à Kapseret, Kenya. Il cultive du maïs, des légumes et a des vaches laitières sur une petite ferme de 10 hectares près d'Eldoret, au Kenya. M. Bor, professeur à l'Université catholique de l'Afrique de l'Est, à Eldoret Campus (Gaba), est un membre du Truth About Trade & Technology Global Farmer Network et a reçu en 2011 le Kleckner Trade & Technology Advancement Award.