L'activisme anti-OGM pourrait coûter 1.500 milliards de dollars aux pays les plus pauvres de la terre sur 35 ans
John Wu, Robert Atkinson et Val Giddings*
Le texte qui suit est un exercice de haute voltige économique. On peut en discuter jusqu'au bout de la nuit... Il a le mérite de fournir des explications sur la situation actuelle et de poser quelques jalons. Le chiffre avancé de 1.500 milliards de dollars est de l'ordre d'une année de PIB de l'Afrique subsaharienne (1.728 milliards de dollars 2014 selon la Banque Mondiale).
Chaque dollar non réalisé peut constituer une perte supérieure puisque ce dollar ne fructifie pas dans l'économie nationale. Pour les pays qui importent une partie de leur alimentation, à chaque dollar non réalisé correspond un dollar perdu pour l'achat de nourriture à l'étranger (ou plus, a priori rarement moins dans les pays en développement, selon le différentiel de prix entre production locale et produits importés).
Comme l'a écrit Mme Sylvie Brunel dans Jeune Afrique :
« ...tous les pays qui se sont développés durablement ont commencé par enrichir leurs campagnes. »
Les campagnes contre les organismes génétiquement modifiés (OGM), dont la source est principalement l'Europe, ont créé des obstacles importants au développement et à l'adoption des cultures génétiquement modifiées. Alors qu'elles imposent des coûts considérables sur les économies des pays sources, les politiques et pratiques résultant de ces campagnes affectent de façon disproportionnée les pays ayant le plus besoin d'une agriculture plus productive – en particulier les pays en développement de l'Afrique subsaharienne. L'Information Technology and Innovation Foundation (ITIF) estime que le climat restrictif actuel pour les innovations biotechnologiques agricoles pourrait coûter aux nations à revenu faible ou moyen-inférieur jusqu'à 1.500 milliards de dollars en avantages économiques perdus jusqu'en 2050. En bref, les militants anti-OGM ont érigé des obstacles importants au développement des pays les plus pauvres de la terre...
En 2014, les semences améliorées par la biotechnologie ont été cultivées par 16,5 millions de petits agriculteurs dans 20 pays en développement sur 93 millions d'hectares (53 pour cent du total mondial en OGM). Les petits exploitants de l'Inde et de la Chine ont bénéficié d'une augmentation de leurs revenus d'un montant de 16,7 milliards et 16,2 milliards de dollars, respectivement, ainsi que d'une réduction de 50 pour cent de l'utilisation de pesticides sur leurs cultures...
...La figure 1 montre clairement deux régions en retard dans leur adoption : l'Europe et l'Afrique. En effet, seuls 3 des 54 pays d'Afrique cultivent des plantes améliorées grâce aux biotechnologies...
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L'adoption des semences améliorées grâce aux biotechnologies par les agriculteurs dans les pays en développement a été entravée par deux facteurs principaux : la réglementation scientifiquement indéfendable limitant l'utilisation des OGM, et les contraintes à l'exportation, en grande partie imposées par l'Europe. La réglementation a été en grande partie le fruit des campagnes des ONG qui ont diabolisé les OGM, de la coopération (l'aide au développement) européenne et d'autres pressions visant à réduire l'utilisation des OGM, ainsi que des impacts de divers programmes des Nations Unies.
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Le moyen le plus important par lequel les forces européennes anti-OGM ont empêché l'utilisation des OGM dans les pays en développement, en particulier en Afrique, est l'utilisation généralisée des barrières commerciales non tarifaires pour les exportations d'OGM...
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Les nations européennes ont également utilisé les pressions informelles sur les pays africains pour écarter les OGM. Comme l'écrit Robert Parlberg, « les gouvernements européens ont utilisé leur APD (aide publique au développement) pour encourager les gouvernements africains à élaborer et à mettre en œuvre des réglementations de style européen, très axées sur la précaution, pour les OGM agricoles »... Il y a eu un deuxième canal d'influence externe pour convaincre les régulateurs africains à limiter les OGM : l'assistance technique multilatérale par le biais du Programme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE) et du Fonds pour l'Environnement Mondial (FEM) pour le développement des cadres nationaux de biosécurité...
Un troisième facteur de l'utilisation limitée des OGM en Afrique est la discorde politique fomentée par des groupes d'activistes qui continuent à contrecarrer les efforts africains en faveur de l'innovation agricole. Par exemple, Greenpeace International et les Amis de la Terre, tous deux basés en Europe, ont fait intensément campagne en Afrique contre les OGM agricoles...
... Il est difficile d'évaluer l'impact économique de ces pressions sur la productivité agricole en Afrique, mais certaines estimations peuvent être faites.
En 2013, les taux d'adoption moyens mondiaux des semences améliorées grâce à la biotechnologie étaient de 79 pour cent pour le soja, 32 pour cent pour le maïs, et 70 pour cent pour le cotonnier. Pour estimer les coûts d'opportunité supportés par les pays qui n'ont pas encore adopté les cultures biotechnologiques, nous avons calculé les gains qu'ils auraient réalisés s'ils avaient adopté les variétés biotechnologiques à partir de 2008 à des taux comparables à ceux des pays qui les ont adoptées. Ensuite, nous utilisons la moyenne mondiale d'une augmentation de rendement de 22 pour cent pour les cultures biotechnologiques, bien que ce chiffre représente une estimation prudente pour les pays en développement. En écartant les pays africains qui cultivent déjà des OGM (Afrique du Sud, Burkina Faso, Soudan), nous attribuons les taux d'adoption mondiaux de 2013 sur la production des autres pays africains pour le soja, le maïs et le cotonnier, tout en maintenant les prix constants :
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Les pays africains ont produit du coton pour une valeur d'environ 1,01 milliard de dollars. Si 70 pour cent avaient été produits avec des variétés améliorées grâce aux biotechnologies, les rendements plus élevés auraient augmenté la valeur de la récolte de 156 millions de dollars.
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Les pays africains ont produit du soja pour une valeur d'environ 482 millions de dollars. Si 79 pour cent avaient été produits avec des variétés améliorées grâce aux biotechnologies, la valeur totale aurait augmenté de 84 millions de dollars.
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Pour le maïs, les pays africains ont produit une récolte valant à peu près 10,6 milliards de dollars. Si 32 pour cent avaient été produits avec des variétés améliorées grâce aux biotechnologies, la valeur totale aurait augmenté de 744 millions de dollars.
Ces projections fournissent une estimation prudente fondée sur l'adoption des semences améliorées grâce aux biotechnologies, et conduisent à une augmentation globale de la valeur ajoutée brute du maïs, du cotonnier et du soja plantés en Afrique de 8 pour cent par rapport aux niveaux de 2013, ou d'un montant absolu de 984 millions de dollars.
La figure 2 projette la croissance de la valeur ajoutée au secteur agricole en Afrique grâce aux cultures biotechnologiques, en supposant un taux de croissance constant de l'adoption de semences biotechnologiques à partir de 2008, l'année où l'Égypte et le Burkina Faso ont approuvé le maïs et le cotonnier GM, respectivement.
La figure 3 fournit une illustration de l'impact que le développement et l'adoption des variétés améliorées grâce aux biotechnologies pour toutes les cultures auraient sur les économies agricoles de l'Afrique subsaharienne. Nous utilisons une estimation simple de croissance linéaire basée sur les taux de croissance actuels (le scénario de business as usual) ; une estimation de la croissance fondée sur les taux actuels de l'adoption des cultures améliorées grâce aux biotechnologies constatés sur toutes les autres espèces, soit une augmentation globale de 8 pour cent de la valeur brute de l'ensemble des productions végétales en 2050 ; et une estimation de croissance de 80 pour cent de l'adoption des biotechnologies sur toutes les cultures, ce qui conduit à une augmentation globale de 17,6 pour cent de la valeur brute à l'horizon 2050.
Une activité agricole saine dans ces pays apportera un coup de pouce au reste de l'économie nationale. Si tous les autres facteurs étaient constants, l'ITIF estime que l'interdiction des innovations biotechnologiques en agriculture a coûté au moins 2,5 milliards de dollars entre 2008 et 2013 aux seules économies agricoles africaines ; et comme illustré sur la figure 3 (par la surface entre la ligne continue grise et le traitillé bleu de 2015 à 2050), elle coûtera jusqu'à 1.500 milliards de dollars entre 2015 et 2050 en valeur agricole sacrifiée aux pays à revenu faible et moyen-faible dans le monde entier...
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* Ceci est une version condensée d'un rapport publié par l'Information Technology and Innovation Foundation (ITIF). L'ITIF est un institut de recherche et de formation à but non lucratif et sans attaches partisanes qui met l'accent sur l'intersection entre l'innovation technologique et les politiques publiques. Une version pdf du rapport complet est disponible ici : Suppressing Growth: How GMO Opposition Hurts Developing Nations.