Un témoignage des Philippines
La décision de la Cour Suprême des Philippines montre la vulnérabilité des agriculteurs, mais offre aussi des espoirs quand ils se lèvent et s'expriment
Rosalie Ellasus*
Les juges nous ont presque pris notre nourriture et nos fermes.
La fin de campagne approche ici aux Philippines et, une fois de plus, nous sommes confrontés aux défis habituels des parasites, des mauvaises herbes et de la météo.
Mais nous ne nous attendions pas à une attaque surprise du plus haut tribunal de notre pays**.
La bonne nouvelle, c'est que nous avons évité, semble-t-il, une grande menace pour notre sécurité alimentaire. Le gouvernement vient d'adopter de nouvelles règles sur les aliments génétiquement modifiés qui permettront aux agriculteurs comme moi de continuer à mettre en œuvre nos pratiques éprouvées.
Tout était possible après la décision de la Cour Suprême en décembre ordonnant l'arrêt de la délivrance de nouveaux permis pour la plantation et l'importation d'OGM – et la bagarre me préoccupe s'agissant de l'avenir des OGM non seulement aux Philippines, mais également dans d'autres pays en développement.
Je sème du maïs GM depuis plus d'une douzaine d'années, depuis que notre gouvernement a approuvé sa commercialisation en 2003. Cette excellente culture a transformé ma vie. Protégés contre certains parasites, mes rendements ont augmenté, ce qui m'a permis de vendre plus de nourriture. La qualité de mon maïs s'est améliorée, j'ai donc eu de meilleurs prix et pu satisfaire plus de clients. Mon utilisation de pesticides a baissé, ce qui m'a aidé à éviter certains des risques pour la santé associés à l'agriculture à l'ancienne.
Ma qualité de vie a également augmenté. Bien que je me sois subitement retrouvée veuve, j'ai pu envoyer mes fils à l'université. Je n'aurais pas pu le faire sans l'introduction d'OGM dans l'agriculture.
Je suis aussi devenue une promotrice de cette technologie. Je suis allée partout dans mon pays, et j'ai voyagé dans le monde entier, pour décrive les avantages des OGM tant pour les agriculteurs que pour les consommateurs, et pour parler de mon expérience personnelle.
Les gens qui ne sont pas familiers avec les OGM posent souvent des questions sur leur sécurité. Je leur dis en pleine confiance que la science moderne a montré que les OGM sont entièrement sûrs. Mon expérience personnelle tirée de leur culture révèle la même chose.
Les OGM n'ont eu qu'un seul effet néfaste : les mensonges de groupes comme Greenpeace, sous l'emprise d'une ferveur fondée sur l'étroitesse d'esprit.
Si ces militants devaient passer un temps conséquent sur les exploitations agricoles dans les pays en développement, chez des agriculteurs qui luttent pour gagner leur vie dans des endroits où ils ne peuvent pas considérer leur prochain repas comme acquis, peut-être ouvriraient-ils leurs yeux sur les avantages des OGM. Ces cultures ont amélioré notre sécurité alimentaire, notre santé, notre environnement et notre économie.
Pourtant, Greenpeace ne se soucie pas de tout cela – et sa plainte en justice contre les OGM a trouvé une écoute parmi les juges de la Cour Suprême à Manille. Avec son arrêt anti-OGM, le tribunal a jeté nos fermes dans le désarroi.
La décision m'a rendue anxieuse et furieuse – anxieuse parce que je craignais pour la sécurité alimentaire de mon pays, et furieuse parce que le tribunal a témoigné d'un manque de compréhension de ce que la science nous dit au sujet des OGM, ainsi que d'un manque d'égards pour la façon dont les agriculteurs se battent pour gagner leur vie et nourrir le monde.
Les nouvelles règles du gouvernement en matière de transparence, adoptée en mars, semblent avoir convaincu la Cour pour l'instant. Pourtant, Greenpeace ne cherche pas la simple transparence. Il veut éliminer les OGM, quelles que soient les conséquences, et il a annoncé d'autres plaintes.
De nombreux pays en développement se sont tournés vers les Philippines pour le leadership sur les OGM ; ils voient dans notre réglementation un modèle potentiel. Lors d'une visite récente au Bangladesh, j'ai été informée sur les efforts de commercialisation du brinjal GM (connu comme talong aux Philippines et aubergine en France). J'ai aussi pu constater que l'expérience positive des Philippins avec le maïs GM y a encouragé les partisans de cette culture prometteuse.
Maintenant, le monde a été témoin de notre vulnérabilité. Si des opposants en colère introduisent une action en justice et obtiennent que quelques juges penchent en leur faveur, ils peuvent mettre en danger une technique sûre et établie de la production alimentaire, sans égards pour ce que cela signifie pour la subsistance des agriculteurs et la disponibilité des aliments pour les consommateurs.
Voilà la pessimiste en moi – mais je préfère l'espoir au désespoir.
Donc, l'optimiste en moi pense que, peut-être, quelque chose de bon sortira de cette tourmente. Nous avons manifesté en opposition à la supercherie de Greenpeace et à la décision de la Cour – et, à la fin, notre gouvernement nous a entendus. Ainsi, peut-être, aurons-nous instruits des gens sur l'importance des OGM et serons-nous plus à l'aise avec eux.
Nous allons continuer à planter des OGM – et nous résisterons à tous ceux qui tenterons de nous en empêcher.
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* Agricultrice, San Jacinto, Philppines
Rosalie Ellasus est une agricultrice de première génération. Elle cultive du maïs et du riz à San Jacinto, aux Philippines. Rosalie met son exploitation à disposition comme ferme pilote pour la vulgarisation auprès des petits agriculteurs. Elle est actuellement Présidente de la Fédération Philippine du Maïs et est membre du Truth About Trade & Technology Global Farmer Network (réseau mondial d'agriculteurs pour la vérité sur le commerce et la technologie).
Plus sur Youtube.
Traduit et publié – avec le plus grand plaisir – avec l'aimable autorisation de Global Farmer Network.
Mme Ellasus devant une parcelle de Riz Doré -- Les supplétifs de Greenpeace dans (ce qui est encore) une parcelle de Riz Doré
** [Ma note] Le 8 décembre 2015, la Cour Suprême a ordonné l'arrêt permanent des essais en culture de l'aubergine Bt qui ont été contestés et prononcé la nullité de l'Ordonnance administrative du Département de l'Agriculture No 8. Selon elle, l'Ordonnance ne répondait pas aux exigences minimales de sécurité inscrite dans le Décret présidentiel No 514 établissant le Cadre National de Biosécurité. Elle lui a reproché l'absence dedispositions permettant une consultation réelle, participative et transparente du public avant les essais en culture, et ne contenait pas de mécanisme imposant le respect des normes internationales de biosécurité aux demandeurs souhaitant importer ou disséminer des OGM.
La Cour a également interdit au gouvernement d'accepter des demandes d'essais en culture, de multiplication et d'importation d'OGM tant qu'une nouvelle ordonnance ne serait pas publiée.
La Cour a fait usage du « principe de précaution ». Ayant examiné la littérature scientifique et entendu des experts témoins, elle a conclu qu'« en résumé, la recherche scientifique actuelle indique que l'industrie des biotech ne s'est pas suffisamment intéressée aux incertitudes planant sur la sécurité des aliments et cultures OGM ».
« Lorsque ces caractéristiques – l'incertitude, la possibilité de dommages irréversibles, et la possibilité d'un dommage grave – coïncident, le cas pour le principe de précaution est le plus fort. En cas de doute, les cas doivent être résolus en faveur du droit constitutionnel à un environnement sain et équilibré. »
Nous ajouterons aussi, pour notre part, que la « science poubelle » (33 occurrences pour un certain nom...) a eu son jour au prétoire.
L'arrêt est ici (104 pages), avec une opinion séparée ici, et un résumé ici.
Addition du 30 août 2016
La Cour Suprême a accepté de revoir son arrêt et l'a invalidé le 26 juillet 2016 :
http://sc.judiciary.gov.ph/pdf/web/viewer.html?file=/jurisprudence/2016/july2016/209271.pdf
http://sc.judiciary.gov.ph/pdf/web/viewer.html?file=/jurisprudence/2016/july2016/209271_leonen.pdf