La choquante empreinte carbone du compost
Steve Savage*
Retourneur d'andain de compostage
La plupart des gens pensent que le compostage est très « écologique », mais peu se rendent compte qu'il produit en fait une quantité importante de puissants gaz à effet de serre (GES), du méthane et de l'oxyde nitreux. Les règlements actuels sur l'enfouissement des déchets [aux États-Unis d'Amérique] exigent de limiter les arrivées d'eau pour minimiser la décomposition de la matière organique et de capturer et brûler le méthane ; il en résulte que même cette option a un meilleur bilan carbone que le compostage (merci à Fred Krieger d'avoir attiré mon attention sur cette avancée dans le domaine de la mise en décharge). Une solution encore meilleure est la digestion anaérobie que je décrirai à la fin de cet article.
Ces émissions ne sont pas une surprise sur le plan scientifique
Pour un microbiologiste, il est peu surprenant que ces gaz soient produits au cours du compostage. Le méthane et l'oxyde nitreux sont formés par certains microbes quand il n'y a pas suffisamment d'oxygène disponible (en conditions anaérobies). Au milieu d'un grand tas de compost, il y a des micro-sites sans oxygène. Cela se produit même dans un tas fréquemment retourné pour l'aération. C'est particulièrement vrai lors de la phase « chaude » du processus de compostage qui tue les pathogènes et les graines de mauvaises herbes. Au cours de la période de très forte demande d'oxygène, certaines parties de la pile en manquent et les organismes anaérobies produiront le méthane et l'oxyde nitreux.
Un exemple
Attention : "Mton" = tonne métrique
Le graphique ci-dessus est fondé sur une étude typique des émissions de GES au cours du compostage (Hao et al. 2001). Il porte sur un compostage actif de fumier de bovins – une technique commune dans laquelle le tas est aéré en le retournant souvent avec un tracteur (ses émissions de CO2 issu du combustible fossile sont indiquées en vert ci-dessus).
La première colonne représente la quantité de carbone et d'azote émis sous diverses formes par tonne métrique (t) de fumier. Nous ne pouvons pas voir les 0,19 kg d'azote sous forme d'oxyde nitreux à cette échelle. Le méthane se monte à 8,1 kg de C et le carburant à 4,4 kg de C.
La deuxième colonne montre la contribution nette des émissions à l'augmentation de l'effet de serre dans l'atmosphère. Le dioxyde de carbone issu de la matière organique est « neutre en carbone », car il a été extrait récemment de l'atmosphère par des plantes – donc aucune contribution nette de GES. Le méthane et l'oxyde nitreux sont multipliés par 21 et 310, respectivement, en raison de leur potentiel de forçage radiatif.
La troisième colonne montre la contribution de GES par tonne de compost fini (après 21% de perte de masse – essentiellement sous forme d'eau). L'« empreinte carbone » totale du compost est maintenant de 233,4 kg CO2-C/tonne. Pour ceux qui sont plus familiers avec les unités anglaises et l'expression sous forme de CO2, ce serait 2.167 livres de CO2/ton.
Combien de compost utilise-t-on généralement ?
Lorsqu'on utilise du compost en agriculture, il est normalement appliqué en grandes quantités. Selon les études de coûts/bénéfices de l'Université de Californie, Davis, une culture biologique typique recevrait entre 4,5 et 22,4 tonnes de compost par hectare. Ainsi, une utilisation moyenne de 11,2 t/ha (5 tons/acre) représenterait une empreinte carbone de 12.142 kilogrammes (équivalents CO2). Ceci sans inclure l'empreinte du carburant utilisé pour le transport du compost sur le terrain et son épandage.
Que représente cette empreinte carbone ?
Pour mettre cela en perspective, l'empreinte carbone de cette quantité de compost utilisé sur un hectare de culture serait égale aux empreintes carbone décrites ci-dessous :
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L'empreinte carbone de la production de 2.891 kilogrammes d'engrais azoté de synthèse sous forme d'urée (à 4,2 kg CO2/kg urée)
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L'« empreinte carbone déployée » de cette urée sous la forme de la fertilisation de 14,45 hectares de maïs à 200 kg urée/ha
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L'empreinte carbone totale de la production de 5,7 hectares de maïs conventionnel (y compris les engrais, les produits de protection des cultures, les semences, le carburant, les émissions d'oxyde nitreux provenant du sol...)
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L'empreinte carbone d'une voiture typique roulant 55.600 kilomètres (à 9,4 litres/kiolomètre) – ou 74.660 km à 7 littres/100 km.
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L'empreinte carbone totale de la production de 1104 kilogrammes de bœuf
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L'empreinte carbone de la production, de la manutention et du transport de 10.806 kilogrammes de bananes du Costa Rica vers l'Allemagne.
En d'autres termes, l'empreinte carbone du compost appliqué est étonnamment grande. Ce n'est certainement pas une pratique qu'on voudrait voir utilisée sur une grande échelle.
Les déchets, c'est terrible de les gaspiller
Pourquoi parler de cela ? Parce qu'il y a moyen de mieux valoriser les fumiers et autres déchets organiques. Lorsque les déchets sont traités dans un digesteur anaérobie (méthaniseur), la majeure partie du carbone est intentionnellement convertie en méthane, et celui-ci est brûlé comme une forme d'énergie renouvelable. Les émissions sont neutres en carbone et l'énergie produite compense l'utilisation du carbone fossile. Comme pour le compost, le digestat peut être utilisé pour l'amélioration des sols et d'autres utilisations.
Les digesteurs anaérobies nécessitent un investissement en capital important et ne sont pas faciles à faire fonctionner, mais ils sont clairement la meilleure solution pour traiter la plupart des flux de déchets organiques. Ils se rentabilisent aussi avec le temps. Les installations municipales modernes de traitement des eaux usées ont de plus en plus recours à ces digesteurs, tout comme certaines grandes laiteries et les parcs d'engraissement d'animaux (CAFOs (confined animal feed operations)).
Le plus grand processeur d'oignons en Californie (Gills Onions) a installé un digesteur pour traiter son flux important de déchets. Gills a éliminé une odeur incommodante et résolu la question délicate des déchets ; ils produisent désormais une grande partie de leurs besoins en énergie, et ils sont en meilleure situation financière après avoir amorti l'investissement initial. C'est là un bel exemple du fait que « faire la bonne chose » sous l'angle des gaz à effet de serre peut aussi être une bonne option économique.
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Références sur les émissions de GES au cours du compostage :
•Hao, X., Chang, C., Larney, J., Travis, G. 2001. Greenhouse gas emissions during cattle feedlot manure composting. Journal of Environmental Quality 30:376-386.
•Osada, T., Kuroda, K., Yonaga, M. 2000 Determination of nitrous oxide, methane, and ammonia emissions from swine waste composting process. Journal of material cycles and waste management 1:51-56
•Hellebrand, H.1998. Emission of nitrous oxide and other trace gases during composting of grass and green waste. Agric. Engng Res. 69:365-375
•Sommer, S., Holler, H.2000. Emission of greenhouse gases during composting of deep litter from pig production – effect of straw content. The Journal of Agricultural Science 134_327-335
•Hao, X., Chang, C., Larney, F. 2004. Carbon, nitrogen balances and greenhouse gas emission during cattle feedlot manure composting. Journal of Environmental Quality 33:37-44
•Jackel, U., Thummes, K, Kampfer, P. 2005. Thermophilic methane production and oxidation in compost. FEMS Microbiology Ecology 52:175-184. (looking for microbes which might help reduce the methane emissions from composting)
•Hellmann, B., Zelles, L., Palojarvi,A, Bai, Q. 1997. Emission of climate-relevant trace gases and succession of microbial communities during open-windrow composting. Applied and Environmental Microbiol63:1011-1018
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* Steve Savage est un scientifique agricole (phytopathologie) qui a travaillé pour la Colorado State University, DuPont (développement de fongicides), Mycogen (développement de solutions de biocontrôle), et a exercé ces 13 dernières années l'activité de consultant indépendant. Son site blogging est Applied Mythology. Vous pouvez le suivre sur Twitter@grapedoc.
Source : http://appliedmythology.blogspot.fr/2013/01/the-shocking-carbon-footprint-of-compost.html