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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

« Hors de question ! » – quand un leader d'opinion européen CRISPR ses collègues

24 Avril 2016 , Rédigé par Seppi Publié dans #Ludger Wess, #Activisme, #amélioration des plantes, #Agriculture biologique

« Hors de question  ! » – quand un leader d'opinion européen CRISPR ses collègues

 

Ludger Weß*

 

 

Les activistes européens opposés à toutes les formes de la génétique moderne ont perdu un nouveau transfuge. L'hérétique n'est autre qu'Urs Niggli, directeur depuis plus de 25 ans de l'Institut de recherche de l'agriculture biologique, basé en Suisse (Forschungsinstitut für biologischen Landbau, FiBL). Le FiBL est l'un des principaux centres d'information et de recherche sur l'agriculture biologique du monde ; il est situé en Suisse, avec des filiales en Allemagne et en Autriche. Il est internationalement respecté pour ses travaux de recherche dans la communauté de l'agriculture biologique et au-delà. Alors que le FiBL a été parmi les premiers à s'exprimer de manière critique sur le génie génétique dans le passé (il revendique la responsabilité du moratoire sur les OGM en Suisse), son directeur vient d'adopter une vision plus équilibrée. Mais quand il s'est exprimé dans une interview dans le journal de langue allemande Die Tageszeitung, taz, dans l'édition du 6 avril 2016, Niggli a été traîné dans la boue par des ONG et des lobbies de l'agriculture biologique. À l'heure actuelle, il ne parle plus aux médias.

 

 

Urs Niggli

 

 

Le crime impardonnable de Niggli : il a parlé de manière positive sur CRISPR/cas, en violation du dogme central du mouvement européen de l'agriculture biologique qui veut que toutes les technologies développées par la génétique moderne ne sont pas naturelles et foncièrement mauvaises. CRISPR/cas – une méthode nouvelle, simple et très élégante pour des interventions bien ciblées dans le génome – est un processus naturel découvert dans les bactéries. Il n'est pas plus contre nature que le clonage et le greffage populaires parmi les sélectionneurs depuis la Grèce antique (et probablement avant) et peut être déployé de manière similaire à ces techniques, et de manière économique et facile ; mais pour les ONG et les lobbies du bio anti-OGM, ce processus naturel est considéré comme encore plus dangereux que le génie génétique traditionnel dans la mesure où il peut être appliqué sans laisser de traces.

 

En Europe, l'UE est sur le point de se prononcer sur la façon de traiter CRISP/cas, et le lobby anti-OGM est fortement impliqué dans une campagne contre toute réglementation qui permettrait aux sélectionneurs d'utiliser la technologie et aux entreprises de mettre sur le marché des plantes issues de CRISPR/cas. Pour créer une nouvelle peur, d'un niveau supérieur, les lobbyistes ont inventé le terme « génie génétique extrême ».

 

Comme les ciseaux de cette image, l'enzyme Cas-9 coupe l'ADN et peut être programmée pour le faire en un point précis.

 

Ils savent très bien que toute différenciation entre les technologies permettant d'intervenir sur le génome va détruire leur récit de « naturel » c. « contre nature ». Fait intéressant, lorsque les défenseurs du génie génétique ont informé le public sur les technologies utilisant des substances chimiques ou des rayonnements et appliquées en amélioration des plantes classique – et même pour l'agriculture biologique –, les sélectionneurs travaillant pour le bio ont annoncé qu'ils allaient également abandonner ces technologies et en rester aux mutations « naturelles » (ce qui ne les empêche pas d'utiliser les outils de la génétique moléculaire pour le criblage des traits modifiés).

 

C'est dans ce contexte que s'est exprimé Urs Niggli, une autorité respectée et un leader d'opinion dans le mouvement de l'agriculture biologique. De toute évidence, il ne veut pas rejeter une technologie qui, comme il le dit dans son interview, a un « grand potentiel », même pour les sélectionneurs et les agriculteurs bio. Il a dit que se passer de cette technologie pourrait signifier à long terme que les agriculteurs conventionnels disposeront d'une pomme de terre résistante aux parasites et maladies, qui pourra pousser entièrement sans pesticides, alors que les agriculteurs bio auraient encore à appliquer des sels de cuivre ou d'autres pesticides autorisés par les normes du bio – une situation insupportable dans son esprit. Il a ajouté que la technologie CRISPR/cas était tout à fait différente des technologies de génie génétique traditionnelles et qu'elle supprimerait un certain nombre de préoccupations soulevées par les techniques plus anciennes. Au lieu de rejeter CRISPR/cas par principe, il conviendrait d'examiner chaque application particulière. « Aujourd'hui déjà, je peux citer des applications utiles », a-t-il dit, en mentionnant les résistances à des maladies comme exemples. « On pourrait désactiver des gènes de susceptibilité à des maladies ou introduire des gènes de résistance de parents sauvages dans les cultivars modernes. Ce sont des propriétés qui ont été largement perdues dans la sélection pour le rendement et la qualité au cours des cent dernières années. Cela nous permettrait de nous passer de grandes quantités de pesticides ».

 

Dans l'agriculture biologique, le mildiou est un problème pour les pommes de terre, la vigne et le houblon, a-t-il dit, ajoutant que le cuivre utilisé dans l'agriculture biologique pour lutter contre cette maladie fongique était également un problème, car le cuivre empoisonne le sol. Avec les techniques de sélection classiques, il faudrait 30, 40 années de travail, et dépenser des sommes d'argent considérables, sans aucune garantie que l'agent pathogène reste inchangé durant tout ce temps.

 

Comme autre avantage, il a mentionné le faible coût de la technologie, par opposition aux énormes sommes d'argent nécessaires au génie génétique classique. « CRISPR/cas peut être utilisé même par de petits sélectionneurs : techniquement, c'est extrêmement facile et chaque application coûte environ 50-60 euros », a-t-il dit, ajoutant que CRISPR/cas est une « méthode démocratique », contrairement aux anciennes qui n'étaient abordables que pour les grandes entreprises.

 

Les plantes produites par CRISPR/cas ne devraient pas être réglementées et étiquetées comme des OGM car la technologie est beaucoup moins risquée que le génie génétique classique. La réglementation devrait être moins complexe, plus rapide et moins chère. Étiqueter ces plantes comme des OGM serait « contre-productif ».

 

À la question de savoir si la technologie poserait des risques inconnus, par exemple des changements involontaires et non détectés dans le génome, pouvant donner lieu à des allergies et d'autres problèmes de santé ou avoir des conséquences environnementales, il a répondu sans ambages : « Ça, vous ne le savez pas non plus avec la sélection traditionnelle », en donnant des exemples de programmes de sélection classique ayant conduit à des produits avec un potentiel allergène accru. « Je pense qu'une stratégie de risque zéro est donquichottesque. »

 

 

Les réactions ont commencé à affluer dès le lendemain. Les lobbies du bio, petits et grands, ont exprimé leur dégoût dans des interviews et des communiqués de presse, rejetant les affirmations d'un Niggli qui, selon eux, faisait une grande faveur au lobby des OGM. Saat:gut e.V., une association de producteurs de semences bio, a écrit une lettre ouverte au FiBL, affirmant que ses membres étaient « pleins d'indignation » devant le fait que Niggli ait « discrédité les efforts communs des associations de producteurs, de transformateurs et de consommateurs ». Il a « snobé la confiance de nos clients et semé les graines du doute sur notre attitude à l'égard du génie génétique ». Les signataires s'élevaient « avec véhémence contre l'implication que la sélection végétale écologique est longue, ardue et pas abordable (trop coûteuse) ». Un « point particulièrement déplorable » a été que Niggli a « adopté des arguments utilisés par le lobby des OGM ». Les pétitionnaires ont demandé au Conseil d'administration suisse et au directoire allemand du FiBl d'« obliger tous les employés » à rester en conformité avec les objectifs et le contenu de l'agriculture biologique.

 

Dans une autre lettre ouverte, le pomologue allemand Hans-Joachim Bannier, un défenseur de l'agriculture biologique, a accusé Niggli d'être devenu une « victime de la fascination pour les techniques manipulatives d'amélioration des plantes et leurs succès temporaires ». Il demande à Niggli de démissionner et de prendre un poste où il pourrait « mieux poursuivre sa nouvelle mission ».

 

Heike Moldenhauer, qui a étudié la philosophie et la langue et la littérature allemande avant de devenir conférencière sur le génie génétique et le TTIP à BUND/Amis de la Terre Allemagne, une ONG influente avec près d'un demi-million de membres et sympathisants, a déclaré dans une interview, que Niggli avait « poignardé le mouvement dans le dos ». Elle a ajouté que Niggli n'a pas agi dans le cadre du mouvement auquel il appartenait, mais à titre individuel. On aurait tort de croire en la « science pure », parce que la science pure, ça n'existe pas.

 

Pour Christoph Then, un vétérinaire qui vit de son groupe de lobbying Testbiotech, une petite initiative fondée et financée par des lobbies des associations du commerce et de l'industrie du bio, les déclarations de Niggli ressemblaient davantage à « la propagande des partisans du génie génétique ». Il a fait remarquer que Niggli était un membre du conseil d'administration de l'Institut Max Planck pour la recherche en amélioration des plantes : « Ces réseaux devraient être examinés de plus près », a-t-il dit.

 

Tout compte fait, ces réactions ne sont pas de celles que l'on trouverait dans un discours rationnel, mais des réactions communes dans les cultes et les religions : les hérétiques doivent abjurer ou être punis et expulsés, et leurs pensées déviantes ne peuvent être expliquées que par la tentation, soit par le diable, soit par la science pure, soit encore par big ag.

 

_________________

 

* Ludger Weß (Wess) a étudié la biologie et la chimie et a travaillé en tant que biologiste moléculaire à l'Université de Brême avant d'entamer une activité de journaliste scientifique. Il écrit régulièrement depuis les années 1980 sur les aspects scientifiques, économiques, historiques, juridiques et éthiques des sciences et des technologies, principalement sur le génie génétique et les biotechnologies. Ses articles ont paru dans Stern, die Woche et le Financial Times Deutschland ainsi que dans des revues spécialisées internationales. Il a publié un ouvrage sur les débuts de la recherche génétique, die Träume der Genetik (les rêves de la génétique), avec une 2e édition en 1998.

 

En 2006, il a été un des co-fondateurs de akampion, qui conseille les entreprises innovantes dans leur communication. Ludger Weß a un doctorat en histoire des sciences et est membre de la National Association of Science Writers états-unienne  ; il vit à Hambourg.

 

Vous pouvez le suivre sur https://twitter.com/ludgerwess

 

Source : http://ludgerwess.com/organic-crispr/

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