Diméthoate : la saga continue
Nous avons vu dans « Diméthoate : folle embardée en vue ? » que la France avait saisi la Commission européenne en urgence pour faire interdire l'usage du diméthoate sur les fruits et légumes ainsi que la mise sur le marché de cerises provenant de pays tiers ou d’États membres dans lesquels cet usage serait permis. Tout cela sur fond de protection des producteurs français contre une distorsion de concurrence, avec un camouflage partiel, grossier, derrière une protection alléguée de la santé des consommateurs.
La Commission a soumis la question à deux sections du Comité permanent des plantes, des animaux et de l'alimentation humaine et animale qui se sont réunies les 14 et 15 avril 2016. La patate chaude a donc été refilée, astucieusement, aux États membres.
Le Ministère de l'Agriculture, etc. a publié un communiqué de presse le 15 avril 2016 au soir : « Lutte contre Drosophila Suzukii de la cerise : la France, l’Italie et l’Espagne n’autoriseront pas le diméthoate ». Cela sonne bien, comme un cri de victoire même. Mais cela signifie, par implication, que la France n'a pas obtenu ce qu'elle – M. Le Foll – voulait. Les autres États membres n'ont pas été convaincus par son ramdam sur la santé.
« Au terme de l’échange au sein du comité européen de protection de la santé des végétaux, la France a confirmé aujourd’hui qu’elle ne délivrerait aucune dérogation pour l’utilisation du diméthoate pour protéger les cerises, tout comme l’ont également annoncé l’Italie et l’Espagne. »
Voilà une confirmation qui engage encore plus le ministre Le Foll dans la voie sans issue. Quant aux annonces, elles n'engagent que ceux qui les écoutent. Et on peut avoir de sérieux doutes. À en croire M. Luc Barbier, président de la Fédération Nationale des Producteurs de Fruits, la France et l'Italie seraient les deux seuls pays européens à interdire totalement les cerises de vergers traitées au diméthoate sur leurs territoires...
Mais :
« Stéphane Le Foll a indiqué qu’il utiliserait par ailleurs une clause de sauvegarde nationale pour interdire la commercialisation en France de cerises provenant de pays utilisant le diméthoate. »
Ce serait donc – si les mots ont un sens – une fermeture totale des frontières à certaines origines. La France importe la moitié de sa consommation, soit 50.000 tonnes annuelles selon le Figaro. Nous en exportions aussi pour 14 millions d'euros. Il y aura des perturbations sur les marchés.
Et enfin :
« Une délégation des représentants des producteurs de cerises sera reçue dès mardi au Ministère pour arrêter la stratégie de production pour cette campagne, en particulier les mesures concrètes de protection des cerises. »
Sur ce point également on peut être songeur : la stratégie de production et de protection phytosanitaire des producteurs – maîtres chez eux – s'arrêterait au ministère ?
Ah la Conf...
Mais en matière de surréalisme, le pompon est certainement décroché par la Confédération paysanne et son communiqué « Diméthoate : Décisions courageuses pour les producteurs de cerise ». Par exemple :
« Elle permettra également, espérons-le, de rassurer les consommateurs auprès de qui l'image de la cerise a été gravement détériorée ces dernières semaines par le battage autour de la demande de dérogation à cette interdiction formulée par une partie de la profession. »
L'image de la cerise détériorée ? Première nouvelle. Un battage autour d'une demande de dérogation ? Où donc ? Une partie de la profession ? Des noms ! Et, de toute manière, un joli résultat, si c'était vrai, pour un produit qui sera inabordable pour les masses populaires.
Mais c'est que :
« On constate qu'une volonté politique ferme peut entraîner d'autres volontés dans le sens de l'intérêt général, malgré les pressions exercées par ailleurs, et le poids des dogmes libéraux. »
Moyennant quoi,
« Ces décisions doivent s'accompagner de mesures de soutien accessibles à tous les producteurs de cerises touchés par Drosophila Suzukii, sans exclure les petits producteurs, qui assurent l'essentiel de la production française. »
Il y a aussi :
« Il est désormais indispensable d'aller au bout de la démarche en enclenchant une réflexion sur les moyens de soutenir les alternatives au diméthoate et de pérenniser des productions relocalisées. »
On ferme donc les frontières – à certaines productions seulement – malgré les « pressions » et les « dogmes », on subventionne et – ô miracle – les productions sont « relocalisées »...
Encore faut-il que la production soit possible, matériellement et économiquement. Nous avons déjà des éléments fournis au Figaro par M. Emmanuel Aze, arboriculteur et membre de la Conf' :
« D'autres molécules chimiques peuvent être utilisées, comme les spinosines ou le cyantraniliprole, mais "elles sont 8 à 10 fois plus chères que le diméthoate et peu efficaces étant donné la rapidité de reproduction du moucheron" [...]. Autre parade: les filets anti-insectes mais là encore cette solution est trop élevée: 20 à 30.000 euros par hectare. »
Résumons
On décide dans un grand élan de chimiophobie et de démagogie (et d'antilibéralisme pour la Conf'), on subventionne (enfin c'est le souhait de la Conf'), et on réfléchit à comment réparer les erreurs.
Il y a dans la presse des annonces selon lesquelles les cerises vont coûter 50 euros le kilo. C'est sans nul doute très alarmiste. Mais ce gouvernement de gauche aura peut-être réussi l'exploit de réserver les cerises aux bobos au porte-monnaie garni.
Mais il y a une autre question qui n'est pas – encore – abordée. À supposer que les mesures de substitution ne seront pas efficaces, ces moucherons qui se seront allègrement multipliés dans les cerises... quelle prochaine cible ?
Drosophila suzukii sur une baie de raisin