Pourquoi un scientifique choisit les produits conventionnels et non biologiques
Steve Savage*
Je n'achète pas de produits biologiques. En fait, j'évite de le faire. Il ne m'appartient pas de dire à quiconque ce qu'il doit faire, mais je voudrais exposer trois facteurs, examinés avec soin, qui ont façonné ma position personnelle sur le bio :
1. La confiance acquise d'expérience que nous pouvons acheter sans craintes des produits « conventionnels » ;
2. La reconnaissance du fait que certaines des meilleures pratiques agricoles du point de vue environnemental ne sont pas toujours autorisées ou pratiquées en vertu des règles de l'agriculture biologique ;
3. Le problème éthique des tactiques que certains promoteurs et acteurs du bio emploient pour dénigrer leur concurrence « conventionnelle ».
Pendant les 40 dernières années, mon épouse et moi avons partagé les courses et la cuisine pour nos repas, pris la plupart du temps à domicile. Nous avons toujours eu un jardin, mais nous achetons aussi une grande partie de notre alimentation riche en fruits et légumes dans les magasins. Quand je dis que je n'achète pas bio, cela implique des décisions fréquentes.
De délicieuses poires asiatiques conventionnelles
De tous les points de vue, je devrais être un promoteur et consommateur enthousiaste de bio. Je suis un enfant de la génération influencée par « Printemps silencieux ». J'ai été un membre cotisant de la Wilderness Society à l'école secondaire. J'ai grandi en aidant mon grand-père bien-aimé dans son jardin biologique dans les années 1960. Certains de nos meilleurs amis de la fin des années 1970 ont été des pionniers du développement du secteur commercial du bio. J'ai passé une partie importante de ma carrière à mettre au point des pesticides biologiques et à base de produits naturels, qui sont utilisables en agriculture biologique. Je suis pleinement conscient de la contribution que le mouvement du bio a apportée au début du 20e siècle, quand il a souligné l'importance de la santé du sol. Mes problèmes avec le bio institutionnel ne concernent pas du tout ses idéaux fondateurs ou les agriculteurs biologiques, mais plutôt les limites auto-imposées du bio et l'éthique d'un sous-ensemble de ses promoteurs.
L'USDA, qui supervise les aliments étiquetés « certifié bio », affirme très clairement sur son site à propos de son rôle dans le bio : « Nos règlements ne traitent pas de la sécurité alimentaire et de la nutrition ». Les aliments étiquetés « certifié bio » doivent se conformer à certaines règles, mais ne sont pas dotés de caractéristiques nutritionnelles ou de sécurité particulières. Cependant, de nombreux consommateurs pensent que l'étiquette bio signifie que les produits sont meilleurs du point de vue nutritionnel et sont plus sûrs, en particulier en ce qui concerne les résidus de pesticides. Ce n'est pas vrai. Des études ont montré qu'il n'y avait aucune différence appréciable du point de vue nutritionnel entre les cultures bio et conventionnelles.
S'agissant de la question de la sécurité, quand la plupart des gens entendent le mot « pesticide », ils imaginent quelque chose d'effrayant en termes de toxicité pour l'homme et l'environnement. La réalité est que l'agriculture moderne utilise une suite intégrée de mesures de contrôle qui ne font pas appel aux pesticides et que les pesticides utilisés aujourd'hui sont pour la plupart relativement non toxiques pour les humains. Les agriculteurs biologiques ont aussi recours à des pesticides et les produits qu'ils sont autorisés à utiliser sont, à quelques exceptions près, astreints à l'obligation de pouvoir être considérés comme « naturels ». Ce n'est pas une norme de sécurité puisque parmi les produits chimiques les plus toxiques connus, beaucoup sont « naturels ». Comme tous les pesticides, ces options naturelles sont soumises au contrôle de l'EPA, et donc les pesticides que les agriculteurs biologiques sont autorisés à utiliser sont « sans danger lorsqu'ils sont utilisés conformément aux indications figurant sur l'étiquette », ce qui est aussi la norme pour les pesticides de synthèse autorisés sur les cultures conventionnelles. En ce qui concerne les résidus de pesticides dans notre alimentation, il y a un programme de contrôles de l'USDA qui démontre année après année que les résidus de pesticides dans les produits biologiques et conventionnels sont à des niveaux tellement bas qu'il n'y a pas lieu de s'inquiéter [ma note : en Europe, l'EFSA publie des rapports qui sont des compilations des données recueillies par les instances nationales de contrôle. Leur conclusion est la même]bien . J'achète en toute confiance des produits non biologiques sur la base de ces données publiques qui démontrent que notre système fonctionne et que nous sommes des consommateurs bien protégés.
Lapetite-fille de M.Savage appréciant les framboises « conventionnelles » (oui, elle les a mangées après)
Ce que démontrent les données de l'USDA, c'est que le mouvement environnemental n'a pas été un échec – il a provoqué un réel changement au cours des cinq dernières décennies ! Nous n'avons pas un approvisionnement alimentaire à deux vitesses en termes de sécurité, dans lequel seuls ceux qui peuvent payer le surcoût peuvent obtenir de la nourriture en toute sécurité. Je crois aussi que le consensus scientifique mondial est que les aliments « GM » sont sûrs, et donc que je ne dois pas acheter bio pour les éviter.
Je me suis toujours préoccupé de l'impact humain sur l'environnement, et particulièrement de l'impact de l'agriculture du fait que cette activité a la plus grande « empreinte » en termes de superficie. Je passe beaucoup de temps à lire la littérature scientifique sur l'agriculture et l'environnement. Certaines des pratiques agricoles qui sont couramment utilisées dans les exploitations biologiques sont très positives du point de vue environnemental, mais ces pratiques sont également utilisées par les producteurs progressistes « conventionnels ». Il y a aussi un certain nombre de pratiques agricoles ayant d'excellents profils environnementaux qui sont difficiles à mettre en œuvre dans le cadre des règles de l'agriculture biologique (par exemple l'agriculture sans labour, la fertilisation localisée par l'irrigation). Le compost, qui est un intrant majeur pour les exploitations biologiques, a une « empreinte carbone » scandaleusement élevée en raison des émissions de méthane. L'empreinte carbone des engrais « de synthèse » est beaucoup plus petite.
Ce champ en non-labour dans l'Illinois est bon pour l'environnement et l'approvisionnement alimentaire
Du point de vue environnemental, le plus gros problème pour le bio est qu'il nécessite beaucoup plus de terre pour atteindre le même niveau de production. Si le bio sortait de la catégorie de la niche, cet écart de rendement serait hautement problématique du point de vue environnemental. Je préfère acheter de la nourriture produite par des systèmes d'exploitation agricole « économes en terres ».
Les rendements du bio sont beaucoup plus faibles pour de nombreuses grandes cultures
Ma troisième raison pour ne pas acheter bio a relève de l'éthique. Le bio existe comme une sorte de « marque supérieure » qui transcenderait quiconque commercialise sous cette bannière. Malheureusement, dans le secteur du bio, il y a des opérateurs majeurs (et des groupes de promotion qu'ils financent) qui emploient des messages basés sur la peur et le mensonge pour diaboliser les produits « conventionnels ». Ils utilisent ces méthodes comme un moyen de promouvoir le bio. Un des exemples les plus flagrants est la vidéo « Old McDonald/New McDonald » financée par Only Organic – un consortium de la très grande distribution du bio. Cette publicité bizarre exploite les enfants pour dépeindre une vision complètement déformée de l'agriculture traditionnelle. Je considère qu'il s'agit d'un « discours de haine pour le profit » Un autre exemple est l'Environmental Working Group financé par le secteur du bio et qui déforme grossièrement la base de données publique, transparente, de l'USDA qui documente la sécurité de l'approvisionnement alimentaire ; ce groupe transforme la base de données en une liste des « douze salopards » conçue pour promouvoir les ventes du bio. Ce sont des exemples extrêmes, mais c'est le secteur du bio dans son ensemble qui profite tranquillement de cette sorte de propagande et ne fait rien pour corriger la« divine fiction » que bio signifie « sans pesticides ». Je conçois fort bien que seule une partie du secteur du bio finance et promeut cette sorte de désinformation extrêmement vicieuse, mais je vois rarement des représentants du secteur du bio se lever et s'opposer à cette sorte d'alarmisme qui profite en fin de compte aux ventes de l'ensemble de la super-marque.
La communication basée sur la peur crée une intense pression sociale ; les parents, en particulier, la subissent et se demandent s'ils doivent acheter des produits bio. Je ne veux pas contribuer à ce genre de marketing basé sur la peur et la honte. En l'absence d'une objection marquée de davantage d'acteurs du secteur du bio, je ne veux pas soutenir la « super-marque ».
Donc, ce sont mes raisons de ne pas acheter de produits bio. Je me sens parfaitement à l'aise avec les produits qui cadrent avec mes normes pratiques, mes idéaux et mon éthique.
Steve Savage – vous pouvez laisser un commentaire sur GLP ou m'envoyer un courriel (savage.sd@gmail.com).
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* Steve Savage est un scientifique agricole (phytopathologie) qui a travaillé pour la Colorado State University, DuPont (développement de fongicides), Mycogen (développement de solutions de biocontrôle), et a exercé ces 13 dernières années l'activité de consultant indépendant. Son site blogging est Applied Mythology. Vous pouvez le suivre sur Twitter@grapedoc.
Source : https://www.geneticliteracyproject.org/2016/03/22/scientist-chooses-conventional-organic-foods/
Cet article a paru dans Forbes ici et a été republié avec la permission de l'auteur.