« Pesticides: Economic nonsense? »
À propos de « The Hidden and External Costs of Pesticide Use » de Denis Bourguet et Thomas Guillemaud
Nous empruntons ce titre à Euractiv, jadis très apprécié dans nos activités professionnelles et dont nous regrettons aujourd'hui la dérive vers l'écologisme primaire. « Pesticides: Economic nonsense? », c'est le titre ambigu qu'a choisi le traducteur pour rendre « Les pesticides, un fardeau économique » – notez l'absence du point d'interrogation – de la version française, elle-même reproduite du Journal de l'environnement.
Quelle est, chez ce dernier, l'ouverture après le titre péremptoire ?
« Les pesticides pourraient nous coûter bien plus cher qu’ils nous rapportent, et peut-être depuis quelques décennies: c’est ce qu’ont découvert deux chercheurs français de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra), en analysant le coût des "externalités négatives" de ces produits. »
Un conditionnel après la certitude assénée ! L'incurie journalistique dans toute sa splendeur !
Quant au titre anglais, nous l'interpréterons à notre convenance : ce ne sont pas les pesticides qui sont un non-sens économique, mais l'article (prétendument) scientifique dont on cause dans ce billet d'Euractiv.
Cet article, c'est « The Hidden and External Costs of Pesticide Use » (les coûts cachés et externes de l'utilisation des pesticides) de deux chercheurs de l'INRA, MM. Denis Bourguet et Thomas Guillemaud. C'est publié dans Sustainable Agriculture Reviews, une revue dont les contours sont difficiles à cerner.
Nous avons été précédés dans la dénonciation, et de l'article lui-même, et de son exploitation médiatique :
Dans « Le Monde: le quotidien anti-pesticides de référence », sur Imposteurs, notre ami Anton Suwalki prend de la hauteur et place son analyse dans le contexte de la récente offensive idéologique du quotidien le Monde, véritable VRP de la mouvance anti-pesticides. L'article du Monde, c'est « Et si les pesticides coûtaient plus qu’ils ne rapportent ? » de M. Stéphane Foucart (évidemment). S'agissant de l'article (prétendument) scientifique, M. Suwalki écrit :
« Certes, cela n’est pas parce qu’une étude contredit une intuition qu’il faut la rejeter d’un haussement d’épaule. Nous avons donc parcouru le résultat de ce "travail de longue haleine" pour découvrir la nature et l’ampleur de ces coûts cachés, et là…on hésite entre fou-rire et consternation. »
Et de citer trois exemples : le coût des décès par cancers attribuables aux pesticides ; le coût de l’action règlementaire gouvernementale pour évaluer et enregistrer les pesticides ; un coût de près de 6 milliards causé par les morts d’oiseaux (évalués à 35 $ pièce, dont 30 pour la valeur purement récréative). Et, pour la bonne bouche, près de 3 milliards de $ pour le surcoût supportés par les consommateurs qui achètent des produits bio pour éviter ceux issus de l’agriculture conventionnelle. Ben oui ! L'hystérie face aux pesticides est une externalité des pesticides...
Pierre-Yves Morvan
M. Pierre-Yves Morvan relève aussi quelques incongruités à partir de l'article du Monde dans « Vent de folie : haro sur la médecine, les vaccins, les pesticides ! » Sont pointés du doigt les externalités négatives que constitueraient les pertes de rendements dues aux résistances aux pesticides développées par les mauvaises herbes ou les ravageurs ; le traitement des maladies chroniques liées à l’exposition aux pesticides, alors que les études de grande ampleur montrent que les agriculteurs sont en meilleure santé que la population générale. Sa conclusion en forme de question :
« Après les lumières, serions-nous en train de retourner dans l'obscurité, de recommencer la chasse aux sorcières ? »
Mais oui !
Notons que le traitement économique des pertes de rendement est plutôt intéressant. En menant la logique à son terme, il faut aussi considérer les pertes dues à la non-utilisation de pesticides efficaces comme une externalité négative. Les missionnaires et idolâtres du bio apprécieront...
Forumphyto
Forumphyto s'interroge : « Coûts-Bénéfices des pesticides : une mauvaise plaisanterie de l’INRA ? » Nous en retiendrons surtout la partie « Des bénéfices oubliés ! ». Une partie en vérité mal introduite, car c'est « les... » qu'il aurait fallu écrire puisque l'étude (prétendument) scientifique est quasi exclusivement à charge. Il y a eu une suite, et ce n'est sans doute pas la fin...
Une instrumentalisation coordonnée avec la « semaine sans pesticides »
De l'autre côté, la mouvance anti-pesticides a fait preuve de stratégie pour exploiter le filon. Il y a eu, déjà mentionnés, le Monde, le Journal de l'environnement et son copier-colleur Euractiv. L'article (prétendument) scientifique est brièvement mentionné dans « La France, toujours accro aux pesticides » sur Reporterre :
« Parmi les "externalités" négatives : la destruction des services écosystémiques comme la pollinisation, les impacts sanitaires (cancers, intoxications), l’importance des fonds publics pour contrôler ces substances, les frais d’assainissement ou de dépollution, et enfin le surcoût pour les consommateurs qui veulent se protéger, en achetant bio par exemple. »
Tout juste 53 décès en Allemagne à la suite de la consommation de graines germées "bio"
L'« expertise » de Générations Futures
Générations Futures se devaient évidemment de sortir la grosse artillerie. C'est fait avec « Pesticides : une impasse économique ! ». On ne s'encombre pas de nuances !
Très intéressant : on a reproché à MM. Bourguet et Guillemaud de faire du cherry picking, et la petite entreprise de M. François Veillerette fait du cherry picking dans le plateau sélectionné par les premiers. Nous retiendrons deux « cerises ».
Les cancers attribuables aux pesticides
« Chaque 1% des cas de cancer attribuable aux pesticides est ainsi associé à un coût de 20 milliards de dollars annuellement ! »
Avez-vous compris ? Nous, non ! Il y a une phrase dans ce sens à la page 105 du pensum, mais cela commence par un très précautionneux : « Notre réanalyse des données de Pimentel et al. suggère... » Pimentel, du reste... sacrée référence...
Et quand on se penche sur Pimentel et al dans l'étude (prétendument) scientifique, on trouve à la page 66 :
« Ce nombre varie de 0,5% de tous les cancers (Pimentel et al., 1980a, b, 1991a) à 6000 (Pimentel et al. 1991b), <10.000 (Pimentel et al., 1992, 1993a, b), <12.000 (Pimentel et Greiner 1997), 10.000 (Pimentel et Hart, 2001) et entre 10.000 et 15.000 cas (Pimentel 2005, 2009; Pimentel et Burgess 2014). »
Pour 15.000 cas, cela met le cas de cancer à quelque 1,3 millions de dollars... Mais on trouve à la même page :
« Pimentel (2005, 2009) et Pimentel et Burgess (2014) ont estimé les coûts de l'exposition chronique aux pesticides, limités aux cancers, à 1 milliard $ US […]. »
Les coûts environnementaux
« Les coûts environnementaux des pesticides sont aussi largement sous-estimés (p 83) mais sont néanmoins chiffrés pour les USA à quelques 8 milliards de dollars par an ! »
On ne se refuse vraiment rien à Générations Futures. Ni, du reste, chez MM. Bourguet et Guillemaud. Car on trouve bien la phrase suivante à la page 83 de l' étude (prétendument) scientifique :
« Pour conclure sur les coûts environnementaux de l'utilisation des pesticides, nous montrons qu'ils ont souffert d'une large sous-estimation et que la plupart d'entre eux n'ont pas été examinés dans la littérature. Ils ont néanmoins été estimés à jusqu'à 8 milliards de dollars US (2013) aux États-Unis en 1992. »
Mais il suffit de creuser un peu. Le tableau 2.8 à la page 68 dévoile le pot aux roses : c'est une évaluation de Pimentel (toujours lui...) et al. de – admirez la précision – 7.967,84 milliards de dollars. Et elle fait suite, sur la base de la même base de données, à des évaluations de 1.621,17 milliards en 1980 ; 5.973,50 milliards en 2005 ; 6.993,99 en 1997.
MM. Bourguet et Guillemaud se sont donc permis de conclure sur le chiffre le plus élevé sans égard pour l'extraordinaire incertitude, un chiffre provenant d'un auteur dont l'objectivité est sujette à caution, non seulement du fait de son pedigree scientifique, mais aussi à la lumière des chiffres successifs qu'il a avancés. Et M. Veillerette reprend ce qui l'arrange.
Conclusion : à militantisme, militantisme et demi...
Ajoutons que si l'on fait crédit à l'évaluation la plus anxiogène de Pimentel et al., ces 8 milliards représenteraient en gros 4 % de la valeur ajoutée par l'agriculture à l'économie états-unienne. Ou encore 25 dollars par habitant et par an (avec des oiseaux évalués à 35 dollars pièce?).
Des auteurs soudain prudents...
Actu-environnement s'est donné la peine d'interviewer un des auteurs, M. Bourguet, plutôt que de s'associer à la curée militante. Et il intitule son article par une citation : « On est incapable de faire le ratio coûts/bénéfices des pesticides ». Extraordinaire !
L'article du Monde contient aussi des appels à la prudence. Ainsi, M. Guillemaud, s'agissant du coût du traitement des maladies chroniques liées à l’exposition aux pesticides :
« Mais il existe très peu d’études permettant de chiffrer précisément ces coûts sanitaires. On dispose de beaucoup de travaux sur l’exposition au tabac et à l’alcool et leurs effets, par exemple, mais presque rien sur les pesticides. »
...mais la propagande n'en a cure
Cela n'empêche pas M. Foucard d'aligner des chiffres et de faire comme si une étude – si on peut l'appeler comme cela – sur les années 1980-1990 était encore d'actualité, même s'il précise bien le contexte chronologique :
« Selon leurs estimations, le rapport coûts-bénéfices des pesticides de synthèse était ainsi largement défavorable aux Etats-Unis au début des années 1990. Alors qu’ils apportaient environ 27 milliards de dollars (24 milliards d’euros) par an à l’économie américaine, ils pesaient pour au moins 40 milliards de dollars… »
Pour M. Veillerette, la messe est évidemment dite... « impasse économique »...
C'est du reste fort cocasse dans le Monde :
« "Ces travaux, juge François Veillerette [...] montrent que le discours sur la soi-disant rationalité économique d’une agriculture dépendant de l’utilisation massive des pesticides est largement basé sur des études incomplètes qui ne prennent pas en compte la réalité des coûts sanitaires et environnementaux." »
Ce constat sans appel de l'expert autoproclamé vient après :
« Le peu de données disponibles n’a pas permis aux chercheurs de conduire une estimation pour la période actuelle. "On ne peut rien dire de ce rapport coûts-bénéfices [...] explique M. Bourguet. Nous ne pouvons tenter qu’une analyse rétrospective, lorsqu’il y a suffisamment de données." […]
« On ne peut rien dire... » ? M. Veillerette peut...
Quel bazar !
Nous n'entrerons pas dans l'étude elle-même, qui n'est pas une mauvaise plaisanterie comme l'écrit Forumphyto, mais bien pire. Forumphyto écrit en conclusion de son premier billet :
« Comment l’INRA peut-elle laisser son nom associé à une telle étude ? Négligence ou volonté délibérée ? L’INRA est-elle tombée aussi bas ? Si tel est le cas, ne faudrait-il pas demander à une équipe transdisciplinaire de se pencher sur une Analyse Coût-Bénéfice de l’INRA… »
Nous partageons cette interrogation, mais en partant aussi d'une autre prémisse.
Car aucun des deux auteurs n'est qualifié pour l'exercice qu'ils ont mené en un duo solitaire. Aucun d'eux n'a les études économétriques dans son cahier des charges à l'INRA. Comment, dès lors, l'affiliation à l'INRA a-t-elle pu être revendiquée dans la publication pour un travail qui relève à l'évidence du violon d'Ingres – lire sans nul doute : du militantisme ?
C'est triste...
Comment ne pas conclure sur cette réflexion désabusée de notre ami Guy Waksman dans la Gazette de l'AFIA Du côté du web et de l'informatique agricole :
« C'est triste d'avoir à énoncer à nouveau les "basiques" : jusqu'au milieu du XXème siècle, combien de femmes et d'enfants ont vécu l'enfer sur terre sur l'exploitation agricole familiale ou non, et sans pesticide à chasser les insectes, à éliminer en vain les plantes atteintes de maladies, à biner des mauvaises herbes qui s'acharnent à repousser ?
« Il semble qu'une génération de chercheurs en économie ignore tout de l'histoire de la protection des cultures, et tout de l'absolue misère du monde paysan d'avant les pesticides et la mécanisation. Je ne peux que leur recommander de lire "La fin des terroirs" du grand historien américain Eugen Weber, parfait connaisseur de notre pays.
« Cette génération de chercheurs en économie parait ignorer encore que la clé de la prospérité économique est toujours dans l'augmentation de la productivité qui a pour effet essentiel de diminuer la peine des hommes même si elle exige des ajustements parfois délicats de nos économies.
« Cette génération voudrait également ignorer que les agriculteurs doivent être rémunérés pour leurs productions, et que ceci est conditionné notamment par le rendement, puisqu'il faut bien rappeler que si une part importante du revenu net des agriculteurs est constituée par les aides, ces aides ne représentent qu'une faible part du revenu de l'Agriculture.
« Rappel : Avec 57 milliards d'euros pour 2011, le budget de la PAC représente une dépense de 5 155 euros par actif agricole, ou encore 16 % (en baisse depuis 2011, me semble-t-il - GW) de la valeur de la production agricole européenne ou 6 % du budget alimentaire des citoyens de l'Union. Soit 113 euros par habitant et par an. Est-ce trop, est-ce trop peu ? »
Enfin, dans tout cela, il y a quand même une bonne nouvelle : la mayonnaise Bourguet-Guillemaud-Foucard-Veillerette n'a pas pris.
Forumphyto a bien raison d'écrire : « Limiter le travail pénible (et celui des enfants) est un des bénéfices de l’usage des pesticides, non comptabilisé dans l’étude de Guillemaud et Bourguet. »