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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

« Cash Investigation » : « Crache désinformation » sur les cancers des enfants

16 Février 2016 , Rédigé par Seppi Publié dans #critique de l'information, #Activisme, #Pesticides

« Cash Investigation » : « Crache désinformation » sur les cancers des enfants

 

Les médias sont décidément intellectuellement myopes, affligés d'une mémoire de poisson rouge, et d'une déontologie vacillante... De quoi nous faire des amis par ce jugement...

 

« Cash Investigation » : « Crache désinformation » sur les cancers des enfants

Le 11 février 2016, Libération publiait un article, « Pesticides : le chiffre bidon de Cash Investigation ». Dans un monde journalistique normalement constitué, il aurait dû inciter les autres à reprendre l'information (ils furent rares, ceux qui l'ont fait) et à creuser davantage la question de la vérité des faits avancés dans ce « documentaire » qui fleure bon le triomphe de la volonté idéologique, le Triumph des ideologischen Willens.

« Il y a un an, notre enquête commence avec un chiffre : 97. D'après l'EFSA […], 97 % des denrées alimentaires contiennent des résidus de pesticides. Impossible d'y échapper. »

 

Ce chiffre est bidon. Et, comme il est bidon, c'est tout l'édifice qui doit normalement s'écrouler, après quelques poussettes d'une médiasphère attentive à diffusion de la vérité.

 

Mais elle n'est pas attentive... Quatre jours après, il y eut une « marche blanche » contre les pesticides à Bordeaux. Résultat : à l'heure où nous écrivons, notre moteur de recherche favori affiche pour « "Cash Investigation" et bidon » 30.500 résultats en tout et 11 articles dans la section « actualités », et 365.000 résultats et 60 articles pour « "Cash Investigation" et Bordeaux ».

« Cash Investigation » : « Crache désinformation » sur les cancers des enfants

Plus de trois millions de téléspectateurs se font enfumer... ce n'est pas une information. Six cents personnes – organisateurs et familles et amis inclus dans une région où le militantisme est particulièrement développé – manifestent à Bordeaux... c'est une information d'importance nationale.

« Dimanche 14 février, à Bordeaux, ils étaient environ 600 à manifester contre l’usage des pesticides. Certains portaient des masques sanitaires ou des tenues d’apiculteurs et brandissaient des pancartes réclamant la "protection de nos enfants". Le succès de cette « marche blanche » sous la pluie a agréablement surpris ses organisateurs : la Confédération paysanne de la Gironde, plusieurs associations et collectifs (Alerte pesticides Léognan, Générations futures, Les amis de la Terre, Allassac ONGF). »

 

Ça, c'est sur le Monde daté du 14 février 2016. Planète, évidemment.

 

Mais qu'en est-il réellement des enfants ?

 

 

L'incidence du cancer au niveau national

 

Dans cette chose au format parallélépipédique avec une couverture rouge saignant ornée du portrait de Mme Élise Lucet et du logo de France 2, il est dit :

 

« En Gironde, les données statistiques sanitaires sont alarmantes. Depuis 1989, les leucémies infantiles (cancers du sang) progressent chaque année de plus de 1 % en France. D’après la plus importante étude de géolocalisation des leucémies infantiles sur le territoire, le "risque relatif" est de 1,2 % en Gironde.

 

« Pour les enfants résidant en Gironde, le risque de contracter une leucémie infantile est 20 % supérieur à la moyenne française.

 

« Statistiquement, cette différence de 20 % entre les cancers d’enfants en Gironde et la moyenne nationale peut sembler faible. En vérité, derrière cette vérité froide des chiffres, il y a des dizaines d’enfants atteints de leucémie dans le département de la Gironde chaque année. Un chiffre inquiétant lorsqu’il est comparé aux 2 500 nouveaux cas de cancers infantiles recensés annuellement en France. »

« Cash Investigation » : « Crache désinformation » sur les cancers des enfants

Difficile de faire plus obscur et plus débile ! On mélange allègrement cancers et leucémies. On saute de l'un à l'autre... Le risque relatif est exprimé en pour cent... Et, bien sûr, il n'y a aucun lien établi avec la viticulture et l'utilisation de produits phytosanitaires. C'est une illustration de l'extraordinaire manque de maîtrise du sujet, ainsi que de la volonté de faire prévaloir une idéologie.

C'est assorti d'une carte inepte dont le titre ne correspond pas à la légende des gouttes.

Pour l'Institut National du Cancer (voir aussi ici), l'incidence (le nombre annuel de nouveaux cas) des cancers infantiles, tous types confondus a été en moyenne, pour la France métropolitaine et la tranche d'âge 0-14 ans, de 1733 cas. Les leucémies, syndromes myéloprolifératifs et myélodysplasiques représentent 495 cas, avec une incidence de 43,3 par million, plutôt stable.

« Cash Investigation » : « Crache désinformation » sur les cancers des enfants

On est loin des 2.500 nouveaux cas. Pour arriver à ce chiffre, il faut inclure les cancers des adolescents. Mais, quand on fait de l'« investigation », pour à l'évidence produire des « éléments de langage » pour des campagnes anti-pesticides (sous le couvert du logo de France 2), on ne s'encombre pas de nuances.

Le risque relatif des leucémies serait de 1,2 (le « % » est de trop, bis repetita) en Gironde, par rapport à la moyenne nationale ? Le simple bon sens – mais il est vrai qu'il n'est pas toujours près de chez vous – exige de comprendre qu'on manie de petits chiffres, et qu'il s'agit de populations qui ne sont pas toutes exposées à l'agent que l'on met en cause ; ainsi, la moitié de la population de la Gironde habite Bordeaux Métropole. Un rapide calcul à la louche, fondé sur la population totale (et non les enfants) montre que l'excédent est de l'ordre de 2 par an (13,5 au lieu de 11,3). La différence n'est pas statistiquement significative, ainsi qu'il ressort de cette thèse de doctorat.

Mais il y a pire :

« ...il y a des dizaines d’enfants atteints de leucémie dans le département de la Gironde chaque année » ?

 

Manifestement, les auteurs de l'intox Toxic ont limité leur « investigation » à mouiller leur doigt un jour de brise.

 

La thèse précitée comporte aussi un tableau 14 sur les « SIR des leucémies aigües (1990-2004, garçons et filles, 0-14 ans) par département ». Un simple examen permet de constater qu'il n'y a pas de tendance claire, et pas de répartition qui pourrait s'expliquer par l'usage de pesticides. Ainsi, le taux d'incidence standardisé est de 1,5 pour le Jura, et de 0,96 et 0,92 pour les départements voisins de l'Ain et du Doubs. Pour le Haut-Rhin et le Bas-Rhin, c'est 0,81 et 1,04, respectivement.

« Cash Investigation » : « Crache désinformation » sur les cancers des enfants

La même constatation peut se faire à partir d'une carte des risques relatifs de cancer de l’enfant dans les départements français (2006-2010). La Gironde y est... dans la moyenne !

Il y a des médias qui ont fait de l'excès de zèle en convertissant la carte de "Cash Investigation" en données pluriannuelles, et les tonnes en kilogrammes pour produire des chiffres encore plus anxiogènes.

 

 

Manifestement, les auteurs des éléments de langage pour une stratégie anti-pesticides se sont penchés sur la Gironde, en produisant des thèses foireuses, parce qu'il y a dans ce département une contestation particulièrement vive.

Une « étude » tirée par les cheveux

 

« Pour tout vous dire, les résultats nous ont stupéfiés... »

 

Nous, nous aurions aimé en savoir plus sur ces résultats. Mais l'équipe de « Cash Investigation » n'a pas eu le temps de les présenter plus en détail. Que voulez-vous... il fallait produire une longue introduction de mise en condition avec l'« interview » soigneusement sélectionnée d'un viticulteur flouté qui refuse de dire quel produit il a épandu ; une longue séquence sur comment couper les cheveux, avec quelque commentaires pour amuser la galerie : et une longue séquence de micro-trottoir avec des mères de famille dispensant la bonne parole.

 

Donc, à part le chiffre le plus anxiogène, répété à l'envi, nous n'avons (presque) rien vu. Metronews, pour n'en citer qu'un, écrit ainsi :

 

« Jusqu’à 44 pesticides dans les cheveux des enfants girondins. »

 

Quid de l'identité des pesticides, de leur origine (combien de pesticides domestiques, voire d'antipoux?), du dosage ? Rien dans le « documentaire », dans l'enfumage à grande échelle, nothing, nichts, nada, zilch...

 

Pour notre part, nous avons aussi été stupéfaits. À commencer par une étonnante variabilité.

 

La bande annonce :

 

« En Gironde, "Cash Investigation" a testé les cheveux de 20 enfants de quatre écoles particuljèrement exposées aux pesticides. Les résultats sont stupéfiants... »

 

L'introduction du petit livre rouge :

 

« Nous avons analysé des dizaines de mèches de cheveux d’enfants particulièrement exposés à ces substances, parce qu’ils vivent dans des régions viticoles et que les épandages se déroulent à quelques mètres de leur cour d’école… »

 

Le texte :

 

« En tout, l’équipe de Cash Investigation a récupéré les cheveux de 17 élèves de 4 écoles primaires et a envoyé ces échantillons dans l’un des rares laboratoires spécialisés dans les analyses de polluants dans les cheveux. Les résultats sont parlants. »

 

Alors, des dizaines ? 20 ? 17 ? Cela peut sembler un détail, un exercice de capilloquadritomie. Non, c'est une illustration de plus de l'extraordinaire amateurisme dans la relation des faits et professionnalisme dans la recherche du sensationnel.

 

Nous avons aussi été stupéfaits par le texte :

 

« Au total, sur les 17 échantillons prélevés, le laboratoire a découvert 44 pesticides en moyenne dans les cheveux des enfants. Plus inquiétant : parmi ces 44 produits, 24 sont considérés comme dangereux. Ce sont soit des pesticides déjà interdits mais encore présents dans l'environnement, soit des pesticides encore autorisés mais classés cancérigènes, mutagènes, neurotoxiques ou toxiques pour la reproduction. En tête du classement, l’un des enfants avait 35 produits interdits et dangereux dans les cheveux. En queue de liste, l’un d’eux n’avait que 19 substances interdites et dangereuses. Des résultats pour le moins préoccupants.

 

Que signifie la première phrase ? « 44 », ce n'est pas « 44 en moyenne ». Ajoutons pour être compris de tous : et inversement. D'autre part, tous les produits ou presque sont dangereux ; mais c'est une question de dose, de mode d'absorption... L'incident de Villeneuve-de-Blaye a ainsi été causé par un produit utilisé en agriculture biologique... qui jouit, par principe, d'une excellente réputation chez beaucoup d'idéologues du « bio » (à distinguer des praticiens non idéologues). Quel gloubiboulga encore avec les produits interdits et/ou dangereux...

 

Et nous avons été stupéfaits par les résultats.

 

Car cet exercice n'est qu'une répétition des « enquêtes » qu'a réalisées l'entité incorporée sous forme d'association, Générations Futures. L' « enquête APAChe : Analyse de Pesticides Agricoles dans les CHEveux » de 2013 a consisté à comparer les présences de résidus dans les cheveux de 15 salariés viticoles du Bordelais, 10 non-salariés viticoles dont 5 riverains des vignes et 5 « témoins » vivants loin des vignes. De quoi alimenter une campagne nationale, voire internationale. La conclusion est en effet, comme on peut s'y attendre :

 

« Des résultats préoccupants... »

 

Prenons juste les deux premiers :

 

  • 11 fois plus de résidus de pesticides en moyenne chez les salariés viticoles que chez les non professionnels habitant loin de vignes (6,6 pesticides en moyenne contre 0.6) !

 

  • 4 des 15 salariés viticoles présentent 10 pesticides différents !

 

Le graphique ci-dessous donne les résultats sous forme visuelle. On notera que pour les riverains des vignes, on ne trouve qu'une seule quantification pour 12 détections. Hypocondriaques ! Malgré la faiblesse de ces chiffres, la fin du monde est proche... Repentez-vous !

« Cash Investigation » : « Crache désinformation » sur les cancers des enfants

APAChe a recherché 35 pesticides utilisés sur la vigne ; seuls 22 ont été détectés. « Cash Investigation » en a manifestement recherché plus, y compris des pesticides qui ne sont pas utilisés sur la vigne... manière de gonfler les chiffres et l'effet anxiogène. Ses limites de détection et de quantification ne sont pas connues.

Une conclusion s'impose néanmoins : la marchandise de « Cash Investigation » a toutes les chances d'être frelatée. Comment expliquer en effet que, d'une part, des travailleurs viticoles d'APAChe présentent au maximum 10 résidus (en majorité à l'état de traces détectées et non quantifiées), que des riverains de vignes ne présentent que de rares traces avec une seule quantification, et que, d'autre part, pour « Cash Investigation », un gamin allant à l'école – certes à côté, mais pas dans, les vignes (et pas pendanr l'été) – « [e]n queue de liste, [...] n’avait que 19 substances interdites et dangereuses » dans ses cheveux ?

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P
Vous dites : "L'incident de Villeneuve-de-Blaye a ainsi été causé par un produit utilisé en agriculture biologique"<br /> <br /> L'ordonnance de non-lieu évoque pour les deux exploitants, le bio comme le conventionnel "une présomption de non respect strict d'utilisation des produits des deux exploitants".<br /> Il ne blanchit ni l'un ni l'autre, et n'évacue pas non plus la possibilité que l'incident vienne de tout autre chose.<br /> <br /> https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-29603-non-lieu-villeneuve-blaye.pdf
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S
Bonjour,<br /> <br /> Merci pour votre commentaire.<br /> <br /> Le niveau de preuve requis par la justice n'est pas celui qui résulte de la simple observation. quand un parent qui travaille dans la vigne dit : "Ma fille sentait le sulfate à plein nez, je connais l'odeur ", quand des gens qui ont étudié le dossier vous disent qui pulvérisait quoi dans le vent dominant, l'origine de l'incident est claire -- sauf pour la justice qui a évidemment besoin d'une preuve de cause à effet irréfutable, ainsi que d'une preuve irréfutable que les traitements ont été effectués sous un vent excessif.<br />
J
Pour mémoire, un intervenant dans l'émission "la tête au carré" sur France Inter avait calculé, résultats en main, que compte tenu des quantités trouvées dans les cheveux des enfants "analysés", il faudrait couper TOUS les cheveux de TOUS les enfants français pour obtenir 1 g de la matière active la plus présente... Cela relativise le "danger" mais ne justifie pas non plus que la multiplication des molécules et l'effet cocktail semblent favoriser des pathologies nouvelles dont on identifie difficilement l'origine et l'agent causal. La vérité n'est ni blanche ni noire. <br /> "Usez, mais n’abusez point. Ni l’abstinence ni l’excès n’ont jamais rendu un homme heureux." Voltaire
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S
Re-bonjour,<br /> <br /> Je ne sais pas pour Pepper et Eperon. Quant au soufre, il a dû laisser une odeur.
P
Merci également de votre réponse. Je précise que je ne suis pour aucun camp, j'essaie à ce jour de me faire une idée plus précise des arguments des uns et des autres. C'est très compliqué en n'ayant pas de base en chimie ni en agriculture, et encore moins en stats...<br /> Pouvez-vous me dire si les produits épandus, je lis : Pepper, Eperon (conventionnel), Héliocuivre et Héliosoufre (bio) ont des odeurs particulièrement distinctes et donc reconnaissables sans erreur ?
C
Dans le genre "conclusions à la louche" pourrait on suggérer que si les enfants ont des pesticides interdits sur la vigne, davantage que les ouvriers agricoles, c'est, contrairement à ce que suggère "Trash investigation", que leur "contamination" vient d'ailleurs que de la vigne et de la vie au grand air?
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