Pollutions agricoles : et si on se disait enfin la vérité ?
C'est par le Monde Planète, un article de Mme Martine Valo, « Quel est le coût des pollutions agricoles ? » que nous avons appris l'existence d'une étude publiée dans la collection « Études et documents » du Service de l’Économie, de l’Évaluation et de l’Intégration du Développement Durable (SEEIDD) du Commissariat général au développement durable (CGDD), une entité dépendant du Ministère de l'Écologie, du Développement Durable et de l'Énergie. Ne soyons pas avare de sigles : du MEDDE.
L'étude a pour titre : « Les pollutions par les engrais azotés et les produits phytosanitaires : coûts et solutions ».
Selon le résumé :
« S’agissant des engrais azotés, une tentative de calcul du coût pour la société engendré par ces externalités fournit une fourchette entre 0,9 et 2,9 Md€ par an. »
C'est précis ! Ce n'est pas une fourchette, mais une fourche...
Pour les produits phytosanitaires, il n'y a pas matière à récriminer : il n'y a pas d'évaluation, et on comprend que la tâche aurait été immense.
Quant aux solutions, normalement énoncées en fin de résumé, il n'y a que ce qui suit à se mettre sous la dent :
« La réglementation relative à l’utilisation des engrais azotés et des produits phytosanitaires s’inscrit dans le cadre européen des directives dites « nitrates » et « pesticides », décliné et complété d’actions et programmes au niveau national (plan Ecophyto dans le cas des pesticides). En matière de fiscalité, la redevance pour pollution diffuse s’applique aux quantités distribuées de produits phytosanitaires ; pour les engrais azotés, il n’existe pas de fiscalité spécifique (excepté la redevance élevage, qui s’apparente à une taxation de l’azote des engrais organiques), mais diverses approches volontaires ont visé à limiter l’usage des engrais azotés (programmes d’appui aux investissements pour la gestion des effluents organiques, projets de territoire…). Enfin, la loi d’avenir pour l’agriculture prévoit la mise en place d’une expérimentation de certificats d’économie de produits phytosanitaires. »
Autrement dit du descriptif.
Ce document de 30 pages (blanches comprises) aura mobilisé un directeur de publication, deux auteurs et 16 contributeurs nommément remerciés. Et sans nul doute un nombre important de contributeurs anonymes.
Le document n'est pas inintéressant pour qui sait lire de manière critique. Le Monde, conformément à sa ligne éditoriale en a extrait essentiellement les « mauvaises nouvelles » qui, médiatiquement dans une France atteinte de sinistrose, sont de bonnes nouvelles.
Le bobo confortablement assis et lisant le Monde veut entendre que l'agriculture pollue – lui ne pollue bien sûr pas – il est servi :
« A combien se chiffrent ces "externalités environnementales" ? Au bas mot plusieurs milliards d’euros, répond le Commissariat général au développement durable (CGDD)... »
Non ! Au bas mot, ce serait 0,9 milliards d'euros pour les nitrates. Pour les produits phytosanitaires, les auteurs avancent une fourchette dans le texte (pas le résumé) – à la louche – de 260 millions à 660 millions d’euros par an pour les surcoûts liés à la pollution de l'eau. En faisant la somme, on n'arrive pas encore à « [a]u bas mot plusieurs... ».
Et le document comporte un avertissement, certes écrit en petit :
« Ce document n’engage que ses auteurs et non les institutions auxquelles ils appartiennent. L’objet de cette diffusion est de stimuler le débat et d’appeler des commentaires et des critiques. »
Traduction : le document n'engage pas le CGDD. Autre traduction : le CGDD n'a pas « répond[u] ».
Et le lecteur du Monde a droit à cinq cartes, dont certaines quasi illisibles ; à une louche supplémentaire d'anxiogénèse par M. François Veillerette « de l’association Générations futures » ; à une utilisation d'engrais azotés « en surdose » selon les auteurs du document ; aux algues vertes ; au gaz hilarant « 298 fois plus puissant que le dioxyde de carbone pour l’effet de serre ».
Pour les algues vertes, c'est un commentaire hilarant :
« L’étude n’intègre pas les quelque 2 millions d’euros du ramassage des algues vertes dopées par les nitrates, soit 50 000 à 100 000 mètres cubes chaque été. »
Intégrons-les : le chiffrage de : « entre 0,9 et 2,9 Md€ par an » passe à : « entre 0,902 et 2,902 Md€ par an ».
Sur le fond, si les algues vertes sont dopées, c'est au phosphore, et non aux nitrates. Quand il y a du phosphore, les cyanobactéries fixatrices d'azote peuvent se développer. C'est leur azote qui alimente ensuite les algues. Mais voilà : une grande partie du phosphore déversé est d'origine humaine, non agricole... pas de bouc émissaire... sujet sans intérêt, sinon tabou.
Le discours sur les pesticides est évidemment des plus convenus. En résumé dans le Monde :
« Trop de molécules, trop de répercussions sur la santé – sur les agriculteurs en premier – et une contamination généralisée. »
Avec évidemment une insistance sur le nombre de détections et de quantifications, sans égard pour la nature des substances en cause et de leurs effets intrinsèques, d'une part, et dans les limites des mesures observées, d'autre part. Et il y a cette étonnante déclaration, que nous n'avons pas retrouvée dans le document :
« Depuis 2009, les cultures reçoivent 5 % à 9 % de substances actives de plus chaque année. »
Cela représente de 40 à 80 % de plus sur sept ans, alors que le nombre de matières actives disponibles globalement et pour chaque culture est en baisse !
Et toujours ce manque de recul : vaut-il mieux appliquer deux substances, plutôt qu'une ? Par exemple deux substances moins nocives que celle qui a été remplacée ? Ou deux substances pour sécuriser l'efficacité durable de chacune d'elles ? Etc.
Le Monde a évidemment écrit pour satisfaire et flatter sa clientèle. Nous ne saurions le lui reprocher que modérément.
Mais rêvons ! Un jour peut-être fera-t-il aussi de la pédagogie. Les autres médias aussi et – soyons fous ! – même les instances administratives et politiques.
Soyons encore plus fous ! Un jour, ils s'intéresseront de plus près à des pollutions pour lesquelles on ne pourra pas désigner impunément des boucs émissaires... par exemple ces stupéfiants qui se retrouvent dans les eaux usées urbaines (le saviez_vous ? Une méthode efficace de suivi de la toxicomanie consiste à analyser les eaux usées à leur arrivée en station d'épuration) ; ces médicaments ou encore ces perturbateurs endocriniens extraordinairement puissants qu'on appelle « pilule » (perturber... c'est même leur fonction souhaitée chez la femme... avec des effets non négligeables sur l'environnement, mais chut...).
Revenons à l'agriculture.
Les nitrates font partie intégrante de l'écosystème, même en l'absence d'intervention humaine. Et ceux dont on pourrait attribuer l'origine aux activités humaines ne sont pas tous liés à l'agriculture. Présenter des cartes de concentrations moyennes des eaux de surface ou souterraines sans en relativiser la signification relativement à l'agriculture (dans le cas du document et de l'article examinés ici) relève à notre sens de la faute.
Les eaux sont classées en bon état environnemental si elle ne présente jamais une teneur en nitrates supérieure à 50 mg/l (c'est aussi la limite de potabilité). Une mise en perspective aurait souligné que, d'une manière générale, les eaux de surface sont en bon état ; et que pour les eaux souterraines, les problèmes sont limités, géographiquement, à quelques zones ; en pratique, du reste, un problème ne se pose que si on veut utiliser les nappes concernées pour l'alimentation en eau potable.
L'absence de recul et de perspective se pose aussi pour les pesticides. Selon l'article du Monde :
« Le milieu aquatique est également très touché : 63 % des points de surveillance des eaux souterraines métropolitaines et 93 % de ceux des rivières en surface contiennent des pesticides, au moins une dizaine de substances différentes dans la majorité des cas. »
La norme de potabilité – établie selon la technique du doigt mouillé, de manière très protectrice – est de 0,1 µg/l pour chaque substance (sauf pour l’aldrine, la dieldrine, l’heptachlore et l’heptachlorépoxyde (tous non autorisés en France), 0,03 µg/l) et 0,5 µg/l de concentration totale. Ces chiffres ne sont peut-être pas très parlants : 0,1 µg/l, c'est une aspirine 500 diluée dans 5.000 mètres cubes d'eau, quasiment deux piscines olympiques.
Que constate-t-on sur les cartes : près de 70 % des points de prélèvement pour les eaux de surface et 95 % pour les eaux souterraines sont en-dessous ou à la limite légale de potabilité pour la teneur totale.
Cela n'enlève rien au fait qu'il vaudrait mieux avoir zéro résidus de pesticides dans l'eau – et zéro résidu d'autres substances d'origine anthropique. Mais cela démontre que l'on peut avoir deux analyses très différentes d'une même situation.
Mais sur quoi tient-on ce discours négatif et anxiogène ?
Est-ce si compliqué à comprendre ? Les « pollutions agricoles » sont la contrepartie de la production alimentaire –
-
celle qui nous nourrit ;
-
celle qui assure notre souveraineté alimentaire et, au-delà, contribue à notre souveraineté politique ;
-
celle qui, par la qualité de ses produits et le contrôle exercé sur la chaîne alimentaire sur notre territoire, assure notre sécurité alimentaire (avec des loupés) ;
-
celle qui constitue le socle d'une importante activité économique, laquelle alimente aussi le tissu social ;
-
celle qui contribue à la gestion des territoires, à l'entretien des écosystèmes, des paysages, de la biodiversité ;
-
celle qui contribue également, de manière induite, à des activités en partie liées comme le tourisme et les loisirs ;
-
celle qui, par les exportations, contribue à notre balance commerciale et, plus généralement à notre place dans le monde ;
-
celle qui, par les exportations de denrées de base comme le blé vers, notamment, les pays du sud de la Méditerranée, contribue à une relative stabilité politique et sociale (et permet à ces pays de ne pas dépendre d'exportateurs susceptibles de fermer leurs ports du jour au lendemain comme ils ferment le robinet de gaz) et, partant, minimise les migrations de la faim.
Comme on le voit, l'agriculture – la production alimentaire mais pas que (énergie, matières premières telles que les fibres textiles, l'amidon, etc.) produit aussi des « externalités » positives.
S'agissant des algues vertes, il est relevé :
« Le phénomène a largement débordé les côtes de Bretagne et pénalise désormais la conchyliculture – l’élevage de coquillages –, mais aussi le tourisme… »
On pourrait tout aussi bien relever que si le bobo peut aller aux sports d'hiver, c'est aussi parce qu'il y a des agriculteurs pour d'une part, entretenir la montagne et, d'autre part, en tant que doubles actifs, damer les pistes et lui tenir la perche.
Il est indéniablement deux autres externalités que l'on peut qualifier de positives :
-
L'agriculture permet à des entités telles que le SEEIDD du CGDD du MEDDE de prospérer en produisant de belles études. Évidemment partielles et partiales car le MEDDE a tendance à opérer dans un silo de pensée (mais la pensée binaire a développé des métastases ailleurs...).
-
L'agriculture fait vivre toute une industrie de la critique, de la dénonciation et de la vitupération.
Il n'y a qu'à voir le formidable tapage médiatique autour du prochain Cash Investigation au titre alarmiste : « Produits chimiques, nos enfants en danger » (voir aussi ici et ici). À voir les bandes annonces il faut se demander comment nous avons fait pour survivre... Et c'est là que, malgré toutes les critiques qu'il soulève, tout bien pesé, on peut quand même apprécier l'article de Mme Valo. On peut en contester la teneur (dont une bonne partie est le fait du SEEIDD du CGDD du MEDDE), mais pas l'adhésion aux règles de la déontologie.