« Que peut-on encore manger » selon le Point ?
On peut lire !
Il est même recommandé de manger...
C'est aussi une couverture accrocheuses, avec un grand titre. Mais, contrairement à ce qu'a osé l'Obs [1], la photo est plutôt anodine, et même engageante avec la variété d'aliments savamment mise en scène.
Le Point du 5 novembre 2015 nous propose 13 pages sur l'alimentation. Le ton est donné d'entrée, et c'est fort réjouissant :
« On peut se nourrir en se faisant plaisir tout en préservant sa santé. Avec le concours de scientifiques indépendants, "Le Point" vous livre ses conseils. »
Mais peut-on tout de même demander à des journaux sérieux – pour les autres, c'est sans espoir – de bien choisir leurs « scientifiques indépendants » ? Quand on nous annonce que certains ont pondu des livres sur des recettes miracles, surtout pour prévenir cette obsession ubiquitaire qu'est devenu le cancer, on peut s'interroger sur l'indépendance. C'est peut-être mieux qu'un marchand de peur patenté, et un marchand de remèdes miracles, mais il y a tout de même des nutritionnistes qui s'intéressent à l'alimentation pour ce qu'elle doit être.
La mise en bouche – l'article d'introduction – se devait évidemment de décrire le problème. C'est fait élégamment. En bref : voici ce que nous savons, sur le mode positif...
« Alors, pourquoi cette impression de ne plus rien comprendre dès qu'il s'agit du contenu de notre assiette ? »
Mais la première réponse nous semble être un dérapage vers le discours convenu :
« La faute à la cacophonie savamment nourrie par les lobbys industriels. »
C'est curieux : nous, nous pensons plutôt que c'est la faute des marchands de peur, des marchands de régimes révolutionnaires, et des marchands de remèdes miracles.
Mais on retrouve rapidement le bon sens... pas de quoi s'affoler :
« Pas de quoi justifier pour autant cette phobie alimentaire que certains entretiennent pour occuper le devant de la scène. Dans l'assiette comme ailleurs, le risque zéro n'existe pas. Que serait devenue l'espèce humaine si un de nos ancêtres n'avait eu un jour l'idée folle de frotter deux silex pour jouer avec le feu ? »
« Désintox », pas « détox »
Suit, sur quatre pages, un « guide de la désintox »... et pas de la « détox » chère à ces gourous qui profitent de leur audience médiatique et de la crédulité ambiante.
Nous ne pouvons qu'apprécier la référence à Pierre Mendès France qui fit distribuer un verre de lait dans les écoles, en 1954, comme « antidote contre la malnutrition ». La malnutrition, c'était un véritable problème il y a tout juste 60 ans. Aujourd'hui, les gens bien nourris et qui ont les moyens de bien se nourrir se plaignent de... « malbouffe ». S'ils savaient...
On regrettera dans cette partie l'articulet « Bio, c'est bon », qui reprend l'étude Leifert [2] dont on devrait savoir à présent que c'est une œuvre de commande et de propagande [3]. Mais il est vrai qu'il y a eu un beau tapage médiatique quand l'étude a été publiée... et rien quand on a appris que M. Leifert, déjà en partie financé par le Sheepdrove Trust, une entité qui fait la promotion du bio, avait obtenu 120.000 $ de cette même entité pour la promotion médiatique de son article au Royaume-Uni et en Europe. Le bon bio est bon, mais il n'est pas meilleur que le « conventionnel » ; et dans certains cas moins bon.
Manger de la viande...
Mme Marie-Christine Boutron-Ruault, Directrice de recherche Inserm à l'Institut Gustave-Roussy et vice-présidente du comité d'experts Nutrition humaine de l'ANSES propose de dédramatiser la question de la viande. Tout est juste... sauf la fin :
« Enfin, plutôt que le Label rouge, préférez l'indication géographique protégée (IGP) ou les labels locaux : bœuf de Coutancie, agneau de l'Aveyron, veau de Bazas... »
C'est là le reflet d'une tendance assez répandue en France – qui devient franchement détestable quand on lit la « critique gastronomique » dans certaines revues.
C'est aussi l'occasion de souligner que M. Jean-Pierre Coffe a eu une riche idée avec ses ouvrages sur la cuisine à petit prix.
Mais admettra-t-on un jour dans les milieux favorisés, y compris dans les instances de conseil et de décision, qu'il y a des millions de Français qui peinent à joindre les deux bouts ?
« La France compte deux millions de personnes vivant avec moins de 667 euros par mois, 3,5 millions de mal-logés et 3,9 millions de bénéficiaires de l’aide alimentaire. La grande pauvreté persiste en France. » [4]
Et qu'a-t-on à reprocher au steak de vache de réforme sur le plan nutritionnel (pour le plan gustatif, on peut discuter) ?
Il aurait été utile de signaler les dangers d'une alimentation déséquilibrée pour les nourrissons et jeunes enfants, soit dans cet article, soit dans l'encadré sur les régimes ésotériques (flexitariens, végétariens, végétaliens, crudivoristes, paléos). C'est un véritable problème de santé publique, illustré par les cas les plus graves : on trouvera facilement sur la toile des articles sur des parents condamnés... malheureusement, les enfants sont morts.
Aparté important : le miel et les enfants
C'est là l'occasion d'une digression vers l'excellent blog d'Albert Amgar. Le titre de ce billet est explicite :
« Parution d’une fiche pratique de la DGCCRF sur l’étiquetage du miel, et toujours pas de mention, "Pas de miel pour les enfants de moins d’un an" » [5].
« Les dessous du rapport de l'OMS »
C'est une demi-page fort utile. À condition de décrypter.
Signalons tout de même, d'entrée, que le rapport est du CIRC – et pas de l'OMS en tant que telle. Du reste, devant les remous provoqués par le communiqué de presse du CIRC (pour le rapport, il faudra attendre), celle-ci a publié un communiqué de presse le 29 octobre 2015 pour remettre un peu d'ordre dans le capharnaüm médiatique [6] :
« L’examen du CIRC confirme la recommandation figurant dans le rapport de l’OMS de 2002 Régime alimentaire, nutrition et prévention des maladies chroniques, conseillant de consommer avec modération la viande conservée pour réduire le risque de cancer. Le dernier rapport du CIRC ne demande pas de ne plus manger de viandes transformées, mais indique qu’une baisse de la consommation de ces produits peut entraîner une réduction du risque de cancer colorectal. »
Tout en rappelant que « eux, c'est eux... » :
« Le CIRC a été créé il y a 50 ans par une résolution de l’Assemblée mondiale de la Santé en tant qu’organisme indépendant de recherche sur le cancer et fonctionnant sous l’égide de l’OMS. Son programme de travail est approuvé et financé par les États participants. »
Or donc, conformément aux procédures établies, il y avait six observateurs des milieux économiques – que le journaliste désigne malencontreusement sous le vocable « lobbyistes » – dans le groupe d'experts qui s'est réuni à Lyon et qui a classé la viande transformée en cancérogène (certain) et la viande rouge en cancérogène probable. On nous rapporte que :
« Certains des chercheurs témoignent néanmoins, sous couvert d'anonymat, des efforts déployés par ces lobbyistes pour relativiser la dangerosité de la consommation de viande. Notamment par le biais d'études, parfois sponsorisées, qui mettent en avant le fait que l'apparition du cancer relève de causes multiples, difficiles à isoler. "Ces études ont d'ailleurs ébranlé certains chercheurs", note un témoin qui souligne que l'étude publiée n'a pas fait l'unanimité »
Ce que démontre ce passage – ce qui doit nous inquiéter au plus haut point – c'est le manque de déontologie des experts qui se sont épanchés au mépris de leur obligation de réserve. Ainsi que l'animosité qu'ils témoignent envers les milieux économiques. La crédibilité du CIRC, déjà fortement chahutée avec le classement du glyphosate (et précédemment des champs électromagnétiques de basse fréquence), est une nouvelle fois entamée.
Des « lobbyistes » auraient déployé des efforts pour relativiser ? Mais, d'une part, c'est ce que l'on attend d'eux – qu'ils partagent les connaissances et les avis de la profession. Et, d'autre part, le classement a été relativisé, y compris par l'OMS-siège. Des études, « parfois sponsorisées » ? C'est d'une superbe mesquinerie. Ou bien elles ne tiennent pas la route sur le fond, ou bien elles emportent l'adhésion par leur qualité et leur pertinence.
« Le menu idéal des enfants et des ados »
C'est à vomir !
« Le pain au levain acheté en boulangerie... »
« ...le miel (plutôt local, certains miels importés contenant du sirop de glucose) »
« ...une compote sans sucre ajouté et, idéalement, faite maison »
« Un lait chocolat » bio »
« Des légumes frais cuits... »
Il y a aussi les produits à éviter... les céréales pour petits déjeuners qui contiennent de l'acrylamide, les pâtes à tartiner qui contiennent « la fameuse huile de palme », les barres de céréales « pleines d'additifs », les « arômes de synthèse » dans les yaourts, certains chocolats qui « contiennent de la lécithine de soja, qui peut provenir d'OGM ».
Le triomphe de l'élitisme ; de la diététique pour bobos, surtout affligés de phobies alimentaires, au porte-monnaie bien garni (et de préférence avec une employée de maison pour faire la compote du petit déjeuner).
Le triomphe aussi des préjugés et de l'antiscience.
Les légumes en conserve sont aussi bons que les légumes frais, dans certains cas meilleurs. Ils sont disponibles toute l'année et accessibles à la France qui galère. L'huile de palme, c'est comme pour l'essentiel de l'alimentation, une question de quantités. La lécithine est la même, que le soja soit GM ou non.
« Vin, ce qu'en dit la science »
Excellente demi-page du Pr Didier Raoult, Directeur du laboratoire de bactério-virologie de la faculté de médecine de Marseille. Et auteur de « Votre Santé, tous les mensonges qu'on vous raconte et comment la science vous aide à y voir clair ».
M. Raoult est un habitué du Point [7]. On citera avec grand plaisir « Raoult - La cantine est faite pour… nourrir les enfants », qui assène une vérité d'évidence sur le menu idéal des enfants et des ados [8] :
« Les débats sur la cantine sont maintenant prisonniers de l'idéologie. C'est pourtant simple : il faut servir des repas que les élèves veulent bien manger ! »
Mais il est vrai qui, lui, est de confession scientifique.
« Giesbert-Millet : la bataille du steak »
M. Franz-Olivier Giesbert, végétarien, nous offre une superbe diatribe à fronts retournés... « Pourquoi tant de haine [...] des gros mangeurs de viande » envers les végétariens ?
Mais quand on poursuit, on s'aperçoit avec effarement que les végétariens seraient des « animaux humains de la catégorie des herbivores », et que :
« ...dans la Genèse monothéiste, Dieu a créé les humains, puis les animaux afin que les premiers se repaissent des derniers. »
On ne s'étendra pas, par exemple, sur « la grande distribution et [...] l'industrie de la viande, furieusement cupides, amorales et inhumaines. » Ou encore le « terrorisme totalitaire de la viande industrielle ».
On peut considérer que le réquisitoire de M. Millet, « pour la viande rouge » est aussi excessif. Mais sa conclusion est percutante :
« Oui, je les saluerai [les éleveurs de la Corrèze] en songeant que c'est l'hygiénisme de notre époque qui est une maladie et qui trouvera sa perfection nihiliste en décrétant cancérogène le fait même de vivre. »
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[1] http://seppi.over-blog.com/2015/11/tri-selectif-ne-jetez-pas-votre-enfant-pollue-a-la-poubelle.html
[2] http://imposteurs.over-blog.com/2014/10/aliments-bio-ils-sont-beaux-les-biais-par-wackes-seppi.html
[4] http://www.inegalites.fr/spip.php?article1648
Voir aussi :
https://www.anses.fr/fr/content/pas-de-miel-pour-les-enfants-de-moins-d%E2%80%99un
[6] http://www.who.int/mediacentre/news/statements/2015/processed-meat-cancer/fr/
[7] http://www.lepoint.fr/invites-du-point/didier_raoult/