Glyphosate et EFSA : Verts de rage !
L'heure d'après...
Photo représentant la ministre de l’écologie remettant en place des produits Round up dans les rayons, après avoir pris connaissance de l’avis de l’EFSA sur le glyphosate (photo et légende piquées avec délice chez notre ami Albert Amgar
Le 12 novembre 2015, l'EFSA publiait un communiqué de presse ainsi que les documents sur son évaluation du glyphosate – l'ingrédient principal d'une ligne d'herbicides dont l'emblème est le Roundup... de Monsanto (le brevet a expiré depuis belle lurette mais aucun contestataire des produits phytosanitaires ne pourrait omettre cette « précision ») :
« Le groupe d'examen par les pairs a conclu qu'il est improbable que le glyphosate soit génotoxique (c.à.d. qu'il endommage l'ADN) ou qu'il constitue une menace cancérogène pour l'homme. Les experts n'ont pas proposé que le glyphosate soit catégorisé comme cancérogène dans la réglementation de l’UE sur la classification, l'étiquetage et l'emballage des substances chimiques. En particulier, tous les experts des États membres, à une exception près, ont convenu que ni les données épidémiologiques (portant sur l’homme), ni les éléments issus d’études animales n’ont démontré de causalité entre l'exposition au glyphosate et le développement de cancer chez les humains. »
Par ailleurs :
« Outre l'introduction d’une DARf, le document propose d'autres seuils de sécurité toxicologique pour guider les évaluateurs des risques dans leurs décisions: un niveau acceptable d'exposition des opérateurs (NAEO) a été fixé à 0,1 mg/kg de poids corporel par jour, et une dose journalière acceptable (DJA) pour les consommateurs a été établie en ligne avec la dose aiguë de référence à 0,5 mg/kg de poids corporel. »
La DJA européenne est actuellement à 0,3 mg/kg. Il y a donc une proposition d'assouplissement sur laquelle les autorités européennes devront se prononcer. La dose aiguë de référence (DARf) semble être une mesure plutôt cosmétique, dans la mesure où elle est difficilement atteignable dans la pratique (voir notre billet précédent).
Notre confrère en rationalisme Albert Amgar a publié un billet, « La cancérogénicité du glyphosate est improbable pour l’homme, le jour d’après » qui nous a inspiré le sous-titre.
Car, dans l'heure qui a suivi la mise en ligne de l'EFSA, il y a eu une réaction de Mme Michèle Rivasi, députée européenne d'Europe Écologie, suivie par un communiqué du groupe Les Verts – Alliance Libre Européenne du Parlement européen.
Le ton est donné dès le titre :
« Monsanto peut dormir tranquille, la protection de la santé et de l'environnement attendra. »
Quel est le principe directeur de l'action politique ? La haine de Monsanto ! Déclinée d'une autre manière dans l'envolée lyrique finale :
« L'EFSA a décidé de cajoler Monsanto au mépris de la santé de nos concitoyennes et nos concitoyens. »
On n'est pas loin de la chanson qui a déjà été entonnée par d'autres fractions vertes : l'EFSA sous influence ou, pour le dire plus brutalement, corrompue.
Pour l'entrée en matière :
« On assiste à une tragédie pour la santé de nos concitoyens et l'environnement. »
Le glyphosate est en usage depuis quelque 40 ans. C'est l'herbicide le plus utilisé dans le monde. En France, et dans bien d'autres pays, il est en vente libre pour les particuliers dans les jardineries et grandes surfaces... et Mme Rivasi et Greens-EFA nous bombardent avec une « tragédie » ? Les gouvernants, les autorités de régulation, les agences de protection de l'environnement, les utilisateurs – agriculteurs et amateurs – auraient-ils loupé quelque chose pendant quatre décennies ?
Mme Rivasi et Greens-EFA critiquent aussi le BfR, l'autorité compétente de l'État rapporteur :
« L'EFSA s'est basée sur les travaux de l'Institut allemand d'évaluation des risques (BfR) pour rendre son avis alors que les lacunes de ses travaux sont criantes. Le BfR a en effet écarté des études essentielles ayant démontré la toxicité du glyphosate et pris en compte des études encore non publiées dans la littérature scientifique et qui n'ont pas été validées. »
Il faudra que la fraction politique explique quelles études essentielles auraient été écartées (évidemment à tort et en toute mauvaise foi). Quant à celles qui ont été prises en compte avant publication, en quoi cela porterait-il préjudice à la validité du travail du BfR ? Mme Rivasi a une formation scientifique. Ignore-t-elle la qualité très inégale des articles publiés, malgré le passage par un comité de lecture ? Les déficiences de la revue par les pairs de certains articles préalablement à la publication (ou à la republication dans le cas d'un célèbre article dépublié) ? Faut-il comprendre que, pour elle et ses collègues, le groupe d'examen par les pairs composé de scientifiques de l’EFSA et de représentants des organes d'évaluation des risques des États membres n'est pas compétent pour juger de la validité d'un article non encore publié ? Faut-il comprendre, par extension, qu'il n'était pas non plus compétent pour juger de la pertinence de tous les articles pour la réponse aux questions posées ?
Le clou est peut-être ceci :
« Cet avis de l’EFSA va totalement à l’encontre de sa mission première : appliquer le principe de précaution. »
Il nous semblait que l'EFSA avait pour mission de fournir des avis scientifiques indépendants dans un large éventail de domaines associés à la sécurité de la chaîne alimentaire dans l’Union européenne...
Dans le Monde daté du 14 novembre 2015, M. Stéphane Foucart a publié « Pour les experts européens, le glyphosate est sans danger ». Comme on peut s'y attendre, l'article a pour tendance générale de fabriquer le doute, sinon plus, sur la pertinence de l'avis de l'EFSA, et donc de confronter l'avis de l'EFSA, tout d'abord, à des avis issus du CIRC. Au besoin avec un mensonge.
Selon l'interlocuteur non identifié du CIRC :
« Notre méthodologie consiste à ne tenir compte d'études que dans la mesure où elles sont publiques, publiées dans des revues scientifiques avec révision par les pairs [...]. »
Sauf que, dans le cas des champs électromagnétiques de radiofréquences :
« Le Groupe de Travail a pris en compte des centaines d’articles scientifiques ; la liste complète sera publiée dans la Monographie. Il faut noter que plusieurs articles scientifiques récents issus de l’étude Interphone et non encore publiés, mais acceptés pour publication, ont été mis à disposition du Groupe de Travail peu avant la réunion, et inclus dans l’évaluation. »
Les champs électromagnétiques de radiofréquences ? Un cas où, manifestement, le classement par le CIRC en cancérogène possible répondait à des pressions.
Un classement par un groupe d'experts comprenant un certain Christopher J. Portier, président d'un sous-groupe et à l'époque encore dans la fonction publique américaine.
Un Christopher Portier dont nous avons vu précédemment, notamment ici et ici, qu'il a joué un rôle important dans les travaux sur le glyphosate, qu'il était affligé d'un gros conflit d'intérêts, et qu'il s'est rangé par la suite du côté du militantisme anti-glyphosate.
Un Christopher Portier qui, ce n'est pas une surprise, est abondamment cité dans l'article... un article qui rappelle les anciennes fonctions de M. Portier mais omet de signaler qu'il « reçoit un salaire à temps partiel du Environmental Defense Fund » ainsi que cela est précisé dans la liste des participants du CIRC.
Mais après tout, cet article est très instructif pour qui sait décrypter :
« Il m'est très difficile de comprendre comment des toxicologues peuvent endosser un tel avis, dont les auteurs avaient, semble-t-il, déjà la réponse avant que la question ne soit posée. »
Un tel jugement à l'emporte-pièce de M. Portier – qui consiste à traiter ses collègues (anciens puisqu'il est maintenant un militant déclaré) d'imbéciles et à supputer une démarche malhonnête – ne signale-t-il pas un extraordinaire aveuglement ? Un aveuglement qui rejaillit négativement sur le classement par le CIRC ?
Encore un qui est vert de rage !
P.S. : un autre document intéressant de l'EFSA perdu dans un recoin du site (bravo les administrateurs !) et déniché grâce à la France agricole.