Pour protéger nos enfants... soyons rationnels
Elle est très active, l'activiste anti-pesticides Marie-Lys Bibeyran. Elle vient de lancer une pétition intitulée : « Pour protéger nos enfants : traitez en Bio et hors présence enfants les vignes situées le long des écoles ! » [1].
« ...traitez... » ? Ne serait-elle pas anti-pesticides ? Non. Travailleuse de la vigne, elle est parfaitement consciente des réalités de la viticulture.
On n'en dira pas tant, au sujet des réalités, de M. François Veillerette et de Générations Futures qui faisaient signer l'an dernier une pétition réclamant « la mise en place de zones sans pesticides à proximité des lieux de vie » sous le titre « Votez pour l'amendement interdisant la pulvérisation de pesticides le long des habitations et des écoles! » (c'était adressé aux députés et sénateurs) [2]. La pétition était du reste soutenue par une intéressante liste de personnalités. Il résulte de ce qui vient d'être écrit que nous soutenons qu'il y a un ingénieur agronome, une personne qui pour l'occasion ne se donne que l'agronome sans l'ingénieur, et des responsables de la filière bio qui ne connaissent rien aux réalités de la viticulture. À moins de considérer que leur soutien signifie qu'ils préconisent la mise en bande enherbée des abords d'habitations et d'écoles et autres lieux de vie, soit l'mputation importante de notre surface agricole.
Il y aurait, selon la pétition, une lettre adressée à Madame la Ministre de l'Environnement Ségolène Royal, au préfet et au sous-préfet (on suppose que ce sont les régionaux de l'étape). Son texte ne laisse pas de surprendre tant il est télégraphique :
« Traitement uniquement avec des produits homologués pour la viticulture biologique et en dehors de la présence des enfants, de toutes les vignes situées le long des écoles et des infrastructures sportives et culturelles. »
Cela contraste avec un exposé des motifs long, détaillé et plutôt bien fait.
Mais « bien fait » ne signifie pas que ce qui est affirmé soit juste ou pertinent.
Pour la mise en bouche, il est déclaré :
« En effet, les cancers pédiatriques augmentent, parmi lesquels des tumeurs cérébrales, des leucémies... »
C'est sans références, et pour cause ! Il est difficile de trouver une confirmation dans la littérature sérieuse. Et quand celle-ci évoque une augmentation, c'est pour l'attribuer à l'amélioration des techniques diagnostiques [3]. La répartition des cas ne fait pas apparaître un gradient de prévalence qui permet d'incriminer, en particulier, les régions viticoles [4].
(a) Risque relatif de chaque département estimé par le taux d'incidence standardisé sur l'âge (SIR).
(b) Estimations a posteriori des risques relatifs par un modèle hiérarchique bayésien BYM
Source : Registre national des hémopathies malignes de l’enfant et Registre national des tumeurs solides de l’enfant, 2000-2007
Le risque relatif de cancers de l'enfant dans chaque département a été estimé par le rapport entre le nombre de cas observés et le nombre de cas attendus sous l'hypothèse d'une incidence homogène sur tout le territoire (taux d'incidence standardisé sur l'âge ou SIR). Pour la période 2004-2008, les SIRs varient de 0,64 à 1,16 (figure 1a), ces deux valeurs extrêmes étant non significativement différentes de 1.
Dans un second temps, un modèle hiérarchique bayésien prenant en compte les départements voisins a été utilisé pour réduire l’imprécision statistique des estimations des départements les moins peuplés. Aucune hétérogénéité spatiale n’a été observée (figure 1b).
Villeneuve-de-Blaye : les enfants répètent une chanson dans la cour pendant qu'on traite à côté [5]
Donc le texte de la pétition passe illico à l'incident de Villeneuve-de-Blaye de mai 2014, avec un lien vers un article du Parisien qui fait l'article pour Générations Futures [6]. On se souvient que des élèves et leur institutrice avaient été pris de malaises après un épandage de produits phytosanitaires dans les vignes qui jouxtent l'établissement scolaire. Grand tapage s'ensuivit (mais il fallut tout de même une dizaine de jours pour faire monter la mayonnaise) ! Mme Ségolène Royal – qui ne rate jamais une occasion de faire parler d'elle – s'est empressée d'annoncer qu'elle voulait interdire, très prochainement, les traitements phytosanitaires (tous les traitements...) à moins de 200 mètres des écoles [7].
Le soufflé médiatique était vite retombé. C'est que le problème – côté pulvérisations – a vraisemblablement été causé par des produits utilisables en « bio » [7] [8]. Ces références ne seraient-elles pas crédibles ? Des médias grand public ont rapporté le témoignage d'un parent travailleur de la vigne [9] :
« Ma fille sentait le sulfate à plein nez, je connais l'odeur. »
Et c'est là que la pétition prend un tour, disons, discutable. On fait signer des gens pour une restriction des traitements à des produits qui ont donné lieu à un incident que – signataire ou pas – l'on n'aimerait pas voir répété.
Du reste, le texte signale aussi que l'interdiction de traiter pendant que les enfants sont dans l'enceinte de l'établissement scolaire fait déjà partie de la panoplie des mesures réglementaires.
Il est écrit que la pétition a été réalisée avec le soutien de l'Alerte Médecins Pesticides AMLP de Limoges (le Limousin et ses pommiers est un haut lieu de l'activisme anti-pesticides).
La pétition signale donc le cas de Preignac dans le Sauternais :
« 05 août 2015, publication d"un rapport de l'ARS et de l'INVS suite à 9 cas de cancers pédiatriques dans le sauternais, dont 4 sur la commune de Preignac, dont l'école est située à quelques mètres d'une parcelle de vignes. »
Pourquoi ce texte très ambigu ? C'est que ce rapport de juin 2013, « Investigation d’une suspicion d’agrégat de cancers pédiatriques dans une commune viticole de Gironde », conclut notamment ceci [10] :
« Si l’on ne peut écarter l’absence d’excès de cas de cancer sur Preignac ou sa zone, celui-ci reste faible et ne concerne pas un type de cancer spécifique. Les méthodes épidémiologiques ne permettent pas de savoir si cet excès est lié à une fluctuation aléatoire des maladies (pouvant être compensée par un déficit dans les années à venir) ou si cet excès est véritablement lié à un facteur de risque environnemental commun. En outre, on constate que dès que l’on agrandit la zone d’étude aux autres communes limitrophes, l’excès de risque est moindre. »
Donc, avec ce rapport, on n'a pas pu jouer de la grosse caisse, mais uniquement un air de flûte. On aurait pu s'attendre à davantage de rigueur de la part de médecins.
On peut estimer que les pétitions de ce genre sont de la gesticulation et qu'il convient de les prendre comme telle. On peut estimer aussi – surtout à l'heure des « réseaux sociaux » – qu'il convient de les analyser et d'en dénoncer les insuffisances et, le cas échéant, les petits arrangements.
Dans le cas d'espèce, on peut penser que la santé des enfants n'est qu'un prétexte, ceux-ci étant pris en otage.
La question de l'exposition des enfants aux dérives de traitements phytosanitaires mérite mieux que cette pétition qui, comme dans le cas du Saladegate, « assume le rôle d’[outil] de promotion d’une filière ».
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Voir aussi :
[3] Voir par exemple :
http://www.invs.sante.fr/beh/2010/49_50/
« Incidence des cancers de l‘enfant en France : données des registres pédiatriques nationaux, 2000-2004 », Brigitte Lacour et al.
[7] http://www.agriculture-environnement.fr/actualites,12/pesticide-segolene-royal,939.html
[9] Par exemple :
http://www.sudouest.fr/2014/05/14/malaise-a-l-ecole-1553833-2780.php
http://sante.lefigaro.fr/actualite/2014/05/15/22347-ecoliers-malades-apres-traitement-dune-vigne
[10] http://opac.invs.sante.fr/doc_num.php?explnum_id=10089