Les relations d'affaires entre « bio » et « ONG »... et recherche militante... et Commission européenne
Glané sur la toile (29) : Alerte-Environnement et ForumPhyto révèlent quelques liens
Dans « Le dilemme moral de l'industrie des pesticides », the Risk-monger avait expliqué que l'industrie en général, et celle des produits phytopharmaceutiques en particulier, s'interdisait dans ses codes d'éthique de critiquer les concurrents et leurs produits [1]. Dans ce monde policé, il y a toutefois des exceptions. Le lobby des produits biologiques – à distinguer des producteurs bio qui s'adonnent honnêtement à leur activité, en bonne intelligence avec leurs collègues « conventionnels » – et des ONG « environnementales » se sont entendus pour faire la promotion du bio en dénigrant l'agriculture conventionnelle. Du bio ? Pas vraiment, répétons-le, de celui du producteur local qui vend en circuit court...
Nous avons aussi abordé cette problématique de symbiose ici. Dans « Les scandales du "Saladegate" », nous avons reproduit une infographie explicite sur l'écosystème idéologique et financier de Générations Futures [2]. Rappelons aussi la dénonciation sans appel de Que Choisir à propos du Saladegate [3]:
« En résumé, Générations futures assume le rôle d’organisme de promotion d’une filière. »
Alerte-Environnement ajoute une couche avec « Léa Nature : le lobbying bio en action » [4] :
« Réussite [de Léa Nature] elle-même fondée sur un "territoire d’image" (comme disent affreusement les communicants) que s’est forgée l’entreprise tout au long de ces années. Pour y parvenir, rien de tel qu’un coup de main de la part d’associations environnementales auxquelles Léa Nature devrait verser cette année 1 million d’euros. »
Léa Nature (ou sa fondation, on ne sait pas toujours très bien) finance aussi les « études » d'un célèbre professeur... La collusion est tripartie : milieux économiques, milieux (parfois prétendument) associatifs et milieux scientifiques militants... auxquels il faut ajouter des médias complaisants.
Quant à Générations Futures, l'article 2 de ses statuts énonce :
« L’association a pour objet d’agir, par tous moyens légaux, tant localement qu’à l’échelle nationale ou internationale, pour la défense de l’environnement et de la santé, en particulier dans les domaines suivants :
[...]
« Afin de parfaire la réalisation de cet objet, GF fait la promotion de toutes les alternatives respectueuse de l’environnement et de la santé dans ces domaines, comme par exemple l’agriculture biologique.
On ne saurait être plus clair. Prébendes contre propagande...
Avertissement : cet intertitre est ironique. D'une ironie grinçante. Les auteurs de la pétition se servent de faits divers – dont on peut légitimement se demander s'ils sont établis – pour faire avancer leurs projets.
Poursuivons sur les statuts de Générations Futures :
« De même, l’Association organise les citoyens, notamment consommateurs et usagers, à se prémunir contre le choix irréfléchi de technologies et combinaisons de techniques utilisées dans les systèmes de production qui polluent les ressources vitales « air eau sol biocénoses » et dégradent les milieux de vie. En cela, elle accompagne les personnes physiques ou morales, victimes ou représentants des victimes de préjudices sanitaires en lien avec la dégradation de l’environnement, y compris en justice. »
Générations Futures « accompagne » Mme Marie-Lys Bibeyran en justice [5] (et ils font des actions nominalement communes [6])... et Mme Bibeyran lance une pétition qui, en dernière analyse, fait la promotion du... bio [7].
Ce serait cocasse si la prise en otage des enfants, dans cette pétition, pour la promotion d'un certain bio n'était pas tragique.
On apprend par des sources plutôt confidentielles, régionales ou spécialisées, que la plainte contre X déposée par l'association Sepanso à la suite de l'intoxication (à ce stade nous pouvons ajouter : alléguée) des élèves d'une classe de l'école de Villeneuve-de-Blaye (Gironde) et de leur institutrice en mai 2014 a été classée sans suite en juin 2015 par le tribunal de Grande instance de Libourne [8]. Plainte de la Sepanso ? Aucune plainte de parent d'élève ? Bizarre, non ? Enfin, nous disons ça comme ça...
Pas d'écho national sur ce classement ? Ben quoi ? C'était pourtant une information d'importance nationale à l'époque des faits allégués, en mai 2014 – du reste une bonne semaine après lesdits faits... Mais la baudruche qui s'est dégonflée, ce n'en est pas une... Et ne demandez pas aux médias qui se sont agités un peu vite, sans esprit critique, de faire amende honorable.
Toujours est-il que la Sepanso a décidé de faire appel. Et certains médias régionaux se sont emparés de l'information, toujours en sens unique [9]. En attendant que les médias nationaux prennent le relai ?
Mais c'est plutôt intéressant :
« Ce 5 mai 2014, le directeur de l’école avait déjà croisé une machine en action lors de l’entrée en cours à 8h20. Puis à d’autres moments de la matinée, lors de la récréation, et en début d’après-midi. On peut même dire en croisant l’ensemble des témoins que les traitement étaient forts nombreux.
« A tel point que la récréation de 10h a dû être écourtée: "L’épandage s’est fait contre l’école à un moment où les enfants étaient dehors, les enseignants ont été obligés de rentrer précipitamment les élèves 2 fois, le matin et entre midi et deux. Il y a des témoins qui disent que les enfants mettent les mains sur le grillage et ils ont les doigts bleus ou verts avec des traces de produit." »
Voilà des « informations » nouvelles ! On nous expliquera pourquoi on ne parle qu'aujourd'hui de la récréation écourtée (certains ont affirmé à l'époque que l'institutrice avait fait répéter une chanson dans la cour). Et pourquoi les traitements sont maintenant « nombreux » (à l'époque c'était deux). Et pourquoi une seule institutrice et les élèves de sa classe ont été intoxiqués, alors que la récréation avait été écourtée pour tous les élèves. Mais surtout, il y a... « les doigts bleus ou verts »... n'est-ce pas la signature du cuivre ? Ce produit autorisé en bio et, faute d'alternatives, seul utilisé en bio contre le mildiou ?
Mais la pétition « Pour protéger nos enfants : traitez en Bio et hors présence enfants les zones agricoles situées le long des écoles » poursuit son petit bonhomme de chemin...
Avec le soutien récent des médias (dont FR3 Aquitaine [9]).
Et aussi un commentateur sur le site Change.org :
« Continuer à épandre des pesticides reconnues toxiques et cancérigènes près des habitations et des écoles est un scandale de santé publique »
Signé : Denis Lairon. On ne présente plus.
Source : http://fr.slideshare.net/laustinnc/chapter-7-codes-of-ethics-jnl
Avec le soutien de FR3 ?
On peut en effet visionner sur le site que nous avons référencé, sur une page signée Jean-Pierre Stahl, un « reportage de Jean-Pierre Stahl et de Pascal Lécuyer » [9].
D'un Jean-Pierre Stahl qui a publié le texte de la pétition de Mme Bibeyran sur le site de FR3 [10].
Et sur InfoMedocPesticides on peut lire le billet de... M. Jean-Pierre Stahl (mais admettons que dans ce cas ce soit à l'insu de son plein gré...) [11].
ForumPhyto a épluché quelques documents – pas comptables, la plupart des « ONG » se retranchant dans l'opacité sur leurs financements – pour repérer des remerciements à de généreux donateurs [12] :
« Il faut donc comprendre que deux fondations américaines, administrées à partir des USA, à travers le financement d’ONG environnementalistes, financent clairement des actions destinées à influencer les décisions politiques de l’UE. »
Parmi les ONG...Générations Futures...
C'est dans « Perturbateurs endocriniens : un débat sous influence ? » Le point d'interrogation est parfaitement superflu. Le billet mérite lecture.
ForumPhyto a aussi soulevé un autre lièvre :
« Oak Foundation a également financé entre 2009 et 2011 un projet de Brunel University (Royaume-Uni) pour "identifier les obstacles et les manques en matière de pratiques et de réglementation sur les perturbateurs endocriniens" [...]. Ce projet était dirigé par Andreas Kortenkamp, qui a également rédigé une étude pour la DG environnement de l’Union Européenne, publiée en 2012, sur les perturbateurs endocriniens[...]. Cette étude a fortement influencé le processus réglementaire toujours en cours. »
C'était pour un montant de près de 330.000 $. Et les travaux pour Oak Foundation et la DG Environnement ont été menés, en partie au moins, en parallèle.
Et ça a aiguisé notre curiosité... Nous avons trouvé que M. Kortenkamp a aussi travaillé pour Bioforce Ltd. [13] (des bourses pour des étudiants, c'était évidemment pour travailler dans son labo sur des sujets intéressant le financeur, une boutique de, disons, « santé naturelle »). Il a aussi travaillé pour (ou avec ?) Faust & Backhaus, une firme de consultance environnementale qui a pour « clients et partenaires », outre des agences étatiques et la Commission européenne... l'Oak Foundation [14].
Nous ne sommes pas allé loin dans la liste des résultats de notre moteur de recherche favori. Nous avons aussi trouvé en quelques clics un article scientifique financé par l'Oak Foundation [15]. Et, bien sûr, les auteurs ont déclaré une absence de conflits d'intérêts...
Ce n'est là que le début d'un écheveau qu'il faudra dévider à l'occasion.
Autre découverte, grâce aux documents mis en ligne par le New York Times [16], c'est l'ampleur de la collusion entre M. Charles Benbrook et la filière militante du bio états-unienne. M. Benbrook avait aussi été engagé par Greenpeace pour dire tout le mal possible des OGM en Europe [17].
Mais ses courriels viennent de dévoiler un autre fait qui avait été soigneusement dissimulé.
En juillet 2014, une équipe autour de M. Carlo Leifert, de l'Université de Newcastle, avait publié « Higher antioxidant concentrations and less cadmium and pesticide residues in organically-grown crops: a systematic literature review and meta-analyses » (des concentrations plus élevées d'antioxydants et moins de cadmium et de pesticides dans les produits de l'agriculture biologique : un examen systématique de la littérature et méta-analyses) dans le British Journal of Nutrition [18]. Nous en avions fait une critique sur Imposteurs [19], et M. Léon Guéguen vient d'en faire une autre dans la revue Science...&Pseudo-sciences [20].
Les auteurs avaient annoncé deux sources de financement : l'Union européenne aurait apporté sa contribution dans le cadre du projet QLIF (Quality Low Input Food, aliments de qualité à bas intrants) qui, bizarrement, s'était terminé en terminé en avril 2009... oh, juste cinq ans auparavant ; et le Sheepdrove Trust qui aurait fourni le complément – ainsi qu'un soutien technique. Il aurait aussi fourni une méta-analyse de données sur la composition des aliments bios et conventionnels.
Mais là n'est pas le problème, enfin celui de ce billet. Les auteurs ont écrit que le Sheepdrove Trust a fourni son financement sans conditions et qu'il n'a eu aucune influence sur la conception et la conduite du projet de recherche, ni sur l'établissement de la publication. Ce qui leur a permis de ne pas déclarer de conflit d'intérêts à propos de ce financement et de cette assistance.
Oui, mais...
Oui, mais on apprend par les courriels de M. Benbrook que M. Leifert s'est vu attribuer une subvention de quelque 120.000 $ du Sheepdrove Trust, une officine qui fait notamment la promotion du bio, pour la promotion médiatique de son article au Royaume-Uni et en Europe [21].
Cela pose deux problèmes. L'un est l'honnêteté des déclarations d'absence de conflit d'intérêts. Mais ce n'est pas véritablement un problème : on sait que M. Leifert et nombre de ses co-auteurs sont des militants.
L'autre est fondamental : la Commission européenne – et les instances qui jouissent d'une large autonomie de décision – fera-t-elle le ménage pour que la parole reste à la vraie science et, surtout, que les décisions politiques soient fondées sur celle-ci plutôt que des charlataneries ?
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[1] http://seppi.over-blog.com/2015/10/le-dilemme-moral-de-l-industrie-des-pesticides.html
[2] http://seppi.over-blog.com/2015/09/les-scandales-du-saladegate.html
[3] http://seppi.over-blog.com/2015/10/glane-sur-la-toile-28-que-choisir-denonce-le-saladegate.html
[4] http://alerte-environnement.fr/2015/10/15/lea-nature-le-lobbying-bio-en-action/
[5] http://www.generations-futures.fr/pesticides/victimes-des-pesticides-reco-post-mortem/
[6] Par exemple :
[7] http://seppi.over-blog.com/2015/10/pour-proteger-nos-enfants-soyons-rationnels.html
[8] Par exemple :
[12] http://www.forumphyto.fr/2015/10/09/perturbateurs-endocriniens-un-debat-sous-influence/
[13] http://www.brunel.ac.uk/people/andreas-kortenkamp
[14] http://www.fb-envico.com/services.html
[15] http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3708776/
http://www.nytimes.com/interactive/2015/09/06/us/document-benbrook.html
https://www.muckrock.com/foi/washington-54/chuck-benbrook-emails-20764/
[17] http://www.greenpeace.org/eu-unit/en/News/2012/growing-doubt/
Voir aussi, pour la tournée européenne avec un agriculteur aux messages différents selon le côté de l'Atlantique : http://seppi.over-blog.com/2015/06/greenpeace-s-etait-paye-le-lutz-de-l-enfumage.html
[18] http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4141693/
[19] http://imposteurs.over-blog.com/2014/10/aliments-bio-ils-sont-beaux-les-biais-par-wackes-seppi.html
Voir le commentaire de Mem Somerville.
L'original se trouve dans Muckrock (note 17), chercher « Now Task » et ouvrir la pièce jointe. Laquelle est aussi très instructive sur le financement du programme qu'animait M. Benbrook à l'Université de l'État de Washington.