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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Comment l'Union européenne affame l'Afrique et la maintient dans la soumission

28 Octobre 2015 , Rédigé par Seppi Publié dans #Afrique, #OGM, #Union européenne, #Politique

Comment l'Union européenne affame l'Afrique et la maintient dans la soumission

 

Calestous Juma *

 

 

On estime que l'Afrique importe près de 83 pour cent de sa nourriture. Les dirigeants africains cherchent des moyens de nourrir leurs peuples et de devenir des acteurs de l'économie mondiale.

 

Dans la deuxième édition de « The New Harvest: Agricultural Innovation in Africa » (la nouvelle récolte: innovation agricole en Afrique), je soutiens que l'Afrique peut arriver à se nourrir en une génération. Toutefois, les efforts pour atteindre un tel objectif ambitieux continuent d'être sapés par les politiques adoptées par les partenaires commerciaux historiques de l'Afrique, en particulier l'Union européenne.

 

Les politiques de l'UE influent au moins de trois manières sur la capacité de l'Afrique à relever ses défis agricoles et alimentaires : l'escalade des droits de douane ; l'innovation technologique ; et les préférences da ns les exportations alimentaires.

 

Les dirigeants africains voudraient échapper au piège colonial qui consiste à être considéré simplement comme des exportateurs de matières premières. Mais leurs efforts pour ajouter de la valeur aux matériaux continuent d'être frustrés par les politiques actuelles de l'UE.

 

Prenez l'exemple du café. En 2014, l'Afrique – le centre d'origine du café – en a tiré près de 2,4 milliards de dollars. L'Allemagne, un transformateur de premier plan, a gagné environ 3,8 milliards de dollars grâce aux réexportations de café.

 

Jeune femme récoltant le café en Éthiopie.

 

Le souci n'est pas que l'Allemagne profite de la transformation du café. Il est que l'Afrique est punie par les barrières tarifaires de l'UE et empêchée de la faire. Le café vert, non décaféiné, est exempt de droits de douane. Mais un droit de 7,5 pour cent est perçu sur le café torréfié. En conséquence, la majeure partie des exportations de l'Afrique à destination de l'UE se font sous forme de café vert, non torréfié.

 

Les droits sur le cacao sont encore plus pesants. On rapporte [3] que « l'UE perçoit des droits de douane de 30 pour cent sur les produits transformés de cacao comme les tablettes de chocolat ou le cacao en poudre, et 60 pour cent pour certains autres produits raffinés contenant du cacao. »

 

L'impact de ces droits va bien au-delà des possibilités d'exportation perdues. Ils suppriment l'innovation technologique et le développement industriel des pays africains. La pratique dénie au continent la possibilité d'acquérir, d'adopter et de diffuser les technologies utilisées dans l'industrie agroalimentaire. Elle explique dans une certaine mesure le faible niveau d'investissement dans les entreprises agroalimentaires en Afrique.

 

Habituellement, le savoir-faire acquis sur les exportations telles que le café pourrait être déployé pour d'autres denrées et dans d'autres secteurs. Cela aiderait à stimuler le développement industriel et la création d'emplois. Être défini comme exportateur de matières premières sape l'innovation technologique dans l'économie en général, et pas seulement dans l'agriculture.

 

Le deuxième cas où la politique de l'UE sape l'innovation agricole africaine est celui des plantes génétiquement modifiées (OGM). L'UE exerce son droit de ne pas cultiver des plantes transgéniques et de seulement les importer pour l'alimentation animale. Cependant, l'exportation de ses politiques restrictives sur les cultures GM nuit à l'Afrique.

 

L'adoption de politiques restrictives a été un objectif poursuivi en Afrique sous le prétexte de protéger l'environnement et la santé humaine. Jusqu'à présent, il y a eu peu de preuves à l'appui de la nécessité de règles de biosécurité draconiennes. Il est certes important que les risques liés aux nouveaux produits soient évalués. Mais les restrictions devraient être proportionnées et conformes aux besoins des différents pays.

 

Les besoins de l'Afrique sont différents de ceux de l'UE. Il y a des problèmes exclusivement africains pour lesquels la transgénèse devrait être considérée comme une option. Penchons-nous sur les exemples de l'Ouganda et du Nigeria.

 

Le flétrissement bactérien du bananier dû à Xanthomonas [4] provoque une maturation précoce et la décoloration des bananes, une culture vivrière pour l'Ouganda. Cela coûte près de 500 millions de dollars US en pertes par année à la région des Grands Lacs. Il n'y a pas de traitement pour combattre la maladie, qui continue de saper la sécurité alimentaire.

 

 

Des scientifiques ougandais de l'Institut de Recherches Agronomiques de Kawanda ont développé une approche GM, mais leurs efforts afin de poursuivre leurs recherches sont entravés par une opposition. Ceux qui sont opposés à la technologie préconisent l'adoption de l'approche de la biosécurité qui est celle de l'UE, une approche qui, en fait, ferait obstacle à l'adoption de la technologie. En fait, certains des opposants utilisant des tactiques de peur [6] contre la technologie sont des organisations non gouvernementales basées dans l'UE.

 

Le papillon Maruca vitrata détruit pour environ 300 millions de dollars de haricots à œil noir (Vigna unguiculata subsp. unguiculata) au Nigeria. Le pays est obligé d'importer des pesticides [7] d'une valeur de 500 millions de dollars par an pour lutter contre le ravageur. Des chercheurs de l'Institut de Recherche Agricole de l'Université Ahmadu Bello du Nigeria ont développé une variété GM résistante. Les décideurs politiques nigérians sont réticents à la perspective de développer une technologie qui, craignent-ils, pourrait les mettre sur une trajectoire de collision avec l'UE.

 

 

 

 

Poursuivre des politiques de biosécurité inspirées par l'UE dénie à l'Afrique la capacité de tirer parti des biotechnologies et de les utiliser pour répondre à ses propres besoins locaux. La technologie GM a des applications plus larges dans des domaines tels que la médecine et peut être utilisée dans le développement de diagnostics.

 

Zmapp [8] est un exemple de médicament expérimental pour une utilisation contre le virus Ebola qui a été développé en utilisant la technologie GM. Dans ce cas, les politiques européennes en matière de sécurité alimentaire peuvent avoir comme conséquence inattendue la suppression de l'innovation en Afrique non seulement en agriculture, mais aussi dans le domaine de la santé.

 

Il y a des secteurs du commerce agricole entre l'UE et l'Afrique qui, en surface, semblent offrir des signes d'espoir. L'un d'eux est le commerce des produits biologiques. En fait, une partie de l'opposition à la technologie GM est liée à la perception que la technologie pourrait compromettre les exportations africaines de produits biologiques vers l'UE.

 

La hausse de la demande en produits biologiques à travers le monde offre à certaines parties de l'Afrique la possibilité d'accroître leurs exportations de produits alimentaires. Mais au cours des deux dernières décennies, la part de l'Afrique dans les exportations alimentaires mondiales a chuté de 11 pour cent à moins de 3 pour cent. La Thaïlande exporte presque autant de produits alimentaires que l'ensemble de l'Afrique subsaharienne.

 

Mais ce n'est pas en dépendant des marchés de niche bio de l'UE que l'on va augmenter les exportations de produits alimentaires. L'Afrique doit déployer des efforts énergiques pour améliorer son agriculture en adoptant les technologies modernes, et non pas simplement en se limitant à l'exploitation de « l'écologie pas cher » de l'Afrique.

 

Pour atteindre ses objectifs technologiques, l'Afrique a besoin de travailler en partenariat avec des pays comme le Royaume-Uni qui ont une connaissance historique du continent [9]. Mais à cause des politiques collectives de l'UE, il est difficile pour l'Afrique de s'engager de manière productive avec le Royaume-Uni dans des domaines tels que la biotechnologie agricole.

 

Un des impacts de ces politiques a été de pousser l'Afrique vers de nouveaux partenariats avec des pays comme la Chine et le Brésil qui ont fait œuvre de pionniers dans l'adoption de nouvelles technologies agricoles. Cela implique par contrecoup un risque à long terme d'érosion des relations commerciales entre le Royaume-Uni et l'Afrique. Le temps est venu pour l'UE de repenser l'impact de ses politiques sur l'agriculture africaine en général, et la mutation technologique en particulier.

 

___________________

 

* Calestous Juma est un professeur de la pratique du développement international à Harvard Kennedy School. Il est l'auteur de « The New Harvest: Agricultural Innovation in Africa ».

 

Source : http://www.capx.co/how-the-eu-starves-africa-into-submission/

Traduit et publié avec l'aimable autorisation du site source.

 

 

[1] http://belfercenter.ksg.harvard.edu/publication/25699/new_harvest.html

 

[2] http://www.ico.org/documents/icc-107-7e-tariffs-trade.pdf

 

[3] http://www.dw.com/en/high-duties-keep-food-imports-from-poor-countries-out-of-europe/a-5127705

 

[4] http://www.promusa.org/Xanthomonas+wilt

 

[5] http://211.144.68.84:9998/91keshi/Public/File/34/479-7374/pdf/479471a.pdf

 

[6] http://www.geneticliteracyproject.org/2015/03/30/actionaid-in-africa-ensnared-by-its-own-ugly-gmo-cancer-scare-tactics/

Ma note : Voir aussi :

http://seppi.over-blog.com/2015/08/ils-sont-bien-nourris-ils-n-ont-pas-besoin-de-manioc-gm.html

http://seppi.over-blog.com/2015/07/une-maladie-menace-la-banane-de-l-ouganda-actionaid-et-d-autres-groupes-anti-ogm-agitent-la-peur.html

 

[7] http://211.144.68.84:9998/91keshi/Public/File/34/479-7374/pdf/479471a.pdf

 

[8] http://www.foxnews.com/health/2014/08/15/ebola-puts-focus-on-drugs-made-from-tobacco-plants/

 

[9] Ma note : « ...comme la France... » serait fort incongru : grâce à un certain ministre délégué chargé du développement, l'Agence française de développement ne finance plus de projets de développement impliquant des OGM. Et ce personnage a eu « le plaisir » d'annoncer « [u]ne nouvelle victoire sur les OGM [...] qui nous fait avancer un pas de plus pour faire de l’agence, une référence en matière de développement durable »...

 

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A
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A
On ne le dira jamais assez, la politique europeenne copiee sur le model des relations qu'il y a entre la France et ses ex colonie est emprunt d'un sentiment de commiseration. L'aide publique au developpement qui en est la cle de voutre est une veritable coup de bloffe, une chimere. Car aussitot l'argent arrive aussitot il retourne dans les caisses des banques europeennes. La question, c'est avons des dirigeants assez courageux pour susciter la rupture avec cette pense de systeme et ce systeme de pense unique? Visiblement ils sont tres peu. L'UA b'etant que l'ombre d'elle meme, il appartient aux peu de dirigrants ambitieux de prendre le devant. Comme le fait le president Musoveni avec la question des OGM. Si nous nous accomodons aux decisions europennes, nous demeurerons dans cette soumission car c'est la, le dessein et surtout l'interet de cette buraucratie. C'est d'ailleurs pour cela qu'il faut soutenir le #Brexit car avec un Royaume Uni hors de l'Union europeenne, nous pouvons discuter et repenser nos relations. Le royaume uni est plus sincere et plus lucide dans la collaboration. Il n'y a qu'a regarder le niveau de developpement des ex colonies britannique par rapport aux ex colonies francaise. C'est donc une question de prise de conscience au niveau africain. La jeunesse a donc un grand role a jouer dans cette mutation qui doit se faire. La formation et l'apprentissage de l'anglais comme le disait une tres bonne amie #Jamila Youma est l'un fes element cle de ce combat d'idee. Oui, il s'agit de mener un combat d'idee, car les armes, les coups de force et discours guerriers ne nous menerons nul part si ce n'est encore plus de retard et certainement de perte de temps. D'ailleurs, un combat autre que celui des idees nous ait perdu d'avance. Ils sont toutes sorte d'arme pour en finir au plus vide. C'est l'une des raisons pour lesquelles je ne defini pas comme un panafricaniste car les figures qui incarne ce courant on le plus souvent des discours populiste, nationaliste qui frise le chauvenisme et le va-t-en guerre. Toute chose contre laquelle je m'inscris en faux. <br /> Merci encore a vous #Calestous pour cet article tres plaisant. Merci pour le partage d'idees et au plaisir de vous relire.
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L
Cher Ab, oui, on comprend bien ton propos. Tu es ouvertement contre les OGM. Mais, l'esprit de cet article ce n'est pas ce que tu crois. Ce article est pro OGM. Moi, j'ai bien lu ton commentaire. Mais tout le monde ne fera pas pareil. Alors reprécise ta pensée. Bien à toi.