Biodiversité et productivité agricole
C'est un article de la Tribune de Genève [1] qui nous a mis sur la piste d'un communiqué de presse du CNRS [2], qui nous a mis sur la piste d'un article paru dans Nature le 14 octobre 2015 [3].
Le CNRS nous apprend donc en titre que « La biodiversité améliore la résistance des prairies aux événements climatiques extrêmes ».
Une équipe internationale de quelque trois douzaines de chercheurs – dont M. Michel Loreau, de la Station d'écologie expérimentale du CNRS à Moulis – ont exploité les données de 46 expériences menées sur la diversité végétale des prairies. Le résultat le plus marquant selon le communiqué est le suivant :
« L'analyse de ces données démontre que la biodiversité augmente bel et bien la résistance de la productivité primaire des prairies face à une large gamme d'événements climatiques, qu'ils soient secs ou humides, modérés ou extrêmes, brefs ou prolongés. Sur l'ensemble des études et événements climatiques considérés, il s'avère que la productivité des communautés végétales à faible diversité (qui ne comprennent qu'une ou deux espèces) s'écarte d'environ 50% de son niveau normal pendant un événement climatique, alors que celle des communautés à haute diversité (qui comprennent 16 à 32 espèces), ne s'en écarte que d'environ 25%. Par contre, la productivité des écosystèmes avait soit retrouvé, soit dépassé son niveau normal un an après un événement climatique indépendamment de la diversité végétale, ce qui révèle une absence d'effet de la biodiversité sur la résilience des écosystèmes, du moins à cette échelle de temps annuelle. »
Si on comprend bien le « bel et bien » et le « [p]ar contre », il eût plutôt fallu titrer sur l'absence d'effet sur la résilience. Problème répandu de communication, un résultat exprimé sous forme négative n'étant pas aussi attrayant qu'un résultat sous forme positive.
Nous n'aurons ni la patience, ni le courage de regarder de plus près dans l'étude, manifestement réservée à des spécialistes de haut vol, en témoignent les graphiques incompréhensibles pour ne non-initié.
Le résultat décrit ci-dessus paraît cohérent (mais attention : on parle de moyennes). Ce qui gêne, ce sont les conclusions qu'on en tire – ou qu'on semble en tirer, ou encore qu'on voudrait en tirer – pour l'agriculture.
« Ces résultats suggèrent donc que la biodiversité stabilise la productivité des écosystèmes et les services écosystémiques qui y sont liés essentiellement en augmentant leur résistance aux événements climatiques. En conséquence, les changements environnementaux actuels d'origine humaine, qui entraînent une érosion de la biodiversité, risquent de diminuer la stabilité des écosystèmes en modifiant leur résistance aux événements climatiques. »
Il est maintenant question d'« écosystèmes », et non plus de prairies. La généralisation est sans nul doute hasardeuse.
C'est sans conteste le cas de la deuxième phrase qui succombe aux inévitables clichés. Phrase qui, en outre, nous semble fausse si elle est rapportée aux résultats de l'étude : la résistance aux événements climatiques est affaire de « résilience », pour laquelle les chercheurs ont trouvé que la biodiversité (la diversité spécifique) n'avait pas d'influence.
Par ailleurs, si on exclut les situations particulières telles que les alpages, on devrait avoir bien du mal à trouver des prairies à 16 à 32 espèces, chacune avec un peuplement suffisant pour sortir du domaine de la présence anecdotique, et avec une valeur fourragère minimale. Ainsi le « mélange suisse » pour situations séchantes 431, déjà complexe, ne comporte que 10 espèces (sept graminées et trois légumineuses).
Le texte ne fournit pas de détails sur la productivité, celle qui intéresse l'éleveur. Que vaut-il mieux ? Une prairie à faible diversité mais hautement productive dont la production s'effondre de 50 % en cas d'accident climatique, ou une prairie à forte diversité mais comparativement peu productive dont la production ne s'effondre que de 25 % ? C'est là une question posée de manière théorique et simpliste, énonçant les deux extrêmes. Il y a les solutions intermédiaires. Et toute la complexité de l'agriculture.
L'agriculteur raisonnera ainsi en fonction de ses besoins et de ses conditions agroclimatiques – sur lesquelles il a une certaine influence (voire une influence certaine quand, par exemple, il peut irriguer ; ou quand il gère sa prairie de manière à minimiser les effets du phénomène climatique redouté).
Le drame avec ces études « écologiques » – au demeurant fort intéressantes pour la science écologique – est qu'elles risquent d'être dévoyées de leur objectif pour alimenter la technophobie environnante.
M. Loreau en a-t-il été conscient quand il a déclaré à la Tribune :
« Nos résultats suggèrent que la biodiversité stabilise la productivité des écosystèmes [...]. C'est une application importante pour l'agriculture, car les phénomènes climatiques extrêmes vont s'amplifier » ?
Ou encore :
« ...les mentalités sont dures à changer » ?
Ou encore :
« ...les monocultures n'ont aucun sens pour la production de fourrages » ?
Ce n'est pas jeter la pierre par ces questions. Mais la communication est particulièrement délicate sur l'interface entre l'agriculture et l'écologie (la science).
L'agriculture produit des écosystèmes... agricoles. Il est bon de le rappeler.
Le communiqué de presse conclut :
« [...] Or, la biodiversité n'affectant pas la capacité des prairies à retrouver un fonctionnement normal après une perturbation, c'est un nouveau champ de recherche qui s'ouvre désormais aux théoriciens : comment la biodiversité améliore-t-elle la résistance des écosystèmes ? Quelle biodiversité faut-il protéger pour assurer la stabilité de leur fonctionnement ?
Et les écosystèmes agricoles s'analysent de préférence dans un contexte agricole. Comme par exemple dans ce très intéressant essai [4]. Ce champ de recherche, cela fait des décennies que les agronomes s'en occupent [5].
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[1] http://www.pressreader.com/switzerland/tribune-de-geneve/20151024/282325383827662/TextView
[2] http://www2.cnrs.fr/presse/communique/4253.htm
[3] Biodiversity increases the resistance of ecosystem productivity to climate extremes, Forest Isbell et al.
http://www.nature.com/nature/journal/v526/n7574/full/nature15374.html
Texte complet :
http://lib.dr.iastate.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1082&context=eeob_ag_pubs
[4] http://www.itab.asso.fr/downloads/journee-prairie2011/6manteaux_multiespece_secheresse.pdf
[5] Voir par exemple (bons points de départ pour une exploration sur la toile) :
http://www.gnis-pedagogie.org/fourragere-espece-production-fourrage.html