Le glyphosate, le BOKU et le ver de terre*
Une bataille médiatique se déroule actuellement sur une substance qui doit servir de symbole de tout ce qui est contre-nature et préjudiciable : le glyphosate.
Le désherbant (herbicide total), qui était autrefois mis sur le marché par Monsanto sous la marque Roundup mais est désormais produit et commercialisé par d'autres fabricants et distributeurs en raison de l'expiration des brevets, doit être réenregistré au niveau européen avant la fin de l'année [2]. Si ce renouvellement d'autorisation pouvait être empêché, ce serait une victoire pour tous les idéologues qui veulent un monde sans substances artificielles, et surtout pour tous les adversaires du génie génétique, car le glyphosate est aussi un symbole d'une méthode de production agricole moderne.
On a introduit un gène de résistance dans certaines plantes cultivées, de sorte qu'elles survivent à un traitement herbicide, tandis que les mauvaises herbes gênantes disparaissent du champ. En principe, les plantes génétiquement modifiées ont été autorisées dans l'UE [3], mais elles ne peuvent pas être cultivées, à quelques exceptions près. Les plantes résistantes au glyphosate ne sont actuellement pas autorisées dans l'Union européenne [4] ; plusieurs procédures de demande d'autorisation sont en cours depuis des années. Néanmoins, on utilise aussi le glyphosate chez nous pour le contrôle des mauvaises herbes ; il est considéré comme très efficace et sans danger pour les organismes non-cibles, il ne migre guère dans le sol (vers les eaux souterraines et de surface) et il est facilement biodégradable.
Une interdiction du glyphosate mettrait donc aussi l'agriculture conventionnelle en difficulté dans ce pays [5]. Il existe certes des solutions de rechange, mais elles ont toutes des inconvénients en termes de coût, d'efficacité et de compatibilité environnementale. Une interdiction ne serait pas seulement une victoire pour les éco-activistes, les partis écologistes et les écofonctionnaires, ce serait essentiellement une victoire de la déraison, des allégations mensongères et de l'alarmisme. Récemment, les Verts ont publié une étude qu'ils ont commandée spécialement, selon laquelle du glyphosate a été retrouvé dans l'urine et le lait maternel chez un petit groupe de membres du parti. Il n'y a pas que les niveaux extrêmement faibles qui ont été trouvés, ni la méthodologie défectueuse qui peut faire douter fortement des résultats : la mise en scène médiatique laisse un goût amer [6]. Le récent classement du glyphosate par le CIRC (un organisation de l'OMS qui étudie les effets cancérogènes de toutes sortes de substances et activités) comme cancérogène probable va dans le sens de nombreux militants ; alors même que cette classification peinerait à justifier une interdiction de son usage [7].
Une – euh ! – étude de l'Université des ressources naturelles et des sciences de la vie (Universität für Bodenkultur Wien, BOKU) [8] vient de prendre place dans la série des aides à l'argumentation qui sont encore jetées rapidement sur le marché de la création d'incertitude en vue de promouvoir une interdiction du glyphosate. La BOKU s'est déjà fait remarquer à plusieurs reprises par sa recherche pseudo-scientifique avec un penchant pour l'ésotérisme [9]. La nouvelle étude a même été publiée par la maison d'édition Nature Publishing Group. mais pas dans Nature – une des revues scientifiques les plus prestigieuses – mais dans un journal en « libre-accès », dans lequel les auteurs paient pour la publication. L'étude vise à prouver, d'une part, que le glyphosate nuit à la vie du sol et, d'autre part, qu'il provoque un lessivage accru des éléments nutritifs.
Pour étudier les effets du glyphosate sur l'écosystème du sol dans cet essai de laboratoire, les auteurs ont placé deux espèces de vers de terre dans des pots avec des plantes (total : 36), la moitié des pots ayant été traités au bout de quelques semaines avec des désherbants à base de glyphosate pour étudier ensuite l'impact à la fois sur les vers de terre et sur les éléments nutritifs du sol. Pour obtenir une mesure de l'activité des vers de terre, ils ont compté et pesé tous les jours les turricules, les déjections aériennes que produisent les vers de terre. Voyons les résultats pour les vers de terre.
Plusieurs jours après avoir été traité, pendant deux jours consécutifs, la moitié des pots avec le désherbant (dans des formulations différentes), ils ont pu observer des différences significatives entre les traitements [mot pris ici au sens de l'expérimentation]. Mais pour une espèce (Lumbricus terrestris) seulement ; l'autre espèce (Aporrectodea caliginosa) n'a pas été « impressionnée ». Les pots traités aux herbicides présentaient déjà un nombre de turricules augmenté peu de temps après les applications d'herbicides (ce qui peut s'expliquer par un approvisionnement alimentaire plus abondant du fait de la mort des végétaux) ; ce nombre a ensuite été sensiblement inférieur. La différence se mesure toujours par rapport aux pots qui n'ont pas été traité avec un herbicide et qui avaient donc gardé un couvert végétal intact. Le principal effet de l'herbicide a été d'éliminer la végétation des pots traités, ce qui avait bien sûr bien d'autres effets.
Les auteurs de l'étude concluent témérairement et sans examen attentif que le glyphosate était à blâmer pour la diminution de l'activité des vers de terre. Mais ils n'ont pas utilisé du glyphosate pur, mais une, ou plutôt deux solutions prêtes à l'emploi qui contiennent un certain nombre d'autres substances (auxiliaires). Ceux-ci comprennent généralement des produits de mouillage et de pénétration qui permettent au glyphosate d'être mieux absorbé par les organes des plantes. Ces substances peuvent également avoir eu une influence sur le comportement des animaux. Pour vérifier cela, il aurait fallu utiliser une solution à blanc, avec les excipients, mais sans le glyphosate. Malheureusement, ce n'est pas là la seule erreur d'approche scientifique.
Comme les pots traités à l'herbicide n'avaient plus de végétation active après quelque temps (nous ne savons pas ce que sont devenues les plantes mortes), ils ne sont plus comparables aux pots témoins (non traités). Il aurait aussi fallu détruire la végétation (racines comprises) des pots témoins, ce qui n'est certainement pas anodin, mais indispensable pour la comparabilité. Le changement de comportement des vers de terre pourrait s'expliquer de manière beaucoup plus plausible par la disparition du couvert végétal – ou quelque chose de similaire. Peut-être que les vers de terre de l'espèce Lumbricus terrestris [10] n'apprécient pas de vivre à la lumière. La disparition du couvert pourrait être pour eux un signal pour se déplacer vers un lieu plus attrayant. Bloquer les vers dans un petit pot de 40 cm de profondeur, et donc leur rendre toute migration impossible, c'est s'approcher des frontières de la cruauté envers les animaux. Le problème, pour les vers, se situe peut-être plutôt du côté des chercheurs que du méchant glyphosate.
La disparition de la végétation dans les pots a eu un autre effet que les chercheurs ont établi avec des données à l'appui : avec la disparition de la transpiration des plantes, le sol était devenu significativement plus humide dans les pots traités car ils avaient apporté la même quantité d'eau aux pots pendant toute la durée de l'essai. Cela pourrait être un autre facteur de stress pour les vers. Encore une fois : pour exclure ce facteur comme une cause du changement de comportement des vers, il aurait fallu un témoin approprié, c'est-à-dire qu'il aurait fallu ajuster l'irrigation à la nouvelle situation du point de vue de l'évapotranspiration. Les chercheurs ne pouvait-ils pas mener un travail scientifiquement exact ? N'étaient-ils pas intéressés à réaliser un essai objectif produisant des résultats inconnus a priori ? On peut se poser des questions à ce sujet. Mais l'évidence des erreurs méthodologiques fait pencher pour la deuxième hypothèse.
Quelques commentaires sur les éléments nutritifs qui s'accumulent supposément par le fait du traitement au glyphosate. Il est allégué que le sol s'est enrichi en certains éléments nutritifs (nitrates et phosphates) du fait de l'utilisation du glyphosate et que ces éléments pourraient être lessivés, ce qui aurait des conséquences indésirables. Ici aussi, il manque des contrôles importants. On n'a même pas vérifié si les éléments nutritifs provenaient des préparations herbicides ; il était pourtant évident qu'il fallait faire cette vérification. Les auteurs ont fait comme si le glyphosate était la seule cause des effets observés. Dans cette hypothèse, les phosphates pouvaient provenir de la dégradation du glyphosate par les micro-organismes. Il en est de même pour les nitrates, même s'ils ne sont pas un produit de dégradation direct. Les auteurs ont fait valoir qu'il y a eu enrichissement en éléments nutritifs parce que les plantes mortes ne pouvaient plus les absorber. Une explication vraiment triviale, mais qui revient à nouveau à dire que c'est l'absence de couverture végétale qui explique les phénomènes observés, pas le glyphosate. Cela pourrait aussi être dû à la méthodologie que de trouver des valeurs aussi élevées pour les éléments nutritifs. Pour l'analyse des éléments nutritifs, les auteurs avaient enterré des échangeurs d'ions, lesquels ont accumulé les éléments nutritifs pratiquement pendant toute la période d'observation. Mais si le sol est plus humide, les éléments nutritifs sont plus mobiles et se lient plus facilement à l'échangeur d'ions. On aurait pu tester tout cela. On peut citer encore d'autres erreurs méthodologiques et logiques, mais passons. Il devrait déjà être suffisamment clair que l'étude ne vaut rien et ne peut pas étayer les déclarations qui ont été faites.
Les hypothèses et les conclusions formulées dans l'étude sont totalement à côté de la réalité de la pratique agricole. Le but d'un herbicide, c'est précisément de détruire la végétation adventice indésirable. Cela n'a rien à voir avec le débat sur l'agriculture conventionnelle et l'agriculture écologique ; l'agriculture écologique doit également lutter contre les mauvaises herbes. Si on veut évaluer l'utilisation d'un herbicide, il faut toujours se demander quelles sont les solutions de rechange et leurs effets secondaires. Si on n'utilise pas d'herbicide, le désherbage doit se pratiquer mécaniquement. Le binage détruit (surtout) les mauvaises herbes en croissance, mais aussi la structure du sol. En ameublissant la surface du sol, celui-ci est mieux aéré, il y a augmentation de la libération des éléments nutritifs par minéralisation des détritus de plantes mortes. Le sol est plus vulnérable à l'érosion par le vent et le ruissellement.
Tout cela doit être pris en compte dans un examen des pratiques agricoles. Même pour les vers de terre et les autres organismes du sol, l'alternative « travail du sol » est défavorable [11]. Le contrôle des mauvaises herbes sans labour – le glyphosate y joue un rôle important – protège le sol et sa faune. Si le contrôle des mauvaises herbes est insuffisant – comme souvent dans l'agriculture biologique [12] – on risque de trouver des plantes vénéneuses dans la culture, lesquelles peuvent sans aucun doute contenir des substances beaucoup plus dangereuses que le glyphosate [13]. Ajoutez encore la tentative de blâmer le glyphosate pour une « surfertilisation par production d'éléments nutritifs » et cela devient quasiment fou. Le problème des nitrates est complètement différent [14] et n'a quasiment rien à voir avec les pesticides.
Le glyphosate n'est pas la création du diable [15], comme le prétendent de nombreux groupes animés par leur propre intérêt. Si vous regardez les alternatives, il se présente souvent sous un jour favorable. En outre, la matière active est utilisée depuis très longtemps ; il existe d'innombrables études toxicologiques et écotoxicologiques qui prouvent bien son innocuité. Son impact sur les vers de terre doit certes être vérifié dans des essais préalables à son enregistrement. Mais s'il avait les effets envisagés dans l'étude examinée ici, cela se serait remarqué depuis longtemps dans d'autres études. Que l'étude ait trouvé son chemin dans Wikipedia [16], dans une tentative d'y prouver l'impact négatif du glyphosate sur l'environnement, dit peu de choses sur la question de savoir si c'est bien la réalité. Même sur Wikipedia vaut l'adage suivant : une étude n'est pas forcément une étude !
Un autre article critique [17] a été publié aujourd'hui sur l'étude ; il confirme notre analyse. Un point important qui n'est pas mentionné ici : le Roundup Speed contient en plus du glyphosate une autre matière active : l'acide pélargonique [18]. Ne pas mentionner cela explicitement dans l'étude est difficilement pardonnable. L'auteur explique aussi l'étonnante séquence de traitements, avec plusieurs matières actives : le glyphosate agit lentement (généralement en deux semaines) et, comme les auteurs de l'étude n'ont (peut-être) pas compté sur cette lenteur d'action, ils ont modifié sans ménagement le protocole d'essai et travaillé avec des formulations plus efficaces. En conséquence, la quantité d'herbicides utilisée correspondrait approximativement à dix fois la dose recommandée. Ça aussi, c'est décrit dans l'étude de manière tout à fait différente.
Nous avons complété notre article le lendemain de sa mise en ligne : Bad Science !
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* Source : http://blog.psiram.com/2015/09/glyphosat-die-boku-und-der-regenwurm/
Son sous-titre est : « Le réalisme comme chance ».
[1] http://www.welt.de/debatte/article145116213/Ein-harmloses-Herbizid-soll-geopfert-werden.html
[2] http://www.agrarheute.com/glyphosat/neuzulassung-efsa-will-mehr-zeit
[3] http://www.tagesspiegel.de/wissen/gruene-gentechnik-saat-der-zwietracht/12161750.html
[4] http://www.agrarheute.com/zehn-fakten-zur-agro-gentechnik
[5] http://www.sueddeutsche.de/gesundheit/glyphosat-vergiftete-debatte-1.2591316
[6] http://www.theeuropean.de/thilo-spahl/10324-die-gruenen-und-die-anti-glyphosat-kampagne
Complément : Les Verts ont fait tester le lait de 16 femmes. On a trouvé des doses de 0,210 à 0,432 ng/ml de glyphosate. Un nourrisson de quatre kilogrammes devrait boire 2.778 litres du lait de la femme ayant présenté la plus forte dose pour atteindre la DJA, la dose journalière admissible allemande ; 9.260 litres pour atteindre la DJA de l'OMQ ; 16.200 litres pour atteindre la DJA états-unienne.
[8] http://www.nature.com/articles/srep12886
[9] https://www.psiram.com/ge/index.php/Universität_für_Bodenkultur_(Wien)
[10] https://de.wikipedia.org/wiki/Tauwurm
En français :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Lumbricus_terrestris
[11] http://www.lfl.bayern.de/iab/boden/103775/index.php
[12] http://www.deutschlandradiokultur.de/schoen-aber-giftig.993.de.html?dram:article_id=154582
Complément : Article du 4 septembre 2015. L'Union européenne appelle ses États membres à vérifier la présence d'alcaloïdes tropaniques dans les aliments, notamment pour bébés.
[16] https://de.wikipedia.org/wiki/Glyphosat#.C3.96kotoxikologie
En français :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Glyphosate
[17] http://weedcontrolfreaks.com/2015/09/dead-plants-are-probably-bad-for-earthworms/
En français :
[18] https://de.wikipedia.org/wiki/Pelargonsäure
En français :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Acide_nonano%C3%AFque