L'opinion d'un sélectionneur africain sur les OGM
Michael Dzakovich interroge Chiedozie Egesi*
Chaque jour, 20.000 personnes meurent de malnutrition. Beaucoup meurent « simplement » parce qu'elles ne disposent pas de suffisamment de calories – elles meurent de faim. D'autres meurent à cause du manque de vitamines. Pendant que les personnes les plus pauvres des pays en développement continuent à s'affaiblir et à mourir, les scientifiques travaillent dur sur les solutions. Les sélectionneurs utilisent des outils génétiques pour développer des plantes qui résistent à des maladies agressives, supportent les changements dans les conditions météorologiques, et fournissent les nutriments nécessaires à la santé humaine.
Un sélectionneur moderne utilise de nombreuses techniques différentes. La technologie transgénique (OGM) peut modifierr la génétique d'une plante avec précision. Bien qu'il y ait des craintes non fondées au sujet de la sécurité des OGM, cette technologie pourrait diminuer le mortalité due à la malnutrition. Quelle est la perception des OGM dans le monde en développement ?
J'ai récemment eu le plaisir de rencontrer le sélectionneur principal du National Root Crops Research Institute (Institut national de recherche sur les plantes-racines) du Nigeria, le Dr Chiedozie Egesi. M. Egesi mène une grande partie de ses travaux à Umudike, une ville rurale du Nigeria. Compte tenu de l'urgente nécessité de développer des cultures plus aptes à aider les agriculteurs africains à nourrir les populations croissantes de leurs pays, pouvoir rencontrer un scientifique travaillant sur la ligne de front était une aubaine. Je décidai donc de lui poser quelques questions sur son travail et sur la perception des techniques modernes d'amélioration des plantes en Afrique.
Source : http://fr.slideshare.net/waapp-nigeria/nrcri-adpted-village-activities-revised
(idem pour suivantes)
Depuis combien de temps êtes-vous un sélectionneur ? Avez-vous toujours travaillé avec le manioc ?
Cela fait 15 ans que je travaille dans l'amélioration des plantes, d'abord sur l'igname puis, ces 12 dernières années, sur le manioc. Je fais aussi de la recherche mineure sur la patate douce, la pomme de terre et le taro avec mes élèves au centre de recherche sur les racines et tubercules.
Vos lignées de manioc sont-elle actuellement utilisées par les agriculteurs en Afrique ?
Nous avons développé près de 50 variétés de manioc au Nigeria avec nos partenaires de l'IITA (Institut international d'agriculture tropicale) Nigeria. Celles-ci sont cultivées dans tout le Nigeria et dans certains autres pays africains. Notre travail inclut 6 variétés de manioc enrichies en provitamine A qui ont été mises en circulation entre 2011 et 2014 au Nigeria.
Quelle est la part de vos variétés de manioc dans le matériel utilisé par les agriculteurs ?
Les agriculteurs gardent encore de nombreuses variétés locales qu'ils ont cultivées pendant des siècles. Ils peuvent choisir du manioc présentant certaines caractéristiques alimentaires malgré, quelquefois, des rendements inférieurs ou des plantes présentant un aspect maladif. Les variétés améliorées ont des potentiels de rendement élevés et sont très résistantes aux maladies.
Utilisez-vous la technologie transgénique ou ne faites-vous que de la sélection classique ?
Notre axe de recherche primaire est la sélection classique, associée à la sélection moléculaire (sélection assistée par des marqueurs). Nous avons récemment commencé à utiliser les technologies transgéniques.
Quelle est selon vous la plus grande source de résistance envers les cultures GM en Afrique ?
Les groupes d'activistes qui sont déterminés à calomnier les avantages de la science pour les Africains pauvres.
En tant que sélectionneur, avez-vous rencontré une résistance du gouvernement ou de groupes d'activistes ? Ont-ils interféré avec vos travaux ?
Les groupes d'activistes utilisent les médias pour désinformer le public en qualifiant à tort les variétés obtenues par sélection classique de GM, et pour inciter les gens par la peur à ne pas les utiliser. Nous ne nous préoccupons pas de ces distractions, et nous nous attachons à démontrer que les technologies que nous utilisons pour produire nos plantes sont sûres. Nous pouvons réduire la pauvreté et améliorer la sécurité alimentaire en Afrique. Nous sommes ceux qui développent ces technologies eux-mêmes et avons de très bonnes intentions pour notre peuple. L'inconvénient est que nous sommes souvent inondés de questions au sujet des OGM par des citoyens inquiets.
Y a-t-il des mouvements sociaux en Afrique qui sont en faveur des OGM ?
Pas encore. Mais nous avons l'Open Forum on Agricultural Biotechnology (OFAB – forum ouvert sur les biotechnologies agricoles) pour informer les gens. Nous aurions besoin de quelque chose comme le Genetic Literacy Project (projet d'alphabétisation génétique) qui ciblerait uniquement l'Afrique et se concentrerait sur les domaines prometteurs des biotechnologies agricoles capables de fournir des moyens aux agriculteurs pauvres et aux ménages économiquement faibles.
Que faut-il pour informer les citoyens africains sur les avantages des cultures GM ?
Nous avons besoin d'une communication continue et de former des alliances. L'éducation devrait commencer avec les jeunes qui sont maintenant accros des médias sociaux. Une jeune génération informée peut prendre des décisions par elle-même. Il faut enseigner les biotechnologies dans les écoles primaires et secondaires.
Aller de l'avant (Michael Dzakovich)
Nous nous battons contre des problèmes du 21e siècle ; il est clair qu'il faut utiliser des solutions du 21e siècle. Toutefois, le progrès est ralenti par la méfiance du public envers les scientifiques, due en partie à une campagne de peur dans les médias. Le point de vue du Dr Egesi nous confronte à la réalité – nous rappelant qu'il faut un changement social pour promouvoir l'éducation et la culture scientifique à travers le monde.
Mon commentaire
J'ai gardé le titre original bien que les réponses de M. Egesi aillent bien au-delà.
On ne peut que partager le commentaire final de M. Dzakovich. L'amélioration des plantes – qu'elle soit « classique » ou fasse appel à des outils de laboratoire, ou encore qu'elle combine les deux, ce qui sera de plus en plus le cas dans un monde ayant mis les marchands de peur au coin – ainsi que l'organisation d'une filière structurée des variétés et des semences doivent jouer un rôle majeur dans la sécurité alimentaire de l'Afrique, en conjonction évidemment avec d'autres infrastructures de base.
M. Egesi évoque à juste titre une « communication constante ». L'état des lieux n'est pas brillant. L'information rationnelle est quasiment absente. L'activisme anticapitaliste (oups ! altermondialiste) et technophobe dispose d'un terrain de jeu quasiment sans obstacles. Il y avait un site dédié et spécialisé (trop ?), http://gmoafrica.org/, il s'est arrêté en août 2014. Côté francophone, c'est apparemment le désert complet.
Ajoutons que nous avons, en Europe, une grande responsabilité. Pas seulement par l'exportation – involontaire et aussi volontaire – de nos phobies de privilégiés qui ne se demandent plus depuis longtemps s'ils vont manger demain. L'activisme africain – particulièrement en Afrique anglophone – est très largement financé par des fonds européens, certains publics. Et, comme on le sait, « he who pays the piper calls the tune ».
Et on s'insurgera ici, à nouveau, devant la décision irresponsable prise par les autorités française de ne plus financer de projets de développement impliquant la transgénèse.
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* Michael Dzakovich est un doctorant utilisant des outils de génomique et de métabolomique pour savoir comment les tomates produisent certains composés anti-cancéreux. Sa recherche vise à améliorer la compréhension du métabolisme secondaire des plantes et à créer de nouveaux moyens de prévenir les maladies non transmissibles. Suivez-le sur Twitter @MDzakovich
Source : http://www.biofortified.org/2015/09/african-plant-breeder-on-gmos/