Stratégies d'intimidation et de diffamation des anti-OGM
Nous ne reviendrons pas ici sur la stratégie dérisoire de quelque activiste et officine anti-OGM qui consiste à imputer à des blogueurs et commentateurs une stratégie de diffamation de prétendus « lanceurs d'alerte » et, de temps à autre, à leur supposer un ou plusieurs employeurs aux poches profondes [1]. Sauf à relever qu'imputer une stratégie de diffamation relève de la... diffamation.
Ils ne pensent pas bien... harcelons-les
Les lecteurs de ce site sont maintenant familiarisés avec une autre stratégie : celle d'un consortium d'anti-OGM, de charlatans faisant commerce de remèdes miracles (directement ou par le biais de paiements pour de la publicité) et de promoteurs du « bio » qui veulent imposer un étiquetage des « aliments OGM »[2]. Nous mettons des guillemets à cette dernière expression parce que la notion est fort confuse ; l'ambition est de faire marquer du sceau de l'infamie tout produit dont un ingrédient serait issu d'une plante GM, de betterave, de maïs ou de soja par exemple, quand bien même cet ingrédient, le sucre, le sirop de maïs ou l'huile par exemple, serait rigoureusement identique à sa contrepartie tirée d'une plante non GM.
La campagne s'est organisée autour du slogan « right to know » (le droit de savoir). Une entité a été formée, la U.S. Right to Know, plutôt opaque puisqu'elle ne divulgue l'identité que d'un seul donateur, la Organic Consumers Association pour $114,500 [3]. Si elle n'est pas opaque, c'est qu'elle est une succursale, pire, un prête-nom.
Toujours est-il que cette entité – très active et très militante, avec un sens de l'éthique rudimentaire – a trouvé un « truc » en février 2015 : utiliser le Freedom of Information Act (loi sur la liberté d'information) pour exiger de certaines universités publiques qu'elles lui communiquent les échanges de courriels de leurs enseignants qui se sont investis dans la vulgarisation sur les OGM [4]. C'est une tactique rodée qui a été utilisée en particulier par les climato-sceptiques.
Un des personnages visés, le plus influent, a été M. Kevin Folta, professeur et président du Département des sciences horticoles de l'Université de Floride [5]. Cette demande de communication de documents ne constituait rien moins qu'une « fishing expedition », un coup de filet dans l'espoir de ramener quelque chose de croustillant. C'était aussi une tentative d'intimidation à l'encontre du personnel universitaire du secteur public [6].
Certaines universités ont envoyé M. Gary Ruskin, directeur exécutif de l'USRTK, dans les choux ; il n'a ni protesté, ni entamé une action judiciaire... c'est dire. L'Université de Floride a obtempéré, ce qui correspondait au souhait de M. Folta, lequel a toujours affirmé qu'il n'avait rien à cacher.
4.600 pages de courriels... et rien
La revue Nature a publié le 6 août 2015 un article de M. Keith Kloor, journaliste scientifique freelance ; article intitulé « GM-crop opponents expand probe into ties between scientists and industry –Activist group compels records from 40 researchers at US public universities » (des anti-OGM étendent leurs recherches sur les liens entre des chercheurs et l'industrie – un groupe activiste exige les documents de 40 chercheurs d'universités publiques américaines) [7]. Dans cet article, l'auteur donne quelques détails sur les résultats du coup de filet contre M. Folta... 4.600 pages de courriels...
Résumons : il n'y a pas de quoi fouetter un chat. C'est son et notre opinion, et nous la partageons. Du reste, l'USRTK n'a exhibé aucun scalp mais a, comme le rapporte M. Kloor, relancé le filet.
En France : Traduttore, traditore
Et c'est là que commence le problème de ce côté-ci de l'Atlantique. Problème mineur car l'article trafiqué n'a pas (encore) fait l'objet d'une propagation virale. Mais problème tout de même.
Car le texte de M. Kloor a été « traduit », du reste sans référence à la source [8]. Avec des « trucs » enfantins comme télescoper des paragraphes ou modifier l'ordre des énumérations. C'est sous le titre : « OGM : Enquête sur les liens douteux entre les scientifiques et Monsanto ». Déjà le titre !
L'introduction est originale :
« Un groupe d’activiste anti-OGM a lancé une vaste enquête sur 40 chercheurs de plusieurs universités publiques américaines et leurs liens douteux avec l’industrie agro-alimentaire, notamment Monsanto. »
Pourquoi « douteux » ? Dans la folle histoire de Gary Ruskin et des 40 chercheurs, ces derniers sont-ils présumés coupables quelle que soit l'issue de l'« enquête » ?
C'est d'autant plus grotesque que M. Kloor a relaté le cas de Mme Michelle McGuire, qui se demande bien pourquoi elle est devenue la cible de l'USRTK. Nous avons bien sûr la réponse : « fishing expedition », et elle a manqué de respect.
M. Kloor écrit à son propos :
« McGuire is not sure why the group is seeking her records, because she has not contributed to the GMO Answers website. Some of her recent research refutes claims that glyphosate, an herbicide often used on GM crops, accumulates in breast milk; it relies on an assay developed with assistance from Monsanto. Still, McGuire says, “I’m a milk-lactation researcher.” »
En France, ça devient :
« McGuire ne sait pas pourquoi le groupe veut accéder à ses mails. Elle n’a jamais contribué à GMO Answers. Cependant, elle a publié récemment des travaux qui réfutent le fait que le glyphosate, un herbicide utilisé dans les graines OGM, s’accumule dans le lait maternel. Le problème est que ces travaux ont été effectués avec une collaboration de Monsanto. Mais la chercheuse estime qu’elle est une partisane du lait maternel. Mais c’est une tentative de justification médiocre pour de nombreux scientifiques qui ont pointé le lien entre sa recherche et Monsanto.
Non, M. Kloor n'a pas fait état de « problème » ; il a juste aligné deux demi-phrases. Et le « problème » n'est pas « que ces travaux ont été effectués avec une collaboration de Monsanto ». Ces travaux ont utilisé « un test développé avec l'aide de Monsanto » selon le texte de M. Kloor. En fait, les analyses ont été faites dans les laboratoires de Monsanto, mais elles ont aussi été vérifiées indépendamment par Covance Laboratories [9]. Il est dès lors téméraire d'alléguer une relation problématique.
Le « problème », le vrai, est que Mme McGuire a dirigé une recherche qui a démoli une affirmation très largement diffusée aux États-Unis d'Amérique par «Moms Across America » – un des acteurs de la croisade anti-OGM et anti-pesticides – et dans le reste du monde par le syndicat de même obédience, affirmation selon laquelle le glyphosate se retrouverait dans le lait maternel.
Quant à la dernière phrase, l'auteur de la traduction-trahison serait bien en mal de l'étayer.
Pour en revenir à M. Folta, M. Kloor écrit :
« And that investigation, which began in February, has just started to yield documents. These include roughly 4,600 pages of e-mails and other records from Kevin Folta, a plant scientist at the University of Florida in Gainesville and a well-known advocate of GM organisms. The records, which the university gave to US Right to Know last month, do not suggest scientific misconduct or wrongdoing by Folta. But they do reveal his close ties to the agriculture giant Monsanto, of St Louis, Missouri, and other biotechnology-industry interests. »
Cela devient, sous « Monsanto paye certains chercheurs », un intertitre qui ne figure pas dans l'original :
« L’enquête, qui a été lancée en février, a commencé à donner ses fruits. On a notamment près de 4600 pages de mails et d’autres informations provenant de Kevin Folta, un scientifique botanique à l’université de Floride à Gainesville et qui est un partisan acharné des OGM. Ces informations, que son université a fourni à US Right to Know le mois dernier, ne suggèrent pas une mauvaise conduite. Mais les informations révèlent les liens très étroits entre le chercheur et Monsanto ainsi que d’autres entreprises de biotechnologie. »
Non, M. Folta n'est pas « payé » par Monsanto. Tout comme un célèbre chercheur n'est pas « payé » par Greenpeace. Il y a une nuance de taille entre accepter de l'argent pour arrondir ses propres poches et recevoir un financement pour des activités de recherche-développement du laboratoire que l'on dirige.
Non, M. Folta n'est pas un « partisan acharné », mais un défenseur bien connu aux USA de la science. Et les liens ne sont pas « très étroits », mais simplement « étroits » dans le texte de M. Kloor. Difficile de ne pas avoir de liens étroits avec l'industrie quand on travaille sur un sujet traité par l'industrie ; à moins de concevoir la recherche comme une activité de tour d'ivoire.
Poursuivons.
« The documents show that Monsanto paid for Folta's travel to speak to US students, farmers, politicians and the media. Other industry contacts occasionally sent him suggested responses to common questions about GM organisms. »
La chose est précisée plus loin :
« But the e-mails show that Folta did receive an unrestricted US$25,000 grant last year from Monsanto, which noted that the money “may be used at your discretion in support of your research and outreach projects”. Folta says that the funds are earmarked for a proposed University of Florida programme on communicating biotechnology. »
Manipulation cisatlantique :
« Les documents montrent que Monsanto a payé les voyages de Folta pour qu’il parle à des étudiants, des politiciens et des fermiers américains sans oublier de nombreuses interventions dans les médias. De plus, Monsanto et d’autres entreprises lui envoyaient des réponses toutes prêtes sur certaines questions épineuses des OGM.
[...]
«Ainsi, on apprend que Monsanto a donné près de 25 000 dollars l’année dernière en disant au chercheur : Vous pouvez utiliser cet argent comme bon vous semble dans le cadre de vos recherches et des projets en dehors du cadre habituel. Folta a déclaré que ces fonds ont été utilisés dans un programme de l’université pour communiquer sur la biotechnologie. »
L'art de la traduction est certes difficile et quelquefois même impossible (la Résolution 242 de l'Organisation des Nations Unies en est un exemple célèbre), mais ici, les choses sont claires : Monsanto a payé des et non « les » voyages. Et les « nombreuses interventions » relèvent de la divagation qui, au vu de l'ensemble de l'œuvre, témoigne d'un parti pris voire d'une malveillance.
Quant aux « réponses toutes prêtes », elles ne venaient pas de Monsanto dans le texte de M. Kloor ; elles y étaient « occasionnelles » ; elles n'étaient pas « toutes prêtes » mais « suggérées » ; et elles ne portaient pas sur des « questions épineuses » mais sur des « questions courantes », dans le sens de couramment posées. Et « outreach projects » n'a pas le sens de « projets en dehors du cadre habituel », mais de projets ou d'activités dans le domaine de la communication. M. Folta considère du reste – à juste titre, d'autant plus qu'il travaille dans une land-grant university – que la communication fait partie de son job.
On terminera cette analyse de texte fort pénible par un paragraphe encore :
« Monsanto spokeswoman Charla Lord says that the company was “happy to support Dr. Folta's proposal for an outreach program to increase understanding of biotechnology”, and that the $25,000 grant “predominately covered travel expenses”. Lord adds that Monsanto considers public-private collaborations to be “essential to the advancement of science, innovation and agriculture”. »
Traduit et « interprété » :
« Un porte-parole de Monsanto a déclaré que l’entreprise était heureuse de supporter les efforts de Folta pour faire mieux comprendre les bienfaits de la biotechnologie. Et que ces 25 000 dollars couvraient ses dépenses de voyage. Monsanto n’a pas de problème avec ce type de financement, car il estime qu’un partenariat privé/public est nécessaire pour les progrès dans l’agriculture, la science et l’innovation. »
Ce ne sont pas exactement les efforts, mais une « proposition de programme » ; et il n'est pas question de « bienfaits ». Du reste, quand on suit les activités de M. Folta, on ne peut que constater qu'il diffuse des connaissances, sans faire de propagande, en prenant bien soin de présenter les deux faces de la pièce, les avantages et les inconvénients, les perspectives et les limitations. Mais cela déplaît fortement à la mouvance anti, qui ne voudrait voir diffusées que des « informations » sur une face et qui se trouve très gênée par quelqu'un auquel elle ne peut s'opposer frontalement. M. Folta est en outre excellent orateur et pédagogue.
La Union of Concerned Scientists au secours de la science
L'union des chercheurs qui se disent préoccupés, ou précautionneux, ou attentifs, ou responsables, ou citoyens – c'est là un exemple de problème redoutable pour le traducteur (qui souvent choisit avec raison de ne pas traduire...) – est citée en fin de texte par M. Kloor. Ce n'est pas, du reste, le « syndicat qui représente les chercheurs » comme on le laisse entendre sur le blog français, mais une association ultraminoritaire de scientifiques conservateurs et frileux.
La Union est connue pour ses positions sur les OGM ; ou faut-il plutôt dire contre ? Elle avait néanmoins publié une opinion dès le lancement des demandes de l'USRTK, en février 2015 :
« Aucun chercheur ne devrait faire l'objet de harcèlement. Point-barre » [10].
Lue dans ce contexte, la déclaration de Michael Halpern rapportée par M. Kloor prend un tout autre sens que celui qu'on a tenté de nous donner (nous transcrivons fidèlement) :
« Il appartient aux chercheurs de révéler leurs sources de financement pour qu'il n'y ait pas de perception d'influence inappropriée. Mais cela ne signifie pas que tout argent privé est "teinté" ou suspect. »
Que faut-il entendre par « teinté » ? En bref, qui ne serait pas acceptable, qui ternirait la réputation de l'institution.
On ne peut que partager ces avis. Qui s'appliquent à toutes les recherches, y compris les militantes...
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[1] http://imposteurs.over-blog.com/2015/05/lanceurs-d-alertes-reponse-a-benjamin-sourice.html
http://www.informatique-agricole.org/gazette/afia/gaz_150514_20-compl.htm
http://imposteurs.over-blog.com/2015/06/une-lamentable-tentative-de-museler-la-critique.html
[2] http://seppi.over-blog.com/2015/07/etiquetage-des-ogm-aux-etats-unis-d-amerique-la-vraie-verite.html
C'est plutôt curieux, car l'organisation ne déclare que $46.525 de contributions pour 2014 :
http://usrtk.org/wp-content/uploads/2015/06/2014-IRS-990.pdf
[4] http://usrtk.org/gmo/u-s-right-to-know-foias-profs-who-wrote-for-gmo-pr-website/
[5] Les supports visuels de ses exposés sont consultables ici :
http://www.slideshare.net/kevinfolta/presentations
Voir aussi :