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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Opinions divergentes sur les OGM : démêler le vrai du faux

4 Août 2015 , Rédigé par Seppi Publié dans #OGM, #critique de l'information

Opinions divergentes sur les OGM : démêler le vrai du faux

 

Peter J. Davies*

 

 

À première vue, cette question semble plutôt vague, mais c'est en réalité une excellente question pour une personne qui prend la peine de réfléchir. Il n'y a pas de réponse claire, et je dois donc parcourir différents niveaux de raisonnement et de preuves. Allons-y.

 

 

Anecdotes

 

Tout le monde peut raconter des histoires, et celles-ci sont souvent effrayantes. Cependant, les anecdotes manquent notoirement de fiabilité. Par exemple, je me trouvais dans une réunion quand un intervenant a cité de nombreux cas de cancer dans son entourage ; n'étaient-ils pas causée par le facteur xx ? Un représentant du ministère de la santé a été en mesure d'expliquer que les fréquences de cancer avaient pu être analysées et qu'il n'y avait pas de corrélation avec le facteur xx. Mais que penser de l'accumulation d'histoires de ce genre ? Beaucoup de sites web anti-OGM se fondent sur de telles anecdotes. Cependant, «le pluriel d'anecdote n'est pas "données" ! » (ou preuves) [1].

 

 

Corrélations

 

Il y a quelques mois, un voisin m'a envoyé une histoire effrayante [2] d'un site web sur le glyphosate qui causait des malformations congénitales (notamment des anomalies du tube neural) en Argentine, avec à la clé des citations d'articles scientifiques qui paraissaient accréditer la thèse. (Notez que le glyphosate n'est pas un OGM, mais il est souvent utilisé avec des cultures OGM résistantes au glyphosate).

 

J'ai donc vérifié quelques-unes des citations et j'ai constaté qu'elles ne disaient pas ce que l'on affirmait. Elles rapportaient des données épidémiologiques sur les malformations congénitales en Argentine et suggéraient qu'il pourrait y avoir une association avec l'utilisation de produits chimiques agricoles, mais sans pointer spécifiquement vers le glyphosate ; c'est l'auteur de l'article effrayant sur le web qui a fait le lien. Mais cela pourrait-il être néanmoins exact ?

 

Voyons à quoi nous pouvons nous attendre si c'était vrai : le maïs résistant au glyphosate est utilisé depuis 17 ans, en particulier dans les Etats de la ceinture du maïs comme l'Iowa, et il représente maintenant plus de 90 pour cent des emblavements aux États-Unis selon les statistiques de l'USDA. Si le glyphosate était à l'origine d'anomalies du tube neural, cela aurait déjà dû se manifester, mais une vérification des données du Centre pour le contrôle des maladies (CDC) montre que les anomalies du tube neural ont en fait diminué aux États-Unis depuis l'introduction du maïs OGM.

 

Une corrélation ne démontre pas un lien de cause à effet. Mais que faire s'il y avait une corrélation entre un aspect de la santé et l'adoption des cultures GM ? Cela fait vraiment peur ! Oui, l'autisme, les allergies, l'asthme, etc. sont prétendument à la hausse et nous ne comprenons pas vraiment pourquoi ; donc nous cherchons des réponses en recherchant des corrélations, et nous en trouvons. Mais cela ne démontre pas que les OGM en sont la cause. Voyez la figure ci-dessous : il y a une corrélation presque parfaite entre l'augmentation de l'autisme et l'augmentation de la consommation de produits biologiques. Puis-je suggérer que les produits biologiques sont la cause de l'autisme ? Non ! Mais la corrélation n'est-elle pas effrayante ? Alors rappelez-vous : la corrélation ne prouve pas le lien de cause à effet [3].

 

 

Lien de causalité (ou son absence)

 

Alors, comment prouver le lien de cause à effet ?: Même les meilleurs chercheurs ne sont pas à l'abri des biais. Ils se considèrent comme honnêtes et impartiaux, mais il y a toujours une inclination subtile qui les conduit à chercher les résultats préconçus sous forme d'hypothèses. L'étalon-or est ce qu'on appelle un essai en double aveugle. Par exemple, dans un essai d'alimentation, un chercheur conçoit l'essai, mais les types de nourriture ne doivent pas pouvoir être distingués. Les techniciens ne doivent pas savoir quel aliment est donné aux animaux, et le personnel d'analyse ne doit pas savoir quels animaux ont reçu la nourriture examinée ; tout est codé. Ce n'est qu'une fois l'essai terminé et les analyses complétées que les codes sont traduits dans les différents traitements et qu'il est possible de vérifier si la nourriture était responsable des effets observés. Pourquoi toute cette peine ? Nous arrivons au cœur de la réponse : pour éliminer les biais.

 

 

Publication

 

Tout ce qui est publié par une quelconque organisation, y compris l'industrie, doit être considéré comme non prouvé, à moins que deux choses aient été accomplies : l'article est publié à la suite d'un examen par les pairs [4], et l'objet de l'article a été répété par d'autres. The Economist a publié un excellent article en 2013, intitulé : « Comment la science fait fausse route » [5]. On y a souligné que des biais subtiles se glissent dans beaucoup de travaux de recherche et que tout n'est pas fait dans les règles, de sorte que 75 pour cent des travaux relatés dans les articles séminaux de la recherche médicale ne peuvent pas être reproduits par d'autres !

 

 

Qui finance les études

 

 

Nous devons nous méfier à juste titre des études réalisées par l'industrie ou financées par elle, tout au moins jusqu'à ce qu'elles aient été vérifiées de façon indépendante. De même, nous devons nous méfier des études financées par des organisations anti-OGM. Certaines personnes pensent que toutes les études favorables aux OGM sont financées par l'industrie, mais ce n'est pas le cas. Un examen des sources de financement par l'organisation indépendante Biology Fortified a montré que la moitié de ces études avaient été financées par des gouvernements, même dans l'Europe anti-OGM [6].

 

 

Examen par les pairs

 

Dans le cadre de l'examen par les pairs, deux ou trois experts supposés lisent le manuscrit soumis pour publication, avec les données, et donnent une opinion quant à sa fiabilité. Cependant, les publications revues par les pairs ne sont pas toutes égales : certaines sont de grande qualité, d'autres médiocres, suspectes ou même carrément mauvaises. Mais comment savoir ? (Voir ci-dessous.)

 

 

Qualité des journaux et des revues

 

Il y a d'abord la qualité de la revue, parce que les meilleures ne publient que les meilleurs papiers après un examen approfondi par les meilleurs pairs, qui sont très pointilleux [7] ; à l'autre extrémité, il y a des centaines de revues de faible qualité qui publient presque tout après un examen sommaire par des reviewers peu qualifiés ou manquant d'esprit critique.

 

 

Alors quelles revues sont fiables ?

 

Les plus sélectives sont Nature, Science et les Proceedings of the National Academy of Sciences ; mais il leur arrive aussi de faire des erreurs. Les bons scientifiques peuvent vous dire facilement quelles sont les revues de qualité dans leur domaine (et lesquelles ne le sont pas). Il y a une valeur numérique appelée « facteur d'impact », qui est le nombre moyen de fois que chaque papier est cité par d'autres. En général, les articles dans un journal de qualité supérieure sont plus souvent cités et le journal a un facteur d'impact supérieur. Mais cela peut s'écrouler : si un papier étonnant est publié dans un journal de faible qualité, il est cité par tous ceux qui y croient et par tous ceux qui prétendent qu'il est erroné, et tout à coup, la revue de faible qualité acquiert un facteur d'impact élevé, mais dénué de sens ! (Pour plus d'informations, voir ici [8].)

 

 

Évaluation continue

 

La chose suivante à retenir est que l'examen par les pairs n'est pas limitée à l'opinion des deux reviewers et à la décision sur l'aptitude d'un article de recherche à être publié ; en fait, c'est quand un article est publié que les vrais examens par les pairs commencent. Que pense le cercle élargi de lecteurs scientifiques ? Le travail a-t-il été bien ou mal fait (et pourquoi) ? A-t-il été analysé correctement ? Les méthodes statistiques sont-elles appropriées pour ce type de recherche ? En fait, certains ont suggéré que cette évaluation continue post-publication est beaucoup plus importante que l'avis initial de deux reviewers et de l'éditeur.

 

 

Méta-analyses

 

Il y a plus important encore qu'un article revu par des pairs : la prépondérance des résultats/ éléments de preuve présentés dans de nombreux articles. Il y a maintenant de nombreux articles dans des revues évaluées par des pairs sur l'efficacité, l'innocuité et les effets environnementaux des cultures et aliments GM. Une revue [9] de 10 ans de travaux sur la sécurité des cultures génétiquement modifiées (2003-2013) a été publié en 2013 [10] par un groupe italien qui a utilisé 1783 études publiées.

 

«Notre objectif a été de créer un document unique dans lequel les gens intéressés de tous les niveaux d'expertise peuvent obtenir un aperçu de ce qui a été fait par les scientifiques concernant la sécurité des cultures GM », a déclaré le chercheur principal. « Nous avons essayé de donner une vision équilibrée et informer sur ce qui a été débattu, sur les conclusions tirées à ce jour, et les questions émergentes. » Plus de 400 documents (et cela continue) sont répertoriés par Biology Fortified dans leur base de données Genera [11].

 

Un type d'analyse utile qui examine les données figurant dans de nombreux articles est la méta-analyse. Par exemple, une méta-analyse récente (novembre 2014) a été publiée dans la très respectée revue en ligne PloS-ONE, à comité de lecture, par deux économistes agricoles de l'Université de Göttingen en Allemagne ; ceux-ci ont analysé 147 articles de la littérature revue par des pairs [12]. Ils ont trouvé qu'en moyenne, les cultures génétiquement modifiées ont réduit l'utilisation de pesticides chimiques de 37 pour cent, augmenté les rendements de 22 pour cent, et augmenté les profits des agriculteurs de 68 pour cent. Pourquoi seulement 147 articles parmi les 1800 ou plus ? La raison en est que l'analyse a été limitée à un sujet bien défini et que seuls ont été inclus les articles répondant à certains critères de qualité.

 

En termes de sécurité des aliments GM, en 2012, un autre groupe en Angleterre et en France a examiné 12 études à long terme et 12 études multigénérationnelles d'alimentation GM ; elle a conclu que les données disponibles ont montré « que les plantes GM sont nutritionnellement équivalente à leurs homologues non génétiquement modifiées et peuvent être utilisées sans danger dans l'alimentation humaine et animale ». (Malheureusement, cette étude est derrière un péage, mais on peut trouver le résumé ici [corrigé dans la note] [13].) Il est à noter que l'opinion publique en Italie, en Allemagne et en France n'est pas favorable aux OGM, et pourtant ces pays sont la source de ces études !

 

Dans une autre étude de données de grande envergure [14], sur 100 milliards d'animaux d'élevage (oui, milliards), il a été conclu [15] qu'il n'y avait pas eu de modification dans la santé des animaux d'élevage après l'introduction de céréales OGM dans l'alimentation par rapport à la période avant l'avènement des cultures GM.

 

 

Approbations et autorités

 

Vérifiez qui fait des déclarations à l'appui ou à l'encontre des cultures GM. Celles-ci ont été minutieusement examinées par toutes les autorités majeures de la science et de la sécurité alimentaire aux États-Unis et à l'étranger, y compris dans l'Union européenne. Ces autorités ont toutes déclaré qu'elles sont aussi sûres que les cultures non biotechnologiques de la même espèce, à la fois pour l'alimentation et l'environnement. Ces autorités sont l'Académie nationale des sciences (des États-Unis), l'Association américaine pour l'avancement des sciences, l'Association américaine de médecine, la Royal Society (britannique) et l'Autorité européenne de sécurité des aliments. En 2010, la Commission européenne a déclaré: « La principale conclusion à tirer des efforts de plus de 130 projets de recherche, couvrant une période de plus de 25 années de recherche et impliquant plus de 500 groupes de recherche indépendants, est que la biotechnologie, et les OGM en particulier, ne présentent pas en soi plus de risques que par exemple les technologies d'amélioration des plantes conventionnelles. » [17] Les affirmations du contraire proviennent de groupes marginaux de scientifiques, pas de la communauté scientifique dominante. Cela équivaut aux 3 pour cent des scientifiques qui nient l'existence du changement climatique.

 

Donc, vous avez là un point de vue scientifique.

 

Cependant, le mois dernier, je parlais avec un ex-militant anti-OGM devenu pro-OGM sur la base des preuves scientifiques : « Vous savez », a-t-il dit, « les opposants aux OGM ne sont pas intéressés par la science. Leur opinion est faite. Ils savent ce qu'ils veulent trouver, et ensuite ils vont trouver la science qui correspond à leurs objectifs [et ignorer le reste]. »

 

Je suppose que c'est ce que je qualifierais de partialité.

 

_______________

 

* Peter J. Davies est professeur de physiologie végétale et professeur international de biologie végétale à l'Université Cornell. Il est titulaire d'un B.Sc. et d'un PhD de l'Université de Reading, en Angleterre, et d'un MS de l'Université de Californie à Davis. Son expertise est dans le domaine du développement des plantes, en particulier des hormones et de la biotechnologie végétales.

Source de l'article :

http://www.geneticliteracyproject.org/2015/01/12/is-it-possible-to-have-a-civil-debate-about-gmos-and-safety-probably-not/

 

 

[1] https://sites.google.com/site/skepticalmedicine//the-plural-of-anecdote-is-not-data

 

[2] http://www.gmoevidence.com/dangerous-glyphosate-residue-levels-found-in-argentina-soy/

 

[3] http://www.geneticliteracyproject.org/2015/01/05/will-my-child-be-born-autistic-if-i-eat-gmos-a-scientists-view/

 

[4] L'hôte de ces lieux fera remarquer que l'examen par les pairs est parfois problématique du fait d'une incompétence, d'une complaisance, etc. La question est analysée plus loin.

 

[5] http://www.economist.com/news/leaders/21588069-scientific-research-has-changed-world-now-it-needs-change-itself-how-science-goes-wrong

 

[6] http://www.geneticliteracyproject.org/2014/11/26/glp-infographic-all-gmo-research-is-industry-funded-biofortified-analysis-sets-record-straight/

 

[7] L'hôte de ces lieux fera aussi remarquer que cela ne les empêche pas de faire des bévues. Et aussi de manquer parfois de rigueur sur les sujets qui agitent la société.

 

[8] http://www.nytimes.com/2013/04/08/health/for-scientists-an-exploding-world-of-pseudo-academia.html?pagewanted=all&_r=0%20;%20http://scholarlyoa.com/individual-journals/

 

[9] http://www.geneticliteracyproject.org/2013/10/08/with-2000-global-studies-confirming-safety-gm-foods-among-most-analyzed-subject-in-science/

 

[10] http://www.geneticliteracyproject.org/wp-content/uploads/2013/10/Nicolia-20131.pdf

 

[11] http://genera.biofortified.org/wp/about/about-genera

 

[12] http://www.plosone.org/article/info%3Adoi%2F10.1371%2Fjournal.pone.0111629

L'hôte de ces lieux est plus sceptique !

http://seppi.over-blog.com/2015/06/l-abus-de-meta-analyses-nuit-il-aux-ogm.html

 

[13] http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22155268

Texte complet :

http://gmoanswer.net/sites/default/files/Snell%20GM_feed_review_Food_Chem_Toxicol_50_1134%202012.pdf

 

[14] https://www.animalsciencepublications.org/publications/jas/pdfs/92/10/4255

 

[15] http://www.geneticliteracyproject.org/2014/09/19/what-happens-when-100-billion-animals-over-18-years-eat-gmos/

 

[16] http://www.geneticliteracyproject.org/2013/08/27/glp-infographic-international-science-organizations-on-crop-biotechnology-safety/

 

[17] https://ec.europa.eu/research/biosociety/pdf/a_decade_of_eu-funded_gmo_research.pdf

 

 

 

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U
Merci pour cet article. La question de la validation des preuves est centrale et difficile. Les chercheurs sont aussi des hommes. La revue par les pairs est un système très imparfait, dont le mérite est d'être mieux que rien, d'éliminer les "trolls" , sans plus. Il est très difficile de publier un résultat vraiment novateur qui remet en cause des idées reçues. Par contre si vous êtes reconnu, il sera facile de publier des articles sans beaucoup d'intérêt. La vraie validation se fait avec le temps par l'ensemble de la communauté, mais elle n'est pas très explicite. A mon sens le critère le plus important serait la publication explicite des données brutes par les auteurs et pas seulement les résultats traités. Cela permet d'estimer bien mieux la solidité des conclusions.
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S
Bonjour,<br /> <br /> Merci pour le commentaire.<br /> <br /> Je suis entièrement d'accord.<br /> <br /> Mais valider les conclusions, ce serait aussi publier les travaux de confirmation/validation, ainsi que les travaux qui aboutissent à "nous n'avons rien trouvé" lorsque ce "rien trouvé" n'a pas de dimension socio-économique importante. C'est là un problème de politique de publication -- à la fois du côté des labos et des revues -- qui mériterait d'être revu.