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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Renationalisation des autorisations d'utiliser des OGM : brol à Bruxelles

20 Juillet 2015 , Rédigé par Seppi Publié dans #OGM, #Union européenne

Renationalisation des autorisations d'utiliser des OGM : brol à Bruxelles

 

C'est l'Europe qu'ils assassinent !

 

En Espagne, 31,6 % de la sole de maïs était GM en 2014

 

Notre avenir à nous tous, Européens, se définit essentiellement à Bruxelles. N'en déplaise à d'aucuns, il nous faut nous unir pour interagir, en tant que bloc de 500 millions d'habitants, avec d'autres blocs de même importance, voire plus grands (ALENA, 474 millions ; Chine, 1,360 milliards ; Brésil, 200 millions ; etc.). Et il se définit dans une grande indifférence médiatique qui n'est troublée que pour les « grands » événements – lesquels traduisent de plus en plus la désunion, ou encore l'union dans la recherche d'intérêts particuliers nationaux et dans leur juxtaposition.

 

La querelle des OGM a porté cette dérive de l'esprit européen à un sommet.

 

En septembre 2009, lorsqu'il a été réélu pour un deuxième mandat à la présidence de la Commission européenne, M. José Manuel Durão Barroso a proposé de modifier le régime des autorisations d'OGM pour permettre aux États membres d'édicter des interdictions autrement que par des moratoires fondés sur des motifs – en principe impératifs – de risques pour la santé et l'environnement [1]. Contrairement à une croyance largement répandue, ce n'est pas une invention de M. Barroso, mais la transcription en agenda politique d'une suggestion des Pays-Bas (pro-OGM), de mars 2009, et d'une note de l'Autriche [2] (anti-OGM), de juin 2009, elles-mêmes précédées d'un travail de sape de... la France (de Nicolas Sarkozy, qui tenait alors la présidence) [3].

 

L' « opinion publique » que craignent les politiciens

 

Un problème de patate chaude

 

Quel était le problème ?

 

D'une part, la procédure européenne prévoit que pour être adoptée – ou rejetée – une proposition de la Commission européenne (le plus souvent élaborée sur la base d'une opinion de l'EFSA) doit recueillir une majorité qualifiée. Si la majorité qualifiée n'est pas atteinte, la décision est – normalement – prise par la Commission. En d'autres termes, on lui refile la patate chaude, ce qui n'était pas du tout du goût de la Commission Barroso, qui s'est souvent réfugiée dans la procrastination, au point de se faire condamner par la Cour de Justice de l'Union Européenne [4] (notons que la Commission n'a toujours pas agi près de deux ans après le jugement...).

 

D'autre part, les États membres opposés à la culture des OGM se sont ingéniés à actionner les clauses de sauvegarde – qui exigent l'existence de risques graves mettant en danger de façon manifeste la santé ou l'environnement – avec des arguments spécieux, voire ridicules. On ne reviendra pas ici sur le cas emblématique de la France, où le gouvernement s'est même autorisé un véritable abus de pouvoir législatif et réglementaire.

 

L' « opinion publique » que craignent les politiciens

 

 

Un accouchement aux forceps

 

La mise en œuvre de la proposition a été longue et difficile. En particulier, le Parlement européen a été plus que réticent devant une proposition qui, manifestement, tenait difficilement la route.

 

Les travaux n'ont abouti que sous la présidence de M. Jean-Claude Juncker, on pourrait dire de guerre lasse, avec la « directive (UE) 2015/412 du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2015 modifiant la directive 2001/18/CE en ce qui concerne la possibilité pour les Etats membres de restreindre ou d'interdire la culture d'organismes génétiquement modifiés (OGM) sur leur territoire » [5].

 

Rappelons que les nouvelles dispositions permettent à un État membre de faire exclure tout ou partie de son territoire d'une demande d'autorisation ou de renouvellement d'autorisation de culture. La décision sur l'exclusion appartient au demandeur/notifiant.

 

Selon l'article 26ter inséré dans la directive d'origine lorsqu'il n'y a pas eu de demande d'exclusion ou lorsqu'elle a été refusée,

 

« 3.  [...] l'État membre peut adopter des mesures restreignant ou interdisant, sur tout ou partie de son territoire, la culture d'un OGM ou d'un groupe d'OGM définis par culture ou caractère [...], à condition que ces mesures soient conformes au droit de l'Union, qu'elles soient motivées, proportionnées et non discriminatoires et qu'en outre elles soient fondées sur des motifs sérieux tels que ceux liés:

a)  à des objectifs de politique environnementale;

b)  à l'aménagement du territoire;

c)  à l'affectation des sols;

d)  aux incidences socio-économiques;

e)  la volonté d'éviter la présence d'OGM dans d'autres produits, sans préjudice de l'article 26 bis;

f)  à des objectifs de politique agricole;

g)  à l'ordre public. »

 

Pour le juriste, ce texte est un nid de frelons. Mais l'objectif n'était-il pas, en dernière analyse, de pondre un texte qui permette aux États membres réfractaires aux OGM – que ce soit une position adoptée de longue date ou par une majorité politique par pur opportunisme politicien – d'adopter des interdictions plus facilement, quitte à ce qu'elles soient régulièrement retoquées et réitérées ? Et que M. Juncker – peu favorable aux OGM (c'est le moins que l'on puisse dire) – soit débarrassé du lancinant problème des autorisations et, dans une moindre mesure, du contrôle des mesures de restriction et d'interdiction ?

 

Tout cela suppose évidemment que les États membres opposés aux OGM « jouent le jeu » et ne votent pas contre les autorisations. Qui peut voir la France – donnons des noms, de M. Le Foll et Mme Royal, ou de M. Sarkozy et Mme Kosciusko-Morizet – autoriser la culture d'un OGM à Bruxelles, étant entendu qu'elle sera ensuite interdite à Paris ?

 

Nous verrons !

 

L' « opinion publique » que craignent les politiciens

Un million d'Européens ? Qu'en savent-ils ?

Nous sommes de toute manière 500 millions

 

 

M. Juncker dit : « ... jouons collectif... »

 

La déclaration de politique générale de M. Juncker prend une saveur particulière si on lit les paragraphes suivants comme s'ils étaient liés [6] :

 

« Je ferai en sorte que les règles de procédure entourant les diverses autorisations en matière d’OGM soient revues. Je ne voudrais pas que la Commission puisse décider alors qu’une majorité d’Etats membres ne l’y auraient pas encouragé.

 

« D’une façon générale, renonçons aux débats idéologiques qui n’ont d’autre fin que d’alimenter les divisions. Remplaçons-les par des débats vertueux qui prennent appui sur des convictions fortes et sur des ambitions qui portent loin. Choisissons le pragmatisme comme méthode. Concentrons-nous sur des réalisations concrètes engendrant des effets bénéfiques pour tous les Européens. Ne fatiguons pas ceux qui nous observent par des débats institutionnels qui nous éloignent de l’essentiel, c’est-à-dire du citoyen européen. Et je demande aux gouvernements de résister plus souvent à la tentation de critiquer en rentrant chez vous les décisions que vous avez prises ensemble à Bruxelles.

 

« Si vous avez dit oui à Bruxelles, ne dites pas non ailleurs. Ne dites jamais plus après une réunion du Conseil que vous avez remporté une victoire et que les autres ont perdu. En Europe, nous gagnons ensemble, et c’est ensemble que nous perdons.

 

« L’Europe est devenue illisible, parce que très souvent nous transformons sa description en caricature. Renonçons au nombrilisme national. En Europe, jouons collectif: appliquons la méthode communautaire. Elle est exigeante, oui mais elle est efficace, elle a fait ses preuves, et elle est plus crédible que les dérives intergouvernementales. Il faut réhabiliter la méthode communautaire. »

 

Belles paroles !

 

Mais M. Juncker et sa Commission ne proposent rien moins que tourner le dos à la méthode communautaire pour permettre aux États membres d'aussi restreindre ou interdire l'utilisation d'OGM.

 

L' « opinion publique » que craignent les politiciens

« Des centaines de personnes ont défilé à Ann Arbor » ont-ils écrit...

 

Proposition de (dé)règlement

 

Le 25 avril 2015, la Commission a publié une « proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le Règlement (CE) No 1829/2003 en ce qui concerne la possibilité pour les Etats membres de restreindre ou d'interdire l'utilisation de denrées alimentaires et d'aliments pour animaux génétiquement modifiés sur leur territoire » [7].

 

Le cœur de la proposition est un nouvel article 34bis dont le paragraphe 1 est ainsi rédigé :

 

« 1. Les États membres peuvent adopter des mesures restreignant ou interdisant l’utilisation des produits mentionnés à l’article 3, paragraphe 1, et à l’article 15, paragraphe 1, autorisés conformément au présent règlement, pour autant que ces mesures soient:

a)  motivées et fondées sur des raisons impérieuses conformes au droit de l’Union, qui ne sont en aucun cas en contradiction avec l’évaluation des risques effectuée en vertu du présent règlement;

b)  proportionnelles et non discriminatoires. »

 

Cette proposition est choquante à plusieurs points de vue.

 

Pour le juriste ayant les pieds sur terre, il est difficile d'imaginer une raison « impérieuse » qui remplisse les conditions requises. Sans compter les questions de conformité aux règles commerciales de l'OMC et, le cas échéant, de traités bilatéraux. On peut ajouter que la proposition prévoit un mécanisme de notification et d'envoi, par la Commission et les autres États membres, de « toute observation qu’ils estiment appropriée ». Mais il n'y a pas de suite... M. Juncker et sa Commission ont un souci en moins.

 

En outre, le texte prévoit que ce dispositif ne « s’applique[...] pas aux OGM destinés à la culture ». Cette disposition n'a pas été expliquée dans l'exposé des motifs. Nous comprenons qu'un État membre peut s'opposer à l'utilisation d'un OGM qui serait autorisé à l'importation, mais pas à la culture ; mais qu'il ne peut pas s'opposer à cette utilisation si la culture est autorisée dans l'Union européenne... quand bien même elle serait interdite dans l'État membre concerné !

 

Pour l'Européen il est difficile d'imaginer comment une restriction ou une interdiction peut être mise en œuvre dans le cadre d'un marché unique qui a éliminé les contrôles aux frontières dans le secteur agricole.

 

Pour l'agronome et l'économiste, il est difficile d'imaginer les répercussions sur l'existence même du secteur agricole d'une Union qui est fortement dépendante de pays tiers pour l'approvisionnement en protéines, maintenant génétiquement modifiées à plus de 90 %.

 

Les quatre plus grands fournisseurs de l'Union européenne sont aussi les plus grands producteurs d'OGM

http://ec.europa.eu/agriculture/trade-analysis/map/2014-1_en.pdf

 
Réticence et indifférence au Parlement européen

 

Au Parlement européen, le rapporteur de la Commission de l'environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire – qui est federführend selon une jolie expression germanique (qui est chef de file) – a proposé de rejeter la proposition et d'inviter la Commission à la retirer [8]. Le rapporteur a bénéficié d'un large soutien [8] ; mais le compte rendu de la session des 15 et 16 juillet 2015 pour le public montre qu'une partie de la Commission souhaite une proposition mieux formulée [9]. Un plan B ? On croit rêver... ce sont les fondamentaux de l'Union européenne qui sont jetés aux orties !

 

Les Commissions de l'industrie, de la recherche et de l'énergie, ainsi que du marché intérieur et de la protection des consommateurs ont décidé de ne pas donner d'avis [10]. Étrange ! Quant à la Commission de l'agriculture et du développement rural, le rapporteur a soumis une proposition laconique à sa session du 15 juillet 2015 : il est demandé à la Commission chef de file de proposer le rejet de la proposition de la Commission.

 

Marche contre Monsanto 2014 Strasbourg 

Leur force : notre passivité

 

Scepticisme au Conseil

 

La proposition a également été examinée par le Conseil « agriculture et pêche » le 13 juillet 2015 [11]. Elle s'est aussi heurtée à beaucoup de scepticisme.

 

Pour ne pas dire plus [12]. Le Ministre de l'agriculture autrichien Andrä Rupprechter a eu ce compliment cruel pour le Commissaire Vytenis Andriukaitis : « Vous avez fait de votre mieux pour défendre cette proposition indéfendable. »

 

Nous ne pouvons que partager ce point de vue.

 

 

C'est l'Europe qu'on assassine !

 

Il n'y a pas que la question des OGM qui, du reste, n'est plus vraiment une question. Ceux qui sont autorisés à la commercialisation et l'utilisation, ne présentent aucun risque sanitaire supplémentaire à celui de leur contrepartie « conventionnelle » ; ils ne prêtent pas le flanc à des « raisons impérieuses » de les interdire ou de les restreindre, sauf chez les anti-OGM indurés et les politiciens pusillanimes. L'Europe – y compris les États membres qui souhaitent la liberté d'interdire – les utilise depuis bon nombre d'années.

 

Il n'y a pas que les questions juridiques, économiques et sociales. Au nombre de ces dernières il faut mettre la capitulation de gouvernements et d'administrations devant des groupes de pression dont les postures sont interprétées avec naïveté comme les « attentes des citoyens » tout simplement parce qu'ils saturent les médias grâce à amitiés voire des complicités.

 

La vraie question, c'est qu'on est en train de démanteler l'Europe– de l'assassiner – pour cause de démagogie et de couardise.

 

Protestation devant les bureaux de Greenpeace à Toronto

Et l'Union européenne, quelle responsabilité ?

 

____________________

 

[1] http://ec.europa.eu/archives/commission_2010-2014/president/pdf/press_20090903_fr.pdf

« Je souhaite faire preuve de rigueur quant aux domaines dans lesquels nous devons disposer de règles communes et ceux pour lesquels un cadre commun suffit. Nous n'avons pas toujours su trouver un juste équilibre en la matière ni examiné soigneusement les conséquences de la diversité dans une UE à 27. Dans un domaine tel que celui des OGM, par exemple, il devrait être possible d'adopter un système d'autorisation communautaire, fondé sur des données scientifiques, tout en laissant la possibilité aux États membres de décider s'ils souhaitent ou non avoir des cultures génétiquement modifiées sur leur territoire. »

 

[2] http://register.consilium.europa.eu/doc/srv?l=EN&f=ST%2011226%202009%20REV%202

 

[3] http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_Data/docs/pressdata/en/envir/104509.pdf

 

[4] http://curia.europa.eu/juris/document/document_print.jsf?doclang=EN&text=&pageIndex=0&part=1&mode=lst&docid=142241

 

[5] http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=uriserv:OJ.L_.2015.068.01.0001.01.FRA

 

[6] http://ec.europa.eu/priorities/docs/pg_fr.pdf

 

[7] http://ec.europa.eu/food/plant/docs/plant_gmo_authorisation_proposal_regulation_en.pdf

http://ec.europa.eu/transparency/regdoc/rep/1/2015/FR/1-2015-177-FR-F1-1.PDF

 

[8] http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2014_2019/documents/envi/pr/1065/1065989/1065989fr.pdf

 

[9] http://www.europarl.europa.eu/news/fr/news-room/content/20150713IPR80661/html/Importations-d'OGM-opposition-au-projet-l%C3%A9gislatif-et-demande-de-plan-B

 

[10] http://www.europarl.europa.eu/oeil/popups/ficheprocedure.do?reference=2015/0093(COD)&l=FR

 

[11] http://www.consilium.europa.eu/en/meetings/agrifish/2015/07/Outcome-of-the-Council-meeting_EN_pdf/

 

[12] https://euobserver.com/environment/129631

 

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