Étiquetage des OGM aux États-Unis d'Amérique : la vraie vérité
Le Monde aurait pu mieux faire
Accordons-lui le titre de journal de référence... puisqu'il semble être le seul à avoir donné l'information en France. Une information très imparfaite, en grande partie influencée par les premières pages Internet apparaissant sur la liste d'un célèbre moteur de recherche, lesquelles pages émanent bien évidemment de l'altermonde. On peut toutefois trouver quelques généreuses circonstances atténuantes : ce n'est pas le seul où on a succombé à la facilité et au laxisme sur des sujets controversés. Mais cela ne contribue pas à l'image du journal qui fut par le passé « de référence ».
Le 24 juillet 2015, le Monde titrait donc : « OGM : les parlementaires américains refusent l’étiquetage obligatoire des aliments » sous la plume d'un correspondant à New York dont on aurait espéré qu'il suivît les affaires états-uniennes de plus près [1]. Car ce titre est faux !
La Chambre des Représentants a adopté le 23 juillet 2015, par 275 voix (la majorité républicaine presque unanime et 45 démocrates) contre 150 un texte présenté par M.M. Mike Pompeo (rép. Kansas) et G.K. Butterfield (dém. Caroline du Nord), « The Safe and Accurate Food Labeling Act of 2015 » (loi de 2015 sur l'étiquetage sûr et précis des aliments) [2]. Ce texte doit encore passer par le Sénat où les choses semblent se présenter plus difficilement.
Selon le Monde :
« La majorité des parlementaires américains ont décidé que les entreprises agroalimentaires n’auraient pas à indiquer si leurs produits contiennent des organismes génétiquement modifiés (OGM). »
La dérive idéologique est patente ; elle reflète toutefois le « débat » tel qu'il s'est cristallisé aux États-Unis d'Amérique. C'est une loi sur, et non contre, l'étiquetage.
La loi était évidemment très contestée dans certaines sphères. Et donc, toujours selon le Monde :
« ...depuis plusieurs mois le débat est intense dans plusieurs Etats entre le lobby de l’industrie agroalimentaire et plusieurs associations de consommateurs et de groupes de défense de l’environnement, qui réclament plus de transparence sur le sujet. »
Encore une approximation. « Lobby » apparaît trois fois dans le texte : « lobby de l’industrie agroalimentaire », puis, au paragraphe suivant, « lobbys de l’agro-industrie »et, dans l'avant-dernier, « lobby favorable aux OGM ». En face, ce sont évidemment les gentils : « plusieurs associations de consommateurs et de groupes de défense de l’environnement ».
Pour comprendre, il faut remonter dans le temps.
Les tentatives d'imposer un étiquetage au niveau fédéral ayant échoué, on a mis en œuvre une stratégie État par État, soit par les moyens ordinaires de la démocratie représentative, soit par ceux qu'offrent la démocratie directe (les « ballot measures », « initiated state statutes » ou autres « propositions »).
Le galop d'essai a eu lieu dans l'Oregon en 2002 [3]. « Les Oregoniens doivent avoir le droit de savoir ce qu'ils mangent », tel était le slogan principal. Pour un texte plutôt intégriste, voire extrémiste, qui, par exemple, exigeait l'étiquetage des produits laitiers et carnés issus d'animaux traités avec des hormones ou des médicaments GM. Rejeté par 70 % des voix.
Les initiatives se sont multipliées dans les années 2010 : Californie, État de Washington, Oregon, Colorado, Connecticut, Maine, Vermont. Au niveau des comtés, on a cherché à interdire la culture de plantes transgéniques (notamment Maui à Hawaï).
Le cas de la Californie est emblématique. Le 6 novembre 2012, le peuple a rejeté la « proposition 37 » par une courte majorité (51,41 %), après une intense campagne fortement médiatisée qui a débordé sur l'ensemble du pays [4].
Comment transformer une défaite en victoire...
Source : http://www.non-gmoreport.com/articles/november2012/prop-37-defeated-gmo-labeling-issue-stays.php
Le texte mis au vote est d'une grande complexité et non dépourvu d'arrière-pensées. Ainsi, les auteurs se sont empressés d'y inscrire une exemption d'étiquetage pour les produits de l'agriculture... biologique. On n'est jamais trop prudent ! Il aurait aussi été interdit d'apposer le mot « naturel » ou des indications similaires à tout produit alimentaire GM. Tout bénéfice pour l'agriculture biologique et les marchands d'aliments et de compléments alimentaires et pilules miracles ! La définition de GM était aussi très large et incluait la fusion de protoplastes.
C'est que le consortium en faveur de la proposition associait essentiellement le lobby – osons le mot – de l'agriculture biologique fonctionnant sur le mode idéologique, une cohorte de charlatans dont certains font commerce de remèdes miracles, des organisations contestant l'organisation de la société sous le paravent (pas toujours) de la défense de l'environnement ou de la santé. Il y avait certes aussi des associations de consommateurs, dont une partie fut créée pour l'occasion et consciencieusement mise en avant (ah, les mamans préoccupées par la santé de leurs enfants...). Sur ce point, le journaliste du Monde s'est laissé abuser.
La liste des donateurs pour le « oui » est éclairante [5]. Bien sûr, il y avait en face les grands groupes semenciers et agro-alimentaires, et ce, avec des moyens bien plus importants ; normal : les uns pouvaient en appeler à l'émotion, les autres devaient expliquer.
Source : http://www.takepart.com/article/2012/08/16/surprise-natural-brands-kashi-oppose-gmo-labeling-too
Le deuxième cas emblématique est celui du Vermont. Une loi y a été adoptée par la Chambre et le Sénat, et le Gouverneur l'a promulguée le 8 mai 2014 pour une mise en vigueur le 1er juillet 2016 [6]. Le texte présente beaucoup de similitudes avec celui de la Californie. Mais le diable est dans le détail... Cette loi est contestée en justice.
Ajoutons que des lois ont été adoptées dans le Connecticut et le Maine, mais leur entrée en vigueur est conditionnée par l'adoption de lois similaires dans d'autres États. Les initiatives populaires ont en revanche échoué dans l'État de Washington, en Oregon (d'une très courte majorité) et dans le Colorado (très nettement).
Paradoxal ! Les consommateurs – donc les électeurs – seraient majoritairement en faveur de l'étiquetage, mais quand on leur demande pour de vrai... Les partisans du « oui » feront sans nul doute état du déluge de moyens déployés par le camp du « non ». En fait, il y a une grande différence entre des sondages – avec des questions souvent suggestives – et des votations dans lesquelles la réponse implique des conséquences pratiques et sur des textes qui, à l'évidence comportent plusieurs loups.
Mais paradoxal oui, dans un autre sens : on pourrait arguer que ce sont les législatifs – du Connecticut, du Maine et du Vermont – qui, cédant à la démagogie, ne respectent pas la volonté populaire, la vraie, pas celle qui se dégage de l'activisme en grande partie intéressé.
Le Colorado peut aussi servir d'exemple pour illustrer le chaos qui était susceptible de s'installer en matière d'étiquetage [7]. On a voulu couvrir la fusion de protoplastes... Génial ! Les variétés hybrides dont la stérilité mâle cytoplasmique dérive d'une fusion de protoplastes, par exemple chez les choux, doivent-elles être étiquetées OGM selon le texte considéré ? En Californie, l'obligation naissait dès lors que « les cellules/protoplastes donneurs ne tombent pas dans la même famille taxonomique ». Quel sens donner au mot « famille » ici ? Les choux hybrides sont exclus (le donneur est un radis). Dans le Vermont cela devenait franchement mystérieux : « groupe taxonomique ». Le chou et le radis appartiennent à deux genres (au sens taxonomique) différents. Et dans le Colorado il aurait fallu étiqueter en cas d'utilisation de « méthodes de fusions de cellules au-delà de la famille taxonomique [...] qui ne sont pas des techniques utilisées en amélioration des plantes et sélection classiques telles que la conjugaison, la transduction et l'hybridation ». En anglais, on appelle ça « gobbledygook ». Charabia si vous voulez (la conjugaison et la transduction sont des phénomènes inconnus chez les plantes...).
Le Colorado aurait aussi exempté de l'étiquetage le... chewing gum. Mais, contrairement à la Californie et au Vermont, il n'aurait pas interdit l'emploi de « naturel » et de ses dérivés en relation avec des produits GM.
Beaucoup des initiatives précitées ont été affublées du titre « right to know » (droit de savoir) ; et c'est sous ce slogan – et « just label it », (étiquetez, tout simplement) – que se déploie une très grande partie de l'activisme fondamentalement anti-OGM. Le véritable objectif est pourtant de discréditer les OGM et, indirectement, favoriser le circuit des produits bio et des remèdes miracles. Les médias peuvent se laisser abuser, et même participer à l'enfumage... cela ne change rien à la constatation.
Tous les moyens sont bons...
La loi initialement proposée par le représentant Pompeo a eu pour objet de remettre de l'ordre.
Son effet le plus médiatisé est certes d'interdire les initiatives désordonnées au niveau des États. Ses opposants les plus farouches n'ont pas manqué de l'appeler « DARK Act », « dark » (sombre) pour « Deny Americans the Right to Know » (refuser aux Américains le droit de savoir). Mais c'est là une simplification abusive et, encore une fois, de l'enfumage.
Pour comprendre la loi proposée, il faut faire l'effort de la lire en intégrant ses dispositions dans la loi qu'elle modifie. Tâche ardue ! On se contentera donc ici de reprendre les explications de M. Pompeo, et ce, d'autant plus que la messe n'est pas encore dite [8].
L'objectif est :
-
de créer un système uniforme, national, régissant l'examen préalable à la commercialisation et l'étiquetage des aliments génétiquement modifiés ;
-
faire mener par la Food and Drug Administration un examen de la sécurité de toutes les nouvelles variétés de plantes utilisées pour des aliments génétiquement modifiés avant que ces aliments ne soient mis dans le commerce (actuellement, la consultation de la FDA n'est pas obligatoire si les ingrédients de l'aliment ne présentent plus le caractère GM) ;
-
maintenir le pouvoir de la FDA d'imposer un étiquetage spécial s'il l'estime nécessaire pour protéger la santé et la sécurité ;
-
créer un nouveau cadre législatif, supervisé par la FDA, régissant l'utilisation d'indications relatives à l'absence ou à la présence d'aliments ou d'ingrédients génétiquement modifiés ;
-
demander à la FDA d'élaborer une définition fédérale des allégations de caractère « naturel » dans l'étiquetage ;
-
permettre à ceux qui veulent étiqueter leurs produits comme non OGM de le faire dans le cadre d'un processus de certification accrédité par l'USDA.
De l'utilité de lire les textes...
Donc, pour en revenir à notre propos liminaire, ce n'est pas « les parlementaires américains refusent l’étiquetage obligatoire des aliments », mais « ...confirment... » quand c'est nécessaire.
________________
[2] https://www.congress.gov/bill/114th-congress/house-bill/1599
Sauf erreur, le texte adopté est ici :
https://www.congress.gov/bill/114th-congress/house-bill/1599/text
[3] http://ballotpedia.org/Oregon_Labeling_of_Genetically-Engineered_Foods,_Measure_27_(2002)
Le texte et les arguments pour et contre sont ici (proposition 27, en fin de document) :
https://www.rt.com/usa/213959-oregon-gmo-label-defeat/
[4] http://vig.cdn.sos.ca.gov/2012/general/pdf/text-proposed-laws-v2.pdf#nameddest=prop37
[5] http://votersedge.org /california/ballot-measures/2012/november/prop-37/funding#.VbpKkvPtmko
Mercola Health Resources : $1,199,000
Kent Whealy : $1,000,000
Dr. Bronner's Magic Soaps : $620,883
Nature's Path Foods : $610,709
Organic Consumers Fund : $605,667
Ali Partovi : $288,975
Mark Squire : $258,000
Wehah Farm : $251,000
Amy's Kitchen : $200,000
The Stillonger Trust (Mark Squire, Trustee) : $190,000
[6] www.leg.state.vt.us/docs/2014/Acts/ACT120.pdf
[7] https://www.colorado.gov/pacific/sites/default/files/2014%20Bluebook%20english.pdf
[8] http://pompeo.house.gov/uploadedfiles/safla_one_pager_-_114th_congress.pdf