Des agriculteurs abandonnent l'agriculture biologique malgré l'attrait de prix plus élevés
Andrew Porterfield*
L'agriculture biologique jouit d'une telle aura en France qu'il est difficile, sinon impossible, de trouver des informations pleinement objectives sur ce secteur de l'activité agricole et industrielle.
Allez donc chercher sur le site de l'Agence bio, l’Agence française pour le développement et la promotion de l’agriculture biologique, des statistiques sur le nombre d'agriculteurs qui quittent la filière « bio », soit pour retourner au « conventionnel », soit parce qu'ils n'ont pas trouvé de repreneur.
L'Agence bio « est une plateforme nationale d’information et d’actions qui s’inscrit dans une dynamique de développement, de promotion et de structuration de l’agriculture biologique française. » Financée en partie par nos impôts, l'information complète et objective passe au second plan...
Voici donc, pour appréhender une partie occultée de la réalité, un article sur la situation aux États-Unis d'Amérique et au Royaume-Uni. Les expériences ne sont pas directement comparables, mais au moins y trouvera-t-on quelques intéressants éléments d'information et de réflexion.
Voici donc le texte de M. Porterfield.
Source : Agence Bio. La stabilité des surfaces certifiées « bio » entre 2005 et 2008 reflète des abandons. L'évolution générale dépend fortement des incitations financières à la conversion.
L'Internet est inondé de reportages affirmant que l'agriculture biologique est plus rentable pour les agriculteurs que l'agriculture conventionnelle. La dernière vague de messages a été fondée sur une étude publiée récemment dans la revue PNAS par des chercheurs l'Université de l'État de Washington qui ont trouvé une prime de 22 à 35 pour cent par rapport aux mêmes produits alimentaires issus de l'agriculture conventionnelle, malgré des rendements inférieurs de 18 pour cent en bio [1].
Ce rapport fait écho aux conclusions d'une étude réalisée en 2009 pour l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), qui a également souligné les « avantages non-économiques » de l'agriculture biologique – les prestations alléguées de durabilité [2].
Mais les allégations de meilleure rentabilité pour les agriculteurs se heurtent à quelques réalités incontournables : l'agriculture biologique est loin d'être florissante en Occident, même si les ventes de produits bio sont en forte augmentation, mais à partir d'une base très faible. S'il y a tellement d'argent à se faire dans les produits bio, alors pourquoi les agriculteurs ne sont-ils pas plus nombreux à faire le saut ?
Alors que la demande des consommateurs pour des produits bio est en hausse [3], il y a 16.525 exploitations en agriculture biologique aux États-Unis d'Amérique – soit seulement 0,8 pour cent des exploitations. La plupart sont de petite taille – dans l'État de Washington, 30 pour cent d'entre elles dégageaient un chiffre d'affaires inférieur à 25.000 dollars, alors que 9 pour cent seulement dépassaient le million. L'USDA a également trouvé que les exploitations en agriculture biologique avaient tendance à être plus petites (son critère est un produit inférieur à 250.000 dollars [3]).
Le Département Américain de l'Agriculture ne tient pas de statistiques sur les exploitations qui ont abandonné le National Organic Program, et les changements dans la collecte des données entre 2007 et 2012 font qu'il est quasi impossible de faire ce genre d'analyse (pour l'instant, l'USDA mène des enquêtes qui pourraient produire plus de données cette année ou l'année prochaine) [4].
Mais d'autres études montrent que le soutien à l'agriculture biologique est au mieux hésitant chez les agriculteurs eux-mêmes. Une étude de 2010 de l'Université de l'État de Washington a trouvé que les certifications en agriculture biologique ont diminué dans l'État de 18 (pour s'établir à 735), tandis que cinq exploitations ont obtenu la certification [5]. Des données plus récentes montrent que le nombre d'exploitations en agriculture biologique a légèrement baissé à nouveau en 2013, et la superficie consacrée aux produits bio a également chuté [6].
En 2007, le California Institute for Rural Studies a trouvé que si 600 agriculteurs se sont inscrits au programme biologique de l'État (la Californie est le seul État à avoir son propre système d'enregistrement), 523 agriculteurs ont abandonné le programme entre 2003 et 2005 [7].
Le mois dernier, au Royaume-Uni, le Guardian a publié un article intitulé : « Pourquoi les agriculteurs bio abandonnent-ils dans toute la Grande-Bretagne ? » [8] ; il a décrit la détresse des agriculteurs bio qui sont coincés malgré les prix nettement plus élevés payés par les consommateurs pour les produits bio:
Darren et Julia Quenault ont reçu leur première livraison d'aliments du bétail conventionnels il y a quelques semaines. Après neuf années dans l'élevage laitier bio, ils ont décidé de retourner au conventionnel, et de renoncer à leur statut bio, à la fin de l'année dernière.
Les Quenault ne sont pas les seuls. Même si la demande de produits bio demeure élevée, les producteurs abandonnent. [...] Les chiffres du gouvernement du Royaume-Uni montrent que si les ventes de produits bio ont rebondi après l'étiage qui a suivi le krach financier de 2008/9, la surface cultivée en bio en Grande-Bretagne continue à diminuer. En 2013, la dernière année pour laquelle on dispose de données, les surfaces en conversion ont baissé de 24 pour cent, les surfaces certifiées étant en baisse de 3,9 pour cent. Le nombre de producteurs et de transformateurs a diminué pour la cinquième année consécutive, de 6,4 pour cent, et le nombre de moutons, porcs et bovins bio a également diminué.
Les Quenaults disent que leur reconversion est une simple question d'économie. « Les aliments pour bétail bio coûtent atrocement cher et nous ne pouvions pas en absorber le coût », dit Julia. « Nous économisons £ 1,800 par mois. Nous ne pouvions pas continuer ; nous aurions dû augmenter considérablement les prix, et nous ne nous sentions pas capables d'imposer aux consommateurs un supplément de 12 pour cent sur le prix du lait. »
Les interviews d'agriculteurs ont également mis en évidence des typologies révélant ce que les agriculteurs adoptent, rejettent ou abandonnent dans l'agriculture biologique. Jeff Murray, professeur de marketing à l'Université de l'Arkansas, et ses collègues ont constaté que beaucoup d'agriculteurs résistaient à l'agriculture biologique, malgré l'attrait supposé des prix plus élevés [9]. Dans leur étude, ils ont trouvé que l'idéologie, en particulier chez les agriculteurs conventionnels, était le moteur principal de la conversion à l'agriculture biologique ou de son rejet:
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Les agriculteurs conventionnels se voyaient en meilleurs gestionnaires, plus scientifiques, adoptant les techniques culturales simplifiées et les « applications chimiques » pour augmenter les rendements.
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Pour leur part, les agriculteurs bio se voyaient comme pratiquant l'agriculture comme leurs grands-parents, passant plus de temps dans les champs et considérant le sol comme un écosystème.
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Les agriculteurs conventionnels considéraient que les agriculteurs bio ne sont pas scientifiques et qu'ils sont adeptes d'un « gourou de l'agriculture biologique ».
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Pour leur part, les agriculteurs bio percevaient les agriculteurs conventionnels comme des paresseux, « laissant à la coopérative le soin de prendre des décisions pour eux ».
En dehors de ces perceptions, les agriculteurs conventionnels ont dit qu'ils sont disposés à adopter certaines pratiques de l'agriculture biologique si c'était rentable..
Pour de nombreux agriculteurs, les pratiques bio dans leur ensemble ne se traduisent pas toujours par des profits plus élevés. Un des obstacles est identique à celui que rencontrent les agriculteurs conventionnels, y compris ceux qui utilisent des semences génétiquement modifiés : ce que les agriculteurs perçoivent comme un excès de réglementation. Une étude menée par l'Université de Californie a trouvé que 38 pour cent des agriculteurs bio considéraient le fardeau de la réglementation comme leur défi principal [10].
« Cela comprend la paperasserie et la tenue de registres pour la certification, les inspections, la recherche d'un tiers certificateur, et le coût de la certification », selon l'étude.
Le processus de certification est très compliqué. Selon les règles du National Organic Program (NOP) de l'USDA, toute exploitation candidate doit passer par une période de transition de trois ans au cours de laquelle elle ne peut pas vendre un produit comme certifié « bio ». Toutefois, l'exploitation est censée se convertir aux pratiques durant cette période. Une fois certifiée, l'agriculteur doit subir des inspections, et faire la preuve que son exploitation suit toutes les règles de l'agriculture biologique.
Les intrants ne sont pas donnés non plus ; les coûts sont parfois supérieurs à ceux de l'agriculture conventionnelle. Le coût du travail peut aussi être sensiblement plus élevé en agriculture biologique. Par exemple, de nombreux agriculteurs conventionnels cultivent des OGM Bt qui n'exigent pratiquement pas de traitements insecticides, alors que les agriculteurs bio ayant des problèmes de ravageurs doivent traiter leurs cultures régulièrement, ce qui occasionne un travail supplémentaire. Tous les agriculteurs conventionnels cultivant des plantes tolérantes à un herbicide doivent désherber beaucoup moins ; c'est là une autre innovation source d'économie de travail par rapport à l'agriculture biologique.
Un agriculteur bio a déclaré aux chercheurs dans une étude californienne [7] : « Tout ça, c'est du travail. J'ai eu quelques partenaires qui ont renoncé quand ils ont vu que je devais dépenser 4.500 dollars par hectare pour désherber des épinards au lieu de 375 dollars en conventionnel ».
Un agriculteur bio du comté de Ventura, en Californie, a dit aux chercheurs : « Quand je cultivais en conventionnel, j'avais six employés sur 120 hectares. Maintenant que je suis en bio, j'ai 15 employés sur 12 hectares. »
D'autres agriculteurs ont abandonné le bio parce qu'ils voient le mouvement davantage comme une religion que comme axé sur la science agricole. Mike Bendzela, ancien agriculteur bio dans le Maine, a récemment comparé la philosophie du mouvement bio à [11] :
« ...un radeau de barriques recouvert de planches disjointes. En essayant de justifier leurs croyances, ils alignent les assertions (planches), chacune reposant sur une hypothèse différente (la barrique). Et- quand une assertion est mise en doute, ils sautent tout simplement sur une autre planche du radeau en essayant de maintenir l'ensemble. »
Bendzela raconte qu'il a assisté à la foire de l'Association des agriculteurs et jardiniers bio du Maine et qu'il a vu la « Whole Life Tent » (la tente de la vie) remplie de «réflexologues, naturopathes, homéopathes, praticiens de Reiki... Je ne pouvais dire ce que tout cela avait à voir avec l'agriculture. » Ce qu'ils étaient, c'était « forcément le mal pour faire venir les gens non liés à l'agriculture. Ce désordre ne se limite pas au champ de foire. »
Une question se pose : la prime du bio va-t-elle durer ? Selon le rapport de l'Université de l'État de Washington : « Les primes versées aux agriculteurs bio ont varié de 29 à 32 pour cent par rapport aux prix du conventionnel [1]. Même avec des rendements en bio inférieurs de 18 pour cent par rapport au classique, le point d'équilibre pour l'agriculture biologique est à 5 à 7 pour cent. » Selon les chercheurs, cela signifie que le bio pourrait encore être rentable avec des primes bien plus faibles.
Toutefois, si certaines pratiques bio (rotation des cultures et cultures associées en particulier) sont adoptées par les agriculteurs conventionnels, l'écart de rendement entre les cultures conventionnelles et bio, déjà important, le sera encore plus [12]. Il n'est même pas sûr que les primes actuelles couvrent les coûts plus élevés de l'agriculture biologique (alors que le groupe de l'État de Washington affirme que les primes se sont maintenues pendant 40 ans, la filière bio ne s'est organisée qu'il y a moins de 20 ans). En fait, les plantes génétiquement modifiées sont en grande partie responsable de la capacité de produire plus sur moins de terres, selon l'USDA [13]. Les changements de l'offre et de la demande induisent des changements dans les prix. Les agriculteurs sont plus qu'un peu sceptique quant à la durabilité des bénéfices, c'est le moins qu'on puisse dire.
"Stéphane LE FOLL, Ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, a présenté aujourd’hui les grandes orientations du programme « Ambition Bio 2017 » [1]. Avec un objectif d’ici fin 2017 à la fois de doubler les surfaces et d’augmenter fortement la consommation française de produits issus de l’agriculture biologique, ce plan vise à donner une nouvelle impulsion au développement et à la structuration de cette filière en France."
http://agriculture.gouv.fr/programme-national-ambition-bio-2017-stephane-le-foll-donne-un-nouvel-elan-pour-le-developpement
Sans commentaires !
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* Andrew Porterfield est un auteur, éditeur et consultant en communication pour des institutions universitaires, des entreprises et des organismes sans but lucratif du domaine des sciences de la vie. Il est basé à Camarillo, Californie. On peut le suivre sur Twitter @AMPorterfield.
Article initialement publié sur :
[1] Financial competitiveness of organic agriculture on a global scale
David W. Crowder,1 et John P. Reganold
http://www.pnas.org/content/112/24/7611.abstract
[2] ftp://ftp.fao.org/docrep/fao/011/ak355e/ak355e00.pdf
[4] http://www.wsj.com/articles/organic-farming-boom-stretches-certification-system-1418147586/
[5] http://cahnrs.wsu.edu/blog/2011/03/battling-rust-organic-decline/
[6] http://csanr.wsu.edu/wp-content/uploads/2015/04/WA-Org-Stats-Summary-2013.pdf
[7] http://www.newfarm.org/features/2007/0307/certorg/kupfer.shtml
[8] http://www.theguardian.com/environment/2015/mar/14/why-are-organic-farmers-across-britain-giving-up
[9] http://journals.ama.org/doi/abs/10.1509/jm.13.0280
[10] http://giannini.ucop.edu/media/are-update/files/articles/v14n2_3.pdf
[11] http://randomrationality.com/2013/05/17/why-im-through-with-organic-farming/