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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Comment effrayer les gens et leur faire soutenir une mauvaise politique sur les abeilles et autres pollinisateurs

22 Juillet 2015 , Rédigé par Seppi Publié dans #Abeilles, #Article scientifique

Comment effrayer les gens et leur faire soutenir une mauvaise politique sur les abeilles et autres pollinisateurs

 

Les tentatives de donner un nouveau souffle au récit de l'abeillecalypse ne passent pas le test de l'éclat de rire

 

 

Ceci est le dernier d'une série d'articles du Genetic Literacy Project sur la réalité des faits sur les oiseaux et les abeilles.

 

Point n'est besoin d'une étude peer reviewed (passée par un comité de lecture) pour vous dire que si vous effacez le soleil, les plantes ne pousseront plus et les panneaux solaires cesseront de fonctionner. Ou que si un astéroïde géant frappait de façon inattendue la Terre demain, il y aurait d'énormes destructions. Ou si... vous voyez où je veux en venir ?

 

Les scénarios d'apocalypse sont excellents comme matière première pour la science-fiction et comme substrat pour des campagnes idéologiques, mais ces fantaisies n'ont aucune valeur en pratique, ni pour la définition des politiques publiques, ni pour la science ou le grand public. En dehors du domaine de l'imaginaire de bande dessinée, le soleil ne va pas manquer de se lever demain et un astéroïde ne va pas se fracasser sur la terre.

 

 

C'est le cas d'un article publié ce mois-ci dans le Lancet sur « les effets des baisses de populations de pollinisateurs animaux sur la nutrition humaine et la santé mondiale : une analyse par modélisation ». Et la conclusion est : « La baisse des populations d'animaux pollinisateurs pourraient peser lourdement sur la santé mondiale tant du point de vue des maladies non transmissibles que des carences en micronutriments. » Traduit en français, cela donne : si tous les pollinisateurs, y compris tous les oiseaux et toutes les abeilles, disparaissaient demain, ce serait une mauvaise chose pour la productivité agricole. Sans blague ? Il n'était pas nécessaire d'assembler une équipe de professeurs d'environnement et santé publique de la Harvard School of Public Health et de l'Université Tufts pour vous apprendre cela !

 

Bien sûr, cet article n'avait pas pour objet d'explorer une réelle menace catastrophique imminente. Il n'analyse pas l'état actuel de la santé des abeilles ; il indique que les abeilles font face à une menace imminente quant à leur existence même et qu'elles sont en déclin, et ce, à tort car les faits ne confortent pas ces affirmations. Donc, quel était le but, si tant est qu'il y en ait eu un, de ce qui équivaut à un exercice de modélisation de tactiques alarmistes ?

 

Selon les chercheurs, l'extinction de tous les pollinisateurs animaux réduirait les approvisionnements mondiaux en fruits de 22,9 pour cent, en légumes de 16,3 pour cent et en fruits à coque et graines de 22,1 pour cent. L'analyse affirme que la détérioration résultante de la nutrition provoquerait 1,42 million de décès annuellement.

 

L'article introduit son propos avec une tromperie en caractères gras, en suggérant que les populations d'abeilles domestiques et sauvages sont en « déclin » rapide et que leur disparition est du domaine du possible.

 

« Dans la dernière décennie, les déclins à travers le monde dans le nombre, les aires de répartition et la diversité des espèces de pollinisateurs sauvages et domestiques ont été bien documentés. Depuis 2006, les colonies d'abeilles domestiques ont subi des pertes hivernales répétées et significatives aux États-Unis d'Amérique, d'environ 30 pour cent, tandis que l'Europe a vu des pertes plus petites mais également importantes (15 pour cent). »

 

Tout d'abord, le choix de 2006 comme point de départ de l'analyse a été politique. Pourquoi? Ce fut l'année de l'incident fort médiatisé du syndrome de l'effondrement des colonies (Colony Collapse Disorder, CCD), un phénomène essentiellement confiné à la Californie qui a conduit à une forte baisse d'une année sur l'autre pour les abeilles et les ruches. Le CCD s'est produit périodiquement au cours des années – des rapports documentés remontent aux années 1800 – et il n'y a pas de lien avec les pesticides, la cible apparente de cette étude.

 

Les auteurs mentionnent les « pertes de colonies hivernales » pour étayer leur prémisse que les pays à travers le monde font face à une « diminution dans le nombre » d'abeilles, alors que c'est le contraire. Quand les abeilles meurent pendant un hiver rigoureux, les apiculteurs peuvent diviser les essaims et repeupler leur rucher. Le niveau des pertes hivernales est donc une question distincte de la population globale des abeilles.

 

Il en est de même en Europe, où le nombre de ruches a augmenté de 2 pour cent, de 16.443.954 en 2006 à 16.807.422 en 2013, selon les derniers chiffres disponibles de l'Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture (FAO) [3]. Dans le monde, l'augmentation a été de 6 pour cent, de 76.183.282 en 2006 à 80.986.086 en 2013. La FAO, soit dit en passant, est la source que cite l'étude pour ses données sur la production alimentaire...

 

 

S'agissant des abeilles sauvages, une étude publiée dans la revue Nature Communications en juin a trouvé que les abeilles sauvages étaient en plein essor : « les espèces qui sont les pollinisateurs dominants des cultures sont les espèces les plus répandues et les plus abondantes dans le paysage agricole au sens large ».

 

Pour plus d'information générale, lire cette analyse de Jon Entine, de GLP [4]. Une fois passé les élisions éditoriales de la première page, l'étude du Lancet lance une extraordinaire mise en garde à propos de ses conclusions alléguées :

 

« Nous n'avons fait aucune hypothèse sur l'adaptation humaine aux pertes de nourriture liée aux pollinisateurs ou aux pertes de nutriments (par exemple, sur l'utilisation de modes alternatifs de pollinisation, la substitution d'aliments ou de cultures, la complémentation alimentaire, l'augmentation des importations d'aliments concernés) en raison de la grande incertitude et de la variabilité spécifiques aux pays associées à chaque intervention possible. »

 

En d'autres termes, les titres alarmistes au sujet des millions de morts ne peuvent pas devenir réalité parce que les agriculteurs cultiveraient des espèces différentes, et les industries agro-alimentaires ajusteraient leurs recettes aux disponibilités. Les êtres humains sont très doués pour l'adaptation à des circonstances difficiles.

 

Supposons cependant, pour les besoins du raisonnement, que l'étude du Lancet ait tout juste et que tous les pollinisateurs disparaissent du jour au lendemain. Que signifierait une réduction de 22 pour cent de la production agricole ? Nombreux sont les militants qui prétendent (à tort) que les pollinisateurs sont en déclin et qui exigent dans le même temps que nous passions de l'agriculture conventionnelle à l'agriculture biologique, prétendument « amie des abeilles ».

 

Sauf que le passage à l'agriculture biologique pourrait entraîner une réduction considérable de la production – en moyenne 34 pour cent selon une étude publiée dans Nature – et ce ne serait pas nécessairement plus favorable aux abeilles. Quand il s'agit de dénigrer les engrais modernes, les pesticides et d'autres techniques, les activistes n'abordent jamais la question des impacts sur la production.

 

L'étude affirme également qu'il y aurait une augmentation considérable des maladies et des décès imputables aux carences en vitamine A. Mais l'agriculture conventionnelle a une solution : le Riz Doré enrichi en vitamine A. Aucun besoin d'abeilles pour polliniser le riz – le vent fait le travail – de sorte qu'il serait possible de résoudre le problème même dans un monde apocalyptique privé d'abeilles. Mais c'est toujours la même chose : cette solution ne plait pas aux activistes de l'Ancien Monde qui s'opposent au Riz Doré parce qu'il est génétiquement modifié.

 

Heureusement, nous ne verrons jamais l'extinction de tous les pollinisateurs, parce que même un holocauste nucléaire ne parviendrait pas à effacer les pollinisateurs les plus robustes de la surface de la terre. Aucune catastrophe ne pourrait détruire les pollinisateurs les plus appréciés de la nature : les moustiques, les cafards [5] et les mouches – les pollinisateurs les plus sous-estimés. Les lecteurs de la revue The Lancet méritent mieux que cette étude.

 

_________________

 

* Source :

http://www.geneticliteracyproject.org/2015/07/21/how-to-scare-people-into-supporting-bad-policy-on-bees-and-other-pollinators/

 

[1] Effects of decreases of animal pollinators on human nutrition and global health: a modelling analysis

Matthew R Smith, PhD, Gitanjali M Singh, PhD, Prof Dariush Mozaffarian, MD, Dr Samuel S Myers, MD

http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(15)61085-6/abstract

 

[2] http://faostat3.fao.org/download/Q/QA/E

 

[4] http://seppi.over-blog.com/2015/07/abeillecalypse.html

 

[5] http://www.discovery.com/tv-shows/mythbusters/mythbusters-database/cockroaches-survive-nuclear-explosion/

 

 

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