Laudato si', Papa Francesco ? Vraiment ?
18 juin 2015 : morne plaine médiatique en France...
Le jeudi 18 juin 2015 (bicentenaire de la bataille de Waterloo), le Vatican a rendu publique l'encyclique du pape François « Laudato si' » (« loué sois-tu »). Facilement téléchargeable [1].
Les médias paresseux se sont empressés de l'appeler « ...sur l'environnement » [2]. En fait, la suite se lit : « sur la sauvegarde de la maison commune ». C'est tout de même un programme bien plus vaste...
La couverture médiatique de l'événement a été à notre sens plus qu'indigente : navrante.
...réactions anglo-saxonnes
Tel n'a pas été le cas dans le monde anglo-saxon. Cela est dû en partie à la situation particulière des États-Unis d'Amérique où le climatoscepticisme est particulièrement présent dans la fraction républicaine (et à un degré moindre chez les Démocrates) et où la sensibilité « libérale » peut légitimement se sentir heurtée. On y trouve donc des analyses de fond, certaines certes partisanes, charpentées.
On peut sans nul doute recommander celle de M. Ted Widmer publiée sur Politico [3]. Extrait :
« Bien sûr, Laudato Si' sera hachée, emballée et vendue exactement de la façon qu'elle déconseille. Les politiciens des deux bords la déformeront, ou l'ignoreront tout simplement jusqu'à ce que le cycle de nouvelles sera confortablement passé à autre chose. Pourtant, elle ne se réduit pas à un argument conservateur ou libéral; elle est un appel éthique, fruit d'années de réflexion. Tout au long, elle offre une critique vigoureuse du repli sur soi des Connectés, de droite comme de gauche, et des outils qui nous ont fait à la fois si bêtes et si intelligents. Le texte revient sans cesse vers les auditoires qui ne peuvent pas l'entendre – les pauvres qui ne peuvent faire autrement que de se contaminer par des techniques de cuisson primitives, qui ne peuvent plus se procurer le pain et le poisson nécessaires pour leur subsistance, dont les noms ne sont même pas connus de leurs gouvernements . Ils peuvent ne pas avoir entendu parler du changement climatique, ou même de l'Église catholique. Mais Laudato Si' leur parle. »
Et, en sens inverse, celle de MM. Mark Lynas, Ted Nordhaus et Michael Shellenberger [4] :
« Ces dernières années; les libéraux et progressistes ont considéré le Pape François comme une bouffée d'air frais – à juste titre. Il a pris des mesures plus vigoureuses que ses prédécesseurs contre les abus des enfants par des prêtres. Il a adouci la dénonciation de l'homosexualité par l'Église. Et il a affirmé que les riches doivent faire plus pour les pauvres.
« Il est donc compréhensible que nombreux sont ceux à gauche qui ont loué la nouvelle encyclique environnementale du Pape, Laudato Si'. Le document admet que le réchauffement climatique est une question grave et appelle à des actions d'envergure.
« Malheureusement, l'engagement du Pape en faveur du progrès ne va pas plus loin. Si elle prend soin de célébrer la science, la raison et l'innovation, Laudato Si' est au fond une répudiation de la taille d'un livre de tout ce qui compte pour les progressistes. »
« Science sans conscience... »
Difficile de hacher... Pourtant, on pourrait bien résumer l'élan général de l'encyclique par un télescopage de deux extraits des paragraphes 103 et 104 :
« 103. La technoscience, bien orientée, non seulement peut produire des choses réellement précieuses pour améliorer la qualité de vie de l’être humain [...] mais encore est capable de produire du beau et de « projeter » dans le domaine de la beauté l’être humain immergé dans le monde matériel. [...]
« 104. Mais nous ne pouvons pas ignorer que l’énergie nucléaire, la biotechnologie, l’informatique, la connaissance de notre propre ADN et d’autres capacités que nous avons acquises, nous donnent un terrible pouvoir. Mieux, elles donnent à ceux qui ont la connaissance, et surtout le pouvoir économique d’en faire usage, une emprise impressionnante sur l’ensemble de l’humanité et sur le monde entier. [...] »
Les climatosceptiques et libéraux ne sont pas contents ? Les décroissantistes et autres adeptes de l'écologie punitive non plus.
La question de l'eau
L'encyclique aborde une série de sujets qui entrent dans le cadre de ce blog. Le premier est la question de l'eau (paragraphes 27 à 31.
On appréciera à sa juste valeur :
« 29. Un problème particulièrement sérieux est celui de la qualité de l’eau disponible pour les pauvres, ce qui provoque beaucoup de morts tous les jours. Les maladies liées à l’eau sont fréquentes chez les pauvres, y compris les maladies causées par les micro-organismes et par des substances chimiques. La diarrhée et le choléra, qui sont liés aux services hygiéniques et à l’approvisionnement en eau impropre à la consommation, sont un facteur significatif de souffrance et de mortalité infantile. »
« ...services hygiéniques... » ? Le monde de la bien-pensance et de l'activisme se plait à agiter le « droit à l'eau ». L'assainissement et le droit à des toilettes sont tout aussi importants, sinon plus.
Cela peut paraître inévitable :
« 30. Tandis que la qualité de l’eau disponible se détériore constamment, il y a une tendance croissante, à certains endroits, à privatiser cette ressource limitée, transformée en marchandise sujette aux lois du marché. »
C'est un peu simpliste, et cela reflète la démagogie ambiante. Le problème n'est pas tant dans la privatisation – qui a été inéluctable dans certaines villes du fait de la dégradation des infrastructures et de la gabegie administrative et politique (corruption et laisser-aller) – que dans les conditions de la « privatisation », la mise en régie.
La perte de biodiversité
Les paragraphes 32 à 42 reflètent en grande partie le discours convenu. S'agissant des forêts tropicales, le Pape écrit toutefois :
« Cependant, un équilibre délicat s’impose, quand on parle de ces endroits, parce qu’on ne peut pas non plus ignorer les énormes intérêts économiques internationaux qui, sous prétexte de les sauvegarder, peuvent porter atteinte aux souverainetés nationales. [...] Elle est louable la tâche des organismes internationaux et des organisations de la société civile qui sensibilisent les populations et coopèrent de façon critique, en utilisant aussi des mécanismes de pression légitimes, pour que chaque gouvernement accomplisse son propre et inaliénable devoir de préserver l’environnement ainsi que les ressources naturelles de son pays, sans se vendre à des intérêts illégitimes locaux ou internationaux. »
On peut l'interpréter comme un rappel aux donneurs de leçons des pays de la zone tempérée qui se sont livrés, eux, à des défrichements massifs dans le passé. Et comme une critique, voire une condamnation, des organismes et organisations qui ignorent les bonnes pratiques.
L’innovation biologique à partir de la recherche
Fuite et pressions
La Pape était attendu sur la question des OGM. On peut penser que le processus de rédaction de l'encyclique n'a pas été étanche. Du reste, le texte italien avait fuité le 15 juin 2015. Même au Vatican...
Le 30 avril 2014, un groupe de huit personnes (Ana María Primavesi, Andrés E. Carrasco, Elena Álvarez-Buylla, Pat Mooney, Paulo Kageyama, Rubens Nodari, Vandana Shiva, Vanderley Pignatia) avait écrit au Pape [5] :
« Pour ces raisons, et avec le plus grand respect, nous pensons qu'il serait de la plus grande importance et d'un grand intérêt pour tous si Sa Sainteté s'exprimait de manière critique sur les cultures GM et en faveur de l'agriculture paysanne. Cet appui contribuerait grandement à sauver les peuples et la planète de la menace causée par le contrôle de la vie exercé par les entreprises qui monopolisent les semences, lesquelles sont la clé de voute du système alimentaire. »
Il y a des noms connus dans la liste des signataire de la lettre, rendue publique le 14 août 2014. Pour bien connaître l'intéressé, nous pensons que le maître d'œuvre en a été M. Pat Mooney.
Une copie de la lettre avait été transmise à la Conférence des Évêques du Brésil, apparemment dans l'intention de rallier les évêques à la cause et de leur faire exercer une pression sur le gouvernement [6].
Travaux antérieurs
L'Académie pontificale avait publié le 30 novembre 2010 une étude, « Des plantes transgéniques pour une sécurité alimentaire dans le contexte du développement », globalement favorable aux OGM [7] :
« Nous réaffirmons les conclusions principales de l’étude sur l'utilisation des «Plantes alimentaires Génétiquement Modifiés pour combattre la faim dans le Monde », publiées à l'issue de l'assemblée plénière du Jubilé sur "La science et l'avenir de l'humanité", 10-13 Novembre 2000. [...]
[...]
5. L'application appropriée de l’IG [ingénierie génétique] et d'autres techniques moléculaires modernes dans l'agriculture contribue à relever certains de ces défis.
6. Il n'y a pas de risque intrinsèque à l'utilisation des technologies d’IG pour l'amélioration des plantes cultivées, qui rendrait les plantes elles-mêmes, ou les produits alimentaires en résultant, peu sûrs.
[...] »
Cette publication avait provoqué des remous – évidemment du côté de l'opposition – et la diplomatie vaticane avait vite pris une position de prudence [8]. Mais l'entourage du Pape a aussi exprimé son scepticisme, sinon son opposition camouflée en scepticisme. En témoigne cette interview du cardinal Peter Kodwo Appiah Turkson, Président du Conseil Pontifical de la Justice et de la Paix à l'Osservatore Romano du 5 janvier 2011 [9]:
« Donc, pour revenir à la question des OGM, je ne suis pas sûr que je me retrouve dans le rôle de ceux qui s'opposent a priori au progrès de la science et de la technologie. Je dis juste que vous devez évaluer soigneusement la nécessité réelle. Et se demander honnêtement s'il ne s'agit pas plutôt d'un business pour enrichir quelques-uns. C'est là une suspicion légitime au vu de toutes les expériences de mon pays. »
Une interview qui, incidemment, laisse supposer que le cardinal Turkson a des connaissances très lacunaires des réalités de l'agriculture. Mais il s'agit apparemment d'un des contributeurs majeurs de l'encyclique.
Pas de réelle innovation
Verdict ?
Pour ne pas hacher (voir ci-dessus), nous reproduirons ci-dessous (ça ressemble à la législation européenne...) l'extrait pertinent de l'encyclique (paragraphes 130 à 136).
Le Pape se prononce clairement pour la science et la technologie (paragraphe 131) :
« Je veux recueillir ici la position équilibrée de saint Jean-Paul II, mettant en évidence les bienfaits des progrès scientifiques et technologiques, qui "manifestent la noblesse de la vocation de l’homme à participer de manière responsable à l’action créatrice de Dieu dans le monde". »
La citation à l'intérieur de la citation représente en fait le refus de la thèse – agitée par certains milieux anti-OGM – de l'inviolabilité de la Nature, de la Création.
Le soutien n'est pas sans limite. Sans surprise. Au terme d'une analyse détaillée :
« 133. Il est difficile d’émettre un jugement général sur les développements de transgéniques (OMG), végétaux ou animaux, à des fins médicales ou agropastorales, puisqu’ils peuvent être très divers entre eux et nécessiter des considérations différentes. »
Une critique économique et sociale panurgique
On peut aussi dire que c'est sans surprise que le Pape – un latino-américain – porte sa critique sur les conséquences sociales, et ce, avec un biais de perception évident, aggravé par l'omniprésence d'un discours dystopique :
« [...] ...il y a des difficultés importantes qui ne doivent pas être relativisées. En de nombreux endroits, suite à l’introduction de ces cultures, on constate une concentration des terres productives entre les mains d’un petit nombre, due à "la disparition progressive des petits producteurs, qui, en conséquence de la perte de terres exploitables, se sont vus obligés de se retirer de la production directe". »
Suivent d'autres considérations critiques qui résultent d'une analyse superficielle et du panurgisme. Non, ce n'est pas le caractère GM du soja qui entraîne les situations que l'on peut regretter, mais la culture à grande échelle du soja, celle-ci étant largement le fruit de l'existence d'un marché rémunérateur. Et d'autres circonstances ; comment ne pas comprendre, par exemple, que les agriculteurs argentins se détournent des productions dont le gouvernement maintient les prix à un niveau bas ?
« ...Dans plusieurs pays, on perçoit une tendance au développement des oligopoles dans la production de grains et d’autres produits nécessaires à leur culture, et la dépendance s’aggrave encore avec la production de grains stériles qui finirait par obliger les paysans à en acheter aux entreprises productrices. »
Mémoire courte et myopie ! Peut-être faudrait-il ressortir ici les écrits de René Dumont et d'autres sur les latifundiaires... Ou les écrits récents sur le landgrabbing (accaparement des terres), lequel n'est pas spécifiquement lié aux OGM. Quant aux « grains stériles », on ne peut qu'être abasourdi !
Les limites de cette analyse sont implicitement reconnues :
« [135] ...De ce fait, il devient difficile d’avoir un jugement équilibré et prudent sur les diverses questions, en prenant en compte tous les paramètres pertinents. »
On peut considérer que, sur ce point, l'exposé n'a pas été équilibré.
L'absence de preuves – irréfutables – de risques et les bénéfices des OGM sont présentés sur le mode de la concession :
« 134 Même en l’absence de preuves irréfutables du préjudice que pourraient causer les céréales transgéniques aux êtres humains, et même si, dans certaines régions, leur utilisation est à l’origine d’une croissance économique qui a aidé à résoudre des problèmes, il y a des difficultés importantes qui ne doivent pas être relativisées. »
C'est regrettable.
Il se trouvera peut-être un évêque du Burkina Faso, par exemple, pour expliquer comment le cotonnier Bt a amélioré la vie des agriculteurs.
Laudato si', Papa Francesco ?
Sois loué, Pape François ? Chacun se fera son opinion.
Peut-être faut-il attendre et voir ce que les parties prenantes feront de ce texte. Comment il sera haché, emballé et vendu.
Je ne suis pas emballé...
Mais attendez...
La photo ci-dessous montre le Pape bénissant à titre personnel – pas au nom de l'Église – le riz doré que lui présent un de ses pères, M. Ingo Potrykus (à droite), par ailleurs membre de l'Académie Pontificale des Sciences. Une bénédiction officielle aurait exigé l'intervention du Conseil Pontifical pour la Justice et la Paix, donc... voir ci-dessus.
Les choses du Vatican ne sont pas simples.
___________________
[1] On peut l'obtenir, par exemple, par la Croix.
[2] Par exemple le Monde :
[3] http://www.politico.eu/article/the-popes-political-earthquake/
[4] http://www.marklynas.org/2015/06/a-pope-against-progress/
[5] http://www.etcgroup.org/content/letter-sent-pope-francis-regarding-gmos
http://www.etcgroup.org/sites/www.etcgroup.org/files/Document-GMOs-SSPFrancisco-FINAL_EN.pdf
[7]http://www.pas.va/content/accademia/en/publications/scriptavaria/transgenic.html
Le dossier (presque) complet, avec liens vers, par exemple, les présentations :
http://www.pas.va/content/dam/accademia/pdf/newbiotechnology.pdf
La déclaration en français :
http://www.pas.va/content/dam/accademia/pdf/newbiotechnology.pdf
http://gmo-journal.com/tag/pontifical-academy-of-sciences/
[9] http://www.vatican.va/news_services/or/or_quo/interviste/2011/003q08a1.html
Extrait de l'encyclique
L’innovation biologique à partir de la recherche
130. Dans la vision philosophique et théologique de la création que j’ai cherché à proposer, il reste clair que la personne humaine, avec la particularité de sa raison et de sa science, n’est pas un facteur extérieur qui doit être totalement exclu. Cependant, même si l’être humain peut intervenir sur le monde végétal et animal et en faire usage quand c’est nécessaire pour sa vie, le Catéchisme enseigne que les expérimentations sur les animaux sont légitimes seulement « si elles restent dans des limites raisonnables et contribuent à soigner ou sauver des vies humaines ». (106) Il rappelle avec fermeté que le pouvoir de l’homme a des limites et qu’« il est contraire à la dignité humaine de faire souffrir inutilement les animaux et de gaspiller leurs vies ». (107) Toute utilisation ou expérimentation « exige un respect religieux de l’intégrité de la création ». (108)
131. Je veux recueillir ici la position équilibrée de saint Jean-Paul II, mettant en évidence les bienfaits des progrès scientifiques et technologiques, qui « manifestent la noblesse de la vocation de l’homme à participer de manière responsable à l’action créatrice de Dieu dans le monde ». Mais en même temps il rappelait qu’« aucune intervention dans un domaine de l’écosystème ne peut se dispenser de prendre en considération ses conséquences dans d’autres domaines ». (109) Il soulignait que l’Église valorise l’apport de « l’étude et des applications de la biologie moléculaire, complétée par d’autres disciplines, comme la génétique et son application technologique dans l’agriculture et dans l’industrie » (110), même s’il affirme aussi que cela ne doit pas donner lieu à une « manipulation génétique menée sans discernement » (111) qui ignore les effets négatifs de ces interventions. Il n’est pas possible de freiner la créativité humaine. Si on ne peut interdire à un artiste de déployer sa capacité créatrice, on ne peut pas non plus inhiber ceux qui ont des dons spéciaux pour le développement scientifique et technologique, dont les capacités ont été données par Dieu pour le service des autres. En même temps, on ne peut pas cesser de préciser toujours davantage les objectifs, les effets, le contexte et les limites éthiques de cette activité humaine qui est une forme de pouvoir comportant de hauts risques.
132. C’est dans ce cadre que devrait se situer toute réflexion autour de l’intervention humaine sur les végétaux et les animaux qui implique aujourd’hui des mutations génétiques générées par la biotechnologie, dans le but d’exploiter les possibilités présentes dans la réalité matérielle. Le respect de la foi envers la raison demande de prêter attention à ce que la science biologique elle – même, développée de manière indépendante par rapport aux intérêts économiques, peut enseigner sur les structures biologiques ainsi que sur leurs possibilités et leurs mutations. Quoi qu’il en soit, l’intervention légitime est celle qui agit sur la nature « pour l’aider à s’épanouir dans sa ligne, celle de la création, celle voulue par Dieu ». (112)
133. Il est difficile d’émettre un jugement général sur les développements de transgéniques (OMG), végétaux ou animaux, à des fins médicales ou agropastorales, puisqu’ils peuvent être très divers entre eux et nécessiter des considérations différentes. D’autre part, les risques ne sont pas toujours dus à la technique en soi, mais à son application inadaptée ou excessive. En réalité, les mutations génétiques ont été, et sont très souvent, produites par la nature elle-même. Même celles provoquées par l’intervention humaine ne sont pas un phénomène moderne. La domestication des 39 animaux, le croisement des espèces et autres pratiques anciennes et universellement acceptées peuvent entrer dans ces considérations. Il faut rappeler que le début des développements scientifiques de céréales transgéniques a été l’observation d’une bactérie qui produit naturellement et spontanément une modification du génome d’un végétal. Mais dans la nature, ces processus ont un rythme lent qui n’est pas comparable à la rapidité qu’imposent les progrès technologiques actuels, même quand ces avancées font suite à un développement scientifique de plusieurs siècles.
134. Même en l’absence de preuves irréfutables du préjudice que pourraient causer les céréales transgéniques aux êtres humains, et même si, dans certaines régions, leur utilisation est à l’origine d’une croissance économique qui a aidé à résoudre des problèmes, il y a des difficultés importantes qui ne doivent pas être relativisées. En de nombreux endroits, suite à l’introduction de ces cultures, on constate une concentration des terres productives entre les mains d’un petit nombre, due à « la disparition progressive des petits producteurs, qui, en conséquence de la perte de terres exploitables, se sont vus obligés de se retirer de la production directe ». (113) Les plus fragiles deviennent des travailleurs précaires, et beaucoup d’employés ruraux finissent par migrer dans de misérables implantations urbaines. L’extension de la surface de ces cultures détruit le réseau complexe des écosystèmes, diminue la diversité productive, et compromet le présent ainsi que l’avenir des économies régionales. Dans plusieurs pays, on perçoit une tendance au développement des oligopoles dans la production de grains et d’autres produits nécessaires à leur culture, et la dépendance s’aggrave encore avec la production de grains stériles qui finirait par obliger les paysans à en acheter aux entreprises productrices.
135. Sans doute, une attention constante, qui porte à considérer tous les aspects éthiques concernés, est nécessaire. Pour cela, il faut garantir une discussion scientifique et sociale qui soit responsable et large, capable de prendre en compte toute l’information disponible et d’appeler les choses par leur nom. Parfois, on ne met pas à disposition toute l’information, qui est sélectionnée selon les intérêts particuliers, qu’ils soient politiques, économiques ou idéologiques. De ce fait, il devient difficile d’avoir un jugement équilibré et prudent sur les diverses questions, en prenant en compte tous les paramètres pertinents. Il est nécessaire d’avoir des espaces de discussion où tous ceux qui, de quelque manière, pourraient être directement ou indirectement concernés (agriculteurs, consommateurs, autorités, scientifiques, producteurs de semences, populations voisines des champs traités, et autres) puissent exposer leurs problématiques ou accéder à l’information complète et fiable pour prendre des décisions en faveur du bien commun présent et futur. Il s’agit d’une question d’environnement complexe dont le traitement exige un regard intégral sous tous ses aspects, et cela requiert au moins un plus grand effort pour financer les diverses lignes de recherche, autonomes et interdisciplinaires, en mesure d’apporter une lumière nouvelle.
136. D’autre part, il est préoccupant que certains mouvements écologistes qui défendent l’intégrité de l’environnement et exigent avec raison certaines limites à la recherche scientifique, n’appliquent pas parfois ces mêmes principes à la vie humaine. En général, on justifie le dépassement de toutes les limites quand on fait des expérimentations sur les embryons humains vivants. On oublie que la valeur inaliénable de l’être humain va bien audelà de son degré de développement. Du reste, quand la technique ignore les grands principes éthiques, elle finit par considérer comme légitime n’importe quelle pratique. Comme nous l’avons vu dans ce chapitre, la technique séparée de l’éthique sera difficilement capable d’autolimiter son propre pouvoir.