Greenpeace s'était payé le Lutz de l'enfumage
Greenpeace s'était payé le Lutz de l'enfumage
Fin de l'année 2012 : Greenpeace en campagne
Greenpeace avait organisé fin 2012 un tour d'Europe pour deux farmers états-uniens, MM. Wendel Lutz et Wes Shoemyer, sans nul doute tous frais payés, pour que ces deux messieurs pussent dire tout le mal qu'ils pensaient des plantes génétiquement modifiées. Ils auraient « fait personnellement l'expérience de la catastrophe agricole et sociale provoquée par les plantes tolérant un herbicide ». Et ils ont donc « rejoint Greenpeace en Europe pour alerter les agriculteurs européens sur les risques qu'il y aurait à suivre l'exemple américain » [1]. Et, bien sûr, peser sur les gouvernements.
Le Monde ne pouvait évidemment pas passer à côté d'une t/belle histoire... « Des fermiers américains de l'enthousiasme à la désillusion » fut donc publié le 5 novembre 2012 [2]. « T/belle » ? On vous laissera le choix entre les deux consonnes. Mais quand on lit que « dès la deuxième année, Lutz Wendel est obligé d'augmenter la quantité d'herbicide utilisée » et qu'on a quelques connaissances d'agronomie, on se dit que, décidément, une telle histoire était trop belle... pour Greenpeace et la bien-pensance bobo-écologique du Monde.
Le Monde a été d'une naïveté déconcertante. À moins que ce ne fût un cynisme sans limite. Il écrit encore : « Les semences conventionnelles sont devenues presque impossibles à trouver et le prix des semences transgéniques a grimpé en flèche. Ne reste plus qu'à augmenter, année après année, les doses d'herbicides. » La réalité ? En 2012, il se cultivait encore 7 % (6 % en 2014) de soja non GM, et le maïs HT n'occupait que 73 % de la sole totale (89 % en 2014) [3]. Et, bien sûr, cultiver une variété tolérant le glyphosate n'empêche pas l'utilisation d'autres herbicides adaptés à la situation.
La belle histoire, sur le Rue89 de l'« auteur, blogueur, agitateur » – tout un programme – Benjamin Sourice, est un peu différente : « Il faudrait revenir en arrière, vers des semences conventionnelles ; certaines compagnies en ont fait une spécialité... » [4]. C'est donc que ces semences étaient bien disponibles... le capitalisme a horreur du vide. Mais c'étaient là les propos de M. Shoemyer. C'était certes suivi de : « Malheureusement, il y a une vraie dépendance des agriculteurs vis-à-vis de ces technologies que les compagnies ont intérêt à entretenir et cela au détriment des bonnes pratiques culturales. » Mais cela ne change rien au fond de l'affaire. Nous pouvons même affirmer que M. Lutz a acheté ses semences de soja, pour la campagne 2012, chez Schillinger/eMerge Genetics, qui s'est lancé dans le non-OGM [5] [6]...
Du reste, Monsanto en vend aussi (et affirme que son offre dépasse la demande...) et DuPont (Pioneer) estime même qu'il est le leader de ce marché [7].
Revenons à M. Lutz [4] :
« C’est en 2011, que j’ai observé les premiers plants d’amarantes rugueuses résistants au glyphosate se développer dans mes champs.
« C’est injuste qu’après seulement cinq ans d’exploitation des OGM mes champs aient été envahis, c’est à ce moment que j’ai décidé d’arrêter et d’alerter mes collègues ! »
M. Lutz poursuit :
« Certains de mes voisins qui ont le même problème préfèrent continuer en augmentant les doses ou en cumulant plusieurs molécules. C’est une fuite en avant avec le risque qu’à terme la plupart des mauvaises herbes deviennent résistantes à tous les herbicides. »
Insistons : M. Lutz a – version conte de fées – cessé de semer de l'OGM après la campagne de 2011.
Vérité de ce côté de la grande mare... Et de l'autre ?
Le Wall Street Journal a publié le 2 février 2015 un article intitulé « Fields of Gold: GMO-Free Crops Prove Lucrative for Farmers » (champs d'or : des cultures sans OGM s'avèrent lucratives pour les agriculteurs) [7]. Un résumé en a été donné par l'excellent Genetic Literacy Project sous le titre : « Money talks: Some farmers go non-GMO because of price premiums, not rejection of biotech » (l'argent est roi : des agriculteurs passent au non-OGM à cause des prix plus élevés, non du rejet des biotechs) [8].
Et – oh stupeur ! – M. Lutz y est cité :
« Wendel Lutz, qui exploite 200 hectares près de Dewey, Illinois, a dit qu'il a converti ses champs de soja entièrement en variétés non-OGM et envisage de semer davantage de maïs non-OGM cette année. Il a dit que les rendements des cultures d'une technologie moins pointue sont similaires à ceux des variétés biotechs pour les grains et les oléagineux.
« "L'argent est roi" selon M. Lutz, 57 ans, qui a dit qu'il a obtenu une prime de 2 dollars pour son soja l'année passée. "Je compte poursuivre dans cette voie" »
Énorme mensonge et bel enfumage !
En une phrase : contrairement à ce qu'il a proclamé dans son tour d'Europe, fin 2012 pour Greenpeace, M. Lutz :
1. N'a pas abandonné la culture des maïs OGM ;
2. Cultive des variétés conventionnelles pour des raisons, non pas agronomiques, mais économiques, ces variétés étant devenues la base d'un marché de niche.
M. Lutz, activiste anti-OGM en Europe pour Greenpeace, est décrit aux États-Unis d'Amérique comme peu suspect d'activisme [5]. Il est du reste le directeur de la Illinois Soybean Association pour le district 11 ; une telle fonction est-elle compatible avec un activisme anti-OGM quand on sait le nombre de producteurs de soja OGM ? Non.
Il n'est pas interdit de penser que les farmers états-uniens ont un intérêt évident à ce que les producteurs européens ne bénéficient pas des avantages conférés par les variétés GM, en particulier dans le cas du soja, dont le désherbage est un casse-tête.
La Roumanie nous en offre une parfaite illustration. En 2006, elle cultivait 190.000 hectares de soja dont 137.000 hectares de soja GM tolérant au glyphosate et était auto-suffisante en protéines végétales [9]. Un soja GM auquel elle a dû renoncer avec son entrée dans l’Union européenne le 1er janvier 2007. La sole de soja est tombée à près du tiers (67.500 hectares en 2013) et la Roumanie fait comme les autres États de l'Union européenne : elle importe du soja... GM.
Retour vers le passé ?
Les farmers retournent-ils aux variétés non-OGM ?
La mouvance anti-OGM – les militants ainsi que les capitalistes qui surfent sur les peurs – repasse régulièrement le plat de l'échec des OGM. GMWatch nous en offre un exemple désopilant [10].
La réalité est bien plus prosaïque : c'est une question d'économie, au niveau global (y a-t-il un marché ?) et au niveau de la ferme ; et en partie une question de technique et de logistique (les conditions se prêtent-elles à ces cultures sur la ferme, et y a-t-il une filière dédiée de stockage et de commercialisation ?) [11].
Chaque situation est différente. Osons tout de même une généralisation, malgré les avertissements très pertinents figurant dans un billet de Mme Jennie Schmidt (800 hectares dans le Maryland) : à en croire ses chiffres détaillés, le retour vers le passé n'a pas un grand avenir [12].
En tout cas, il faudra probablement une prime bien supérieure à deux dollars par boisseau de soja garanti non-OGM. Et qui paiera cette prime in fine si ce soja est destiné à un marché européen dont la hantise de l'OGM est soigneusement entretenue ? Entretenue par qui déjà ?
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Pour ceux qui refusent de s'abonner :
https://www.facebook.com/ReagissonsPourUnMondeMeilleur/posts/385504851527512
http://www.ers.usda.gov/media/185551/biotechcrops_d.html
Histoire évidemment reprise par Combat Monsanto... le monde de l'antiOGMisme est petit... :
http://www.combat-monsanto.org/spip.php?article993
[5] http://www.non-gmoreport.com/articles/july2012/farmerswitchestonon-gmo.php
[6] http://www.non-gmoreport.com/articles/may09/eMerge_genetics_launches_non-GMO_revolution.php
[7] http://www.wsj.com/articles/fields-of-gold-gmo-free-crops-prove-lucrative-for-farmers-1422909700
[9] http://www.biotechnologies-vegetales.com/node/250
Nous avons évoqué M. Howard Vlieger ici :
[12] http://thefoodiefarmer.blogspot.com.au/2014/12/gmo-versus-nongmo-cost-of-production.html