Glyphosate (Roundup) : pétitions désopilantes et navrantes
Ami lecteur,
Vous avez sans nul doute déjà été importuné par un quémandeur de signatures sur la voie publique ou un parking de supermarché, pour une cause généralement louable mais pour laquelle votre signature n'est manifestement d'aucun secours. Internet offre un champ de manœuvre d'une autre dimension, à la fois pour les quémandeurs et pour des causes, cette fois-ci, plus ou moins louables.
Il y a les sites spécialisés dans les pétitions en tout genre – de formidables collecteurs d'adresses – et ceux qui font dans l'activisme sur un créneau plus ou moins précis.
Libérez les ballons captifs !
Les opportunistes et les activistes se sont mis en branle dès l'annonce par le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC), le 20 mars 2015, de son classement du glyphosate comme « cancérogène probable ».
Examinons trois pétitions.
Leur caractéristique générale est évidemment de demander – ou d'exiger – un retrait du glyphosate, sans considération aucune pour l'opportunité, tant du point de vue de la santé publique que de l'économie.
Générations Futures : solidarité avec M. Séralini, renvoi d'ascenseur
Quand le fond de commerce consiste à créer et entretenir une chimiophobie exploitant sans vergogne la peur des pesticides et, plus récemment, des perturbateurs endocriniens (réels ou allégués), on ne peut rater le coche. Générations Futures lança donc le jour même de l'annonce du CIRC un cri de victoire et une pétition [1].
Assez ? Trop de démagogie !
Une page spéciale a été ouverte le lendemain [2]. Il est intéressant de noter que les deux pages ne sont pas synchronisées...
Objectif, selon le texte de la pétition :
« À l'occasion de la réévaluation du glyphosate par l'EFSA nous demandons le retrait de son autorisation et un retrait tout aussi immédiat des produits vendus en France à base de cette substances actives [...] »
Étrange formulation pour un obsédé textuel. La pétition a été lancée à l'occasion de l'annonce du CIRC. La circonstancielle de temps se rapporte manifestement au retrait demandé du point de vue sémantique, mais pas grammatical. Mais comment concilier un « retrait tout aussi immédiat » avec une « réévaluation du glyphosate par l'EFSA » dont on sait pertinemment qu'elle n'est pas pour demain et qu'elle ne constitue qu'une étape de la procédure de renouvellement de l'autorisation de mise en marché ?
On peut aussi considérer que ce n'est pas là, entièrement, le fruit d'une maladresse. L'activisme est un art... Il faut savoir poser des revendications qu'on peut faire vivre suffisamment longtemps pour entretenir le fond de commerce...
Il faut aussi savoir chasser en meute. Va donc pour un soutien à M. Séralini :
« Cette classification valide les études menées notamment sur le sujet par l'équipe de GE Séralini. »
La (maigre) documentation du CIRC disponible à ce jour ne valide pas cette affirmation. Laquelle devient grotesque quand elle fait partie d'un texte signé par un quidam.
Mais il y a mieux. Le quidam signe pour :
« Générations Futures se félicite de cette classification qui reconnait la dangerosité avérée du glyphosate. Rappelons que le Sri Lanka avait pris des mesures d'interdiction contre une telle molécule. Notre association avait aussi en 2010 lancée des procédures contre plusieurs herbicides à base de glyphosate sur la base d’inquiétudes sanitaires. »
M. François Veillerette doit donc se féliciter de ce que 10.300 personnes (ça reste à vérifier) ont signé pour se féliciter de ce que « Générations Futures se félicite... » Toutes nos félicitations...
Et un « cancérogène probable » se voit affublé d'une « dangerosité avérée ».
Et d'illustres inconnus rappellent que le Sri Lanka... (ce qui reste aussi à vérifier).
Le signataire note aussi
« 4 autres substances actives sont concernées dont les fameux malathion et le diazinon qui ont été également classés cancérogènes "probables chez l'homme" .
« Si le Règlement 1107/2009 (cf. Annexe II point 3.6.3) s'applique il devrait y avoir des retraits du marché de produits commerciaux contenant cette substances active désormais reconnue officiellement comme cancérigène probable . »
À quoi se rapporte « cette substance active » ?
Tout cela est un infâme bricolage. Et dire que cette entité a la prétention d'être un porte-parole influent de la « société civile »... Et, pire, qu'elle a ses entrées dans les ministères et administrations.
Bricolage ? Oui, mais pas que ! Pour le lire, il faut prendre la peine de cliquer pour l'afficher. Car le gogo est invité à signer sous :
« Herbicide cancérogène probable: La France doit prendre des mesures immédiates de retrait des pesticides à base de glyphosate. »
C'est plus direct ! Mais à qui est adressée la pétition ? Comment leur parviendra-t-elle ? Mystère...
Et en bas de page on trouve, un lien en orange tapant : «Faire un don déductible de vos impôts ». Lien qui renvoie à une page où on peut lire en exergue [3] :
« Générations Futures assure une mission d’information et de transparence très claire et irremplaçable qui met la vérité en avant sur la contamination générale de nos produits au XXIème siècle. »
C'est signé... Gilles-Éric Séralini...
Agir pour l'Environnement : agiter le principe de précaution, appâter avec la publicité mensongère
C'est différent, mais guère plus sérieux chez Agir pour l'Environnement [4].
Cancérigène, point d'interrogation... Interdisons, point d'exclamation !
Tout au moins, le pétitionnaire s'adresse-t-il aux ministres de la santé, de l’agriculture et de l’écologie, et ce, par une lettre (une « carte pétition »), quoiqu'elle ne réponde pas aux canons du savoir-vivre. Mais enfin... quand on voit M. Le Foll et Mme Royal faire fi du decorum attaché à leurs fonctions, on ne saurait vraiment critiquer l'emploi d'une formule de politesse qu'on utilise pour M./Mme Toutlemonde.
Mais le signataire
« ...demande de prendre immédiatement des mesures conservatoires en appliquant le principe de précaution »
et, dans la foulée, demande des mesures à plus long terme, elles-mêmes quelque peu contradictoires.
Ainsi :
« [l]es jardineries et grandes surfaces doivent retirer ces produits toxiques de leurs rayons afin d’éviter toute contamination et mise en danger de la vie d’autrui »
mais le délai accordé par la loi Labbé aux jardineries pour mettre fin à la vente de pesticides (2022 dans la loi, Mme Royal veut le faire réduire par un cavalier législatif) devrait être drastiquement réduit. La contradiction réside dans le fait que bon nombre de ces pesticides ont un profil toxicologique bien moins bon que le glyphosate... sans compter que celui-ci est épandu vers le sol, chez les bons jardiniers avec un cache de protection, alors que parmi les premiers, il y en a qui se pulvérisent à hauteur de nez et d'yeux.
Enfin, le pétitionnaire
« ...compte également sur votre célérité pour informer largement le monde agricole et jardiniers amateurs sur les risques liés à l’épandage de glyphosate, tant pour les professionnels que pour les riverains des parcelles traitées. »
On peut sourire... de minimis non curat praetor. Mais, à la réflexion, ce serait une tâche bien plus noble pour Mme Royal que de donner des conseils sur le Nutella...
Les rédacteurs de la pétition ont visiblement pris un peu plus de temps pour la réflexion. Mais comment interpréter les insuffisances ? N'est-ce pas le reflet d'une certaine négligence et d'un dédain pour un travail fruit d'une obligation et non d'une conviction ? Une association « environnementale » ne peut guère rester en dehors du créneau...
Au rang de ces insuffisances il y a la référence abusive au principe de précaution. Car il faut aussi lire cette « carte pétition » à la lumière du texte d'accompagnement, de l'attrape-gogos :
Or
« ...les études menées par le professeur Gilles-Eric Séralini ont démontré, dès 2012, les effets génotoxiques du Roundup sur des rats exposés. »
On ne se situe donc plus dans le domaine de la précaution, mais de la prévention. Et on peut se demander, incidemment, pourquoi Agir pour l'Environnement n'avait pas lancé de pétition à la suite de ces travaux. C'était sans nul doute inopportun à l'époque, vu l'indigence de ces travaux. Mais aujourd'hui, la bronca scientifique oubliée, on peut la ressortir... sans se demander comment une « étude » qui concluait à une cancérogénicité certaine – au moins selon la campagne politico-médiatique – peut être compatible avec le « cancérogène probable » du CIRC.
L'attrape-nigauds est encore plus gratiné : Agir pour l »Environnement n'a pas hésité à ressortir l'affaire de la publicité mensongère.
Lisez aussi :
« Chaque année, la France épand plus de 8000 tonnes de glyphosate, contaminant les eaux de surface et nappes phréatiques. »
Combien de lecteurs croiront que les 8000 tonnes se retrouvent dans les eaux ?
The Institute of Science in Society : l'antiscience érigé en religion et Séralini again
The Institute of Science in Society (ISIS) [5] a été fondé en 1999 par Mme Mae-Wan Ho [6] et M. Peter Saunders. Cette entité au nom ronflant a pour objectif de
« récupérer la science pour le bien public ; promouvoir une science contemporaine, holistique, de l'organisme et des systèmes durables [sustainable]; et de promouvoir des changements sociaux et politiques en faveur d'un monde durable et équitable. »
ISIS a produit un « Manifeste de/des [7] Scientifiques Indépendants sur le Glyphosate » signé à l'origine par « plus de 80 chercheurs » et dont le compteur affiche à ce jour 370 chercheurs et 582 non-chercheurs.
Texte bizarre, lui aussi, les signataires étant invités à le diffuser largement (normal), mais aussi à le transmettre à « [leurs] représentants gouvernementaux locaux ».
Sur le fond :
« Pour le bien de la planète, de nos enfants et de nos petits-enfants, tout épandage de glyphosate devrait être immédiatement remplacé par des alternatives écologiques qui restaurent les réseaux alimentaires endommagés. Nous vous demandons instamment d'avoir le courage de stopper la destruction de la vie sur notre planète, en tant que leaders pour les générations futures. »
Difficile de faire plus zeppelinesque ! Mais on admirera l'ordre des premiers mots ; c'est : « planet first »...
Les auteurs se font franchement prétentieux en introduction :
« Nous, soussignés chercheurs et professionnels de la médecine internationaux [...]. En tant que professionnels qui ont lu la littérature sur les herbicides glyphosate et leurs effets, nous avons conclu qu'ils causent des dommages irréparables. »
Et de citer, outre la cancérogénicité – les auteurs ont eu la décence d'ajouter « probable » – l'infertilité, l'impuissance, les avortements, les malformations congénitales, la neurotoxicité, la perturbation endocrinienne, les réactions immunitaires, une maladie rénale mortelle sans nom, les diarrhées chroniques, l'autisme... en concluant cette liste par « et d'autres affections ».
What else ? L'hystérie antipesticides et anti-OGM par exemple...
Le glyphosate serait aussi lié à plus de 40 maladies des plantes émergentes ou ré-émergentes, ainsi qu'à des dommages irréparables affligeant une série d'êtres vivants qui font l'objet d'un catalogue à la Prévert. Qu'on se rassure, les dinosaures n'y figurent pas...
Ce manifeste nous vient avec trois références, dont une synthèse de M. Don Huber. Professeur émérite de la Purdue University, qui est tombé du côté obscur de la science. M. Huber est pitoyablement connu pour avoir écrit, en janvier 2011, une lettre au Secrétaire à l'agriculture états-unien Tom Vilsack – confidentielle mais largement diffusée... – dans laquelle il l'avertissait de la découverte d'un nouveau pathogène susceptible de provoquer l'écroulement de l'entièreté de l'industrie états-unienne du maïs et du soja [8]. Malgré toutes les invitations à lui adressées, M. Huber n'a jamais apporté les preuves à l'appui de ses dires ; de toute manière, l'industrie concernée reste florissante [10]... Et M Huber n'a pas cité sa lettre...
La liste des signataires ne permet pas de savoir qui ont été les auteurs et premiers souscripteurs [9]. On y trouve quelques noms connus de l'alterscience, de l'anti-OGMisme, du culte de l'agriculture biologique ; ainsi que des personnes qui n'ont strictement aucune compétence en la matière et abusent donc de leur statut de chercheur (quand ils l'ont) pour une opération politique.
On y trouve... Gilles-Éric Séralini.
On vous ment !
Une des nombreuses corrélations désopilantes de la mouvance antipesticides et anti-OGM. En fait, le glyphosate est utilisé très majoritairement en présemis.
Pourquoi cette analyse ?
Pour montrer qu'il y a une autre « fabrique du mensonge » (c'est le titre partiel d'un ouvrage de M. Stéphane Foucart) que celle que divers auteurs se plaisent à dénoncer, du reste en ressassant encore et toujours les mêmes exemples historiques, notamment du tabac et de l'amiante.
Il y a un véritable commerce du mensonge. Une activité économique qui allie concurrence et ententes qui, si elles étaient soumises au droit de la concurrence, seraient sans nul doute qualifiées d'illicites.
L'activité se déployant sur la toile, c'est de la grande distribution ; une grande distribution assistée par de puissants relais dans les médias, des personnages ayant une carte de presse et en usant pour propager leur idéologie, au détriment de l'information. Selon le sujet, cela reste toutefois au niveau du colportage. 10.000 et quelques signatures pour Générations Futures, près de 81.000 pour Agir pour l'Environnement. C'est finalement peu. Et quand on trouve moins de 300 signatures pour une pétition sur Avaaz, on peut parler de vente à la sauvette [11].
Mais comme on le sait, même la vente à la sauvette peut avoir un impact médiatique... et politique considérable.
Mme Ségolène Royal ne nous fera probablement pas l'honneur de nous lire. Mais y aura-t-il au moins un conseiller pour lui faire comprendre que la grandeur d'une mission ministérielle se mesure par la capacité, non pas à flatter une opinion dite « publique », mais à montrer la voie ; qu'on n'est pas leader en prenant simplement la tête, mais en montrant la voie ; qu'il y a des limites au populisme ?
Bonneuil : Royal mène sa guerre anti-herbicides au Jardiland
___________________
[1] http://www.generations-futures.fr/pesticides/victoire-le-glyphosate-cancerigene/
[2] http://www.generations-futures.fr/petition/action-demandons-le-retrait-du-glyfosate/
[3] http://www.generations-futures.fr/adherez/
[4] http://stop-roundup.agirpourlenvironnement.org/
[5] http://www.i-sis.org.uk/about.php
[6] Pour un portrait (critique) :
http://www.geneticliteracyproject.org/glp-facts/mae-wan-ho/
[7] Le dilemme du traducteur... voir la Résolution 242 du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Vu l'accueil reçu par le « manifeste », il est difficile de mettre « des », alors que dans l'esprit des auteurs...
[8] Par exemple :
http://farmandranchfreedom.org/letter-dr-huber-roundup-animal-miscarriage-infertility/
Une analyse critique par exemple ici :
http://www.biofortified.org/2011/02/extraordinary-claims%E2%80%A6-require-extraordinary-evidence/
[9] Par exemple :
[10] http://www.i-sis.org.uk/Independent_Scientists_Manifesto_on_Glyphosate_signatures.php#signed