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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Comment réussir la transformation du système alimentaire ?

16 Avril 2022 Publié dans #Union européenne, #Politique, #Activisme, #Agronomie, #Economie

Comment réussir la transformation du système alimentaire ?

 

Simon Michel-Berger, AGRARHEUTE*

 

 

© agrarfoto.com

Jachère : la question de savoir si la mise en jachère des terres arables est plus bénéfique pour la biodiversité qu'elle ne nuit à la production de denrées alimentaires divise également les scientifiques.

 

 

Mi-mars, près de 200 scientifiques du monde entier ont demandé dans une lettre ouverte d'accélérer la restructuration du système alimentaire mondial face à la guerre en Ukraine. [Ma note : ils étaient 638, plus les auteurs initiaux, au 28 mars 2022.] Des scientifiques de l'Université de Göttingen ont ajouté d'autres demandes début avril. AGRARHEUTE décrit la demande et montre des réactions d'agronomes.

 

 

Le 18 mars, 8 scientifiques, dont la plupart travaillent à l'Institut de Recherche sur l'Impact Climatique de Potsdam e.V., ont publié un appel pour que le système alimentaire mondial soit transformé le plus rapidement possible. Selon eux, la production et la consommation de denrées alimentaires ne sont actuellement ni durables ni équitables. Compte tenu de la guerre en Ukraine, un changement encore plus rapide, et non plus lent, est nécessaire. Les scientifiques ont appelé à consommer moins de protéines animales, à produire davantage de protéagineux, à utiliser moins d'engrais et de produits phytosanitaires et à s'en tenir à la stratégie « farm-to-fork » de la Commission Européenne. Ils rejettent les réflexions sur la remise en production des terres en jachère, demandent un renforcement des écosystèmes et la réduction du gaspillage alimentaire.

 

 

Ce qui, selon les scientifiques, s'oppose à la libération des jachères pour l'agriculture

 

La déclaration initiale du 18 mars a été signée par 190 autres scientifiques. Le 1er avril, 20 chercheurs ont publié une lettre ouverte qui s'appuie sur les revendications initiales. Comme l'explique l'Université de Göttingen dans un communiqué de presse, l'auteur principal, le Dr Lukas Fesenfeld de l'EPF de Zurich et de l'Université de Berne, souligne : « La libération à court terme des terres en friche n'est pas une solution suffisante : pour faire face efficacement aussi bien aux conséquences immédiates de la guerre en Ukraine qu'aux grands défis de notre époque – changement climatique, extinction des espèces, pandémies et maintien de la paix –, la réduction rapide de la consommation de viande, des déchets alimentaires ainsi que de la culture de plantes énergétiques pour la production de bioéthanol joue un rôle particulièrement important. Il est essentiel pour une transformation globale du système alimentaire que les mesures côté production et côté consommation s'imbriquent maintenant rapidement de manière stratégique".

 

 

Quelles mesures les chercheurs préconisent-ils pour transformer le système alimentaire ?

 

Selon la lettre ouverte, les surfaces agricoles actuellement utilisées pour la production de bioéthanol, d'aliments pour animaux et de bétail pourraient être davantage utilisées pour la culture d'aliments végétaux destinés à la consommation humaine. Environ 10 mètres carrés de terres arables produiraient des céréales soit pour environ 1 kilogramme de viande de porc, soit pour au moins 10 kilogrammes de pain**. En outre, les entreprises de production devraient être suffisamment soutenues lors de la conversion. Les auteurs proposent aussi des mesures concrètes, par exemple une réduction de la TVA sur les produits végétaux et une augmentation de celle sur les produits carnés. De plus, des directives concernant les obligations d'affectation des surfaces et des primes de conversion pour les agriculteurs, des programmes de formation pour le changement d'alimentation et un fonds pour la promotion d'une alimentation durable dans la restauration hors domicile pourraient favoriser l'évolution. Ils demandent également une adaptation rapide du taux d'incorporation afin de réduire l'utilisation de bioéthanol issu de cultures énergétiques.

 

 

Ce dont les chercheurs ne parlent pas

 

La recherche agricole ne joue pas un rôle essentiel dans la lettre ouverte du 1er avril. Certes, la lettre, qui énumère explicitement des mesures à moyen terme pour transformer le système alimentaire mondial fait de nombreuses propositions d'interventions réglementaires et régulatrices. Cependant, le développement de la recherche agricole en vue d'augmenter la productivité dans l'agriculture n'apparaît pratiquement pas dans toute la lettre. Seule une demi-phrase mentionne, comme exemple de mesures efficaces à court terme, « l'augmentation de l'efficacité par des technologies telles que l'agriculture de précision ».

 

 

Comment d'autres agronomes voient la lettre ouverte : Prof. Matin Qaim

 

Le professeur Matin Qaim, directeur du Centre de Recherche sur le Développement de l'Université de Bonn, a déclaré à AGRARHEUTE dans une première évaluation : « Les mesures demandées dans la lettre ouverte pour transformer le système agricole et alimentaire sont justes, mais je trouve qu'elles ne font pas assez de différence entre les considérations à court et à long terme. Nous craignons pour les mois à venir de graves pénuries alimentaires dans une grande partie de l'Afrique ainsi qu'au Proche et au Moyen-Orient, qui entraîneront des crises de famine si le monde ne prend pas de mesures à court terme. Une réduction significative du cheptel et du gaspillage alimentaire sont des exigences importantes, mais elles ne pourront guère être satisfaites à court terme. En revanche, une réduction significative des biocarburants serait réalisable à court terme. »

 

 

Prof. Qaim : Le génie génétique fait partie de la solution

 

Le professeur Qaim poursuit : « En ce qui concerne les considérations à plus long terme, si l'Europe réduit sa consommation de viande et son gaspillage, c'est bien et important. Mais la demande alimentaire mondiale continue malgré tout de croître, de sorte que nous devons en même temps développer et utiliser de nouvelles technologies de production afin de parvenir à un système agricole et alimentaire plus durable. Cela inclut par exemple le génie génétique, qui permet d'obtenir des rendements élevés et une stabilité des rendements avec moins de produits chimiques. La lettre ne dit rien sur les défis technologiques. Mais nous ne pouvons pas, en Europe, faire comme si les problèmes d'autres parties du monde ne nous concernaient pas, simplement parce que nous avons nous-mêmes depuis longtemps suffisamment à manger. »

 

 

Prof. Wilhelm Windisch : Prendre en compte les suggestions, les trier et les améliorer

 

Le professeur Wilhelm Windisch, professeur ordinaire de nutrition animale à l'Université Technique de Munich, s'est également exprimé auprès d'AGRARHEUTE. Il appelle à reprendre les idées de la lettre ouverte, à les trier de manière professionnelle et à améliorer ainsi l'appel. M. Windisch a déclaré : « Les aspects d'une alimentation saine pour l'homme ne sont pas des arguments techniques contre ou pour une pratique agricole. On peut demander une réduction de la consommation de viande, mais cela n'a rien à voir avec le bien-fondé des pratiques agricoles. » M. Windisch rappelle également qu'une expertise publiée dans la revue scientifique The Lancet sur les effets cancérigènes de la consommation de viande est désormais très controversée.

 

 

Changement d'affectation des sols : Reboiser systématiquement les forêts déboisées

 

Le professeur Windisch explique que les changements d'affectation des terres, tels que le déboisement des forêts tropicales, sont en soi nuisibles au climat, indépendamment du fait que l'on cultive sur ces surfaces des aliments pour animaux ou pour l'homme. Il explique : « Reprocher aux éleveurs de bétail que les aliments pour animaux provenant de surfaces déboisées constituent une énorme pollution de l'environnement et argumenter en même temps que ces surfaces pourraient facilement nourrir l'humanité de manière végétalienne n'est pas honnête. Les surfaces déboisées doivent être reboisées – sinon, on ne peut plus faire de reproches au lobby animal. »

 

 

Réduire les émissions de CO2 via l'élevage plutôt que de regretter les émissions de méthane

 

De même, le professeur Windisch renvoie aux discussions scientifiques selon lesquelles la considération des émissions annuelles de gaz à effet de serre fausse la vision des véritables options d'action. Au lieu de regretter les émissions passées, il faut discuter de l'impact des mesures de réduction des gaz à effet de serre. Il s'agit avant tout de réduire les émissions de CO2. M. Windisch explique : « Dans l'agriculture, il s'agit de créer des zones neutres en CO2 (prairies) ou, mieux encore, des puits de CO2 (engrais verts dans les champs avec du trèfle, etc.). Ce sont là des formes d'économie qui favorisent spécifiquement les ruminants ! » M. Windisch souligne à cet égard le potentiel d'avenir des systèmes agroforestiers, c'est-à-dire des mélanges entre forêt et pâturage, comme les pâturages entourés de haies d'autrefois.

 

 

Éviter la concurrence alimentaire dans la production animale

 

Le professeur Windisch est d'accord avec le principe de réduire l'intensité de la production animale. La production animale actuelle nourrit en partie directement les animaux avec des produits consommables par l'humain et produit en partie de la biomasse non comestible sur les terres arables, comme le maïs ensilage. Mais M. Windisch souligne : « Mais ce n'est qu'un argument contre un élevage excessif et en aucun cas un argument contre les animaux d'élevage en tant que tels – et surtout pas contre les ruminants. Il ne s'agit donc pas de réduire la production animale, mais d'éviter la concurrence alimentaire – et il faut clairement faire la différence entre les différentes espèces animales. Ce sont surtout les volailles qui sont concernées, suivies par les porcs. Les ruminants présentent même des avantages. »

 

 

Prof. Windisch : ne pas confondre effet et cause

 

En conclusion, le professeur Windisch explique : « Si nous voulons que l'élevage soit respectueux de l'environnement et du climat, nous devons éviter la concurrence alimentaire avec l'Homme. Cela signifie automatiquement une baisse drastique de la quantité et de la qualité des aliments pour animaux. Cela entraîne automatiquement une baisse de la production de viande de volaille et d'œufs, ainsi que de viande de porc. En revanche, la production de lait et de viande de bœuf est celle qui baisse le moins. Le nombre d'animaux diminuera également dans cette proportion. La réduction du nombre d'animaux par unité de surface agricole utile doit être l'un des effets et non la variable d'ajustement ! De même, la "réduction de la consommation de viande" est l'effet d'une prévention de la concurrence alimentaire et non une variable d'ajustement appropriée. »

 

 

Prof Dr Stephan von Cramon-Taubadel : des réactions à court terme sont nécessaires

 

Le professeur Stephan von Cramon-Taubadel, titulaire de la chaire de politique agricole à l'Université Georg August de Göttingen, s'exprime de manière positive sur la lettre ouverte, en réponse à une question d'AGRARHEUTE : « Depuis le début de l'attaque russe contre l'Ukraine, de nombreux débats sont menés avec une urgence renouvelée – y compris dans le domaine de la politique agricole. Des pénuries soudaines et des menaces de famine exigent des réactions à court terme. Celles-ci doivent avoir le moins de conséquences négatives possible sur le climat et l'environnement. Là où les conséquences négatives sont inévitables, les efforts correctifs ultérieurs doivent être d'autant plus importants. Dans la lettre ouverte "Possibilités d'action pour la transformation du système alimentaire", des mesures sont demandées pour réduire les déchets alimentaires ainsi que l'utilisation de bioéthanol, et surtout aussi pour réduire la consommation et la production de viande. Beaucoup de ces mesures augmenteraient la durabilité du système alimentaire mondial. »

 

 

Se concentrer sur la consommation de viande plutôt que sur la production de viande

 

Le professeur von Cramon met toutefois en garde contre le fait de chercher trop fortement à réduire uniquement la production de viande dans notre pays. Il explique : « Une réduction unilatérale de la production de viande en Allemagne ou dans l'UE, alors que la demande mondiale reste inchangée, n'entraînerait qu'une délocalisation de la production vers d'autres pays. Cela aurait des conséquences négatives pour le climat, l'environnement et la sécurité de l'approvisionnement. »

 

 

Sans progrès technique, pas de sécurité alimentaire

 

En conclusion, le professeur von Cramon explique : « Ce que les auteurs de la lettre ouverte n'abordent pas, ce sont les recommandations centrales de la stratégie Farm to Fork de la Commission Européenne, comme l'extension de la surface en production biologique à 25 % ou la réduction de l'utilisation de produits phytosanitaires de 50 % d'ici 2030. Là encore, les baisses de production sans baisse correspondante de la demande ne font que déplacer les effets secondaires indésirables. De plus, des mots comme "innovation"et "productivité" ne figurent pas dans la lettre ouverte. Le progrès technique, par exemple l'utilisation de méthodes de culture modernes, ne suffit pas à lui seul. Mais sans lui, nous ne parviendrons pas à nourrir durablement une population mondiale croissante. »

 

____________

 

Simon Michel-Berger est le rédacteur en chef d'AGRARHEUTE

 

* Source : Wie gelingt der Umbau des Ernährungssystems? | agrarheute.com

 

** Ma note : Pour le pain, l'auteur table sur un rendement de 85 q/ha ! Le rendement moyen semble s'établir plutôt vers 75 q/ha.

 

Pour le porc, c'est plus compliqué, les facteurs étant plus nombreux. Mais un taux de conversion net de 8,5 pour la viande de porc paraît encore plus exagéré. En poids vif, les chiffres courants se situent entre 3 (voire 2,7) et 4. Avec une valorisation nette de deux tiers du poids vif (viande nette à commercialiser en frais ou à transformer), on passe à 4,5-6.

 

Mais cela ne tient pas compte du fait que les valeurs alimentaires du pain et de la viande de porc sont très différentes. Ni de la valorisation des parties du porc non consommées.

 

De plus, le porc n'est pas nourri exclusivement avec des céréales, ou avec des produits végétaux consommables par l'humain. Il valorise des co-produits restant après séparation de la partie destinée à la consommation humaine.

 

 

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