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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Le glyphosate et la fabrique de la défiance dans le Monde de M. Stéphane Foucart

9 Février 2022 Publié dans #critique de l'information, #Activisme, #Glyphosate (Roundup)

Le glyphosate et la fabrique de la défiance dans le Monde de M. Stéphane Foucart

 

de l'auteur de La fabrique du mensonge et de Les gardiens de la raison

 

 

(Source)

 

 

J'ai du retard sur les productions de M. Stéphane Foucart, dans le Monde Planète. Me voici contraint, en quelque sorte, de sauter sur la dernière.

 

C'est « Le glyphosate, l’expertise et la défiance », publié sur la toile le 5 février 2022 et dans l'édition papier des 6 et 7.

 

 

Des vaccins et de la politique vaccinale aux expertises prétendument défaillantes

 

En chapô sur Internet :

 

« La défiance envers les politiques vaccinales contre le Covid-19 prospère sur les scandales sanitaires et environnementaux récents, permis par des expertises contestables, estime dans sa chronique Stéphane Foucart, journaliste au "Monde". »

 

On voit poindre les amalgames ! Et on est largement servi.

 

« D’où vient, alors, cette défiance qui traverse la société, et qui va probablement bien au-delà d’une petite minorité de militants antivaccins ? La réponse se trouve sans doute, en partie, dans l’accumulation de scandales sanitaires ou environnementaux rendus possibles par une expertise défaillante. »

 

Ces deux phrases posent d'entrée une question cruciale : quelle est la part des attitudes spontanées par rapport à celle des attitudes induites ? Il n'y aurait qu'une « petite minorité » de militants anti-vaccins ? Que ce soit vrai ou faux, quelle a été leur influence ?

 

La même question se pose évidemment pour les faits allégués par M. Stéphane Foucart dans ses nombreuses productions... et pour sa responsabilité personnelle, le cas échéant (voir à cet égard l'ouvrage de M. Alexandre Baumann).

 

 

(Source)

 

 

En tentant d'accréditer la thèse d'un lien entre défiance, scandales (ou « scandales ») et expertise prétendument déficiente, il se fait évidemment plaisir en assouvissant ses obsessions mais offre aussi un confortable paravent à des oppositions au(x) vaccin(s) contre la Covid aux motivations moins avouables et moins glamour.

 

 

Un détour par les Antilles et le chlordécone

 

Mais, parlant d'obsessions, il faut arriver au glyphosate – élément du titre et sujet principal de la chronique.

 

Il suffit, pour cela, de passer par les cases Antilles et chlordécone...

 

« Galvauder l’autorité de la science pour défendre des décisions politiques ou des intérêts particuliers est l’un des creusets de la défiance. Ce n’est pas un hasard si c’est aux Antilles, où les autorités ont jadis permis l’empoisonnement à grande échelle de l’environnement et de la population par un pesticide toxique et persistant, le chlordécone, que la défiance vaccinale a atteint son paroxysme. »

 

L'argument, tel qu'il est posé, présuppose que le chlordécone a été un facteur déterminant de l'opposition à la vaccination dans les Antilles. L'auteur ne se pose pas la question de savoir si ce pesticides maintenant honni n'a pas été instrumentalisé par des faiseurs d'opinions, et ce, dans le silence voire avec le concours de parties désireuses de faire avancer leurs positions dans d'autres domaines (voir à ce sujet les lamentables « taubirades »).

 

Mais il y a pire : M. Stéphane Foucart lance une accusation très grave. Ilaisse entendre que « les autorités ont jadis permis » – lire : sciemment – « l’empoisonnement à grande échelle de l’environnement et de la population ». On peut ajouter : « pour défendre des décisions politiques ou des intérêts particuliers ». Il se fait ainsi le relais complaisant d'un complotisme très répandu aux Antilles, ainsi qu'en Métropole.

 

Il fait évidemment fi de la complexité du dossier et commet un anachronisme en supposant que les connaissances d'aujourd'hui étaient déjà disponibles « jadis ».

 

C'est très grave.

 

 

Le cas du chlordécone

 

Faisons ici une incidente : le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) a classé le chlordécone en « cancérogène possible » en 1987.

 

Selon le communiqué de presse ayant annoncé la publication de l'expertise collective de l'Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM), « Pesticides et effets sur la santé : Nouvelles données », publiée le 30 juin 2021,

 

« La présomption forte d’un lien entre l’exposition au chlordécone de la population générale et le risque de survenue de cancer de la prostate a été confirmée. En considérant l’ensemble des données épidémiologiques et toxicologiques disponibles, la causalité de la relation est jugée vraisemblable. »

 

Par « présomption forte », il faut entendre l'existence d'« une méta-analyse de bonne qualité qui montre une association statistiquement significative, ou plusieurs études de bonne qualité et d’équipes différentes qui montrent des associations statistiquement significatives ».

 

Sans doute sur la base des mêmes éléments de la littérature, un groupe consultatif du CIRC a donné une priorité faible à la révision de la monographie du chlordécone, alors que cette substance a été largement utilisée dans le monde (rapport de l'OPECST, résumé).

 

Les choses ne sont pas simples...

 

 

Et voici le glyphosate...

 

Et hop !

 

« C’est un autre pesticide célèbre, le glyphosate, qui a alimenté le soupçon ces dernières années. »

 

Notez bien : « le soupçon »...

 

On a donc droit

 

  • au CIRC et à son classement du glyphosate en « cancérogène probable » – dont on sait qu'il a été acquis dans des conditions « étranges » ;

     

  • à la Commission Nationale de la Déontologie et des Alertes en Matière de Santé Publique et d'Environnement (CNDASPE) qui « a pris ses responsabilités en demandant que soient examinées les expertises européennes conduites, depuis 2014, sur le fameux produit » et notamment demandé une analyse des évetuels conflits d'intérêts des experts européen – mais, rassurez-vous, pas des experts du CIRC, et c'est sur le mode : « quand les conclusions d’un rapport ne vont pas dans le bon sens, on discrédite ceux qui l’ont écrit en les accusant à mots couverts d’être payés par les géants de l’agrochimie » ;

     

  • Le « copier-coller » de certains chapitres du dossier réglementaire fourni aux autorités « par Monsanto » (en fait, le consortium Glyphosate Task Force), un « truc » ressorti plusieurs fois par l'activisme anti-glyphosate pour lequel le Bundesinstitut für Risikobewertung (BfR) a fourni des explications détaillées et convaincantes ; avec évidemment à la clé dans l'article du Monde l'approbation (alléguée) des études réalisées par ou pour les industriels et le rejet des études « académiques » ;

     

  • L'analyse « par deux toxicologues internationalement reconnus, Siegfried Knasmüller et Armen Nersesyan » de certaines « études industrielles », sans préciser qu'ils ont été missionnés par l'activisme anti-gly pour produire un rapport aux conclusions préétablies ;

     

  • Et, bien sûr, « les fameux "Monsanto Papers" » – toujours cités à sens unique en occultant notamment les preuves accablantes sur les comportements de certains chercheurs états-uniens et certains agents du CIRC (voir par exemple ici) – et les décisions de certains tribunaux californiens – en omettant de préciser que des décisions ont été récemment rendues en sens contraire (de toute manière, une décision de justice ne dit pas la science).

 

 

Et la conclusion...

 

L'auteur fait donner « le professeur de santé publique Denis Zmirou-Navier, président de la CNDASPE » :

 

« [C]'est une question majeure, avec des conséquences potentielles à long terme, qui est posée : celle de la confiance dans l'expertise. A défaut de réponses, il sera compliqué de continuer à plaider, sur ce sujet [le glyphosate] comme sur d'autres, que l'"on peut débattre de tout, sauf des chiffres". »

 

Cela nous ramène en fait à l'ouverture :

 

« "On peut débattre de tout, sauf des chiffres." Avec ce slogan, la communication gouvernementale pour la vaccination contre le Covid-19 résume bien la transformation en cours du débat public. Sur une variété de sujets, les choix politiques disparaissent de plus en plus derrière la rationalité – réelle ou supposée – de l’expertise scientifique. Le désaccord n’est alors plus possible, sauf à être soupçonné de complotisme ou de dérive antiscience. »

 

Voilà un propos fort étrange !

 

Il nous rappelle furieusement le « En matière de santé publique, le rigorisme scientifique est une posture dangereuse » du 27 octobre 2018 (notre analyse ici, celle de l'AFIS ici) . En bref, selon cet article, la rigueur dans l’investigation des faits et la recherche de la vérité méritent d’être escamotées, sur certains sujets comme la santé (et, en l'occurrence, ce fut à propos des bienfaits allégués de l'alimentation bio), au profit de certitudes prématurées ou de simples allégations pas trop futiles.

 

C'est du reste un positionnement qui vient au secours de la défiance envers les vaccins et de la politique vaccinale !

 

Aujourd'hui, si on a bien compris les troisième et quatrième phrases (les deux premières semblant hors sujet), la rationalité de l'expertise scientifique ne doit pas faire obstacle à des choix politiques qui seraient irrationnels...

 

Du coup se pose la question de la cohérence avec « Galvauder l’autorité de la science pour défendre des décisions politiques ou des intérêts particuliers est l’un des creusets de la défiance ».

 

Mais on peut comprendre qu'est pertinente celle des deux propositions qui sied à la ligne militante.

 

Il faut sans doute comprendre au terme de cette chronique sinueuse et alambiquée – c'est loin d'être la première – qu'on doit pouvoir discuter des chiffres, même solidement étayés, qui sous-tendent une expertise scientifique rationnelle. Il faut surtout permettre une décision politique qui ferait fi de cette rationalité, encore une fois, si elle (cette décision) va dans le « bon sens ».

 

Et comme la ficelle est manifestement très grosse, il convient de mettre en cause l'expertise devant guider la décision à prendre d'ici la fin de l'année – sur la base essentiellement de récriminations au sujet de l'expertise précédente en ajoutant à la liste des griefs celui d'avoir suscité la défiance envers les vaccins.

 

 

Post scriptum

 

L'auteur de La fabrique du mensonge et de Les gardiens de la raison a annoncé une suite... on tremble déjà...

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M
Bravo pour cette analyse. Une de vos meilleures sur le fond. Je reste un de vos fidèles lecteurs.
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