Des idées pour un plan protéique français (ou européen)
Avait-il succombé aux aimables « suggestions » de quelques activistes foncièrement anticapitalistes et prétendument écologistes, ou bien ourdi un coup de billard à trois bandes lui permettant de se dégager du guêpier électoral de l'accord entre l'UE et le Mercosur ? Le 22 août 2019, à l'orée du G7 à Biarritz, le Président Emmanuel Macron avait mis le feu aux relations avec le Brésil sur fond de feux en Amazonie (brésilienne).
La production de soja a été mise en cause – à tort car la cause principale de la déforestation est la création de pâtures, même si celles-ci peuvent ensuite être converties en champs..
Mais qu'importent les faits... Lors du « débriefing » avec Mme Anne-Sophie Lapix sur France 2, le 26 août 2019, il déclarait, en concédant que pour les feux de forêts en Amazonie, « on a une part de complicité » :
« Le soja, on en a besoin en Europe, notamment pour nourrir les animaux. Nous n'en avons pas. C'est le fruit d'un vieil équilibre conclu dans les années 1960 entre l'Europe et les États-Unis […] Nous devons recréer la souveraineté protéinique de l'Europe. »
Ce n'est pas exact, mais passons...
La gouvernance de la Maison France – qui, incidemment, brûle aussi – souffre d'une maladie grave : la propension de certains ministres à courir ces nombreuses chaînes de télévision qui prétendent faire de l'information et leurs émissions d'entretiens en direct animées par des journalistes souvent peu compétents et parfois d'une incroyable grossièreté... Pauvre France...
Le 7 septembre 2019, M. Didier Guillaume, Ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation, était donc l'« invité » de la Table des Bons Vivants d'Europe 1. Il y assura le baratin : il a « annoncé qu'il lancerait à la fin du mois de septembre un "plan protéique français" ».
Avec ce déluge verbal incontrôlé et ces choquantes âneries qui, malheureusement, ne suscitent guère de protestations :
« Il faut arrêter d'importer des tourteaux de soja qui viennent d'outre-Atlantique, qui coûtent cher, dont on ne sait pas comment ils sont faits, avec vraisemblablement des OGM à l'intérieur. »
Europe 1, bon prince ou tout aussi ignorant, complète sa phrase : « ...explique le ministre ».
En fait, nous savons très bien comment les tourteaux sont « faits » et s'ils contiennent ou non des OGM. Et s'ils en contiennent, ce n'est pas un drame : les OGM en question sont autorisés à l'importation et n'ont strictement aucun effet nocif sur l'alimentation du bétail puis humaine.
C'est encore une fois le Ministre de l'Anti-agriculture qui surfe sur les obsessions alimentaires françaises et les alimente. Et qui déroule ad nauseam le même discours d'agri-bashing (gouvernemental !) :
« Si on veut la souveraineté protéique en France, il faut changer notre culture. […] Nous avons besoin de refaire des rotations de cultures, de revenir à l'agro-écologie en mettant de la luzerne, du soja. »
Monsieur le Ministre ! Hormis quelques cas particuliers, les agriculteurs français pratiquent la rotation des cultures ! Quant à « revenir à l'agro-écologie », cela fleure bon (enfin, mauvais) une déclaration précédente selon laquelle il fallait revenir à « ce que faisaient nos grands-parents » (vers 1:50). Quelle inculture !
Les annonces, c'est forcément avec un coup de menton :
« Il faut que la France soit exemplaire. […] À la fin du mois de septembre, le 27 ou 28, je vais lancer le plan protéique français. »
Est-ce bien sérieux ? Le Gouvernement produirait en l'espace d'un mois – chrono – un « plan protéique », un plan faisant de surcroît de la France le premier de la classe ?
Il va de soi que la situation actuelle de déficit en protéines européen n'est pas dûe au seul Accord de Blair House de novembre 1992 et ne se résout pas d'un simple claquement de doigts présidentiels suivis d'une mise d'un doigt ministériel sur la couture d'un pantalon.
Les défis à relever sont nombreux et à tous les niveaux : de l'agronomie à l'économie, et de la production à l'utilisation en passant par la logistique qui relie les deux... et en commençant par la recherche-développement, l'expérimentation et la vulgarisation.
Et ce plan macronien ne sera que le n + unième dans l'histoire de l'agriculture française.
Ainsi, en 2009, M. Michel Barnier, alors Ministre de l’Agriculture et de la Pêche, avait déjà proposé un plan de cinq ans pour soutenir la production française de protéagineux.
Ainsi, en décembre 2012, M. Stéphane le Foll, Ministre de l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Forêt, avait annoncé la mise en place de six plans d’actions dans le cadre du projet agro-écologique pour la France, dont un « plan protéines ». Ce plan s'est matérialisé deux ans après, en décembre 2014, pour la période 2014 (!) - 2010.
Ainsi, le 21 août 2013, l'illustre Ségolène Royal, présentement ambassadrice auprès des manchots et des pingouins et à l'époque présidente de la Région Poitou-Charentes, avait fait une visite dans une ferme pour promouvoir une expérimentation pour développer une filière régionale de soja non-OGM. Elle « expliquait » alors dans un communiqué :
« Dès 2004, la région s'est engagée dans un processus de région sans OGM. Pour cette première année d’expérience, la région a accordé une aide de 30.000 euros la première année avec pour objectif la production de 15.000 ha de soja non-Ogm d'ici 3 ans. »
À l'époque, l'éleveur qui l'a reçue avait déclaré :
« Pour nous, le sans OGM, c'est 30 % de plus [à l'achat], ce qui représente plus de 100 euros à la tonne et on a de plus en plus de mal à en trouver. »
Aujourd'hui, dans les Deux-Sèvres, ce seraient toujours 20 % de plus par rapport au soja brésilien, à compenser par les éleveurs ou à payer, in fine, par les consommateurs.
Il va de soi qu'on ne saurait critiquer l'ambition d'assurer notre souveraineté protéique et de combler l'énorme déficit européen et, dans une moindre mesure, français en la matière. Il s'agit en fait d'un objectif stratégique en ces temps de demande mondiale accrue et de guerres commerciales. Il faut aussi se rappeler qu'en 1973, les États-Unis d'Amérique avaient décrété un embargo sur les exportations de soja et que les prix avaient quadruplé (pour une histoire du soja, voir ici et ici).
Mais il y a la parole et les actes... et l'expérience passée guère concluante. Alors voici cinq propositions décoiffantes.
L'emblématique soja – mais aussi, par exemple, le tournesol – est une culture dite « de printemps ». Il a, dit-on, des besoins en eau limités et souples, mais évidemment non nuls (si ses besoins sont inférieurs à ceux du maïs, sa production de matière sèche l'est aussi) ; surtout, il valorise très bien les apports d’eau : +8 à 10 quintaux/hectare par 100 millimètres apportés.
Un plan protéique qui a de l'ambition doit s'accompagner d'un plan ambitieux pour stocker l'eau quand elle est abondante et part à la mer, et la mettre à disposition quand les plantes (et les Hommes...) en ont besoin.
Ce gouvernement a-t-il de l'ambition et le sens des réalités face aux changements climatiques ? Et du courage face à l'activisme ?
Une partie de la compétitivité des grands producteurs de soja – États-Unis d'Amérique et Amérique latine – tient au caractère GM de leur soja : sauf problème particulier de mauvaises herbes devenues résistantes, le farmer américain, l'haciendero argentin ou le fazendeiro brésilien désherbe son soja par un passage, éventuellement renouvelé, de glyphosate, pas cher et efficace. Pour l'agriculteur français, le désherbage est un casse-tête.
Les variétés GM de soja avaient été autorisées en Roumanie jusqu'à son entrée dans l'Union Européenne, en 2007. Il s'en cultivait plus de 140.000 hectares, et le pays était autonome sur le plan protéique. Maintenant, la Roumanie fait comme les autres pays membres de l'Union Européenne : elle importe du soja... GM.
Cela n'est pas qu'anecdotique. Vouloir assurer la souveraineté protéique de la France (et de l'Europe) implique de réviser les positions sur les OGM et le glyphosate, auxquels des gouvernements successifs se sont opposés par veulerie et électoralisme, ayant capitulé en rase campagne contre un activisme pas toujours dénué d'arrière-pensées.
Le tournesol – pourvoyeur comme le soja d'huile et de tourteaux riches en protéines – illustre un autre problème de démission collective devant l'activisme.
Celui-ci a fait dire à la Cour de Justice de l'Union Européenne que les variétés issues d'une modification génétique réalisée avec une technique moderne comme CRISPR/Cas9 sont des OGM soumis aux procédures d'autorisation, d'homologation et de surveillance – autrement dit, bannis du paysage agricole européen. En France, la contestation s'étend aux variétés qui ont acquis une tolérance à des herbicides du fait d'une mutation induite par une technique appliquée à relativement grande échelle depuis plus d'un demi-siècle, voire naturelle.
Côté gouvernemental, c'est silence radio.
C'est en partie compréhensible, l'arrêt de la CJUE ayant été adressé au Conseil d'État pour l'éclairer dans la résolution du litige porté devant lui. Mais, plus d'un an après l'arrêt de la CJUE, nous sommes toujours dans l'expectative. Et les « faucheurs volontaires » détruisent des champs d'expérimentation dans une quasi-indifférence générale.
Priver les agriculteurs de la possibilité d'utiliser un de ces herbicides en association avec une variété tolérante, c'est réduire la boîte à outil et, in fine, éroder les grandes ambitions de souveraineté protéique.
Mais que font les gouvernements ? Ils ont reçu un rapport du Comité Technique Permanent de la Sélection des Plantes Cultivées (CTPS) en novembre 2016 et du Haut Conseil des Biotechnologies (HCB) en novembre 2017. On ose espérer qu'ils en auront accusé réception...
« Courage, fuyons ! » n'est pas une réponse satisfaisante.
La même problématique prévaut pour les néonicotinoïdes dont l'activisme, soutenu par des politiques davantage intéressés par leur nombril que par l'intérêt général, ont eu la peau.
Il sera sans doute très difficile pour un gouvernement courageux – si on devait en avoir un – de remonter la pente. Il lui faudrait expliquer que si les néonicotinoïdes sont dangereux pour les abeilles – certains plus que d'autres –, ce sont les risques qu'il faut évaluer, et ce, compte tenu notamment des préconisations d'emploi, et aussi par rapport aux solutions alternatives de lutte contre les ravageurs. On peut aussi expliquer par exemple que les apiculteurs de l'Alberta au Canada sont ravis de mettre leurs ruches en bordure de champs traités, et qu'ils font des récoltes de miel massives. Et procéder à des expérimentations en conditions réalistes en faisant appel à de vrais chercheurs, pas des activistes.
Tout cela n'est pas irréalisable.
S'agissant du plan protéique, le risque est que, devant les insuffisances des méthodes dites « alternatives », les agriculteurs se détournent de la culture du colza ; ce serait du reste aussi catastrophique pour... les abeilles. Ce risque est en fait très réel.
Le colza illustre un autre problème de démission institutionnelle : ce printemps, parce qu'on a trouvé un nombre infime de graines GM portant un trait non autorisé à l'importation en Europe dans des semences de colza (l'équivalent de 25 graines pour un hectare semé à la dose de 500.000 graines/hectare), on a détruit 8.000 hectares, soit une récolte potentielle de quelque 24.000 tonnes.
La législation actuelle autorise les « protéines animales transformées » issues des sous-produits d'animaux de boucherie (à l'exclusion des animaux partis à l'équarrissage). En France, depuis le 1er janvier 2017, « seuls les animaux aquatiques (sole, turbot, rouget-barbet, etc.) peuvent être nourris avec des protéines animales transformées de non ruminants ».
Selon le site du Ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation, ces produits ne sont utilisables en France que pour les poissons d'élevage. Nous aurions ainsi des « garanties renforcées pour le consommateur » grâce à ce qui constitue une surtransposition du règlement européen du 16 janvier 2013 ; celui-ci autorise l'utilisation des PAT pour les porcins et la volaille, mais sans « cannibalisme » (les produits issus du porc peuvent être donnés aux poulets et vice-versa).
La crise de la vache folle a certes durablement marqué les esprits – et son épouvantail est régulièrement agité. Mais est-ce la bonne méthode que de répondre aux peurs alimentaires par des dispositions qui, précisément, alimentent et renforcent ces peurs alimentaires (et accessoirement les oppositions au CETA) ?
Le plan protéique français est une opportunité de revenir sur des décisions politiques au bas mot malencontreuses si on se dispense de la phase de préparation et d'explications ; en tout cas sur des postures démagogiques et électoralistes. C'est l'occasion de susciter la réflexion sur de nouvelles bases.
Il faut nous protéger autant que possible des aléas de la production agricole dans les pays qui sont actuellement nos fournisseurs et des aléas du marché, y compris des manœuvres politiques et économiques. Cela ne se fera pas avec de « bonnes » paroles, de grandes envolées lyriques et des vœux pieux.
Assurer notre sécurité alimentaire ou céder aux peurs alimentaires, il faut choisir. En commençant par parler un langage de vérité. Le ferez-vous Monsieur le Ministre ?