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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

L’édition des gènes peut-elle apporter une solution à la faim dans le monde ?

20 Mai 2019 , Rédigé par Seppi Publié dans #CRISPR, #Alimentation

L’édition des gènes peut-elle apporter une solution à la faim dans le monde ?

 

Utibe Effiong et Ramadhani Abdallah Noor*

 

 

Image : Programme Alimentaire Mondial

 

 

Selon le Programme Alimentaire Mondial, quelque 795 millions de personnes – une personne sur neuf sur Terre – n’ont pas assez de nourriture pour mener une vie saine et active. Cela ne fera qu'empirer avec la prochaine crise alimentaire mondiale, qui devrait se produire d'ici quatre ans selon les experts de la troisième Conférence Internationale sur le Réchauffement de la Planète et la Sécurité Alimentaire.

 

Une croissance démographique sans précédent, un nombre croissant de conflits et de déplacements de populations, des calamités naturelles et l'apparition d'épidémies majeures font partie des facteurs qui aggraveront les complexités de la sécurité alimentaire mondiale dans les années à venir. De plus, des catastrophes naturelles survenues récemment dans des pays asiatiques et africains exportateurs de produits alimentaires, ainsi que dans des régions comme la Californie, pourraient précipiter une crise.

 

Face à ces faits, toute technique susceptible d’améliorer la production alimentaire constituerait une avancée bienvenue. Pour contrer le problème à venir, il est impératif d'essayer des solutions nouvelles et audacieuses tout au long de la chaîne alimentaire, y compris la modification génique des plantes cultivées. Les plantes génétiquement modifiées (GM) pourraient être notre meilleur espoir de nourrir une planète de plus en plus affamée, mais elles doivent être développées dans un cadre réglementaire prenant en compte les risques potentiels et protégeant les agriculteurs, les consommateurs et l'environnement.

 

 

Les OGM dans les pays en développement

 

La modification génique peut produire des variétés de plantes riches en nutriments, hautement productives, résistantes à la sécheresse et aux ravageurs, dont les petits agriculteurs du monde entier ont grand besoin. Par exemple, des scientifiques de la société de biotechnologie Calyxt ont prolongé la durée de conservation des pommes de terre en désactivant un seul gène qui favorise l’accumulation de sucres dans le tubercule. En utilisant cette technique, ils ont également réduit sa production d'agents promoteurs de cancer, notamment l'acrylamide, qui est souvent produit lorsque la pomme de terre est frite.

 

On peut imaginer que ces améliorations présentent un intérêt particulier pour les agriculteurs d’Afrique et du reste des pays en développement, qui dépendent de cultures de base comme le maïs, le riz, la pomme de terre et le soja. Outre le cotonnier génétiquement modifié, le maïs et le soja génétiquement modifiés sont actuellement cultivés dans des pays africains comme l'Afrique du Sud et l'Égypte.

 

Cependant, dans la plupart des pays africains, les OGM restent une idée relevant de l'utopie. En dépit de progrès économiques importants et de succès agricoles, selon l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture, l’Afrique reste le continent le plus touché par l’insécurité alimentaire. Un tiers de la population de notre continent est chroniquement sous-alimentée. La malnutrition chronique, ou « faim cachée », bien que souvent invisible, est dévastatrice et mortelle. Plus de la moitié des décès d’enfants peuvent être évités dans le monde si les enfants ont accès à des aliments nutritifs.

 

 

Comment fonctionne l'édition de gènes ?

 

De manière classique, la production d'organismes génétiquement modifiés implique l'insertion de gènes étrangers souhaités dans le génome d'une plante ou d'un animal. Mais une technique différente connue sous le nom d'édition de gènes modifie les génomes de plantes, ainsi que d'animaux et d'humains, sans l'introduction de matériel génétique étranger.

 

L’édition de gènes utilise des catalyseurs biologiques appelés « nucléases effectrices de type activateur de transcription » (Transcription activator-like effector nucleasesTALEN) qui peuvent être modifiés pour se lier à n’importe quelle séquence d’ADN. Les scientifiques peuvent introduire ces enzymes dans des cellules vivantes où ils découpent des morceaux non désirés d'ADN, ce qui permet en fait de modifier le génome. Cette technique, connue sous le nom d'ingénierie génomique médiée par TALEN, est également appelée édition du génome à l'aide de nucléases modifiées.

 

L'édition du génome n'est pas une idée nouvelle. Elle a été utilisée pour créer des modifications de gènes dans les cellules souches humaines ainsi que chez les vers, les poissons, les souris et les bovins avec plus ou moins de succès. En laboratoire, les TALEN ont également été utilisés pour corriger avec succès les erreurs génétiques sous-jacentes à une maladie comme la drépanocytose (anémie falciforme).

 

En phytotechnie, l’édition de gènes a été utilisée pour produire la pomme de terre moins sucrée de Calyxt, ainsi qu’un soja avec une teneur élevée en oméga-3. La première application commerciale de cette technologie dans une plante destinée à la consommation humaine a été approuvée ce printemps, lorsque la société américaine Cibus a annoncé une version éditée de canola. La nouvelle plante de canola est conçue pour bien pousser même lorsque les agriculteurs appliquent des herbicides particuliers utilisés pour lutter contre les mauvaises herbes résistantes au glyphosate. On parle maintenant d'utiliser cette technique pour manipuler la photosynthèse afin de produire plus de nourriture. Des chercheurs de l'Institut International de Recherche sur le Riz aux Philippines ont modifié des plantes de riz pour extraire l'énergie de la lumière solaire de manière bien plus efficace qu'aujourd'hui.

 

 

Avec les promesses, les risques

 

Les techniques de génie génétique ne sont pas parfaites. Des erreurs génétiques importantes ont été produites dans le passé avec les techniques couramment utilisées d'édition de génomes, y compris les TALEN. Dans les modèles de laboratoire, des événements non ciblés qui produisent des mutations indésirables, parfois fatales, ont été décrits chez des plantes, des poissons et des cellules humaines.

 

Pour le moment, de nombreuses incertitudes demeurent quant à l’impact des organismes aux gènes édités sur l’environnement et la santé. Bien que l'édition de gènes puisse ne pas introduire de matériel génétique étranger, la technologie modifie définitivement la composition du produit à un niveau très fondamental. Des recherches sont en cours pour améliorer ces techniques, réduire la fréquence des mutations indésirables et améliorer la sécurité de l'édition du génome.

 

Alors que les OGM couvrent 170 millions d'hectares dans le monde [ma note : c'est le chiffre de 2012 ; en 2017, les OGM occupaient 189,8 millions d'hectares], soit 11% de toutes les terres arables, ils restent controversés. Le riz doré, par exemple, promet de sauver un million d'enfants par an de la mortalité liée à la déficience en vitamine A. Bien que la société de biotechnologie Syngenta ait accordé la licence permettant de cultiver du riz doré gratuitement à des fins humanitaires, son approbation a été bloquée dans la plupart des contextes.

 

Bien sûr, idéalement, nous ne pourrons pas augmenter l’accès aux aliments sans prendre en compte les risques, mais il n’existe que peu d’options, voire aucune, sans risque à ce niveau d’impact positif potentiel.

 

 

Protections réglementaires

 

Étant donné que les techniques de modification génétique, y compris l’édition du génome, font l’objet d’une surveillance réglementaire stricte, il est concevable que les sociétés de biotechnologie développent des plantes modifiées par édition de gènes expérimentales pour les tester dans les pays en développement où le besoin en nourriture est plus grand que la volonté politique de protéger les masses.

 

L’expérience de l’Inde en matière d'OGM le montre. Le pays a mal réglementé l'adoption du génie génétique. Bien que ce soit un problème ayant des causes multiples, les activistes affirment que le surendettement et les mauvaises récoltes – les deux conséquences inévitables, selon eux, du modèle capitaliste d'agriculture industrielle mis en place en Inde – ont désavantagé encore plus certains agriculteurs indiens.

 

Il est intéressant de noter que le passage à l’édition du génome en tant qu’approche privilégiée du génie génétique peut, du moins en partie, laisser une marge de manœuvre aux sociétés de biotechnologie pour éviter la réglementation. La modification du génome à l'aide de TALEN et de techniques similaires ne relève pas de la compétence du Département de l'Agriculture des États-Unis ou n'a pas été envisagée lors de la création de la réglementation en vigueur.

 

L'USDA s'appuie actuellement sur un cadre réglementaire fondé sur le produit, qui se concentre moins sur la technologie utilisée pour développer la plante, mais davantage sur le risque inhérent au produit final. L'accent est mis sur tout risque potentiel que les nouveaux traits ou attributs introduits dans la plante posent au public ou à l'environnement. Toutefois, compte tenu de la réalité des nouvelles techniques de production alimentaire imprévues et souvent controversées, il serait peut-être plus judicieux que l'USDA utilise des réglementations basées sur les processus, telles que celles appliquées par l'UE, l'Argentine, le Brésil et plusieurs autres pays. Dans ces pays, les régulateurs se concentrent sur la manière dont les cultures vivrières sont développées, et pas seulement sur le résultat final.

 

Le monde a besoin d'une production alimentaire plus riche en nutriments et respectueuse de l'environnement. Un plus grand nombre de modifications génétiques dans les cultures vivrières est logique, mais uniquement avec des mécanismes de réglementation prudents en place pour garantir la sécurité de ces nouvelles approches de mise à disposition des aliments. Nous ne voulons pas voir plus de mal que de bien alors que nous cherchons à résoudre le problème de la sécurité alimentaire mondiale.

 

_____________

 

Utibe Effiong est médecin résident à l'hôpital St. Mary Mercy et chercheur scientifique au laboratoire de recherche sur l'exposition, à l'Université du Michigan. Ramadhani Abdallah Noor, médecin tanzanien et associé de recherche à la Harvard School of Public Health, est New Voices Fellow à l'Aspen Institute.

 

Le Dr Lindiwe Majele Sibanda, du Zimbabwe, PDG du Food Agriculture Natural Resources Policy Analysis Network (réseau d’analyse des politiques en matière de ressources naturelles pour l’agriculture et l'alimentation), est le co-auteur de cet article. Il a paru à l'origine sur The Conversation.

 

Source : https://allianceforscience.cornell.edu/blog/2019/04/can-gene-editing-provide-solution-global-hunger/

 

 

Ma note

 

Cette inculture de l'aversion au risque alimentaire ou environnemental issu d'une modification génétique a quelque chose d'effrayant et de surréaliste. Elle est certes exprimée de manière très mesurées, mais le résultat est là : citer la réglementation européenne, spécifiquement conçue pour faire obstacle aux OGM... pour des gens qui se disent concernés par l'insécurité alimentaire...

 

Cette inculture repose sur l'hypothèse que les gens qui travaillent sur les génomes en laboratoire sont irresponsables et que le processus global d'amélioration des plantes, qui passe nécessairement par des essais au champ et, le cas échéant, des tests de toxicité, n'élimine pas assez sûrement les effets hors-cible ; il faut donc soumettre ces techniques et leurs produits à une réglementation draconienne, mettre une armée de régulateurs derrière chaque chercheur et développeur.

 

Qu'on s'entende bien : il n'est pas question de nier l'intérêt d'une réglementation et d'un contrôle a posteriori, mais de plaider pour une approche raisonnable et pragmatique.

 

Une approche liée au mode d'obtention ne l'est pas.

 

On peut être tenté de dire qu'il faut faire de la vulgarisation sur la nature et l'importance des risques encourus ; faire connaître les bidouillages auxquels les chercheurs de laboratoire et les sélectionneurs de terrain se sont livrés au cours des décennies passées, voire des siècles, pour faire entendre raison. Montrer par exemple les « monstres » qui sont régénérés à partir de cellules soumises à un traitement mutagène. Éliminer les effets hors-cible, on sait faire et les incidents ou accidents – tels que la pomme de terre Lenape – sont rares.

 

Malheureusement, c'est une approche qui peut avoir un effet hors cible : inciter à une réglementation étendue à tous les modes de création variétale. On peut craindre que ce soit la voie qui sera suivie au niveau européen après la malencontreuse décision de la Cour de Justice de l'Union Européenne de juillet 2018.

 

Et, pendant ce temps, les charlatans vendent, sans tests préalables, évaluations ni contrôles des produits miracles pour notre bien-être…

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