Numéro spécial d’Envoyé Spécial consacré au glyphosate : un grand moment de désinformation est annoncé
Les téléspectateurs français peuvent se préparer à un grand moment de désinformation le jeudi 17 janvier 2019, en début de soirée, sur France 2 : « la Spéciale d'Envoyé » – dont on nous dit que c'est un « magazine d'information » – est consacré au glyphosate, autrement dit au Roundup... de Monsanto, maintenant Bayer.
Une séquence sera consacrée à « Monsanto, la fabrique du mensonge ».
Ce qui est présenté sur Le Blog TVNews comme une « enquête » a toutes les chances d'être une resucée des ragots répandus dans l'opinion publique, en particulier par la série des articles sur les « Monsanto Papers » publiée par le Monde. Que nous dit le site précité ?
« Monsanto, la firme américaine qui a inventé et commercialisé le glyphosate est dans le viseur de la justice. Des documents internes et confidentiels, les "Monsanto Papers", révèlent comment le géant industriel a créé le doute, prétendant que le glyphosate n’était pas dangereux et en faisant rédiger en secret par ses propres scientifiques des études soi-disant indépendantes. Des documents accablants qui ont convaincu les juges lors d’un procès retentissant aux Etats-Unis : celui de Dewayne Johnson, jardinier atteint d'un cancer, qui a fait condamner Monsanto à 289 millions de dollars ! Vous entendrez son témoignage en exclusivité. »
Il y a deux aguiches sur le site de FranceTVInfo, « VIDEO. Glyphosate : le jardinier qui a fait plier Monsanto se confie en exclusivité à "Envoyé spécial" » et « VIDEO. Glyphosate : quand un scientifique signe un article écrit à 85% par Monsanto ».
Nous sommes donc prévenus...
La première séquence doit nous prendre par l'émotion. Tous les ingrédients pour faire pleurer y sont.
Ainsi – et nous nous limiterons à deux éléments – M. Dewayne « Lee » Johnson « pouvait asperger plus de 500 litres de glyphosate par jour » en haute saison. Comme l'a relevé un commentateur sur le site de FranceTVInfo, « ça représente environ 500 hectares si l'on prend la dose usuelle d'un agri français »... avec un pulvérisateur portatif...
Et « la motivation de l'ancien jardinier est "tout sauf l'argent. Mon but, c'est d'établir les faits ». Le téléspectateur français n'apprendra probablement pas que M. Dewayne « Lee » Johnson a été « recruté » par un cabinet d'avocats prédateurs qui entend faire les poches – à son profit – à Monsanto.
La deuxième séquence nous offre une démonstration éclatante de la malhonnêteté qui préside à cette série d'émissions et – la preuve nous en est rapportée – à ce numéro « spécial ». Selon la transcription sur FranceTVInfo, il y a :
« Au club des honorables scientifiques ayant "prêté leur nom" à Monsanto, le professeur Henry Miller, un célèbre biologiste américain, chercheur à Stanford. »
Mais écoutez bien le début de la séquence : ce n'est pas « prêté », mais « vendu ». La nuance est de taille !
Verba volent, scripta manent... On prend des précautions dans l'écrit, mais on s'est lâché dans l'oral...
Et, bien sûr, les journalistes n'ont pas la moindre preuve que M. Henry Miller ait « vendu son nom » (voir ci-dessous, la tentative de lui faire dire combien il avait touché).
Du reste, s'il avait été question de services rémunérés, les « Monsanto Papers » en aurait certainement conservé une trace. On est donc là dans le registre de la diffamation et du mensonge.
Voici, en outre, le chapô de l'article de FranceTVInfo :
« Des scientifiques auraient œuvré en coulisse pour défendre l'innocuité du Roundup, un herbicide qui contient du glyphosate commercialisé par la multinationale Monsanto. La firme américaine aurait convaincu des chercheurs de signer des études qu'elle aurait elle-même en grande partie rédigées. Extrait de "La Spéciale d'Envoyé" consacrée au glyphosate. »
Trois conditionnels ! C'est ce qu'on appelle un « magazine d'information »...
Mais surtout, on essaie de faire accroire au public que des « études » auraient – nous remettons le conditionnel quoiqu'il échappera à de nombreux lecteurs de FranceTVInfo – été rédigées par Monsanto et signées par des scientifiques qui ont « prêté leur nom » (selon le texte) ou « vendu leur nom » (selon la vidéo).
La réalité : la séquence a trait à un article d'opinion publié dans Forbes.
La séquence nous livre aussi un nouvel exemple de l'extraordinaire goujaterie qui est la marque de fabrique des émissions de Mme Élise Lucet : courir après une voiture... ne pas se présenter... poser des questions indiscrètes pour lesquelles on sait déjà qu'il n'y aura pas de réponse compte tenu de la muflerie... et conclure, satisfait :
« Combien le biologiste a-t-il gagné pour cet article "ghostwrité" ? Tristan Waleckx a fait le voyage jusqu'à sa banlieue chic de San Francisco... mais le professeur à la plume magique n'a "rien à dire". Comme Henry Miller, une dizaine de scientifiques suspectés de "ghostwriting" ont refusé de le rencontrer. »
Avec, bien sûr, les petites piques qui feront les délices des téléspectateurs qui s'arrêteront au premier degré : la banlieue est « chic », la plume est « magique »... Le tout témoigne d'un profond mépris pour la déontologie journalistique, pour le service public (mais que font la direction de France 2 et le CSA?) et les téléspectateurs.
« ...le professeur à la plume magique n'a "rien à dire" » ? Cela sonne comme si, pour les « journalistes », M. Henry Miller avait une obligation de répondre. Et de répondre à une question qui relève autant de la provocation que de l'inquisition.
On en est presque à : « Accusé, faites la preuve de votre culpabilité. » Ami lecteur, vous avez le choix des références historiques...
Et, bien sûr, « Comme Henry Miller, une dizaine de scientifiques suspectés de "ghostwriting" ont refusé de le rencontrer »... Comme si les scientifiques « suspectés » allaient accueillir nos Pieds Nickelés bras ouverts...
Mais l'essentiel n'est-il pas de duper le téléspectateur ? Ils ont refusé... donc ils ont quelque chose à cacher... donc nous avons raison de les mettre en cause... donc nous avons prouvé...
La séquence s'intitule « Monsanto, la fabrique du mensonge ». Nous verrons si ces gens feront la démonstration du mensonge – à l'indicatif et pas au conditionnel.
Nous sommes à peu près certains que pas un mot ne sera dit sur le volet des « Monsanto Papers » que d'aucuns appellent le « CIRC-gate » et les « Portier Papers ».
Pour le moment, au vu des deux séquences diffusées, on en est au moins à « Envoyé Spécial, la fabrique du doute ».
Quoique... entre le doute suscité et le mensonge proféré, la limite est floue.