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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Biotechnologie de précision : il est urgent de palabrer selon les conseillers scientifiques de l'Union Européenne

25 Novembre 2018 , Rédigé par Seppi Publié dans #CRISPR, #Politique, #Union européenne

Biotechnologie de précision : il est urgent de palabrer selon les conseillers scientifiques de l'Union Européenne

 

 

 

Le groupe consultatif de conseillers scientifiques de la Commission Européenne a réagi à l'arrêt de la Cour de Justice de l'Union Européenne qui range l'édition du génome par mutations dirigées dans la catégorie des techniques ostracisées. Son analyse du fiasco est pertinente, mais sa proposition finale – un appel à un dialogue élargi – engagerait l'Europe dans de nouvelles tergiversations, alors qu'il y a urgence.

 

 

Le 25 juillet 2018, la Cour de Justice de l'Union Européenne a rendu un arrêt qui aurait, en l'état, des conséquences dévastatrices sur l'économie et la société européennes (communiqué de presse ici). En bref, la mutagenèse produit des OGM ; les résultats des techniques « établies » de mutagenèse, aléatoires et quasiment incontrôlées (avant tri et sélection des choses éventuellement intéressantes), échappent à la réglementation draconienne sur les évaluations, les autorisations et le suivi (et dans certains pays à l'interdiction pure et simple de cultiver des OGM) ; les résultats des techniques récentes de mutagenèse dirigée, d'une grande précision (quoique non absolue), y sont soumis (et, de facto, interdits de création et de culture en Europe).

 

On se souviendra que le président Manuel Barroso avait à ses côtés une conseillère scientifique principale en la personne d'Ann Glover. À son arrivée à la présidence, M. Jean-Claude Juncker s'est empressé de céder aux « ONG » à qui elle déplaisait souverainement et, après bien des tergiversations, il a mis en place un Scientific Advice Mechanism (SAM) avec un groupe de sept conseillers scientifiques principaux (M. Cédric Villani en était membre avant de devenir député). Mme Glover livrait des avis tranchés, carrés (d'accord, à une Commission bien percluse) d'où son limogeage... Sur les biotechnologies de précision, le groupe de sept conseillers a fait honneur à l'adage : « un chameau est un cheval dessiné par une commission ». Ne comprend-il pas, étonnamment, une sociologue et une professeure de sciences politiques ?

 

 

Une analyse pertinente, mais noyée dans le verbiage

 

Sa déclaration fait certes une analyse pertinente de la situation. Mais c'est noyé dans le verbiage :

 

« ...compte tenu de la décision de la Cour, il apparaît clairement que les nouvelles connaissances scientifiques et les récents progrès techniques ont fait que la directive OGM ne répond plus à son objectif. En outre, la directive OGM soulève des problèmes plus généraux, notamment en ce qui concerne la définition des OGM dans le contexte des mutations naturelles, des considérations de sécurité, ainsi que de la détection et de l'identification.

 

Dans un article précédent, nous avons décrit l'incroyable gloubiboulga de la définition des OGM et du champ d'application de la directive. Les auteurs écrivent poliment :

 

« À la lumière des connaissances scientifiques actuelles, il convient de se demander si le concept de "naturalité" est utile lorsqu’il s’agit de déterminer les exigences réglementaires applicables aux organismes dotés d’un génome modifié. »

 

Ils expliquent, une fois de plus, que la question de la sécurité ne doit pas s'apprécier en fonction du mode d'obtention, mais du produit obtenu... ce qui devrait condamner la directive actuelle au rebut dans un monde rationnel.

 

 

Un regard critique sur l'arrêt de la Cour

 

L'arrêt de la Cour est diplomatiquement éreinté :

 

« Comme les effets non intentionnels se produiront moins fréquemment dans les produits ayant fait l'objet d'une édition de gène, ces produits sont potentiellement plus sûrs que les produits de mutagenèse aléatoire. […]

 

La Cour a fait valoir que les techniques de mutagenèse dirigée permettaient de produire de nouvelles variétés à une vitesse beaucoup plus élevée et en plus grandes quantités que les méthodes classiques de mutagenèse aléatoire. La mutagenèse ciblée est plus efficace que la mutagenèse aléatoire ou d'autres techniques de sélection conventionnelles et peut accélérer le processus de génération des variétés souhaitées. Cependant, la plus grande précision des techniques de mutagenèse dirigée, qui permettent un meilleur contrôle des caractéristiques du produit, est un facteur beaucoup plus important à prendre en compte dans les délibérations sur la sécurité que la vitesse à laquelle les produits sont générés.

 

[…]

 

En termes scientifiques, ce qui est plus pertinent est de savoir si les produits ont un long historique de sécurité, plutôt que les techniques utilisées pour les générer. »

 

Également noyé dans le texte, un constat important :

 

« En outre, nous concluons à la nécessité de fournir à la Cour des preuves solides et indépendantes de manière systématique et transparente lorsqu’il s’agit de questions scientifiques complexes. »

 

 

La critique des arguments de la Confédération Paysanne s'adresse aussi à notre Conseil d'État

 

Les sept conseillers font aussi un aparté sur les arguments de la Confédération Paysanne (ce sont eux qui graissent) :

 

« Pour répondre à la question de savoir si les variétés de semences résistantes à des herbicides constituent un risque pour la santé et l’environnement, les caractéristiques du produit final lui-même doivent être examinées quelle que soit la technique sous-jacente utilisée pour générer ce produit. »

 

Avis au Conseil d'État...

 

 

Une réglementation ubuesque, inapplicable et dommageable

 

Cette partie de la déclaration insiste encore sur les incohérences de la législation et conclut que deux produits identiques peuvent être assujettis à des exigences réglementaires complètement différentes du simple fait qu'ils ont été obtenus par des méthodes différentes.

 

Enfin les conseillers mettent le doigt sur les problèmes insolubles qui se posent en matière de détection et d'identification (ce sont eux qui graissent) :

 

« Par conséquent, l'impossibilité de distinguer les mutations spontanées des différents types d'interventions humaines est un problème majeur du point de vue de la réglementation. »

 

Ils n'oublient pas d'évoquer les conséquences pour les citoyens européens – tant les consommateurs que les agriculteurs –, le commerce international, la coopération avec les pays en développement, la recherche et l'innovation, les PME, les progrès dans la protection de l'environnement et de la biodiversité ainsi que de la production alimentaire durable.

 

En résumé, donc,

 

« Si l'UE n'améliore pas l'environnement réglementaire des produits de l'édition de gènes, elle risque d'être laissée pour compte dans ce domaine, ce qui pourrait également réduire l'influence de l'UE sur les débats en cours au niveau international concernant des applications et des processus réglementaires spécifiques. La poursuite des recherches et des innovations dans ce domaine aidera à mieux comprendre les risques et les avantages potentiels pour la société, l'environnement, l'agriculture et l'économie. Il est nécessaire d'améliorer la législation de l'UE sur les OGM pour qu'elle soit suffisamment claire, fondée sur des preuves, qu'elle puisse être mise en œuvre, qu'elle soit proportionnée et suffisamment souple pour faire face aux futurs progrès scientifiques et technologiques dans ce domaine. [...] »

 

 

À constat accablant, recommandation modeste...

 

Voilà qui est bel et bon. Après un tel constat – connu et dénoncé depuis longtemps – on s'attendrait à un appel pressant à la Commission (et aux autres décideurs européens) pour qu'ils redressent la situation. Mais non ! Que proposent-ils en pratique ?

 

« Pour y parvenir, nous recommandons de réviser la directive existante sur les OGM afin de refléter les connaissances actuelles et les preuves scientifiques, en particulier sur l'édition de gènes et les techniques établies de modification génétique. Cela devrait être fait en référence à d'autres législations relatives à la sécurité alimentaire et à la protection de l'environnement. »

 

Joli blabla ! Ils auraient pu énoncer les grands axes d'un système cohérent – fondé sur les caractéristiques du produit quel que soit son mode d'obtention, comme au Canada – plutôt que d'en laisser le soin à des décideurs politiques dont nous savons tous que l'esprit de décision est anémique et souvent gouverné par de petits calculs politiciens.

 

 

Dialoguons !

 

Mais il y a une autre proposition... et c'est là que l'on voit poindre la sociologie et les « sciences » politiques représentées dans le groupe de conseilles scientifiques :

 

« De plus, il est essentiel de promouvoir un large dialogue avec les parties prenantes concernées et le grand public. En effet, nous avons déjà demandé instamment qu'une discussion plus générale et plus inclusive soit engagée sur la manière dont nous souhaitons que nos aliments soient produits en Europe ([références]). Toute modification de la législation existante sur les OGM devrait utiliser les nouvelles formes de dialogue social participatives (Bioökonomierat, 2018). [...] »

 

Il serait malséant de contester ce dernier point dans le climat actuel de bien-pensance. Mais un système de réglementation – essentiellement technique – devrait-il vraiment être soumis à une sorte d'alterpolitique, à un mode Facebook de gestion des affaires de l'Europe qui fait la part belle aux plus bruyants, aux plus cyniques et aux plus malhonnêtes ?

 

Nos conseillers succombent ici à un singulier aveuglement : la directive actuelle est le fruit de la volonté d'un segment du monde politique européen d'imposer une manière dont doivent – ou plutôt ne doivent pas – être produits nos aliments sur le sol européen (pour les importations, c'est une autre histoire...nécessité et OMC font loi) par le biais d'une réglementation technique étouffante plutôt que par une décision politique assumée.

 

Cette proposition a beau mentionner le grand public, et le rapport du Bioökonomierat, un dialogue qui ne soit pas restreint à des « échanges entre groupes d'intérêts organisés » : elle met l'avenir de l'Europe entre les mains des « ONG » dont la priorité numéro un est d'assurer leur survie et leur bien-être et prospérité dans l'écosystème politique bruxellois et la priorité un bis, pour bon nombre d'entre elles, de porter en tant que mercenaires les intérêts de leurs généreux financeurs.

 

Dialoguons... Prenons notre temps... Le Commissaire Vytenis Andriukaitis, chargé de la Santé et de la Sécurité Alimentaire, « encourage une vaste réflexion et une discussion sur la manière dont notre société souhaite aller de l’avant avec des questions telles que l’édition de gènes »... C'est : « Courage ! Fuyons ! »

 

Outre-Atlantique les choses sont réglées ou en voie de l'être. Les hacendados argentins, les fazendeiros brésiliens, les farmers canadiens et états-uniens se frottent les mains…

 

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