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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Une étude de l'INSERM coupe les cheveux en trois pour rechercher des « pesticides »

15 Octobre 2018 , Rédigé par Seppi Publié dans #Article scientifique, #Pesticides

Une étude de l'INSERM coupe les cheveux en trois pour rechercher des « pesticides »

 

 

 

 

Un compte rendu de colloque nous met sur la piste...

 

C'est un étrange document du site Techniques de l'Ingénieur, « Des dizaines de pesticides contaminent les femmes enceintes » qui nous a mis sur la piste. Voilà un titre qui ne dépareillerait pas sur des sites militants comme... Stop ! Pas de pub !

 

En chapô :

 

« Dans le cadre de l'étude longitudinale ELFE menée sur plus de 18.000 enfants nés en 2011 et leur cadre de vie, une équipe de chercheurs de l'INSERM a quantifié la présence de résidus de produits phytosanitaires dans les cheveux de femmes enceintes. L'objectif est de mettre en évidence la forte exposition des enfants avant même leur naissance à des substances potentiellement néfastes pour la santé. »

 

Vous aurez peut-être déjà compris pourquoi ce document est étrange : l'objectif de cette exploitation de la cohorte ELFE – Étude Longitudinale Française depuis l'Enfance – est de démontrer une conclusion préétablie... Superbe démarche alterscientifique...

 

L'auteure de la page ne l'a sans nul doute pas inventé, mais a résumé ce qu'elle a entendu à la Journée scientifique de la cohorte Elfe – 2018 tenue le 11 septembre 2018. Le programme comportait une intervention de Mme Cécile Chevrier, INSERM, Rennes, sur le thème : « Exposition aux pesticides pendant la grossesse et issues de grossesse ».

 

Qu'a-t-elle retenu d'autre ? Notamment :

 

« L’objectif de cette étude était d’établir le nombre de molécules phytosanitaires auxquelles les femmes sont exposées durant leur grossesse. Pour y parvenir, des analyses de trois à neuf centimètres de mèches de cheveux de plusieurs dizaines de femmes enceintes vivant en zone périurbaine en France ont été soumises à examen dans le but de détecter jusqu’à 140 molécules définies. En partant du principe qu’un centimètre de cheveux pousse en un mois, les mèches étudiées permettent d’analyser entre un trimestre et une grossesse entière d’exposition aux pesticides. Parmi ces molécules se retrouve notamment la perméthrine, un "foudroyant insecticide interdit dans les usages agricoles" atteste l’épidémiologiste de l’Inserm. Elle révèle également que cette substance est également un acaricide, qui se retrouve dans des insecticides domestiques.

 

Les résultats de l’étude sont édifiants : aucune femme enceinte n’a les cheveux parfaitement sains. Pour la moitié de celles dont les cheveux ont été analysés, 43 molécules ont été détectées. Et sur les 140 molécules recherchées, 122 ont été retrouvées. Bien qu’elle n’ait pas souhaité apporter des précisions sur ce point, Cécile Chevrier a expliqué que ce type de recherche était essentiel pour, à terme, mettre en évidence l’impact probable de l’exposition aux pesticides sur les problèmes neurologiques et de poids des nourrissons à la naissance. La chercheuse a en effet rapidement évoqué l’éventualité que l’exposition aux pesticides des femmes enceintes durant la grossesse pourrait potentiellement favoriser le risque de développement de l’hypospadias, une maladie génitale du petit garçon. »

 

Cette étude a le format des « rapports » sobrement intitulés « EXPPERT » de Générations Futures, mais taille XXL.

 

On cherche des molécules et chaque fois qu'on en trouve une, le compteur fait « clic » et le chercheur dit « chic »... « Les résultats de l’étude sont édifiants » ? Une phrase standard de l'activisme de...

 

 

...d'un article scientifique

 

Mais voyons l'étude. Il a fallu chercher un peu.

 

C'est « Multiple pesticide analysis in hair samples of pregnant French women: Results from the ELFE national birth cohort » (analyse multiple de pesticides dans des échantillons de cheveux de femmes enceintes françaises : résultats de la cohorte de naissances nationale ELFE) de Rémi Béranger, Emilie M. Hardy, Célia Dexet, Laurence Guldner, Cécile Zaros, Alexandre Nougadère, Marie-Astrid Metten, Cécile Chevrier, Brice M.R. Appenzeller. Ce sera publié dans Environment International de novembre, mais une version électronique est déjà disponible derrière un péage.

 

En voici le résumé :

 

« CONTEXTE :

 

De plus en plus de preuves suggèrent que l'exposition prénatale aux pesticides pourrait nuire au développement du fœtus. Néanmoins, les connaissances sur l'exposition des femmes enceintes aux pesticides, en particulier en Europe, sont largement limitées à un nombre restreint de molécules.

 

OBJECTIF :

 

Caractériser la concentration de 140 pesticides et métabolites dans les mèches de cheveux de femmes de la cohorte de naissances nationale française ELFE.

 

MÉTHODES :

 

Parmi les membres de la cohorte ayant accouché dans le nord-est et le sud-ouest de la France en 2011, nous avons sélectionné celles dont la masse de cheveux était suffisante (n = 311). Des mèches de cheveux de 9 cm de long ont été recueillies à l'accouchement. Nous avons examiné 111 pesticides et 29 métabolites, dont 112 sélectionnés a priori en fonction de leur utilisation ou de leur détection déclarées dans l'environnement français. Les mèches de cheveux de 47 femmes ont été divisées en trois segments pour explorer la variabilité intra-individuelle de l'exposition [ma note : l'exposition aux différentes étapes de la grossesse]. Des coefficients de corrélation intraclasse (ICC) ont été calculés pour les substances chimiques avec une fréquence de détection > 70%.

 

RÉSULTATS :

 

Nous avons détecté une médiane de 43 substances chimiques par femme (IQR [écart interquartile] 38-47). Au total, 122 substances chimiques (> 20 familles) ont été détectées au moins une fois, dont 28 détectées dans 70 à 100 % des échantillons de cheveux. Les concentrations médianes les plus élevées ont été observées pour la perméthrine (médiane : 37,9 pg/mg de cheveux), le p-nitrophénol (13,2 pg/mg) et le pentachlorophénol (10,0 pg/mg). Les ICC pour les 28 substances chimiques étudiées allaient de 0,59 à 0,94.

 

CONCLUSION :

 

Les femmes enceintes sont exposées simultanément à plusieurs pesticides appartenant à différentes familles chimiques, notamment des substances chimiques suspectées d'être toxiques pour la reproduction ou de perturber le système endocrinien. Les ICC suggèrent que la variabilité intra-individuelle des concentrations de pesticides dans les cheveux est inférieure à sa variabilité inter-individuelle. »

 

 

Recherche sous le lampadaire...

 

Vous connaissez sans doute cette anecdote de l'homme qui cherche ses clés de voiture sous un lampadaire, à qui on demande s'il les a perdues là et qui répond : « Non, mais ici, c'est éclairé. »

 

Pourquoi chercher des pesticides (et seulement des pesticides) ? Parce que c'est sous les feux de l'actualité ; cela permet de se positionner dans la médiasphère et dans l'opinion (dite) publique.

 

Ce choix du champ d'étude témoigne d'une dérive alterscientifique de l'épidémiologie : on cherche à établir des associations ou, si possible, des liens de cause à effet entre affections et coupables présélectionnés, à l'exclusion de tous autres. Le problème se situe-t-il dans les opinions et orientations personnelles des chercheurs, ou dans les biais du système de financement qui dédaigne les recherches non « vendeuses » ?

 

Nous n'avons pas la solution, mais c'est sans conteste un problème. Pourquoi ne pas avoir analysé aussi d'autres molécules présentes dans l'environnement des femmes enceintes – les polluants extérieurs, domestiques ou corporels comme les substances chimiques des colorants capillaires ?

 

On peut aussi se dire fatigué par les phrases creuses qui servent de slogans publicitaires et d'attrape-nigauds des médias. Visez la première phrase :

 

« De plus en plus de preuves suggèrent que l'exposition prénatale aux pesticides pourrait nuire au développement du fœtus. »

 

Une « preuve » prouve et ne « suggère » pas. Elle prouve un fait, pas une supposition.

 

Tout aussi détestable est la conclusion avec son « substances chimiques suspectées d'être toxiques pour la reproduction ou de perturber le système endocrinien ».

 

...mais des résultats sans grand intérêt...

 

Trouver un résidu de pesticide dans les cheveux ne dit encore rien sur l'exposition prénatale du fœtus à ce pesticide. En admettant qu'un pesticide traverse la barrière placentaire, la dose trouvée dans les cheveux ne dit rien non plus sur la dose à laquelle le fœtus aurait été exposé.

 

Trouvera-t-on un jour une corrélation statistiquement significative entre des ongles incarnés ou des troubles autistiques (les épidémiologistes sont friands d'études sur les troubles neurologiques) et une substance particulière trouvée dans les mèches de cheveux ? On ne pourra guère aller plus loin sur la base de la cohorte ELFE et de cette étude.

 

On peut donc se poser des questions sur l'intérêt de cette recherche, et penser que l'argent aurait été mieux dépensé sur des analyses plus pertinentes, par exemple sur le cordon ombilical.

 

 

...mais pas inintéressants

 

Trouver au moins une fois – voire de nombreuses fois à très faible dose – 122 substances sur les 140 analysées (et choisies parce qu'elles avaient de fortes chances d'être détectées) n'est pas surprenant.

 

La plupart des mesures ont été faites avec une limite de quantification de l'ordre du dixième de picogramme par milligramme de cheveux... du gramme dans 10.000 tonnes de cheveux (du morceau de sucre dans 20 à 24 piscines olympiques, ou encore 0,1 millimètre du trajet Paris-Tokyo).

 

On peut, certes, agiter l'épouvantail des perturbateurs endocriniens censés agir à doses infinitésimales, ou encore celui des effets cocktail.

 

 

Extrait du tableau présentant les résultats principaux

 

 

En fait, l'intérêt de cette étude réside dans la liste des substances les plus fréquemment trouvées (sur plus de 90 % des échantillons) :

 

  • quatre organochlorés qui ne sont plus utilisés ;

     

  • cinq métabolites d'organophosphorés, dont un n'est plus utilisé et les quatre autres le sont sur le plan agricole et domestique ;

     

  • trois pyréthrinoïdes, dont un à usage domestique et deux à usage mixte ;

     

  • trois herbicides acides, dont le 2,4-D, qui auront peut-être leur cure de jouvence économique après l'interdiction du glyphosate et qui sont tous en usage mixte, agricole et jardins d'amateurs ;

     

  • un métabolite de phénylpyrazole (du fipronil utilisé comme anti-puces et anti-tiques sur les animaux domestiques) ;

     

  • un pesticide ou métabolite de chacun des groupes suivants : carbamate (plus en usage), dinitroaniline (plus en usage), thiocarbamate (à usage agricole), azole (à usage agricole, mais les trois suivants de la liste des azoles trouvées sont à usage mixte).

 

Et le fameux glyphosate ? On ne l'a apparemment pas cherché. Il est vrai qu'il faut pour cela un protocole spécial.

 

Il convient aussi de s'intéresser aux doses – bien que, comme noté ci-dessus, les valeurs sont difficilement interprétables. Dans l'ordre décroissant (la médiane est la valeur qui sépare la population en deux parties égales quand on en classe les membres par ordre croissant de présence de résidus ; ici, c'est la valeur trouvée sur le 156e échantillon) :

 

  • perméthrine (médiane : 37,9 pg/mg), un insecticide à usage domestique, d'emploi courant et de grande importance pour la lutte antivectorielle, par exemple pour la protection des populations contre la dengue, le chikungunya et autre zika ;

     

  • p-nitrophénol (13,2 pg/mg), plus en usage ;

     

  • pentachlorophénol (10,0 pg/mg), un métabolite de pesticide plus en usage ;

     

  • DEP (7,46 pg/mg), un métabolite de pesticide à usage mixte ;

     

  • Cl2CA (3,5 pg/mg), un métabolite de pesticide à usage mixte ;

     

  • TCPy (2,7 pg/mg), un métabolite de pesticide à usage mixte ;

     

  • fipronil sulfone (2,3 pg/mg), un métabolite d'anti-puces et anti-poux ;

     

  • 3-PBA (1,7 pg/mg), un métabolite de pyréthrinoïdes à usage mixte ;

     

  • lindane (1,6 pg/mg), un polluant persistant qui n'est plus utilisé en agriculture mais l'est encore comme anti-poux (de tête et de corps) et anti-gale ;

     

  • cyperméthrine (1,1 pg/mg), à usage mixte.

 

 

Alors, « Des dizaines de pesticides contaminent les femmes enceintes » ?

 

Pour rappel, la phrase citée ci-dessus est du site Techniques de l'Ingénieur. Mais on peut aussi poser la question sur la base de la conclusion de Béranger et al. 

 

Sur l'ensemble des échantillons, le nombre de substances trouvées se situait entre 25 et 65 par femme, avec une médiane de 43 et un écart interquartile de 38-47.

 

L'affirmation précitée est donc juste sur le plan statistique. Mais faut-il s'en inquiéter et, surtout, faire de la gesticulation scientifique et médiatique ?

 

L'examen du tableau synthétique des auteurs montre que dans la grande majorité des cas (si nous avons bien compté, 86 sur 140), le 75e percentile – la dose qui sépare les trois-quarts les moins « contaminés » du quart le plus « contaminé » est en-dessous de la limite de quantification (nous noterons que pour le métabolite 4F3PBA, par exemple, on annonce une LOQ de 0,1 pg/mg et un 75e percentile à 0,03 pg/mg, ce qui est curieux ; il y a d'autres cas de ce genre).

 

Ce tableau synthétique plaide pour une autre description de la situation : il y a des « pesticides » ubiquitaires ou quasi ubiquitaires qui forment l'ossature de ces quelques 43 trouvés en médiane, avec des doses qui tombent à 1,1 pg/mg dès la 10e substance présente en plus grande quantité.

 

Les auteurs ont du reste relevé que le taux de détection était supérieur ou égal à 90 % pour 20 substances ; entre 70 et 90 % pour 8 ; entre 30 et 70 % pour 23 ; inférieur à 30 % pour 71 ; et égal à 0 pour 18 substances.

 

Et cette ossature de « pesticides » ubiquitaires se compose majoritairement de substances qui ne sont plus en usage (dont des polluants organiques persistants), de substances à double fin – agricole et domestique –, et de substances à usage seulement domestique.

 

 

Des chiffres plutôt rassurants – du mésusage du mot « pesticides »

 

En d'autres termes, c'est la description d'une situation plutôt rassurante, sachant notamment l'extraordinaire finesse des détections et quantifications.

 

Qu'un « pesticide » soit à double fin ne nous renseigne pas sur l'origine des résidus, qui peut être majoritairement agricole. Un tel « pesticide » peut être autorisé pour des usages domestiques, sans être utilisés en pratique. Mais l'autorisation implique que les autorités d'évaluation et de décision ont conclu que la substance en cause ne pose pas de problème en usage domestique (conformément aux préconisations).

 

Au final, il convient de s'interroger sur l'emploi du mot « pesticides », particulièrement dans le contexte de l'hystérie politique, médiatique et sociétale. Le « pesticide » en utilisation domestique, voire corporelle comme le lindane anti-poux à usage humain ou le fipronil anti-poux et anti-tiques à usage animal, sont des « biocides ». Et les substances qui ne sont plus utilisées comme pesticides mais subsistent dans l'environnement sont des polluants.

 

On peut faire observer avec cynisme qu'il n'est pas judicieux pour les perspectives de financement des chercheurs, ainsi que pour leur couverture médiatique et leur notoriété, d'employer les mots justes à la place de ceux qui font le buzz. Cette démarche – en partie volontaire et en partie imposée par la malfonctionnement du financement de la recherche – est incompatible avec le civisme. Il appartient aux institutions d'y mettre un terme.

 

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