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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Bières et glyphosate : l'indigence déontologique et journalistique de 60 Millions et Cie

1 Juillet 2018 , Rédigé par Seppi Publié dans #critique de l'information, #Glyphosate (Roundup), #Activisme

Bières et glyphosate : l'indigence déontologique et journalistique de 60 Millions et Cie

 

 

 

Comment remplir sa revue – en principe de défense des consommateurs – et la vendre ? Les ingrédients d'une bonne recette sont les pesticides – le glyphosate a la cote en ce moment – et, ad libitum, un produit décliné en plusieurs marques, donc susceptible de faire l'objet d'un comparatif. Pour ces temps de chaleur, voire de canicule, 60 Millions de Consommateurs nous abreuve dans son numéro de juillet-août 2018 de bières.

 

Sur la couverture, raisonnable, c'est : « Les bières sans glyphosate ». En pages intérieures : « Une bière... et un soupçon de pesticides ». Sur Internet, on s'est permis un putassier « Une bière sans pesticides, s’il vous plaît ! » et on a repris le gros titre de la couverture de la revue papier pour introduire l »article suivant.

 

 

On a trouvé « quelques traces... »

 

Le résultat est connu d'avance : avec les moyens d'analyse modernes on trouvera des traces ici ou là, de quoi alarmer les hypocondriaques sévèrement atteints et, surtout, alimenter la psychose et la gesticulation anti-pesticides. La revue 60 Millions pose donc en chapô une question accrocheuse dont elle connaissait déjà la réponse avant d'acheter les bières :

 

« Avec les températures estivales – et le Mondial de football ! –, rien de tel que de boire une bière fraîche. Mais peut-on l’apprécier les yeux fermés ? Nous avons recherché des résidus de pesticides dans 45 références. Et trouvé quelques traces, notamment du fameux glyphosate.

 

Pour faire sérieux, les tests ont porté sur « [p]rès de 250 molécules de pesticides », alors que l'on sait pertinemment que la plupart ne sont pas autorisées sur les ingrédients végétaux de la bière, essentiellement orge et houblon. Mais cela fait sérieux... Notons tout de même que l'appareillage permet de détecter beaucoup de substances en un seul passage.

 

Résultat selon le texte :

 

« Trois quarts des bières testées (34 sur 45) présentent des résidus de pesticides. »

 

C'est grave ! En fait, non :

 

« Toutefois, seules quatre molécules ont été détectées ou quantifiées parmi le large spectre recherché. Trois d'entre elles sont des fongicides (boscalide, phtalimide et folpet ou folpel), à l'état de traces. »

 

Ces deux phrases artistiquement rédigées signifient que les fongicides (ces substances qui nous protègent in fine de dangereuses mycotoxines) n'ont pas pu être quantifiées. Ce sont donc vraiment des traces. Mais c'est suffisant pour bâtir un discours qui se prétend consumériste.

 

 

« ...notamment du fameux glyphosate »

 

C'est également grave... pour la revue qui se voit privée de matière pour le remplissage de ses colonnes et l'incitation à débourser 4,60 €. Heureusement :

 

« Mais la mauvaise surprise a été de retrouver du glyphosate dans 25 références. »

 

Cela permet donc de broder. Le CIRC qui l'a classé « cancérogène probable », toutefois contrebalancé par l'EFSA (mais seule l'EFSA est citée dans la revue papier) qui a « estimé peu probable que le glyphosate représente un risque cancérogène pour l'homme, ou qu'il soit un perturbateur endocrinien ».

 

Sur Internet, le classement du CIRC est évoqué, suivi de :

 

« Mais cette classification ne fait pas l’unanimité parmi les experts. Il en va de même pour sa nature de perturbateur endocrinien, au centre d’un vaste débat scientifique. »

 

La première phrase est au mieux trompeuse en suggérant que la classification du CIRC constitue la position dominante, contestée par quelques experts qui rompent ainsi « l'unanimité ». La deuxième est carrément fausse.

 

 

Des chiffres

 

Le lecteur se voit asséner quelques chiffres. En bref, de 0,41 microgramme/litre à 9,23 µg/L, avec une moyenne à 1,93 µg/L pour les blondes et 1,33 µg/L pour les blanches.

 

Il y a aussi l'inévitable et absurde comparaison avec la norme de qualité – qui n'est pas une norme de potabilité – de 0,1 µg/L de l'eau des adductions. Faisons en une autre : la teneur moyenne correspond à un morceau de sucre dans une piscine olympique de 3.000 mètres cubes.

 

Mais l'effort est fait de signaler que, pour atteindre la dose journalière admissible (0,5 mg/kg de poids corporel), un adulte de 60 kg devrait ingérer quotidiennement près de 2.000 litres de la bière la plus « chargée ».

 

Titulaire du Certificat d'Études Primaires (tout le monde ne peut pas s'en vanter...), nous oserons affirmer que c'est faux, et que c'est 3.250 litres... le tableur a confirmé...

 

 

Le feu d'artifice final

 

Voilà qui est rassurant... mais mauvais pour la ligne éditoriale.

 

Dans le jeu du good cop, bad cop, du gentil et du méchant, c'est au tour de celui-ci pour la conclusion. Un feu d'artifice.

 

Voici donc les « expositions multiples ». Mais il y a une formule souvent applicable : quasiment rien (ici 1/3.200e de la DJA) + quasiment rien = quasiment rien.

 

Il y a aussi les « potentiels effets de perturbateur endocrinien [qui] peuvent s'observer à de très faibles concentrations ». Mais personne n'a évoqué de tels effets – de surcroît potentiels pour 60 Millions dans la revue papier (voir ci-dessus pour la déclaration grossièrement fausse sur Internet) – en dehors des activistes, du ministre anciennement et toujours activiste Nicolas Hulot et, en des temps plus anciens, Mme Marisol Touraine dans un pathétique mensonge d'État.

 

L'« usage éventuel » du glyphosate pour la dessication des récoltes est également au rendez-vous, « malgré la recommandation de la filière de ne pas en utiliser ». En fait, un tel usage n'est pas nécessaire en France et, de surcroît, pas autorisé. 60 Millions l'évoque tout de même en ajoutant qu'« l peut s'agir de contaminations accidentelles. »

 

 

Outre l'objectif putafric, un objectif politique ?

 

Bref, le glyphosate est omniprésent dans l'environnement...

 

C'est ce qu'on appelle un non sequitur : au mieux, 60 Millions aura montré qu'il y a des traces de glyphosate dans de nombreuses bières. D'autres l'on fait avant eux, notamment en Allemagne, ce qui avait donné lieu à une réponse assaisonnée de M. Roland Solecki, du BfR, l'équivalent de notre ANSES nationale. Ou en France, pour d'autres produits... les inénarrables « rapports » de Générations Futures.

 

Mais il fallait bien une petite introduction à la conclusion qui justifie les quatre pages (dont une couverte par une photo) :

 

« La question de son interdiction reste plus que jamais d'actualité. »

 

Cela pose toutefois une question : il y a certes la chaleur estivale et la Coupe du Monde de Football, occasions de parler de bière. Mais est-ce bien tout ? 60 Millions n'a-t-il pas voulu peser aussi sur les débats parlementaires sur la loi « agriculture et alimentation » ?

 

C'est curieux, la petite gesticulation de l'Umweltinstitut de Munich (institut de l'environnement, une association et non une institution officielle) coïncidait aussi, pile poil, en février 2016, avec un débat parlementaire...

 

 

 

 

Où est la déontologie ?

 

Dans une démocratie qui respecte la liberté d'expression, la démarche de 60 Millions ne saurait être contestée sur le plan du principe. Mais où est la déontologie quand on agite un petit faisceau de faits insignifiants et qu'on tente de leur conférer une importance que, manifestement, ils n'ont pas ?

 

 

Où est la déontologie (bis)

 

Comment illustrer ces faits insignifiants ? 60 Millions a attribué deux « + » dans des ronds verts aux bières avec zéro résidu ; un « + » aux bières avec un résidu (majoritairement du glyphosate) et un « – » dans un rond rouge aux 13 bières avec deux, trois ou quatre résidus. Cette mise au pilori par des pictogrammes de bières qui répondent parfaitement aux normes alimentaires s'agissant des résidus de pesticides est au mieux contestable, en fait inacceptable.

 

Ce dénigrement résulte aussi, a priori, de l'analyse d'une seule bouteille, c'est-à-dire d'une seule brassée et d'un seul lot de malt. Quels seraient les résultats si l'on analysait une séries de bouteilles d'une même marque ?

 

Le consumérisme prend décidément de nombreux raccourcis pour distribuer des « + » et des « – ».

 

 

Et le « bio » ?

 

L'assortiment analysé comportait deux références « bio », dont une avec 0,51 µg/L de glyphosate. Que fait 50 Millions ? Silence !

 

 

Très fort, l'Obs

 

Beaucoup de médias se sont évidemment emparés du sujet. Nous en citerons un, l'Obs, au titre assez représentatif du panurgisme médiatique : « Du glyphosate retrouvé dans les bières vendues en grandes surfaces ». Un titre intrinsèquement imbécile : pour autant que les tests effectués pour le compte de 60 Millions sur un échantillon soient représentatifs de l'ensemble de la production d'une marque, on « retrouvera » du glyphosate dans les bières vendues ailleurs.

 

Mais l'Obs se distingue par la qualité de l'information (ironie). Selon l'articulet,

 

« 250 résidus de pesticide ont ainsi été trouvés dans 39 bières blondes et 6 bières blanches ».

 

Non... 250 résidus ont été recherchés. Les bières sont évidemment « contaminées ». Et pour le glyphosate :

 

« Cet herbicide breveté, fabriqué et commercialisé par l'entreprise américaine Monsanto est le désherbant le plus vendu au monde. Mais ces effets seraient néfastes : en mars 2015, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) l'a classé "cancérigène probable pour l'homme". »

 

On ne doit pas savoir à l'Obs que le glyphosate est dans le domaine public depuis 2000 et qu'il est produit par plusieurs entreprises, notamment chinoises...

 

Retenons tout de même le conditionnel dans « Mais ces effets seraient néfastes » : il y a encore de l'espoir !

 

 

Et le « cancérogène certain » ?

 

Mais aucun média n'a relevé une chose extrêmement inquiétante : ces bières contiennent pour certaines des « traces » de fongicides et pour beaucoup du glyphosate – « cancérogène probable » selon le CIRC. Pour le grand bonheur de 60 Millions, les doses sont quantifiables et elles vont jusqu'à, en gros, 10 µg/L. Cela reste négligeable, sauf pour les activistes.

 

Mais, horresco referens, ces bières contiennent aussi, pour la plupart de l'ordre de 50 grammes/litre, une substance quasi unanimement classée « cancérogène certain », addictive, responsable d'autres méfaits sur la santé du buveur, d'effets indirects sur les tiers, de troubles sociétaux parfois graves : l'alcool.

 

60 Millions conclurait-il aussi sur l'opportunité de l'interdire ? Si 60 Millions peut écrire que « ces bières sont à déguster avec modération », ne pourrait-il pas faire preuve de civisme et de pédagogie et expliquer que les pesticides doivent aussi être utilisés, judicieusement, avec modération ?

 

 

 

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J
C'est le même niveau de débat en vin bio et conventionnel. Lorsque des partisans inconditionnel du bio font du prosélytisme pour le vin bio, en général, lorsque l'on pose la question : mais, entre nous, quel est l'éléments unanimement reconnu comme cancérigène dans le vin conventionnel ....? On arrive après quelques appui à la réflexion à faire dire : "l'alcool !". Si dans le groupe il y a un esprit pas trop fermé, il arrive à dire "il y en a aussi dans le vin bio". Parfois un prosélyte dit : "oui mais avec les pesticides ce qui est dangereux c'est les mélanges, les accumulations... Là aussi, normalement, un membre du groupe peu dire : "oui, les mélanges ... (de vins)" et l'ultra anti-conventionnel peut, alors, apparaitre comme effectivement excessif aux yeux de consommateurs modéré. A tenter.
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S
Bonjour,<br /> <br /> Merci pour le commentaire.<br /> <br /> Peut-être se trouvera-t-il un sociologue pour le faire... un sociologue qui comprend la problématique...<br />