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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

France 2 « découvre » que la France est championne d'Europe des dérogations pour les pesticides

22 Juin 2018 , Rédigé par Seppi Publié dans #critique de l'information, #Activisme, #Pesticides, #Politique

France 2 « découvre » que la France est championne d'Europe des dérogations pour les pesticides

 

 

En résumé, l'agriculture française et le ministère de l'agriculture sont implicitement coupables de laxisme dans l'utilisation de pesticides dans le cadre de dérogations. Un journalisme de haute tenue aurait cherché à comprendre et à communiquer les raisons de cette situation plutôt que de faire de l'agri-bashing, certes discret.

 

 

L'actualité du mercredi 20 juin 2018 ne s'est pas prêté au sport favori de bon nombre de fournisseurs d'informations hexagonaux : le micro-trottoir par lequel des millions de Français sont éclairés sur leur opinion (celle qu'ils sont censés avoir avant d'avoir vu la séquence et celles qu'ils auront après...) à propos d'un événement plus ou moins important grâce aux propos recueillis d'un quidam, ou peut-être deux pour créer une sorte d'équilibre. Propos qui, évidemment, sont d'une pertinence bien supérieure à ce que pourrait expliquer un spécialiste...

 

Au journal de 20 heures de France 2, nous avons donc eu un excellent reportage, « Mexique : des migrants à bord du train de l'enfer », et deux autres qui ouvrent les yeux des téléspectateurs sur le reste du monde, « Népal : la difficile reconstruction de Katmandou » (qui a tout de même des relents d'exercice imposé pour prix d'un beau voyage) et « États-Unis : un salaire minimum plutôt qu'un pourboire pour les employés de la restauration ».

 

Et aussi « La France, championne d'Europe des dérogations sur les pesticides ».

 

Mais là, nous sommes disposés à décerner aux auteurs un brevet de médiocrité, même s'ils auraient pu faire bien pire.

 

Un « information » qui date

 

C'est un sujet qui a dû être mis en réserve pour les mauvais jours, ceux où il n'y a pas assez de mauvaises nouvelles – qui sont médiatiquement de bonnes nouvelles – pour meubler un journal télévisé.

 

Car, sauf erreur, c'est l'hyperactif anti-pesticides Éric Andrieu qui a allumé la mèche par un gazouillis le 10 mai 2018 :

 

« La France est surtout première pour les demandes de dérogations sur les pesticides. Avec 6 fois plus de demandes que la moyennes des 28. »

 

 

 

 

 

Il a allumé la mèche, l'Éric... il s'est fait allumer. Mais cela ne l'a pas empêché de remettre une couche le 14 mai 2018, avec le même résultat (voir aussi ici).

 

 

 

 

 

Si les journalistes de France 2 avaient fait leur travail, ils auraient dû se rendre compte qu'il y avait quelques os.

 

 

Trois minutes dignes des « meilleurs » « documenteurs »

 

Découpons d'abord le reportage de quelque 3 minutes :

 

  • Quinze secondes de Nicolas Hulot pontifiant... digne des conclusions des meilleurs Ushuaïa ;

  • Cinquante secondes d'explications, avec l'inévitable podium…

 

 

...l'effet de manche digne des meilleurs producteurs de « documenteurs » affligés d'un ego surdimensionné : « Le livre des dérogations françaises, nous l'avons obtenu » ; cela vient visuellement avec une liasse de papiers jetés sur un arrangement artistique de fruits et de bidons de choses censées être dégoutantes... des pesticides. La belle affaire ! Les documents sont sur internet !...


 

 

 

Et les exemples sont agrémentés d'un coup de « pschitt » avec une bombe quelconque – insecticide domestique ? Brumisateur ? Le truc est pathétique. Mais bon, les Cash machin ne font pas mieux.

 

 

 

 

  • Cinquante secondes de micro-trottoir – ici de micro-verger – avec un arboriculteur dispensant une vérité qu'il faut considérer comme d'Évangile ; en bref il se sert d'un produit herbicide bénéficiant d'une dérogation... mais pourrait s'en passer... preuve que le système des dérogations est inopportun ;

  • Dix secondes d'anxiogénèse : le 2,4-D a été classé « peut-être cancérogène  pour l'homme», avec, évidemment, une ligne de texte mise en avant sur fond de document en gris – notez que l'incrustation du sigle de l'OMS est au mieux une erreur, au pire un mensonge : depuis le temps que l'on parle du CIRC en relation avec le glyphosate, les journalistes devraient connaître la différence ;

 

 

 

 

  • Vingt secondes de catéchisme « écologiste » par une employée de France Nature Environnement ;

  • Une « chute » de 10-15 secondes – sur le mode persiflage – sur la position du Ministère de l'Agriculture.

 

 

Comment le Ministère de l'Agriculture a-t-il été approché ?

 

Voici le texte tel que retranscrit en ligne :

 

« Contacté, le ministère de l’Agriculture nous a répondu que ces dérogations respectent le règlement européen (article 53) et qu’il s’agit bien d’urgences phytosanitaires. S’il y a autant de dérogations, ce serait donc dû... à la variété de notre agriculture. »

 

Cela pose une première question : comment le ministère a-t-il été « contacté » ? Pour obtenir une entrevue ou simplement une réponse par téléphone permettant le persiflage ?

 

Un persiflage caractérisé puisqu'il y a utilisation concomitante de points de suspension (de suspense) et d'un conditionnel.

 

Pourtant, il suffisait de parcourir la liste des dérogations pour s'apercevoir que cela correspond à la réalité : la betterave industrielle (sucrière) et le blé côtoient par exemple le noisetier cité dans la séquence, mais aussi le muguet, l'iris rhizomateux, le kiwaï et le kiwi, le tabac, les semences potagères, etc.

 

 

Gesticulation anti-pesticides

 

Ce reportage reste sur le mode habituel de la gesticulation anti-pesticides, sans que l'on ait cherché à en savoir davantage sur les réalités et les problèmes sous-jacents.

 

On admettra sans peine qu'il y a des dérogations qui peinent à répondre à la notion d'« urgence phytosanitaire » (comme le désherbage au pied des noisetiers) ; et qu'il y a des acteurs économiques qui abusent du système, les dérogations régulièrement accordées demandant moins d'argent et d'efforts qu'une autorisation permanente.

 

Mais les auteurs ont négligé l'objectif principal des dérogations : répondre à des impasses phytosanitaires et résoudre le problème des usages orphelins. Ils auraient ainsi pu s'interroger sur l'adéquation des règles d'homologation en vigueur. Ne seraient-elles pas trop contraignantes, ce qui incite à utiliser le régime des dérogations ?

 

Ils auraient (aussi) pu interroger par exemple un producteur de muguet dont les plantes sont menacées par un nématode et qui bénéficie d'une dérogation pour traiter avec un... produit de biocontrôle. Ou encore un producteur de pommes ou de poires bio qui peut traiter contre les pucerons avec du Neemazal T/S grâce à une dérogation demandée par l'Institut Technique de l'Agriculture Biologique (ITAB). L'œil du 20 heures aurait produit une vraie information.

 

Ils auraient aussi pu lire la liste des dérogations. Qu'y trouve-t-on ? Outre le Neemazal T/S susmentionné (un insecticide « naturel » dérivé du neem ou margousier), des choses très inquiétantes (ironie) comme le kaolin, le bicarbonate de potassium (analogue au bicarbonate de soude qui fait le bonheur des ménagères « écolo ») ou encore l'hypochlorite de sodium (ça, c'est vraiment dangereux... ne buvez pas d'eau de Javel...). Bien sûr, il y a aussi des substances au nom difficilement prononçable.

 

 

Faux dès le départ !

 

Le texte mis en ligne ne reprend pas par la séquence de M. Nicolas Hulot, mais par ceci :

 

« Au moment de faire ses courses, on n’y pense pas toujours, mais souvent les fruits et légumes ont été traités avec un pesticide. Certains sont autorisés, d’autres non. »

 

Ça commence mal ! Tous les produits en cause sont autorisés. C'était facile à vérifier pour les produits visés par une dérogation : ils ont tous un numéro d'AMM, d'autorisation de mise en marché.

 

Ce qui ne l'est pas en temps normal, en revanche, c'est l'usage – pour un couple particulier plante-ravageur – qui fait l'objet de la dérogation. Et cet usage n'est souvent pas autorisé parce que personne ne s'est donné la peine de le demander... Les auteurs de la séquence auraient pu l'apprendre en frappant aux bonnes portes, plutôt que FNE.

 

Et ils auraient pu creuser la question de savoir pourquoi il fallait – on suppose que les demandeurs de dérogation ne demandent pas par plaisir – tant de dérogations en France – grand pays agricole –, en Espagne et au Portugal.

 

« L'ITAB dépose, soutient ou relaie des demandes de dérogations... »

 

« L'ITAB dépose, soutient ou relaie et affiche des demandes de dérogations aux autorisations de mise en marché (AMM) détenues au titre du règlement concernant les produits phytopharmaceutiques CE n°1107/2009, pour les produits utilisables protection des cultures en agriculture biologique (inscrits à l'annexe II du règlement CE n°889/2008 modifiée par les règlement d'exécution CE n°354/2014 et 673/2016).

 

Le tableau de l'Institut Technique de l'Agriculture Biologique énumère... 21 dérogations, donc pour des produits utilisables en agriculture biologique. Eh oui, le reportage nous apprend :

 

« Cette année, déjà 36 substances [ce chiffre est faux, c'est moins] font l’objet de dérogations, avec parfois de drôles d'appellations [ça, c'est le côté potache...]. Pour les cultures de poireaux attaqués par les vers de terre [les poireaux attaqués par les vers de terre, c'est nouveau...], le Karate. Pour les fraisiers, le Success 4 combat les mouches [c'est faux ! Il n'y a pas de dérogation pour ce produit sur fraisier]. Pour les pommiers, le Neemazal détruit les pucerons. »

 

Deux exemples sur trois sont des produits utilisables en AB. Et la demande de dérogation pour le Neemazal T/D – un perturbateur endocrinien suspecté et un danger pour les abeilles avéré – a été déposée par l'ITAB.

 

Soyons clairs : d'une part, il faut bien protéger les cultures ; d'autre part, si le danger est une notion invariable, le risque dépend de l'exposition (donc des mesures de protection) et se gère. Mais il serait seyant si les thuriféraires de l'agriculture biologique admettait que celle-ci utilise aussi des pesticides, dont certains ne sont pas anodins.

 

 

Le 2,4-D « peut-être cancérogène »

 

Les auteurs de la séquence n'ont pas pu s'empêcher de faire peur, avec un classement du CIRC pour un herbicide largement utilisé dans le monde et (encore) disponible pour les jardiniers amateurs – c'est dire si'il est dangereux... Sur quoi repose cette décision :

 

« L'herbicide 2,4-D a quant à lui été classé comme peut-être cancérogène pour l’homme (Groupe 2B), sur la base d’indications insuffisantes chez l'homme et d’indications limitées chez l’animal de laboratoire. Le Groupe disposait de fortes indications selon lesquelles le 2,4-D induit le stress oxydatif, un mécanisme qui peut se produire chez l’homme, et d’indications modérées selon lesquelles le 2,4-D provoque une immunodépression, sur la base d’études in vivo et in vitro. Cependant, les études épidémiologiques ne mettaient pas en évidence de hausses importantes ou uniformes du risque de LNH ou d'autres cancers par rapport à une exposition au 2,4-D. »

 

En résumé : un classement qui repose sur quasiment rien... le CIRC anti-pesticide militant a encore sévi.

 

Mais cela suffit pour des marchands de peur cathodiques.

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